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Full text of "Bulletin du bibliophile et du bibliothécaire"

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*     •  • 


BULLETIN 

DO 

BIBLIOPHILE 

REVUE    MENSUELLE 
PUBLIÉE  PAH  J.    TECHENER 

 TIC   Li  roKcocas 

Db  mm.  Ln  Baiibibii,  Con^ervateur-Adiuinlstrateur  à  la  Bibliothèque  du 
Louvre;  Ap.  Briquet  ;  G.  Brunit  ;  Eusèbe  Castaiqnb,  bibliothécaire 
à  Angoulème  ;  J.  Chbnu  ;  db  Clinchamp  ,  Bibliophile  ;  V.  Cousin,  de 
l*Académie  Françoise;  Dbsbarreaui-Bernard,  Bibliophile;  A.  Dinaui; 
A.  ER5ioi'r,  Bibliophile  ;  Fbrdina.nd-Dbnis,  Conservateur  à  la  Bibliothèque 
Sainte-Oeueviève;  J.  db  Gaillon  ;  Alprbd  Giraud;  Grangibb  db  La 
Marimbrb,  Bibliopliile  ;  P.  Lacroix  (Bibliophilb  Jacob)  ;  J.  Lamoureui  ; 
C.  Lbbkr;  Leroux,  de  Lincy  ;  P.  de  Malden  ;  de  Monmerqué  ;  Fr.  Morand; 
Paulin  Paris,  dcriiistitut;  Louis  Paris;  D'  J.  F.  Payen ;  Philarbtb 
Chaslbs,  Conservateur  à  la  Bibliothèque  Mazarine;  J.  Pichon,  Pré- 
f^ideut  de  la  Société  des  Bibliophiles  François  ;  Sbrgb  Poltoratiki  ; 
Ratuery,  Bibliothécaire  au  Louvre;  Rouard;  S.  db  Sacy,  de  TAcadémie 
Fraiiçoir»e  ;  Sainte-Beuve,  de  TAcadéinie  Françoise;  Ch.  Wbibb;  Yemenu, 
de  la  Société  des  Bibliophiles  François  ;  etc.;  etc., 

CONTENANT  DES  NOTICES  BIBLIOGRAPHIQUES,  PUILOLOGIQUEtf,  UISTO- 
hlQUKS,  LITTÉRAIRES,  ET  LE  CATALOGUE  RAISONNÉ  DES  LIVRES  DC 
L*ÉDITEUR. 

JANVIER  ET  FÉVRIER. 


DOUZIÈME  SÉRIE 


A  PARIS 

J.  TECHENER,  LIBRAIRE 

PLACE  DE  LA  COLONNADE  DU  LOUVRE  N*  30. 

1856. 


f 


BULLETIN 

DD 

BIBLIOPHILE 

REVUE    MENSUELLE 
PUBLIÉE  PAH  J.    TECHENER 

A  TIC     LB    rONCOUAS 

Db  mm.  L.  Baiibibii,  Conservateur-Administrateur  à  la  Bibliothèque  du 
Louvre;  Ap.  Briqubt ;  G.  Brdxbt;  Eusèbe  Cabtaignb,  bibliothécaire 
à  Angoulème  ;  J.  Cbbnu  ;  DB  Clinchamp  ,  Bibliophile  ;  V.  Cousin,  de 
TAcadémie  Françoise;  Obsbarrbaux-Bbrnard,  Bibliophile  ;  A.  Dinaux; 
A.  Ernocp,  Bibliophile  ;  Fbrdinand-Dbnis,  Conservateur  à  la  Bibliothèque 
Sainte-Oeneviève;  J.  db  Gaillo.n  ;  Alprbd  Giraud;  Gbanoibr  db  La 
Marimêrb,  Bibliophile  ;  P.  Lacrou  (Bibliophilb  Jacob)  ;  J.  Lamodreux  ; 
C.  Lebkr;  Leroux  de  Lincy  ;  P.  de  Maldbn  ;  de  MomiERQué  ;  Fr.  Morand  ; 
Paclin  Paris,  dePInstitut;  Louis  Paris;  D'  J.  F.  Paybn;  Philarbtb 
Chaslbs,  Conservateur  à  la  Bibliothùquc  Mazariue;  J.  Pichon,  Pré- 
Mdent  de  la  Société  des  Bibliophiles  François  ;  Sbrgb  Poltoratiki  ; 
Rathery,  Bibliothécaire  au  Louvre;  Rouard;  S.  de  Sacy,  de  l'Académie 
Françoise  ;  Sainte- Beuve,  de  TAcadéinie  Françoise;  Cu.  Weibb;  Ybmbnu, 
de  la  Société  des  Bibliophiles  François  ;  etc.;  etc., 

CONTENANT  DES  NOTICES  BIBLIOGRAPHIQUES,  PHILOLOGIQUES,  HISTO- 
RIQUES, LITTÉRAIRES,  ET  LE  CATALOGUE  RAISONNÉ  DES  LIVRES  DE 
L*ÉD1TEUR. 

JANVIER  ET   FÉVRIER. 


DOUZIÈME  SÉRIE 


A  PARIS 

J.  TECHENER,  LIBRAIRE 

PLACE  DK  LA  COLONNADE  DU  LOUVRE  N«  30. 

1856. 


526  BULLETIN    DU    BIBLIOPHILE. 

et  de  signaler  des  erreurs  d'autant  plus  dangereuses  qu'elles  sont 
protégées  par  un  nom,  une  position  et  un  remarquable  talent. 

Je  n'entreprends  pas  la  critique  du  livre  de  M.  Griin,  je  ne 
suis  point  un  critique;  mais  les  rares  loisirs  que  j'ai  pu  consa- 
crer à  Montaigne  m'ont  mis  à  même  de  recueillir  quelques  ren- 
seignements qui  se  sont  parfois  trouvés  en  désaccord  avec  Ton- 
vrage  que  j'analyse;  lorsqu'il  y  aura  doute,  je  discuterai;  lors- 
•que  l'erreur  me  paraîtra  manifeste,  je  la  signalerai;  M.  Grùn 
sans  doute  n'y  perdra  rien  et  la  vérité  y  gagnera;  je  n'ai  pas 
d'autre  but,  car  j'ai  mis  au  service  de  Montaigne  autant  de 
désintéressement  que  d'amour. 

Mon  article  se  composera  d'abord  de  quelques  observations 
générales  ;  je  tâcherai  ensuite  de  combler  plusieurs  lacunes  ;  en- 
fin, je  signalerai  les  erreurs  que  j'ai  cru  rencontrer. 

Au  risque  d'une  répétition,  je  reproduirai  ici  le  jugement  si 
justement  motivé  de  M.  Villemain  sur  le  titre  de  l'ouvrage. 
Quelle  qu'ait  été  la  vie  de  Montaigne,  elle  s'est  trouvée  circon- 
scrite dans  un  cercle  trop  restreint  pour  exercer  une  influence 
sur  les  affaires  générales  du  pays,  et  le  titre  de  Vie  publique  est 
impropre  et  trop  ambitieux,  comme  celui  d'Étude  est  peut-être 
trop  modeste. 

Je  proteste,  autant  qu'il  est  en  moi,  contre  la  manière  dont 
M.  Grûn  a  cru  devoir  diviser  la  biographie  de  Montaigne.  En 
exagérant  et  dénaturant  l'exemple  donné  par  M.  Leroux  de 
Lincy,  dans  la  Vie  de  Marguerite  de  Navarre,  en  étudiant  isolé- 
ment Montaigne,  maire,  magistrat,  gentilhomme  de  la  chambre, 
chevalier  de  l'ordre,  etc.,  il  est  impossible  de  le  connaître;  à  ce 
système  de  divisions,  il  n'est  pas  de  limites,  et  déjii  les  douze 
Montaigne  de  M.  Grûn  ne  lui  suffisent  plus;  il  en  est  aux  sub- 
divisions, et  depuis  la  publication  de  son  livre  il  nous  a  donné 
Montaigne  économiste.  La  méthode  peut  être  bonne  pour  enre- 
gistrer des  faits  fixes  comme  ceux  de  ia  géographie  ou  de  la 
statistique,  mais  elle  est  assurément  infidèle  pour  apprécier 
cet  être  ondoyant  et  divers,  cette  unité  complexe  qu'on  appelle 
l'homme 


bullc;tin  du  bibliophile.  527 

Pour  Montaigne,  on  peut  dire  qu'il  est  assez  décousu  pour 
qu'il  ne  soit  pas  bon  de  le  découdre  encore.  Ce  qui  intéresse 
dans  un  article  biographique,  c'est  la  contradiction  qui  existe 
souvent  entre  le  milieu  dans  lequel  un  homme  naît  et  ses  aspi- 
rations, entre  ses  facultés  et  ses  désirs;  ce  sont  les  réactions 
du  caractère  sur  les  fonctions  et  réciproquement,  et  c'est  le 
résultat  de  cette  lutte  qui  constitue  V individualité. 

Chez  Montaigne,  montrer  le  maire  actif  aux  prises  avec  Té- 
picurien  nonchalant,  le  philosophe  avec  l'homme  de  cour,  l'é- 
lève de  Rome  et  d'Athènes  avec  le  gentilhomme  du  xvr  siècle, 
le  chrétien  avec  le  sceptique,  là  est  le  véritable  intérêt  et,  on 
peut  le  dire,  l'enseignement;  et  il  faut  que  M.  Grûn  me  per- 
mette d'écrire,  très  sérieusement,  que  les  diiïérents  Montaigne 
qu'il  nous  présente  ne  sont  pas  plus  le  Montaigne  de  l'histoire 
que  le  jaune  ou  le  rouge  n'est  la  couleur  de  l'habit  d'Arle- 

# 

quin. 

11  y  a  plus,  et  l'intérêt  s'accroît  lorsqu'un  écrivain  de  talent 
et  de  goût  rapproche  les  biographies  de  plusieurs  personnages 
dont  l'existence,  l'influence,  les  opinions  ou  les  ouvrages  offrent 
quelque  analogie  ;  ce  qui  est  précisément  le  contraire  du  procédé 
contre  lequel  je  réclame  (1). 

Nonobstant  les  recherches  auxquelles  M.  Grûn  s*est  livré  et 
malgré  le  luxe  d'érudition  auquel  il  s'est  peut-être  un  peu  trop 
abandonné,  il  accepte  souvent  des  renseigtiements  de  seconde 
main.  Ainsi,  sur  la  foi  de  Meunier  de  Querlon,  il  a  reproduit 
une  grosse  erreur  que  la  moindre  vérification  lui  auroit  fait  re- 
connoitre,  sur  la  prétendue  ambassade  d'un  d'Elbene  à  Rome. 


(1)  Voltaire,  qui  R*y  connoissoit,  n'auroit  pas  aimé  k  être  ainsi  découpé 
en  mosaïque  biographique  : 

•  De  Saint-\nge,  le  traducteur  d*Ovide,  ayant  été,  comme  les  autres 
f^s  de  lettres,  prés^ter  ses  hommages  à  Voltaire  pendant  son  dernier 
Toyage  à  Paris,  voulut  finir  sa  visite  par  un  coup  de  génie,  et  lui  dit  : 

—  Aujourd'hui,  Monsieur,  je  ne  suis  venu  voir  qu'Homère,  je  viendrai  voir 
an  autre  jour  Euripide  et  Sophocle,  et  puis  Tacite,  et  puis  Lucien,  etc. 

—  Monsieur,  je  suis  bien  rieux  I  Si  vous  pouviez  faire  toutes  cf^  vi>itt>s  en 
une  fo»?  »  [Motaïqut  littéraire.^ 


528  BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE. 

En  transcrivant  des  passages  empruntés  à  la  Guyenne  histori- 
que,  il  fait  honneur  à  M.  Ducourneau  de  ce  qui  appartient 
à  MM.  Delpit.  {Notice  d'un  manuscrit  de  la  bibliothèque  de 
WoLFENBUTTEL,  intitulé  :  Recognitiones  feodorum,  où  se  trou- 
vent des  renseignements  sur  Tétai  des  villes,  des  personnes  et 
des  propriétés  en  Guyenne  et  en  Gascogne  au  xiii*»  siècle,  par 
HM.  Martial  et  Jules  Delpit,  in-/i,  18U0  H  mentionne  le  volume 
intéressant  publié  en  1851,  dans  lequel  M.  Ph.  Chasles  a  étudié 
l'influence  que  Montaigne  a  exercée  sur  Shakspeare  ;  mais  il 
ignore  apparemment  que  ce  travail,  déjà  publié  en  1846,  dans 
plusieurs  numéros  du  Journal  des  Débats,  avoit  été  précédé 
par  des  Observations  sur  un  autographe  de  Shakspeare,  par  sir 
Frédéric  Maddrn,  et  d'un  important  article  de  TheLondon  and 
Westminster  Heview,  April — August— 1838,  dans  lesquels  cette 
thèse  est  soutenue  et  établie  en  partie  par  les  mêmes  arguments 
qu'emploie  l'ingénieux  professeur  du  Collège  de  France.  La  re- 
marque étoit  bonne  à  faire,  car  cette  opinion  acquiert  d'autant 
plus  d'autorité  qu'elle  est  soutenue  par  les  compatriotes  du  grand 
tragique.  (Il  est  juste  de  remarquer  que  M.  Chasles  cite  des 
sources,  mais  il  n'indique  pas  celles-là.) 

M.  Grûn  a  usé  d'un  procédé  de  rédaction  dont  sa  loyauté  a 
dû,  depuis  la  publication,  lui  faire  reconnoître  les  inconvé- 
nients; bien  des  fois  il  isole  l'énoncé  d'un  renseignement  de  la 
source  qui  le  lui  a  fourni.  Ses  apologistes  même  s'y  sont  trou- 
vés pris  et  lui  ont  fait  honneur  de  découvertes  qui  ne  lui  appar- 
tiennent pas;  ainsi  fera  la  majorité  des  lecteurs.  Page  10, 
M.  Grûn  écrit  :  «  J'ai  fixé  l'époque  de  la  naissance  »  (de  Mon- 
taigne), et,  page  2,  il  cite  les  Essais  où  Montaigne  dit  :  «  Je  na- 
quis le  dernier  jour  de  février  1533.  » 

Page  11,  M.  Grûn  écrit  :  «  Je  précise  l'époque  à  laquelle 
Montaigne  devint  chevalier  de  l'ordre  de  Saint-Michel;  »  et 
page  160  :  «  La  date  précise  de  la  promotion  de  Montaigne  a 
été  mise  en  lumière  par  M.  le  D'  Payen.  »  Ici  M.  Grûn  a  induit 
en  erreur  des  critiques  qui  ne  lui  sont  pas  suspects;  M.  Avenel, 
dans  VAthenafum.  dit  :  «  Écoutons  M.  Grûn,  il  expliquera 


BULLETIN    DU   BIBLIOPHILE.  529 

mieux  que  nous  comment  il  a  compris,....  etc.,  »  et  il  cite  la 
phrase  de  la  page  1 1 ,  sans  Vautre  mention  ;  et  M.  Barrière 
(Journal  des  Débats)  a  été  plus  loin,  il  endosse  la  responsabi- 
lité de  la  phrase  :  <(  Les  biographes,  par  différentes  raisons,  ont 
erré  sur  la  date  (de  la  nomination  à  Tordre  de  Saint-Michel); 
M.  Grûn  la  détermine  invariablement.  >  Ces  exemples,  que  je 
pourrois  multiplier,  suffisent  à  témoigner  de  Finconvénient  que 
j'ai  signalé. 

Un  autre  reproche,  qui  se  rattache  à  celui  qui  précède,  m'est 
suggéré  par  la  mise  en  scène  à  laquelle  M.  Grûn  a  recours  pour 
parottre  établir,  par  la  seule  force  de  son  raisonnement,  par  ses 
inductions,  ses  présomptions,  par  une  discussion  savante,  des 
faits  qu*il  sait  être  décidés  à  Tavance  par  des  pièces  authenti- 
ques dont  le  simple  exposé  devoit  suffire. 

Par  son  style  toujours  élégant  et  pur,  parfois  énergique,  par 
des  détails  si  spirituellement  racontés,  M.  Grûn  possède  assez 
Fart  de  captiver  son  lecteur  sans  qu'il  lui  soit  nécessaire  de  re- 
courir au  pittoresque.  Quand,  après  avoir  lu  vingt  pages  d'une 
discussion  habilement  conduite,  on  trouve  la  mention  d'une 
pièce  qui  à  elle  seule  décide  le  fait,  on  se  prend  à  regretter 
Fattention  qu'on  a  inutilement  dépensée ,  et  on  se  demande 
pourquoi  Fauteur  n'a  pas  commencé  par  cette  vingtième  page. 
A  la  première  lecture  cet  artifice  séduit,  mais  l'ouvrage  de 
M.  Grûn  n'est  pas  de  ceux  qu'on  ne  lit  qu'une  fois,  et  en  le  re- 
lisant on  ne  voit  plus  dans  ce  procédé  que  la  preuve  d'une  éru- 
dition que  personne  ne  met  en  doute. 

Ce  reproche,  si  je  ne  me  trompe,  a  une  certaine  gravité,  et 
comme  je  crains  que  M.  Grûn  n'en  tienne  pas  compte,  je  veux 
lui  citer  au  moins  deux  exemples;  j'en  pourrois  trouver  davan- 
tage. 

La  question  que  soulève  le  secrétariat  de  Catherine  de  Médicis 
méritoit  assurément  d'être  discutée;  mais  après  avoir  articulé  ce 
fait  que  quelques  biographes  ont  cru  à  tort  que  Montaigne  avoit 
rempli  ces  fonctions,  après  avoir  nommé,  si  M.  Grûn  y  te- 
noit,  MM.  Jay,  Victorin  Fabre,  Amaury  Duval.  Payen,  comme 


530  BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE. 

ayant  commis  celte  erreur,  une  seule  chose  restoit  à  faire>  ce- 
toit  de  reconnoitre  qu'une  pièce,  que  M.  Grûn  sait  exister  entre 
mes  mains,  décide  irrévocablement  la  question,  et  rend  sur  ce 
point  toute  discussion  superflue.  Mais  M.  Grûn  a  trouvé  cette 
marche  trop  simple;  il  énonce  l'erreur,  puis  il  tient  pendant 
vingt  pages  son  lecteur  en  suspens  ;  il  discute  le  style  des  Avis, 
écrits  au  nom  de  la  Reine  par  un  Montaigne,  quelconque, 
pour  montrer  qu'ils  ne  sont  point  sortis  de  la  plume  de  Mi- 
chel ;  il  fait  ressortir  l'obscurité  du  nom  et  de  la  personne  de 
notre  auteur,  son  inexpérience  des  choses  de  la  cour  à  l'époque 
k  laquelle  on  dit  que  ces  Avis  ont  pris  naissance;  il  contredit 
l'opinion  reçue  qu'ils  ont  été  écrits  pour  Charles  IX  ;  puis,  lors- 
qu'il a  clairement  établi  qu'ils  ne  peuvent  pas  être  l'œuvre  de 
Montaigne,  il  les  donne  à  peu  près  tout  entiers,  et  ils  sont  longs  ! 
Enfin  il  conclut,  mais,  remarquez-le  !  avant  de  faire  comparoître  la 
pièce  qui  est  la  seule  autorité  !  De  telle  sorte  que  pour  tout  lecteur 
c'est  uniquement  par  la  puissance  du  raisonnement  que  M.  Grûn 
est  parvenu  à  établir  sa  conviction,  et  la  pièce  originale,  offi- 
cielle, ne  parolt  que  plus  tard,  escortée  d'une  supposition,  tout 
&  fait  incidemment,  et  il  est  complètement  impossible  d'appré- 
cier l'importance  qui  lui  appartient  dans  ce  débat.  M.  Villemain 
lui-même  d  été  trompé  par  cette  longue  discussion,  il  dit  : 

«  M.  Grûn  a  coulé  à  fond  cette  erreur dans  une  discussion 

«  de  vingt  pages,  d'une  netteté  parfaite;  il  prouve, etc.  « 

L'intelligent  critique  n'a  pas  pu  soupçonner  que  cette  pièce, 
émanée  de  Catherine  de  Médicis,  à  laquelle  deux  lignes  seule- 
ment sont  consacrées  tout  à  la  fin  du  chapitre,  tranche  la  ques- 
tion bien  plus  sûrement  que  toutes  les  argumentations.  Qui 
donc  comprendra  ? 

Tout  cela  est  sans  doute  fort  habile,  fort  dramatique  :  tel  l'ar- 
tiste, qui  veut  introduire  le  spectateur  dans  une  salle  de  pano- 
rama, le  plonge  d'abord  dans  une  obscurité  complète,  puis  par 
des  détours  savamment  combinés  l'accoutume  insensiblement  à 
la  lumière  ;  mais  la  sévérité  de  l'histoire  s'accommode  mal  de  ces 
habiletés  que  caractérise  très  bien  une  locution  familière  :  «  En- 


BULLETIN    DU   BIBLIOPHILE.  5Si 

foncer  une  porte  ouverte  (1).  »Etpuis,  voyezlemalheur  !  M.  Grûn, 
qui  marche  si  sûrement  à  la  vérité  quand  au  départ  il  la  connolt, 
du  moment  où  il  ne  sait  plus  à  Tavance  le  mot  de  Ténigme,  il  se 
perd,  il  fait  fausse  route!  Par  la  force  de  ses  inductions,  par  la 

rigueur  de  ses  déductions,  il  arrive  à  être  d* accord avec 

un  acte  authentique  qu'il  connoissoit;  mais  cet  acte,  le  hasard! 
et  c'est  bien  un  hasard  !  fait  que  je  ne  le  lui  ai  pas  montré  ;  il  n'y 
a  donc  pas  vu  quel  est  le  Montaigne  secrétaire  de  la  Reine,  et 
pourtant  il  veut  le  connoître,  et  à  l'aide  de  ces  mêmes  ressour- 
ces, dont  il  usoit  tout  à  l'heure  avec  tant  de  bonheur,  il  arrive 
à  conclure  que  ce  doit  Hre  Jacques  Montaigne,  avocat  général 
à  Montpellier;  puis  il  ajoute,  sans  autre  preuve,  que  ce  Jacques 
se  fit  sans  doute  remarquer  dans  une  mission  en  1562,  ou  lors- 
que la  cour  traversa  le  Midi  en  1565;  et  continuant,  il  dit  : 
(f  Charles  IX  le  plaça  auprès  de  sa  mère,  puis  le  nomma  maître 
des  requêtes  m  (remarquez  Tordre  des  nominations!)  ;  et  enfin 
M.  Grûn  conclut  que  c'est  lui  qui  doit  avoir  signé  la  pièce  que 
possède  M,  Payen^  et  il  complète  la  série  des  suppositions  en 
disant  que  Jacq.  Montaigne  resta  probablement  près  de  la  Reine, 
que  c'est  lui  qui  a  dû  l'accompagner  dans  le  voyage  de  1578,  que 
peut-être  Montaigne  a  rencontré  Jacques  à  la  cour  de  Nérac  !!!... 
Singulière  biographie!  et  Bouhier  n'avoit  pas  accumulé  tant 
d'erreurs  lorsque  M.  Grûn  lui  lance  à  la  face  cette  apostrophe  : 
«  Bouhier  conjecture  donc  à  faux,  >) 

Si  je  ne  tenois  à  rester  avec  M.  Grûn  dans  les  limites  d'une 
stricte  politesse,  je  lui  renverrois  la  phrase  qu'il  adresse  aux 
malavisés  qui  ont  pu  croire,  pendant  un  temps,  que  Montaigne 
a  écrit  les  Avis  :  «  Je  m'inscris  en  faux  contre  toutes  ces  ima* 
o  ginations,  » 

M.  Grûn  a  signalé  une  erreur  reconnue  avant  lui  par  l'un  au 
moins  de  ceux  qui  l'avoient  propagée,  il  a  profité  d'une  pièce 
qui  apprend  que  le  secrétaire  de  Catherine  n'étoit  pas  Michel, 
mais  il  veut  que  ce  soit  Jacques  I  il  le  prouve^ et  pourtant 

(i)  Moiita%Dè  eattctériie  ce  procédé ,  il  dit  que  c'est  deviner  à  Venven, 


632  BULLETIPf   DU    BIBLIOPHILE. 

ce  n*€st  pas  Jacques, c'est  François  !  De  sorte  que  cette 

immense  dissertation  aboutit  à  substituer  Jacques  à  Michel,  une 
erreur  à  une  autre.  Parturient  montes  !  Beaucoup  de  peine  pour 
rien,  comme  dit  Shakspeare  (1). 

La  vérité  simple  est  que  Jacques  Montaigne  a  été  avocat 
général,  puis  président  à  la  cour  des  aides  de  Montpellier  (j'ai 
de  lui  un  reçu  d'avril  1572);  mais  il  n'a  pas  été  secrétaire  de  Ca- 
therine de  Médicis  (2).  Le  Montaigne  qui  remplissoitces  fonctions 
étoit  François  Montaigne,  qualifié,  sur  les  diverses  pièces  que 
je  possède  de  lui  (1572),  secrétaire  ordinaire  de  la  chambre  du 
Roi,  ou  secrétaire  de  la  chambre  du  Roi  et  de  la  Reine- Mère 
dudit  Seigneur.  Enfin  une  pièce  signée  de  Catherine  dit  dans 
le  texte  :  «  François  Montaigne,  mon  secrétaire,  »  et  une  anno- 
tation autographe  de  celte  princesse  recommande  que  MoN- 
TEGNE  (3)  contresigne  l'acte  en  question  (28  décembre  1573). 
M.  Lucas  Montigny  possédoit,  en  1851,  deux  pièces  de  ce 
François  de  Montaigne  :  une  lettre  de  157i,  où  sa  signature 
est  au-dessous  de  cell^  de  la  Reine-Mère,  et  un  acte  notarié 
postérieur  de  six  ans. 

On  remarquera  que  la  date  de  ces  pièces  ne  contredit  ni 
n'appuie  l'opinion  de  M.  Grûn,  qui  veut  que  les  Avis  s'adres- 
sent à  Henri  III  et  non  à  Charles  IX.  Les  historiens  de  ces  rois 
discuteront  ce  point ,  et  ils  pourront  trouver  encore  quelques 
objeclionsel,  parexemple,  l'opinion  de  Le  Laboureur,  qui  se  pro- 
nonce pour  le  dernier  Roi,  celle  des  mémoires  de  Condé  et 
celle  de  MM.  Cimber  et  Danjou,  qui  pensent  de  même  et  dé- 


(1)  On  peut  Juger  par  là  de  la  rigueur  des  conclusions  de  M.  Grttn ,  il 
n*a  pas  vu  une  pièce  !  et  néanmoins  il  dit  :  Cest  tel ,  on  n*bn  sauroit 
DOUTER ,  qui  a  contresigné  la  pièce  que  possède  M ! 

(2)  Duverdier  consacre  au  protégé  de  M.  Grùn  un  article  long  et  médio* 
croment  flatteur.  (Voy.  P.  Paschal,  page  1035.) 

(3)  Je  remarque  la  manière  dont  le  nom  est  figuré  par  la  reine,  et  Je 
demande  si  cela  ne  sembleroit  pas  indiquer  qu*à  Paris,  au  moins,  la  pré- 
sence de  1*1  dans  la  seconde  syllabe,  la  faisoit  prononcer  tai  ,  tandis  qu'il 
est  à  peu  près  certain  que  dans  le  pays  on  prononçoit  :  ta  :  Montigni  et 

MONTAGFIK. 


/ 

r 


BULLETIN   DU    BIBLIOPHILE.  5SS 

cident  la  question  indécise  pour  M.  Grûn,  de  la  présence  de  la 
cour  à  Gaillon,  en  1563;  enfin  je  lisois,  il  y  a  peu  de  jours,  une 
lettre  autographe  de  Catherine  de  Médicis,  incontestablement 
adressée  à  Charles  IX,  où  se  trouvent  des  avis  de  même  nature 
que  dans  la  pièce  en  discussion  :  la  Reine  recommande  au  Roi, 
lorsqu'il  lui  écrit,  de  ne  plus  mettre  le  mot  de  serviteur  (1569); 
mais  tout  cela  est  indifférent  pour  la  biographie  de  Montaigne. 

Ce  même  artifice  de  rédaction  se  retrouve  dans  ce  qui  a  trait 
à  Fépoque  où  Montaigne  est  devenu  chevalier  de  Saint-Michel. 
On  a  pu  errer  sur  ce  point  jusqu*à  ce  qu'une  pièce  authentique 
vînt  le  fixer;  celte  pièce,  je  Tai  fournie  en  publiant  la  lettre  par 
laquelle  le  Roi  annonce  à  Montaigne  sa  nomination;  postérieu- 
rement j'ai  confirmé  cette  date  en  publiant,  dans  les  Éphémé- 
niDES  de  Montaigne,  la  note  autographe  qui  a  trait  à  cet  événe- 
ment; du  moment  que  M.  Grûn  possédoit  la  première  de  ces 
preuves,  où  étoit  la  nécessité  d'employer  quatre  grandes  pages 
à  inventorier  des  erreurs?  de  faire  comparoir  dom  de  Vienni-, 
BouHiER,  MoRÉRi,  Talbert,  M.  de  Peyronnet,  m.  Vatout, 
même  M.  Villemain,  qui  ont  pu  se  tromper  sur  le  Roi  ou  sur 
l'époque?  M.  Louandre,  qui  semble  croire  que  l'Ordre  étoit 
encore  en  crédit  quand  Montaigne  le  reçut? 

Les  erreurs  des  biographes,  du  moment  qu'elles  sont  recon- 
nues, ne  font  plus  partie  de  la  biographie;  ce  long  martyrologe 
étoit  au  moins  inutile,  et,  ouvrier  de  la  dernière  heure,  M.  Grùn 
est  peu  généreux  d'attacher  ainsi  au  pilori  de  son  livre  des 
hommes  qui,  avant  lui,  ont  cherché  la  vérité,  et  qui  la  lui  ont 
plus  d'une  fois  fournie. 

Trop  souvent  M.  Grfln  affirme,  à  l'occasion  de  points  encore 
contestables,  et  que,  dans  l'intérêt  de  la  vérité,  il  faudroit  lais- 
ser en  suspens.  Je  donnerai  quelques  exemples. 

M.  Grûn  dit  résolument  que  le  nom  d'Eyquem  est  essentiel- 
lement  d'origine  gasconne.  La  chose  peut  être  fondée,  et  je  con- 
nois  quinze  personnes  et  trois  localités  qui,  dans  le  Rordelois, 
ont  porté  le  nom  d'Eyquem  ou  d*  Yquem  ;  mais  pourtant  elle  est 
contestée  par  des  écrivains  que  peut-être  M.  Grûn  n'a  pas  con- 


53A  BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE. 

mliés.  Le  Journal  encyclopédique  en  1773,  le  Magasin  encyclo- 
pédique de  Millin  en  1797,  le  médecin  F.  Grigny  [État  des 
villes  de  la  Gaule-Belgique  avant  le  xil*  siècle ,  auec  des  re- 
cherches  étymologiques  sur  l'origine  de  leurs  noms),  établissent 
que  Eyquem  est  purement  flamand  ;  à  quoi  Mercier  Saint-Léger 
ajoute  (notes  manuscrites  et  inédiles)  :  «  Eyquem  ou  plutôt  Eyc- 
«  kem,  d'où  Ton  a  inféré  que  notre  auteur  étoit  originaire  d*An- 
((  gleterre  ou  de  Flandres;  de  Flandres,  à  la  bonne  heure,  le  root 
<(  Eckem  étant  purement  flamand;  rAnglaisauroitdilOakham.  » 

Ecke  en  flamand ,  eiche  en  allemand  ,  oak  en  anglais ,  signi- 
fient chêne;  de  même  hern,  heim  et  ham  signifient  hameau  {villa 
des  Latins)  ;  eckhem  et  oakham  signifieroient  donc  le  Hameau 
du  Chêne,  Des  mémoires  manuscrits  sur  le  Parlement  de  Bor- 
deaux, écrits  dans  le  xvir  siècle,  prétendent  qu'Eyquem  est  un 
mot  écossois  qui  signifie  montagne.  La  source  réelle  du  nom  est 
donc  encore  à  chercher. 

M.  Grijn  prétend  établir  par  des  inductions  que  Montaigne 
a  étudié  le  droit  à  Toulouse.  — Je  n*ai  nulle  objection  à  faire  à 
cette  opinion  qui,  il  faut  bien  le  reconuoître,  ne  repose  sur  au- 
cune preuve. —  Mais  le  passage  des  Essais  que  cite  M.  Grûn  ne 
prouve  absolument  rien.  Montaigne  dit  :  «  Je  vis  en  mon  en- 
fance un  procès  que  Gorras ,  conseiller  de  Toulouse ,  fit  impri- 
mer,... etc.  >  Il  s'agit  évidemment  d'Arnaud  du  Thil,  qui  se  fit 
passer  pour  Martin  Guerre ,  et  dont  le  procès,  commencé  en 
1559,  se  termina  d'une  manière  Iragique  pour  Faccusé  le  16  sep- 
tembre 1560.  Or  Montaigne  avoit  alors  vingt-sept  ans  et  demi; 
il  étoit  déjà  conseiller  :  donc  ce  renseignement  n*a  dans  Tespèce 
aucune  application,  et  M.  Grûn  n'est  guère  rigoureux  dans  sa 
supputation  quand,  pour  appuyer  son  argumentation,  il  dit  que 
cette  époque  correspond  à  l'âge  à" étudiant.  Il  est  vrai  que 
Montaigne  dit  :  dans  mon  enfance;  mais  ce  mot,  sous  sa  plume, 
s\%ïiV\e  jeunesse  ;  il  l'emploie  pour  l'époque  à  laquelle  son  père 
étoit  maire  :  or,  en  155/i,  Michel  avoit  vingt-et-un  ans;  pour  l'é- 
poque où  lui-même  étoit  conseiller  ;  pour  le  temps  où  il  paya 
ion  tribut  à  l'amour,  etc.  Le  passage  allégué  ne  prouve  pas 


BULLETIN  DU  BIBUOPHILK.  6S6 

même  que  Montaigne  fût  à  Toulouse  à  Tépoque  du  procès ,  et 
peut-être  n'a-t-il  voulu  parler  que  de  Touvrage  de  Gorras  sur 
cette  affaire,  et  il  a  pu  dire  je  vis,  comme  il  auroit  dit  je  lus, 
car  à  peu  près  dans  ce  temps  il  se  trouvoit  à  la  cour  (livre  1, 
ch.  43),  et  pour  sûr,  vers  octobre  1550,  il  étoit  à  Bar-le-Duc 
avec  le  roi  François  II.  L*ouvrage  de  Gorras  a  paru  en  1565, 
l'année  du  mariage  de  Montaigne. 

Cette  opinion  est  entièrement  celle  de  M.  Lapeyre,  et  Féru- 
dit  bibliothécaire  de  Périgueux  n'a  jusqu'ici  rien  découvert  qui 
éclaire  ce  point  de  la  vie  de  Montaigne;  seulement  M.  Leymarie, 
qui  s'occupe  d'une  histoire  du  Périgord,  croit  se  rappeler  avoir 
lu  quelque  part  que  Montaigne  avoit  étudié  le  droit  à  Toulouse. 

On  ignore  la  date  précise  à  laquelle  Montaigne  est  entré  en 
mairie.  Nommé  en  1581,  ses  fonctions  ont-elles  commencé  la 
même  année,  ou  seulement  l'année  suivante?  Je  me  suis  anté- 
rieurement prononcé  pour  l'année  1582  ;  mais  depuis  j'ai  eu  des 
doutes,  et  je  pense  que  c'est  jusqu'ici  une  question  r<^servée. 
M.  Grûn  adopte  positivement  l'entrée  en  1581,  et  la  sortie  en 

1585  ;  il  fournit  des  preuves  dont  quelques-unes  sont  spécieuses  ; 
c'est  d'ailleurs  l'opinion  de  Bernadau,  de  M.  d'Ëtcheverry  et 
d'autres. 

Toutefois,  il  reste  quelques  objections  qui  ne  sont  pas  levées. 
Ainsi  Darnal,  après  avoir  parlé  du  siège  de  Sainte-Bazeille,  en 
avril  1586,  dit  :  c  Le  roi  écrit  à  MM.  les  jurats....  Il  trouve 
bon  que  le  maréchal  de  Matignon  soit  élu  maire.  »  Gette  note 
concorde  avec  le  récit  de  Caillière,  qui  place  à  l'année  1586  la 
démarche  faite  par  les  habitants  de  Bordeaux  près  de  M.  de 
Matignon,  pour  le  supplier  d'avoir  agréable  l'élection  qu'ils 
avoirnt  faite  de  sa  personne  pour  la  charge  de  maire  de  leur 
ville.  Ces  démarches  n'auroient  eu,  ce  semble,  aucun  sens, 
si  Matignon  eût  été  en  exercice  depuis  plusieurs  mois.  Darnal 
fournit  encore  une  autre  note  qui  semble  prouver  en  faveur  de 

1586  :  c(  En  l'année  1585  jusques  en  juillet  1586,  étant  lieute- 
c  nant  du  roi  M.  le  maréchal  de  Matignon,  maire  de  ladite  ville 
f  M,  de  Montaigne, . .  »  Enfin ,  je  remarque  qu'à  la  deuxième  édition 


6S6  BULLETIN   DO   BIBUOFHILK. 

des  Essais,  publiée  en  1582,  Hontaigoe  s'intitule  maire  et  gou- 
vemeur  de  Bordeaux,  tandis  qu'à  l'édition  de  1581  de  la 
Théologie  naturelle  (impression  terminée  en  septembre),  il  ne 
prend  pas  ce  titre  :  est-ce  parce  qu'alors  il  n'exerçoit  pas  en- 
core les  fonctions? 

Je  pense  donc  qu'il  est  préférable  de  regarder  la  question 
comme  susceptible  encore  de  controverse,  et  d'attendre  de  nou- 
veaux renseignements. 

Je  crois  que  le  système  de  morcellement  que  M.  Grûn  a  fait 
subir  à  la  biographie  de  Montaigne  a  réagi  sur  lui-même  et  lui 
a  fait  en  plus  d'un  endroit  apprécier  inexactement  le  caractère 
de  son  auteur. 

Ainsi  il  semble  douter  de  la  véracité  de  Montaigne,  lorsque 
celui-ci  affirme  qu'il  manque  de  mémoire  ;  il  dit  que  ce  philo- 
sophe se  flatte  par  coquetterie.  Mais  pourtant  les  preuves  sura- 
bondent. Montaigne,  rendant  compte  à  son  père  de  la  mort  de 
La  Boëtie,  déplore  l'infidélité  de  sa  mémoire  qui  lui  a  fait  per- 
dre des  souvenirs  qu'il  auroit  aimé  à  conserver.  Suspectera-ton 
cette  déclaration  7  En  dédiant  à  sa  femme  un  opuscule  de  La 
Boëtie,  il  parle  de  l'enfant  qu'elle  vient  de  perdre  dans  le 
deuxième  an  de  sa  vie,  quand  il  est  certain  qu'il  devoit  dire  le 
deuxième  mois.  Dans  les  ÉphémérideSj  il  se  trompe  sur  Tannée 
de  son  départ  pour  l'Italie  :  il  dit  1579  au  lieu  de  1580.  D'après 
les  Éphéméridesy  il  est  certain  que  le  père  de  Montaigne  est 
mort  à  soixante- douze  ans;  et  pourtant,  aux  Essais,  il  dit 
soixante-quatorze  ans.  Au  chapitre  des  Cannibales  il  se  reproche 
d'avoir  oublié  l'une  des  trois  choses  que  lui  avoit  dites  l'un  des 
sauvages  présentés  à  Charles  IX.  Au  chapitre  xix  du  livre  II,  il 
affirme  que  r<  quand  il  a  à  tenir  un  propos  de  longue  haleine,  il 
faut  qu'il  l'apprenne  mot  à  mot,  par  cœur.  Il  a  plusieurs  fois 
oublié  le  mot  (le  mot  d'ordre),  etc., etc.  »  Quel  intérêt  Mon- 
taigne trouvoit-il  à  se  vanter  ainsi  ? 

M.  Grûn  connoît  mieux  les  Essais  qu'il  ne  connoit  leur  au- 
teur. Il  conteste  que  ce  puisse  être  Montaigne  qui  ait  fait  écrire 
dans  son  cabinet  de  travail  l'inscription  latine  que  j'ai  rappor- 


BCLUTHI    DC    MBLIOFHILE.  5S7 

fée  dans  les  Docaments,  et  dans  laquelle  il  prend  avec  lui-même 
rengagement  de  se  consacrer  à  la  retndte  et  aux  loisirs  stu- 
dieux. Hais  M.  Grûn  a  transcrit  lui-même  un  passage  des  Essais, 
qui  donne  la  traduction  de  cette  inscription  :  «  Dernièrement 
«  que  je  me  retirai  chez  moi,  délibéré  autant  que  je  le  pourrois 
f  ne  me  mêler  d'autre  chose  que  de  passer  en  repos  et  à  part 
«  le  peu  qui  me  reste  de  vie  {Ubertad  sua  tranqmllitaiique  et 
c  otio  consecravit).  »M.  Grûn  trouve  qu'il  y  a  quelque  chose  de 
jmirilement  sentimental^  qui  n'est  pas  dans  les  habitudes  de 
Montaigney  dans  le  rapprochement  de  cette  espèce  de  déclara- 
tion avec  l'Âge  et  le  jour  de  la  naissance  ;  nous  venons  de  voir 
que  l'engagement ,  Montaigne  le  répète  dans  les  Essais  ;  quant 
à  l'Âge,  Montaigne  le  consignoit  partout  avec  une  sorte  de  com- 
plaisance ;  il  le  fait  en  vingt  endroits  des  Essais  ;  il  Tinscrivoit 
au  commencé  et  à  V achevé  de  lire  qu'il  ajoutoit  à  ses  livres;  et, 
contrairement  à  l'avis  de  M.  Grûn,  je  crois  que  ces  subtilités  de 
sentiment  étoient  tout  à  fait  dans  sa  nature  ;  il  aimoit  à  se  ser- 
vir du  manteau  de  son  père,  non  pour  la  commodité  qu'il  en  re- 
tiroit,  mais  parce  qu'il  lui  semblait  s'envelopper  de  lui  :  la  Théo- 
logie naturelle  est  datée  du  jour  même  de  la  mort  de  son  père, 
à  qui  il  la  dédie;  tout  cela  est  donc  puérilement  sentimental? 

Au  sujet  de  l'élection  à  la  mairie  de  Bordeaux  et  des  difficul- 
tés que  fit  Montaigne  pour  accepter,  M.  Grûn  cite  cette  phrase 
des  Essais  :  «  Alexandre  dédaigna  les  ambassadeurs  corinthiens 
«  qui  lui  offroient  la  bourgeoisie  de  leur  ville  ;  mais  quand  ils 
«  vinrent  à  lui  déduire  comme  Bacchus  et  Hercule  étoient  aussi 
«  en  ce  registre,  il  les  en  remercia  gracieusement.  »  M.  Grûn 
veut  voir  là  une  preuve  de  plus,  il  n'en  manque  pas,  de  la  va- 
nité de  Montaigne  ;  tandis  qu'en  bonne  justice  on  y  Irouveroit 
plutôt  la  preuve  que  Montaigne  apprécioit  plus  que  personne  la 
distance  qui  le  séparoit  de  MM.  de  Biron  et  de  Matignon;  et 
M.  Grûn,  à  cette  occasion,  écrit  cette  phrase  qui  a  eu  un  grand 
retentissement  et  qu'on  a  reproduite  à  plaisir  :  «  MM.  de  Biron 
a  et  de  Matignon  comparés  à  des  demi-dieux ,  c'est  quelque 
('  chose  ;  Montaigne  comparé  par  lui-même  ù  Alexandre ,  c'est 


638  BULLETIN   DU   BIBUOPHILE, 

a  beaucoup;  on  peut  même,  si  an  n'eu  pas  Gascon,  trouver 
a  que  c'est  trop.  »  Comme  si ,  remarque  très  judicieusement 
H.  Delpit,  tous  ceux  qui  répètent  qu'ils  aimeroient  mieux  être 
premiers  dans  un  village  que  seconds  dans  Rome  se  croient  des 
César  I  A  mon  sens,  l'Académie  de  Bordeaux  a  donné  à  M.  Grûn, 
aiguisant  ses  épigrammes  contre  les  Gascons  dans  un  moment 
où  il  aspiroit  à  le  devenir,  une  leçon  de  tact  en  lui  accordant  le 
titre  de  correspondant  qu'il  a  depuis  sollicité. 

Il  en  est  de  même  pour  les  lettres  de  bourgeoisie  romaine  ! 
Et  M.  Grûn  croit  avoir  fait  une  découverte  (1)  parce  qu'il 
oppose  la  phrase  des  Essais  où  il  fait  dire  à  Montaigne  que 
la  bulle  lui  fut  offerte,  et  celle  du  voyage,  où  ce  dernier 
dit  que,  pour  l'obtenir,  il  employa  ses  cinq  sens  de  nature. 
Remarquons  d'abord  que  c'est  Montaigne  qui  fournit  les  deux 
renseignements,  et  que  cela  atténueroit  la  gravité  de  ce  que 
M.  Grûn    juge  à  propos  d'appeler  un  mensonge   historique; 
mais  je  nie  que  Montaigne  ait  dit  que  la  bourgeoisie  romaine 
lui  ait  été  offerte.  11  dit  dans  les  Essais  que  la  fortune  lui 
a  fait  quelques  faveurs  venteuses,    honoraires  et  titulaires^ 
sans  substance,  et  les  lui  a  non  pas  accordées,  mais  oiïertes.  Eh 
bien  !  il  pensoit  probablement  à  la  charge  de  gentilhomme  du 
roi  de  France,  au  même  titre  qui  lui  fut  conféré  f  sans  son  sçu 
et  lui  absent  »  par  le  roi  de  Mavarre,  à  la  décoration  de  Saint- 
Michel  qu'il  paroît  avoir  reçue  de  la  même  manière  et  sans  la 
désirer  alors,  à  la  nomination  de  maire  de  Bordeaux  qu'il  a  d'a- 
bord refusée  ;  puis,  après  quelques  phrases,  il  reprend  :  «  Parmi 
ses  faveurs  vaines  (de  la  fortune),  je  n'en  ai  point  qui  plaise  tant 
à  cette  niaise  humeur  qu'une  bulle  de  bourgeoisie  romaine.  » 
De  sorte  qu'il  semble  classer  les  faveurs  qu'il  a  reçues,  et  il 
place  la  bulle  romaine  parmi  les  vaines. 

Je  pense  que  M.  Grûn  auroit  senti  cela  s'il  n'avoit  pas  eu  le 
parti  pris  de  voir  partout  la  vanité  de  Montaigne  ;  pX  s'il  n'avoit 
pas  été  séduit  par  l'idée  d'un  aperçu  nouveau ,  il  auroit  trouvé 

(1)  M.  Leclerc  avoit  déjà  rapproché  la  phrase  du  Voyage  de  celle  des 
Eaaais. 


BULLETIN   DU    niBLIOPHILE  5S0 

le  secret  des  diiScullés  que  Montaigne  eut  à  surmonter.  Les 
Essais  étoient  à  l'index^  et  on  peut  dire  que  ces  deux  faits,  l'in- 
dex pour  l*ouvrage  et  la  bourgeoisie  pour  l*autour,  hurhicnt  de 
se  trouver  ensemble.  De  telle  sorte,  qu'à  tout  prendre,  il  n'y  au- 
roit  encore  rien  de  surprenant  que  les  personnes  qui  apprécioient 
Montaigne  lui  eussent  offert  la  bourgeoisie,  et  que  la  raison  d'é- 
tat eût  seule  suscité  des  difficultés. 

Nous  trouvons  un  nouvel  exemple  de  ce  parti  pris  sur  la  va- 
nité de  Montaigne  dans  l'inlcrprélalion  que  M.  Grûndonncàcette 
partie  des  Essais  où  Montaigne,  se  reprochant  ses  fréquents  dé- 
placements, suppose  qu'on  lui  fait  cette  observation  :  «  Votre 
•  maison  est-elle  pas  suffisamment  fournie?...  La  majesté  royale 
«  y  a  logé  plus  d'une  fois  en  sa  pompe!  »  A  cette  orcasicn, 
M.  Grûn  subtilise  pour  établir  d'abord  que  c'est  la  maison,  que 
ce  n'est  peut-être  pas  Michel  Montaigne  qui  a  reçu  une  royauté; 
puis  il  pèse  les  pompes  et  discute  les  royautés;  il  mesure  la  dis- 
tance qui  sépare  la  cour  de  France  de  celle  de  Navarre,  et  Ca- 
therine de  Médicis  de  Jeanne  d'Albret.  Il  oublie  que  Marguerite 
a  dit  :  €  Notre  cour  étoit  si  belle  et  si  plaisante  que  nous  n'a- 
a  viens  rien  à  envier  à  la  cour  de  France.  »  Il  se  décide  pour 
le  roi  de  Navarre,  probablement  parce  qu'il  est  moins  grand 
seigneur  que  le  roi  de  France  ;  mais  il  a  soin  de  faire  remar- 
quer que  l'entourage  du  prince  n'étoit  pas  brillant,  que  sa  cour  se 
composoit  de  quelques  gentilshommes  toujours  à  cheval  avec  lui  ; 
tout  cela  pour  amener  ce  trait  railleur  qu'une  hospitalité  îiccor- 
dée  dans  de  telles  conditions  c<  iioit  plus  honorable  qu'oné^ 
«  reuse!  »  Le  hasard  a  d'étranges  ironies!  Alors  que  M.  Grûn 
imprimoit  ces  lignes,  je  faisois  imprimer  quelques  notes  auto- 
graphes de  Montaigne,  où,  en  moins  d'une  feuille,  notre  auteur 
inflige  à  son  biographe  quelques  bons  démentis  !  Montaigne  rend 
compte  de  la  visite  que,  le  19  décembre  1584,  le  roi  de  Navarre 
lui  a  faite  (note  20  des  É plumai  des).  11  cite  nominativement 
a  quarante-quatre  des  personnes  qui  accompagnoienl  le  prince, 
«les  plus  grands  noms  de  la  contrée!  le  prince  de  Condé, 
«  MM.  de  Lesdiguières,  de  Poix,  de  Lusignan,  etc.  ;  il  dit  qu'en- 

37 


ÔAO  BULLETIN    DU   BIBLIOPHILE. 

<x  viron  autant  allèrent  coucher  au  village  (soient  donc  quatre- 
a  vingt-huit  maîtres),  outre  les  valets  de  chambre,  pages  et 
<K  soldats  de  la  garde  du  roi.  o  Sans  aucun  doute,  plusieurs  de 
ces  visiteurs  avoient  plus  d*un  suivant,  à  quoi  il  faut  ajouter 
les  gardes;  de  telle  sorte  que,  sans  rien  exagérer,  on  peut 
compter  deux  à  trois  cents  personnes  au  moins.  Mais  ce  n'est 
pas  tout  :  cette  troupe  étoit  à  cheval  ;  elle  avoit  avec  elle  des 
équipages  de  chasse,  puisque  «  au  partir  de  céans  Montaigne  6t 
«  élancer  un  cerf  en  sa  forêt,  lequel  promena  le  roi  deux  jours.  » 
Tout  cela,  ce  me  semble,  est  quelque  peu  princier.  Nous  sonunes 
loin  du  petit  nombre  de  cavaliers  de  M.  Grûn;  plus  d'un  roi  de 
France  a  été  reçu  avec  moins  d'éclat ,  et  pour  un  gentilhomme 
de  six  mille  francs  de  rente,  qui  se  vantoit  de  n'avoir  accepté 
d'aucun  roi  un  double  en  paiement  ou  en  don,  une  telle  hospi- 
talité me  paroit  au  moins  aussi  onéreuse  qu'honorable.  Mon- 
taigne  même  pourroit  être  soupçonné  d'en  avoir  jugé  ainsi;  car, 
dans  une  lettre  aux  jurais  de  Bordeaux,  du  10  décembre  1584 
[neuf  jours  avant  la  visite),  il  dit,  en  homme  qui  sentoit  la  lour- 
deur de  la  charge  :  «  Toute  cette  cour  de  Sainte-Foy  est  sur 
a  vies  bras^  et  se  sont  assignés  à  me  venir  voir.  »  Et  en  effet, 
du  9  au  11,  le  roi  de  Navarre  étoit  à  Sainte-Foy. 

Je  profite  de  l'occasion  pour  rectifier  ce  que  j'ai  antérieure- 
ment imprimé  sur  le  lieu  de  cette  chasse,  et  ce  que  M.  Grûn 
reproduit.  J'ai  dit,  sur  des  renseignements  inexacts,  que  la  fo- 
rêt se  nommoit  Bois  du  Cours,  et  qu'elle  étoit  vers  le  château 
de  Guiron,  On  me  fait  remarquer  qu'il  n'existe  pas  de  château 
de  Guiron,  et  que  c'est  nécessairement  Gurçon  qu'il  faut  dire. 
Quant  à  la  forêt,  il  se  peut  que  son  nom  ait  varié,  mais  elle 
porte  aujourd'hui  celui  de  Saint-Claud  ou  de  Bretanord  ;  Mon- 
taigne en  payoit  la  rente  et  rendoit  hommage  à  l'archevêque  de 
Bordeaux,  comme  pour  la  terre  de  Belveyrou  et  autres  (Com- 
munication de  M.  de  Gazenave,  descendant  de  Mattecoulon , 
frère  de  Montaigne.) 

M.  Grùn  me  paroît  s'abuser  encore  sur  le  caractère  qu'il  prête 
a  son  Montaigne  magistrat  :  il  le  représente  comme  <*  un  peu 


^W^t 


BULLETIN    DU    BIBLIOPHILE.  5&1 

a  dépaysé  dans  sa  compagnie,  évitant  de  jouer  un  rôle  person- 
«  nel ,  calme  au  milieu  des  passions  de  ses  collègues ,  gardant 
ft  fréquemment  le  silence,  et  peu  porté  à  se  jeter  dans  les  luttes 
«  ardentes,  etc.  » 

Quelques  notes  des  registres  du  Parlement  contredisent  cette 
appréciation,  et  j*en  citerai  deux  pour  montrer  que  Montaigne 
avoit  Tesprit  de  corps,  et  qu*à  Toccasion  il  étoit  mauvaise  tête. 

Le  Parlement  avoit  vu  avec  déplaisir  la  réunion  de  la  Cour 
des  aides;  il  s'y  étoit  opposé  autant  qu'il  avoit  été  en  lui  Le 
fait  étant  consommé^  la  Cour  s'étoit  rabattue  sur  les  détails  ;  elle 
avoit  refusé  la  publication  des  lettres  patentes;  elle  cherchoit  à 
maintenir  les  nouveaux  conseillers  dans  une  position  inférieure, 
malgré  l'édit  qui  prescrivoit  que  les  deux  Cours  ne  fissent  do- 
rénavant qu'un  même  corps  et  collège. 

La  Cour,  par  arrêt  du  li  janvier  1557  (vieux  style),  avoit  dé- 
cidé que  les  conseillers  des  requêtes  (anciens  de  la  Cour  des 
aides)  ne  viendroient  pas  d'eux-mêmes  aux  assemblées  des 
Chambres,  mais  qu'ils  attendroient  qu'ils  en  eussent  la  permis- 
sion de  la  Cour,  qu'ils  feroient  demander.  —  Le  19  suivant,  les 
président  et  conseillers  ci-dessus  désignés ,  entre  lesquels  se 
trouve  Michel  Eyquem  de  Montaigne ,  viennent  sans  être  appe- 
lés, et  représentent  leur  droit  d'assister  aux  Chambres  assem- 
blées. La  Cour  leur  enjoint  de  sortir  ;  ils  refusent,  contestation 
à  ce  sujet,  et  le  droit  ne  fut  accordé  qu'après  plusieurs  mois 
(1557). 

Mon  second  exemple  a  trait  à  une  discussion  relative  à  M.  Des- 
cars, que  M.  Grûn  rapporte,  mais  son  récit  s'arrête  au  moment 
où  Montaigne  apparo! t.  M.  Descars,  lieutenant  du  roi  en  Guyenne, 
ami  de  Montaigne  et  de  La  Bo^tie ,  avoit  eu  des  difficultés  avec 
le  premier  président  au  sujet  de  quelques  prérogatives.  Il  de- 
maudoit  que  le  président  fût  récusé  dans  les  causes  où  lui.  Des- 
cars, intervenoiL  Le  président,  à  son  tour,  dit  que,  pour  juger 
cette  question  de  récusation,  au  moins  les  conseillers,  qui  sont 
les  familiers  et  les  commeu^ux  de  M.  Descars,  devroient  se  ré- 
cuser eux-mêmes.   La  Cour  répond  à  celte  attaque  en  sommant 


5A2  DULLLTIN  DU  BIBLIOPHILE. 

son  président  de  nommer  les  membres  auxquels  il  Tait  allusion. 
Le  président  nomme  onze  conseillers,  dont  farclievêque,  G.  de 
La  Cliassaigne,  Michel  Eyquem  de  Montaigne.  (M.  Grûn  s*ar- 
réie  ici,  on  faisant  connoflre  la  décision  qui  intervient.) 

Mes  notes  vont  plus  loin,  et  j'y  vois  :  u  Quand  ce  vint  le  tour 
a  de  Michel  de  Montaigne  à  parler,  il  s'exprima  avec  toute  la 
Cl  vivacité  de  son  caractère,  et  dit  qu'il  n'y  avoit  lieu  qu'ils  sor- 
«  tissent ,  et  que  le  premier  président  n'éloit  reccvable  de  pro- 
a  poser  de  récuser  aucun  par  forme  de  remontrance  ou  autre- 
«  ment,  lorsque  lui-même  étoit  récusé;  puis  il  lorlit  en  disant 
((  qu'il  nommoit  toute  li  Cour.  Il  est  rappelé.  La  Cour  lui  or- 
0  donne  de  dire  ce  qu'il  entend  par  ces  mots ,  qu'il  nommoit 
a  toute  la  Cour;  sur  quoi  ledit  Ëyquem  a  dit  qu'il  n'avoit  au- 
c(  cune  aiïeclion  en  la  présente  matière  ni  inimitié  aucune  con- 
«  tre  le  premier  président,  ains  sont  amis  el  l'a  été  ledit  pre- 
cf  niier  président  de  tous  ceux  de  la  maison  dudit  Eyquem;  mais 
«  voyan*  l'ouverture  mauvaise  que  l'on  faisoit  îi  la  justito,  que 
ujacia  crat  alca,  et  que  l'on  recevoll  les  accusés  contre  les  ar- 
»  rets  de  la  Cour,  à  récuser  daulros  juges  qui  n'y  avoienl  nul 
((  intérêt  non  plus  que  lui  ;  il  avoil  dit  que  si  cela  étoit  permis,  il 
«  pourroit  aussi  récuser  toute  la  Cour,  mais  n'entendoit  pour 
«  cela  nommer  aucun ,  et  se  déparloit  de  son  dire  en  ce  qu'il 
«  avoit  nommé  toute  la  Cour.  » 

Puis  intervient  la  décision,  mais  mes  notes  contredisent 
M.  Grûn  qui  semble  croire  que  le  président  seul  est  récusé; 
elles  portent  que  la  Cour  ordonne  qu'en  l'absence  du  président 
et  des  conseillers  nommes  par  ledit  premier  prcsidcnt,  sera 
procédé  au  jugement  des  récusations  présentées  par  M.  Doscars. 

M.  Grûn  s'est  bien  aiilrcnicnt  mépris  sur  Montaigne  h  Toc- 
casioii  du  dcruiLM*  acltî  de  sa  niairio,  ellagraviié  de  l'accusation 
m'oblige  à  cnlr(?r  dans  (|iu?!(inos  délails. 

Au  22  mai  1585  iMoiilai;:nocsl  à  IJonleaux,  il  écrit  au  maré- 
chal de^îalignon  laloi:guc  et  belle  lellrc  que  M.  de  Vieil-Castcl 
m'a  mis  à  même  de  publier  ;  dans  les  premiers  jours  do  juin  il 
se  rend  près  du  roi  de  i\avarre>  puis  il  quitte  Bordeaux  et  nous 


nuLLETiN  nu  ninLioPHiLE.  543 

nereironvons  plus  de  renseigncmenis  que  dans  deslellres,  dont 
une,  du  30  juillet  1585,  donne  h  penser  que  les  jurais  avoient 
invilé  Monlaigne  à  entrer  dans  la  ville,  ravagée  alors  par  une 
cruelle  épidémie,  pour  assister  aux  élections  qui  se  faisoient  h 
cette  époque  M.  Griln  appréciant  la  réponse  de  Montaigne  y 
voit  la  preuve  qu'il  refuse  de  se  rendre  à  la  prière  des  jurais, 
que  le  soin  de  sa  conservation  le  fait  reculer  devant  son  devoir  : 
le  courayc  lui  manqua,  dit  M.  Grun,  et  Ih  dessus  il  rappelle 
le  dévouement  de  Beizunce  à  Marseille,  de  Rotrou  à  Dreux, 
de  Monlausier  en  Normandie,  dans  des  circonstances  analogues. 
M.  (irun  fait  nK^inc  bniyam  nent  ressortir  le  courage  de  Ma- 
tignon, qui  était  à  celle  époque  à  l]:)r(leaiix,  et  il  ne  s\i|)eiToit 
pas  que  son  indignation  relond)3  de  loul  son  poids  sur  le  cé- 
lèbre maréchal  qui,  bien  que  maire  uouvcUcmmi  (lu  ci  en  pleine 
acticitc^  quitta  la  ville  peu  de  jours  après  le  moment  où  Mon- 
taigne liésiloit  il  y  er.iror.  M.  (irun  ne  trouve  pas  suffisante 
cette  accusation  sur  le  fonti,  il  incrimine  môme  la  forme  et  fait 
remarquer,  en  soulignant,  que  Montaigne  termine  ?a  lettre  en 
souliailant  à  ses  frères  longue  et  heureuse  vie!  comme  si  cette 
formule  n*étoit  pas  alors  liabituelle,  inévitable  et  partant  sans 
conséquence;  et  si  Montaigne  avoit  eu  la  finesse  de  voir  dans 
ce  protocole  Vironie  cruelle  que  M.  Grùn  veut  y  trouver,  et 
Tavoit  supprimée,  M.  Grûn  n'auroit  pas  manqué  d*en  faire 
encore  la  remarque. 

Cette  opinion  d3  M.  Grun  a  fait  un  chemin  rapide,  tant  la 
nouveauté  exerce  de  séduction!  Tous  les  comptes-rendus  flé- 
trissent la  lâche  conduite  de  Montaigne,  lamentable  défaillance 
qui,  d*après  un  critique,  donne  la  clef  des  impcrfertions  des 
Essais,  et  explique  pourquoi  les  Bordelais  n'ont  pas  encore  élevé 
de  statue  à  ce  philosophe!  La  phrase  consacrée  est,  que  c*est  là 
une  PAGE  qu'on  vouduoit  pouvoir  auracher....  Il  eut  été  plus 
juste  et  plus  court  de  ne  p;»s  récrire! 

Quelques  paroles  d'indulgence,  dont  M.  Grùn  fait  aumône 
à  Montaigne^  m'autorisent  à  penser  qu'il  regrettera  le  triste 
triomphe  qu'il  a  obtenu. 


bflà  nULLETIN    DU    BIBLIOPHILE. 

Examinons  pourtant  !D'  abord,  Montaigne  n'étoit  pas  frappé 
de  terreur  par  Tépidémie  :  «  L'appréhension  ne  le  presse 
guère  (1) ...  et  c'est  une  mort  qui  ne  lui  semble  dos  pires.  »  D*un 
autre  côté  il  reconnoit  qu'il  est  peu  sujet  aux  maladies  popu- 
laires. Mais  apprécions  sa  position  personnelle  -  il  étoit  déjà 
malade,  son  château  avoil  éiépiWéjusqu  à  l'espérance  (les  pro- 
visions pour  de  longues  années),  une  peste  véhémente  au  prix 
de  toute  autre  sévissoit  dans  la  contrée,  sans  doute  ce  fut  le 
devoir  de  chef  de  famille  qui  le  décida  à  quitter  Bordeaux.  Il 
abandonna  sa  maison,  se  mit  k  la  tête  d'une  troupe  qui  compre- 
noit  sa  vieille  mère  (2),  sa  femme,  sa  jeune  ûlle,  ses  serviteurs; 
il  erra  pendant  plusieurs  mois,  et  déjà  il  se  demandoit  à  qui  il 
confieroit  la  vieillesse  triste  et  nécessiteuse  qu'il  prévoyoit; 
c'est  dans  celte  extrémité  que  Montaigne  reçoit  la  lettre  des 
jurats  de  Bordeaux,  lettre  dont  nous  ne  connaissons  pas  la 
teneur,  qui  pouvoit  très  bien  n'être  qu'une  simple  formalité, 
une  déférence  hiérarchique.  Montaigne,  homme  pratique, 
constate  l'inutilité  de  sa  présence  à  cette  élection;  il  tient 
compte,  je  le  reconnois,  de  l'état  sanitaire  de  la  ville,  mais 
refuse-t-il  d'entrer  à  Bordeaux?  Il  dit  aux  jurats:  «  Je  vous 
laisserai  à  juger  du  service  que  je  vous  puis  faire  par  ma  pré- 
sence à  laprockaine  élection^  avant  que  je  me  hazarde  d'aller  en 
la  ville;  n  il  a  donc  rendu  les  jurats  juges  en  ce  cas^  et  de  ce 
moment  on  pourroit  dire  que  s'il  n'est  pas  entré  à  Bordeaux, 
c'est  que  les  jurats  n'ont  pas  été  de  cet  avis.  — 11  annonçoil 
qu'il  se  rendroit  à  Feuillas  (tout  près  de  la  ville)  (3),  et  une 
lettre  du  lendemain,  31  juillet,  montre  qu'il  a  tenu  parole. 

Il  faut  d'ailleurs  se  reporter  à  ce  qu'étoit  une  mairie  au 

(1)  n  étoit  assez  calme  au  milieu  de  ces  désastres,  pour  écrire  en  ce 
moment  même  le  chapitre  xii  du  III®  livre  ! 

(2)  SI  Antoinette  de  Louppes  avoit  20  ans  lors  de  son  mariage,  eUe  en 
avoit  alors  77  ;  Éléonore  avoit  13  à  13  ans. 

(3)  M.  d'Etcheverry  pense  qne  ce  Feuillas  est  le  ch&teau  situé  près  de 
Cypressac,  côte  de  Cenon,  on  face  de  Bordeaux,  sur  la  rive  droite  de  la 
Gaionne.  Si  Montaigne  étoit  là  on  peut  dire  qu'il  étoit  à  Bordeaux,  et  se» 
fonctions  ne  souffraient  point  qu'il  n'habitât  pas  l'intérieur  de  la  TUIe. 


BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE  545 

XVI*  siècle;  un  maire  n*é1oit  pas  alors  ce  que  nous  connoissons  au 
XIX' siècle  :  il  donnoit  Timpulsion,  la  direction,  son  esprit  agis- 
soit  alors  que  la  personne  éloil  absente,  et  la  preuve,  c'est  que, 
pendant  sa  mairie,  Montaigne  est  envoyé  h  la  cour.  Il  avoit  été 
nommé  maire  pendant  son  voyage  ;  s'il  est  entré  en  1581 ,  Tad- 
ministration  a  marché  sans  lui  pendant  plusieurs  mois  ;  en  1586 
il  passe  une  partie  de  Tannée  à  son  château,  il  y  reçoit  le  roi 
de  Navarre  ;  ci  son  tour,  le  maréchal  de  Matignon  est  absent  de 
Bordeaux  pendant  une  grande  partie  de  sa  mairie  ;  en  décembre 
1585  il  est  h  Villebois,  en  août  1586  aux  environs  de  Libourne, 
en  1587  à  Coutras,  en  1588  à  Montauban,  Nérac,  Domme,  en 
1589  à  Agen. 

Un  ancien  maire,  M.  de  Lansac  étoit,  au  dire  de  Damai  : 
n  bien  à  la  cour ,  d'où  il  ne  bougeoit  guère.  »  Il  s'occupoit  si 
peu  de  sa  charge  qu'à  la  fin  de  1568  la  jurade  envoie  vers  lui 
à  Bourg  pour  le  semondre  de  la  remplir.  En  1569,  M.  le 
maire  ne  pouvant  ou  ne  voulant  assister  à  l'élection  passe  pro- 
curation,... etc.  M.  Grûn  lui-même  reconnoît  que  les  jurats, 
sans  le  maire,  approuvent  les  statuts  qui  réglementent  diverses 
industries;  donc  le  courant  habituel  des  affaires  n'exigeoil  nul- 
lement la  présence  de  ce  fonctionnaire,  nécessaire  seulement 
dans  les  grandes  solennités  et  dans  les  moments  de  trouble. 

Il  ressort  de  tout  ce  qui  précède,  que  d'abord  Montaigne  n'a 
pas  absolument  refusé  d'entrer  à  Bordeaux  ;  que,  sans  crainte 
pour  lui,  mais  inquiet  pour  les  siens,  il  a  pesé  l'utilité  dont  il 
étoit  à  sa  famille,  et  l'inutilité  absolue  de  sa  présence  à  l'élec- 
tion ;  il  raisonnoit  ses  affections,  il  pouvoit  bien  raisonner  son 
dévouement  ;  esclave  du  devoir,  il  ne  visoit  pas  à  l'héroïsme  :  il 
veut  bien  que  Montaigne  s'engouffre  quant  et  la  ruine  publique ^ 
si  besoin  est,  mais  s'il  n'est  pas  besoin^  il  sait  bon  gré  à  la  fortune 
qu'il  se  sauve.  Et  puis  il  faut  remarquer  les  dates.  Les  deux 
lettres  sont  du  30  et  du  31  juillet;  or,  si  Montaigne  n'étoit  plus 
maire  le  l''  août,  il  faut  convenir  qu'il  ne  l'étoit  guère  la  veille, 
il  n'y  a  donc  aucune  similitude  entre  Montaigne  et  les  hommes 
qu'on  lui  oppose;  Christophe  de  Thou,  Beizunce,  Botrou,  exer- 


5AÔ  BULLETIN   DD   BIBLIOPHILE. 

çoient  des  fonctions  permanentes;  ilsétoient  en  pleine  activité; 
Montaigne,  au  contraire,  quiltoit  les  fonctions  publiques,  et  les 
obligations  du  chef  de  famille  apparaissoient  d'autant  plus  im- 
périeuses. C'est  un  exemple,  entre  tant  d'autres,  de  Tinconvé- 
nient  immense  qui  résulte  de  ce  fractionnement  que  M.  Griin 
fait  subir  à  la  vie  de  Montaigne,  et  s'il  fait  jamais  Montaigne 
chef  de  famille^  il  pourra  lui  reprocher  d'avoir  accepté  des 
fonctions  publiques  qui  satisfaisoient  sa  vanité  et  l'empéchoicnt 
de  remplir  ses  devoirs  d'époux  et  de  père  (1). 

Cette  fausse  appréciation  a  fait  des  prosélytes.  (Ici  il  ne  s'agit 
plus  de  M.  Grûn).  Pour  mieux  faire  ressortir  la  faute  de  Mon- 
taigne on  a  élé  jusqu'à  citer  nos  épidémies  modernes,  et  les 
dévouements  qu'elles  ont  fait  nailrc.  Un  médaillé  du  choléra  ou 
un  membre  de  commission  d'hygiène  n'auroit  pas  mieux  dit! 
En  1585,  la  population  de  Bordeaux,  d'après  M.  d'Etcheverry, 
n'atteignoit  pas  h^  mille  habitants  (2),  mais  Témigration  avoit 
énormément  réduit  ce  nombre,  puisqu'au  dire  de  Matignon  il 
ne  restoit  dans  la  ville  personne  qui  eût,  moyen  de  vivre  ailleurs. 
Ce  n'est  donc  pas  trop  que  d'estimer  cette  diminution  à  un 
quart  ou  un  tiers;  or,  il  est  mort  en  quelque  mois  ik  mille 
personnes,  par  conséquent  la  moitié,  ou  plus,  delà  population! 
D'apriîs  les  registres  du  Parlement,  il  scroit  mort  dix-huit 
mille  personnes  !  Bordeaux  n'étoit  donc  plus  une  ville,  c'étoit 
un  vaste  hôpital  où  la  mort  prélevoit  une  victime  sur  deux 
mourants,  et  pour  accuser  Montaigne,  on  vient  comparer 
une  mortalité  de  500  pour  mille  avec  celle  de  Paris  en  1832 
ou  18^9!  20  pour  mille!  en  d'autres  termes,  Bordeaux  avec 
moins  de  kO  mille  ûmes  fournit  alors  autant  de  victimes  que 
Paris  avec  son  million.  Voilà  ce  que  c'est  qu'une  épidémie 

(1)  M.  GrQn  cite  des  exemples  à  la  charge  de  Montaigne,  il  aaroit  dû 
en  citer  à  décharge.  Ei  15G3,  Charloi  l\  quitta  Lyon  parce  que  la  peste 
y  rignoit;  en  1333,  la  peste  ravagcoit  Paris;  Lolsel,  qui  s*y  trouvoit,  on 
partit  et  se  retira  h  Pontoise  ;  etc. 

(2)  Un  siècle  plus  tard,  en  1697,  la  population  de  Bordeaux  est  portée  à 
(2  ou  43  mille  âmei  dans  les  Mémoires  do  M.  Bazin  de  Boxons ,  intendant 
de  Guyenne.  (M.  Lapeyre.) 


BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE.  6A7 

ao  XVI*  siècle.  En  pareil  cas  on  fermoit  le  collège,  le  Parlement 
quiltoit  la  ville,'  el  je  trouve  dans  la  première  moitié  du  xvr 
ûècle  douze  mentions  de  déplacement  de  ce  corps  hors  de  Bor- 
deaux et  plusieurs  fois  il  avait  changé  de  résidence  dans  Fin- 
térieur. 

Il  est  juste  encore  de  remarquer  que  la  lettre  incriminée  cor- 
respond à  la  plus  grande  intensité  de  répidémie  et  aussi  que  le 
foyer  principal  touchoit  Thabilalion  de  Montaigne,  puisqu*il 
éloit  dans  les  environs  de  rarchcvéché.  Je  ne  puis  même  me 
dispenser  de  faire  ressortir  la  noble  franc!)ise  de  Montaigne 
qui  n'auroil  certes  pas  maiH|ué  de  prétextes  pour  motiver  son 
absence,  s'il  n'avoit  dédaigné  de  recourir  «i  des  subterfuges. 

Pour  acîicver  d'apprécier,  à  leur  valeur,  ces  accusations 
posthumes,  examinons-les  d'un  point  de  vue  plus  élevé,  con- 
sultons les  témoignages  conlemi)orains.  Cet  homme  qui^  dans  la 
lettre  même  qui  constate  sa  lâcheté,  a  Timpudence  de  dire  qu'il 
ne  ménagera  m*  sa  inc  ni  autre  chose  ^  sera  stigmatisé  de  tous 
ses  concitoyens,  chacun  aura  le  droit  de  lui  dire:  Caïn qu'as  tu 
fait  de  ton  frère!  Les  passions  alors  étoient  ardentes,  parfois 
peu  scrupuleuses.  Nous  devons  à  M.  Grûn  de  connoitre  une 
protestation  dirigée  contre  la  réélection  de  Montaigne.  Je  pos- 
sède une  pièce  originale  signée  du  maréchal  de  Matignon  dans 
laquelle  le  brave  et  loyal  serviteur  descend  à  se  justifier  auprès 
du  roi  contre  le  libelle  diffamatoire  d'un  nommé  Martin^  cha- 
noine de  Saint-Seurin  et  député  aux  États  de  Blois.  Les  catholiques 
fervents  taxoient  hautement  la  prudence  de  Burie  de  connivence 
avec  les  protestants.  Merville,  frère  de  Descars  et  gouverneur 
du  château  du  Hà,  est  accusé  de  trahison  dans  le  Parlement,  le 
3  janvier  1575,  etc.  Existe-t-il  quelque  témoignage  de  Findigna- 
tion  publique  au  sujet  de  la  prétendue  lâcheté  de  Montaigne? 
Dans  ces  tristes  temps  de  troubles  et  de  guerres  civiles  le  ma- 
réchal juge  nécessaire  de  s'entourer  d'hommes  de  sens  et  d'ex- 
périence :  bien  famés»  je  suppose;  Montaigne  est  un  de  ceux 
qui  composent  ce  conseil  privé.  Hors  de  Bordeaux,  nous  ne 
voyons  pas  que  Montaigne  soit  montré  au  doigt;  il  vient  à  Paris, 


548  BmLLETIIf  DU  BIBUOPHILIi. 

parott  à  la  Goar,  la  reine  s'empresse  de  le  faire  sortir  de  la 
Baslille,  il  va  aux  États  de  Blois  où  ses  amis,  de  Thon,  Pasquier, 
ne  semblent  pas  rougir  de  lui  !  Tout  cela  est  bien  tolérant  pour 
un  siècle  qui  Féloit  si  peu.  Quelques  beaux  esprits  du 
XVII*  siècle  inventent  des  accusations,  disent  que  Montaigne 
rougissoit  d'avoir  été  conseiller,  etc.  Scaliger  lui  jette  à  la 
tête  les  harengs  de  son  grand-père,  comment  se  fait-il  qu'on 
ait  négligé  la  bonne  fortune  que  M.  Grûn  a  découverte  ? 

Concluons  en  disant  que  les  précautions  dont  Montaigne  a 
usées  pour  lui  étoient  de  droit  commun,  qu'elles  ctoient  dans 
les  usages,  qu'elles  n'ont  porté  préjudice  à  personne,  et  que 
s'il  a  renoncé,  par  prudence,  à  exercer  une  dernière  fois  un  si- 
mulacre d'autorité,  rien  n'autorise  h  penser  qu'il  auroit  refusé 
son  intervention  s'il  se  fût  agi  d'une  mesure  d'utilité  publique. 

M.  Grùn  a  voulu  que  Montaigne  n'eût  rien  à  envier  h  La 
Boëtie.  L'un,  au  dire  de  certaines  personnes,  avoit  une  page 
honteuse  dans  la  Servitude  volontaire  ;  Montaigne,  à  son  tour, 
auroit  un  acte  honteux  dans  sa  biographie  !  J'ose  espérer  que 
M.  Grûn  se  trouvera  seul  de  son  avis,  si  déjà  il  n'en  a  changé. 

M.  Grûn  semble  se  complaire  à  étaler  les  fautes  de  ses  de- 
vanciers, il  est  impitoyable  !  Son  livre  est  par-dessus  tout  l'in- 
ventaire des  erreurs  des  biographes  de  Montaigne  ;  il  les  lapide, 
et  pourtant  lui-même  n'est  pas  sans  péché  ! 

Il  y  a  plus,  c'est  que  par  fois,  dans  sa  bonne  volonté,  M.  Grûn 
voit  des  erreurs  où  il  n'y  en  a  pas  Je  ne  le  suivrai  pas  sur  ce 
terrain  ;  je  me  contenterai  de  quelques  exemples,  et  j'en  citerai 
où  l'amour  de  la  controverse  l'a  engagé  à  discuter  des  choses 
qui  ne  comportoient  pas  ou  ne  méritoient  pas  de  discussion. 

M.  Grûn  ne  manque  pas  de  faire  remarquer  que  je  me  suis 
trompé  sur  la  remontrance  dédiée  par  Loisel  à  Montaigne; 
c'est  la  seconde  et  non  la  troisième,  et  l'erreur  a  tenu  à  ce  que, 
par  une  disposition  bizarre,  les  dédicaces  se  trouvent  à  la  fin 
de  la  pièce  à  laquelle  elles  se  rapportent ,  quelquefois  même  au 
verso  du  faux  titre  de  celle  qui  suit  Mon  erreur  m'a  été  mon- 
trée par  un  fait  plus  probant  encore  que  les  raisons  de  M.  Grûn. 


/ 


BULtETIlf   nu    BIBLIOPHILE.  5ft9 

I^es  deux  premières  remontrances  (d*aatres  pent-étre  sont  dans 
le  même  cas)  ont  été  imprimées  isolément;  la  troisième  ne  8*y 
trouve  pas,  et  la  dédicace  à  Montaigne  y  figure. 

M.  Griln,  s'occupant  de  Feutrée  de  Montaigne  dans  la  Cour 
des  aides  de  Périgueux,  dit  :  «  M.  Payen  mentionne  comme 
certain  le  fait  de  la  succession  de  Montaigne  à  son  père,  je  ne 
le  regarde  que  comme  vraisemblable,  d  II  ajoute  :  «  L'âge  de 
vingt-deux  ans  est  ici  complètement  indifférent,  »>  Je  soutiens 
la  transmission  directe  parce  qu'il  est  dit  partout,  dans  La  Roche 
Flavin  entre  autres,  que  les  transmissions  d'offices  étoient  favo- 
risées des  pères  aux  enfants  et  des  oncles  aux  neveux.  Je  sou- 
tiens Tâge  de  vingt-deux  ans,  parce  que  La  Boôtie,  nommé 
conseiller,  en  1552,  avant  d'avoir  cet  âge,  est  dispensé  de  rem- 
plir son  office^  et  que  quelques  mois  après  qu'il  a  atteint  ses 
vingt-deux  ans,  il  est  admis  à  le  t  emplir.  Le  roi  accordoit  des 
dispenses  d'âge  ;  il  y  avoit  probablement  une  limite  au-dessous 
de  laquelle  on  ne  descendoit  pas;  M.  Grûn  la  conno!t-i1?  Et  ce 
qu'il  faut  noter,  c'est  que  ces  dispenses  d'âge  étoient  accordées 
pour  le  Parlement  de  Bordeaux  et  non  pour  celui  de  Toulouse. 
Edûo,  dans  le  moment  où  je  vois  le  père  céder  la  place  à  son  fils, 
Pierre  venoit  d'être  nommé  maire  de  Bordeaux.  Je  ne  sais  s'il 
y  avoit  incompatibilité  de  droit,  mais  elle  existoit  de  fait,  sur- 
tout pour  des  fonctions  relatives  à  deux  provinces  différen- 
tes. D'après  Darnal,  la  qualité  de  jurât  et  celle  de  conseiller 
étoient  incompatibles  :  Lachèze,  en  entrant  au  Parlement,  dut 
abandonner  la  jurade,  et  ce  fut  tout  exceptionnellement  que 
Caudeley  fut  à  la  fois  conseiller  et  jurât.  M.  Grûn  emploie  sou- 
vent des  inductions  moins  probables  que  celle-là. 

M.  Gnin  s'occupe  de  l'époque  à  laquelle  Montaigne  est  sorti  du 
Parlement,  et  ici  encore  il  a  recours  à  ce  que  j'ai  appelé  la  mise 
en  scène^  car  il  sait  une  date  à  peu  près  incontestable,  et  pourtant 
il  discute  Tannée  1567,  puis  1568,  puis  il  étudie  l'année  1571, 
et  il  finit  par  accepter  la  date  de  1570  qui  m'a  été  donnée  d'a- 
pr^s  des  notes  extraites  de  Mémoires  sur  le  Parlement  de  Bor- 
deaux, écrits  dans  le  xvir  siècle,  date  confirmée  par  cette  note 


650  BULtETIW   DU    niBLTOPniLE. 

des  registres  du  Parlement  :  «  Le  24  juin  1570,  le  roi  accepta  la 
résignalion  de  roffice  de  conseiller  au  Parlement  faile  par  Mi- 
chel de  Montaigne  en  faveur  de  Florimond  de  Rœmond.  «  Ce 
point  paroîtroit  donc  irrévocablement  décidé. 

Cependant  j*ai  quelques  renseignements  contradictoires  que 
je  veux  faire  connoitre.  Dans  un  acte  relatif  au  patronage  de 
la  cure  de  La  Hontan,  où  par  une  erreur  sans  conséquence 
Montaigne  est  appelé  Michcau  Eyquem,  seigneur  de  la  Mon- 
taigne, il  est  qualifié  conseiller  au  Parlement  de  Bordeaux,  et 
cependant  la  pièce  est  datée  de  1572.  On  pourroit  croire  que 
la  requête  a  été  présentée  en  1570,  et  lorsque  Montaigne  éloit 
encore  consoillor;  mais  cet  acte  donne  la  date  de  révocation, 
et  c'est  1571;  Montaigne  y  prend  la  qualité  de  conseilIn\  et  ce 
qui  semble  décisif,  c'est  que  révocation  du  Parlement  de  Bor- 
deaux et  le  renvoi  devant  le  Parlement  de  Toulouse  sont  fondés 
sur  ce  que  «  ledit  Eijffiiem  est  conficiller  (en  la  Cour  du  Parle- 
ment de  Bordeaux).  »  II  faiidroit,  pour  appuyer  Tannée  1570, 
avoir  la  date  précise  et  aulhenlique  de  l'entrée  au  Parlement 
pour  Florimond  de  Rœmond;  les  registres  cités  ci-dessus  don- 
nent 1570,  et  plusieurs  biographies  répètent  cette  date;  mais 
par  une  coïncidence  singulière,  M.  Weiss  {Biogr,  univ  )  dit 
que  Rœmond  n'est  entré  qu'en  1572.  D'un  autre  côté,  je  n'ai 
pas  retrouvé  dans  les  registres  le  nom  de  Rœmond  avant  cette 
dernière  année  où  je  vois  qu'un  sieur  de  Rémond  demande 
l'exhumation  d'une  fille  de  la  Religion  qu'on  avoit  enterrée 
dans  le  cimetière  des  catholiques.  (Voy.  Plaintes  des  Églises 
reformées  au  roi,  1597,  la  Confession  de  Sanciy  etc.) 

Il  faut  donc  faire  quelques  réserves  pour  l'époque  h  laquelle 
Montaigne  a  quitté  le  Parlement. 

M.  Grùn  dit  que  Pierre  Montaigne,  à  son  retour  de  l'armée, 
fut  élu  jurat,  et  il  ajoute  :  non  jurât  et  prévôt,  comme  le  dit 
M.  Payen;  à  quoi  je  réponAs,  jurât  et  prévôt,  qnoï  qwe  dise 
M.  Grûn  ;  Darnal  est  positif  sur  ce  point  :  «  Le  jour  de  saint 
«  Jammes  furent  élus  jurats..  .  (suivent  douze  noms  parmi  les- 
quels Pierre  Ëyquem,  seigneur  de  Montaigne,  et  Henry  de 


BULLETIN   DU   DIBLIOPHILE.  551 

Laurensanes),  »  puis  il  continue  :«  ledit  Laurensanes  fut  soubs 
c  maire  et  ledit  Eyquem  de  Montaigne  prévôt.  »  M.  Grûn 
prélendroit-il  que  ces  fonctions  étoient  incompatibles  ?  [mais 
rbistoire  est  pleine  dejurats  et  prévôts;  Jean  Gimel,  qui  figure 
dans  un  acte  dont  je  parlerai ,  étoit  jurât  et  prévôt. 

ïni  lu  avec  un  profond  regret  la  note  de  la  page  7,  et  j*ai 
le  droit  de  m*en  émouvoir,  puisque  c*cst  à  mon  intention  que 
la  grande  famille,  à  laquelle  M.  Grûn  reproche  de  tenir  la  lu- 
mière  sous  le  boisseau^  a  bien  voulu  faire  dans  ses  archives  les 
recherches  par  suite  desquelles  elle  a  découvert  plusieurs  let- 
tres de  Montaigne.  Une  famille,  quel  que  soit  le  rang  qu'elle 
occupe,  est  libre  apparemment  de  disposer  des  pièces  qui  con- 
cernent ses  ancêtres;  d'ailleurs  il  n'est  pas  exact  de  dire  qu'on 
ne  coiùmunique  pas,  puisque  j'ni  vu,  cl  d'autres  avec  moi,  ont 
vu  les  pièces  en  question;  il  est  tout  à  fait  inexact  de  dire  qu'on 
s'oppose  à  la  publication,  puisque  j'ai  déjà  publié  une  des  lettres, 
et  le  refus  fait  à  M.  Grûn  de  lui  donner  la  communication  qu  il 
demandokl  ne  l'autorisoit  point  à  parler  comme  il  l'a  fuit. 

M.  Grûn  aime  la  controverse,  il  le  prouve  à  Toccasion  des 
sauvages  que  Montaigne  dit  avoir  vus  h  itoucn  pendant  que  le 
roi  Charles  JX  s'y  trouvoit.  Charles  IX  n'est  venu  ix  Rouen 
qu'en  15G2  et  en  1563;  or,  à  cette  dernière  date,  Montaigne 
est  près  de  son  ami  mourant,  il  semble  donc  naturel  de  s'ar- 
rêter à  1562,  puisqu'il  cette  époque  on  peut  trouver  réunis 
Charles  IX,  Montaigne  et  les  sauvages  ;  le  fait  d'ailleurs  n'étoit 
pas  tellement  important  qu'il  méritât  une  longue  discussion. 

M.  Grûn  n'ciccepte  pas  aussi  facilement  cette  probabilité;  il 
regarde  la  présence  des  sau\agcs  comme  une  preuve  qu'il  y 
avoit  dos  félcs  lorsqu'ils  furent  présenlés,  cl  il  nie  qu'il  ail  pu 
y  avoir  des  fêles  on  1562  à  lioucn,  où  Charles  IX  enlroil  en 
vainqueur  et  par  la  brèche.  11  adnïct  les  félcs  conniic  ccriaines 
en  1563  pour  la  déclanlion  de  la  majorité;  mais  alors  Mon- 
taigne étoit  en  Guyenne,  et  le  18  août  1563,  le  lendemain  de 
la  cérémonie,  il  fermoit  les  yeux  îi  son  ami.  El  M.  Grûn  ré- 
sume ses  observations  en  disant  :  u  En  1562  il  est  douteux  que 


662  BULLETIN   DU    BIBLIOPHILE. 

Montaigne  fût  à  Rouen,  et  il  est  certain  qu'il  n'y  eut  pas  de 
fêtes,  (Rien  n'est  moins  certain,  et  à  la  cour  de  Charles  IX, 
comme  de  nos  jours,  on  savoit  danser  sur  un  volcan).  En  1563 
il  est  certain  qu'il  y  eut  des  fêtes,  mais  il  est  certain  que  Mon- 
taigne n'y  assista  pas.  }>Et  alors*  M.  Grûn  suppose  que  Montaigne 
a  pu  se  tromper,  et  il  se  demande  si  ce  ne  seroit  pas  en  1550  ; 
mais  alors  c'étoit  Henri  II  qui  régnoit  !  Enfin  il  regarde  comme 
plus  probable  que  ce  fut  à  Bordeaux,  quand  la  cour  y  vint 
en  1565,  et  il  ajoute  :  Montaigne  avoit  alors  trente-deux  ans, 
âge  des  pensées  mûres  (1)/ 

Tâchons  donc  de  sortir  de  ce  dédale.  La  cour,  en  1562,  ha* 
bita  Rouen  pendant  un  assez  court  délai.  A  partir  du  28  octo- 
bre, où  étoit  Montaigne  ? 

M.  Grûn  dit  que  les  registres  du  Parlement  constatent  sa 
présence  en  novembre  de  cette  année.  Je  crois  que  M.  Grûn 
est  mal  renseigné.  J'ai  vu  une  note  des  registres,  celle  peut- 
être  h  laquelle  il  fait  allusion;  elle  renferme  des  contradictions, 
mais  on  y  lit  ces  mots  :  a  Le  13  novembre  1562  ne  «e  trouve 
présent  à  la  formation  des  chambres  Michel  Eyquem  de  Mon- 
taigne. >  Et  cela  n'empêche  pas  son  nom  de  figurer  comme 
dixième  conseiller  de  la  chambre  des  enquêtes.  Ce  qui  confirme 
cette  absence  en  novembre,  ce  sont  deux  renseignements  qui 
montrent  qu'un  peu  avant  et  un  peu  après  celte  époque, 
Montaigne  étoit  absent  de  Bordeaux. 

Lue  note  fort  importante  dont  j'userai  ailleurs  et  dans  un 
autre  but,  et  qui  m'a  été  communiquée  par  l'érudit  M.  Des- 
sallesy  apprend  que  a  Michel  de  Montaigne,  conseiller  au  Par- 
((  lement  de  Bordeaux,  vint  faire  la  révérence  à  la  Cour  de 
«  Parlement  de  Paris,  et  fil  profession  de  foi  comme  les  autres 
«  pour  avoir  voix  délibéralive  à  Taudience  de  la  Cour,  où  il 
tt  assiste  le  12  juin  1562.   > 

D'un  autre  côté,  le  1"  décembre  1562,  la  Cour  de  Bordeaux 

(1)  M.  Griin  remarque  que  M.  Louandro  se  trompe  sur  Tannée  où 
Qiarles  IX  est  déclaré  mineur;  il  dit  1560  au  lieu  de  1563;  mais  lui>m^me 
fixe  la  cérémonie  au  16  août,  et  on  voit  partout  qu'elle  eut  Ueu  le  17. 


r 


RULLETJN   DU   BIBLIOPHILE.  568 

aToit  imposé  ses  membres  pour  la  subvention  des  pauvres,  et 
Montaigne  abjent  ne  s'éloit  pas  acquitté.  Le  k  février  1562 
(vieux  style,  par  conséquent  1563)  il  étoit  encore  absent,  et  il 
fut  ordonné  par  la  Cour  à  M*  Nicolas  Bresson,  commis  du 
payeur  de  la  Cour,  de  fournir  et  avancer  sur  les  gages  de  Mon- 
taigne et  de  quelques  autres  les  sommes  auxquelles  ils  ont  été 
taxés  et  cotisés  pour  les  mois  de  décembre,  janvier,  février  et 
mars  et  autres  subséquents,  jusqu*à  ce  qu'ils  soient  de  retour 
et  qu'eux-mêmes  puissent  y  satisfaire. 

Ainsi  donc  Montaigne  est  à  Paris  en  juin  1562,  il  est  absent 
de  Bordeaux  de  décembre  1562  à  février  1563  au  moins,  il  est 
à  peu  près  certain  qu'il  Tétoit  aussi  au  commencement  de  no- 
vembre, il  est  donc  tout  naturel  d'admettre  que  c'est  en  1562 
qu'étant  à  Rouen,  en  novembre  avec  le  roi  Charles  IX,  il  a  vu 
des  sauvages  et  a  conversé  avec  eux. 

M.  Grûn  trouve  peu  probable  que  Montaigne  ail  pris  part  au 
siège  de  La  Fère,  puisqu'il  entreprenait  un  voyage  de  santé  ; 
toujours  ^es  interprétations  au  lieu  de  faits  !  La  note  23  des 
Éphémerides  répond  à  ce  doute;  Montaigne  y  dit  :  a  moi  étant 
audit  siège.  » 

M.  Grûn  me  parott  arranger  et  paraphraser  en  les  résu- 
mant la  remontrance  prononcée  par  Loisel  à  l'ouverture  de  la 
chambre  de  l'édit  et  la  dédicace  à  M.  de  Harlay,  et  les  détails 
qu'il  fait  suivre  sont  contredits  par  les  notes  que  j'ai  extraites 
des  registres.  —  Ainsi  il  écrit,  page  2/t9  :  c  Dans  un  temps  de 
a  partis  il  y  a  de  l'audace  k  parler  de  modération,  de  paix  et 
c(  de  légalité  :  la  remontrance  de  l'avocat  général  qui  avoit  eu 
c  cette  hardiesse  fit  bruit  à  la  cour.  Le  premier  président  du 
0  Parlement  de  i^aris,  M.  de  Harlay,  voulut  savoir  à  quoi  s'en 
«  tenir,  et  il  requit  Loisel  de  lui  envoyer  son  discours.  » 
D'abord  le  sens  du  discours  de  Loisel  n'est  pas  tel  que  dit 
M-  Grùn;  l'avocat  général  fait  l'éloge  de  Bordeaux  et  déplore 
les  désordres  que  la  chambre  est  appelée  à  réprimer,  et  puis 
je  trouve  le  récit  authentique  de  ce  qui  s'est  passé  dans  le 
tome  XXVI  des  registres  :  uLe  26  janvier  1582  la  Cour  tint  sa 


5ÔC  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

navemc  dit  que  Maltccoulon  a  toujours  passé  pourun  démembre- 
ment de  la  torre  dcMonlaigne;  la  terre  devoit  comprendre 
encore  Lagorde,  des  terres  sur  la  paroisse  d'Aysines,  elc.  (1), 

Montaigne,  malgré  les  appréhensions  de  son  père,  n*a  pas 
ruiné  son  domaine,  au  contraire,  il  Ta  augmenté  par  deux 
acquisitions  d'une  certaine  importance  : 

1»  En  1578,  une  forêt  sise  sur  les  paroisses  de  Montpeyroux 
et  de  Saint-Glau ,  contenant  110  journaux ,  et  appartenant  jus- 
que-là à  l'archevêque  de  Bordeaux ,  pour  laquelle  Montaigne 
devoit  perpétuellement  foi  et  hommage  à  Farchevéque,  une 
paire  de  gants  apprêtés  et  cinq  sols  tournois  pour  une  fois  payés 
à  muance  de  vassal.  C'est  probablement  la  forêt  dite  de  Bteta-- 
nord^  aujourd'hui  Saint-Clau,  celle  dans  laquelle  a  chassé  le  roi 
de  Navarre. 

2o  En  1570,  une  rente  de  500  francs  bordelais  que  lui  cèdent 
les  MM.  Pichon,  qui  avoienl  prêté  ii  la  ville  de  Libourne3300  ' 
qu'elle  avoit  du  payer  au  roi  (2). 

J'ajouterai  quelques  chilTres  qui  pourront  donner  une  idée 
de  la  fortune  de  xMontaigne. 

gcntiUiommo  de  la  chambre  du  roi  de  France  (J*ai  des  actes  qi*i  lo  prou- 
vent) ;  il  étoit  seigneur  de  Mattccoulon,  de  la  Gasquerie  et  de  Théaujan. 
Ainsi  le«  deux  frères  avoient  les  mûmes  titres  auprès  du  roi  de  France  et 
du  roi  do  Navarre.  Aujourd*hui  ou  dit  plus  communément  Château  de 
Sloiitpeijioux  que  Matteconlon. 

J*uJoutc  ici  deux  notes  intéressantes  relatives  au  titre  de  gentilhomme  de 
la  chambre.  De  ce  fait  que  Montaigne  place  en  tùte  de  ses  livres  son  titre, 
U.  Lapeyro  conclut  ((u'il  devoit  avoir  la  moitié  des  émoluments  attachés  à 
cette  charge  ;  c'est  Tiiidiic  ion  qu'on  doit  tirer  de  cette  partie  de  Tordcn- 
nance  de  Henri  111,  donnée  à  Paris  en  1570,  dans  laquelle  il  est  faiidérensc 
de  prendi*e  l-.*  titre  d'oDicicr  du  la  maison  du  i-oi  si  Ton  n*e>t  actuellement 
servant  ou  lésidant  dans  la  maison  ù  wvilié  ijtifjts  ((ion  érenccsdesoidon- 
nances,  l'ar  Girard,  p.  U/i7.)  M.  (irun  |  lace  entre  1570  et  1J80  la  nomi- 
iia.ioii  de  Montaigne  comme  gentillionime  de  la  chambre;  il  Tétoit  déjà 
eu  1j78.  (Achat  d'ane  fonH  d.J  icnipoicl  de  ri^:gli>e;  "1  j  lilloU) 

(I)  .v.wede  &l<in  a  gi:e  |ov(doir,  et  ^on  niaii  a  tuns  doute  pcssédc,  la 
forOt  de  Cei7f.<  en  imh^  car  le  0  mai  1014  elle  .ait  dcn  anx  Feuillants  do 
25  pieds  d'a^biej  à  pie:;d.e  darii  cc:ie  forcH.  (Les  l'ciiillùnts  de  Lordeaax^ 
par  M.  Lainolhe.) 

(1)  Montaigne,  sincère  en  tout,  dit  dans  les  Essais,  en  pailant  do  cette 
prcdic  Jon  de  son  pi-re  :  «  //  «e  trompa^  me  voici  comme  j'y  entrai^  $i 
MON  VM  MU  iii£i*x.  H  On  voit  qu'il  dit  vrai. 


BULLETIN    DU    DIULIOPHIIJL.  657 

A  son  décès  la  succession  a  été  eslimée  00  mille  livres , 
savoir  :  60  mille  livres  pour  la  terre,  et  30  mille  livres  de 
créances,  ce  qui  confirme  ce  que  Montaigne  dit  dans  les  Essais 
que  le  meilleur  de  son  revenu  est  manuel^  c'est-à-dire  en  biens 
fonds;  en  prenant  pour  base  de  Tinlérét  payé  à  Montaigne  le 
taux  fixé  par  une  des  sentences  du  procès  qu*a  engendré  son  tes- 
tament, savoir  :  1826  ^  13s.  k  d.,  pour  27,600  *,  c'est-à-dire 
à  peu  près  6  fr.  67  pour  cent,  le  revenu  des  30  mille  francs  de 
créances  devoit  produire  2000  fr.  par  an,  lesquels  joints  au 
revenu  de  la  terre,  estimé  à  plus  de  dOOO  fr.,  constituaient  les 
six  mille  francs  de  rente,  ou  h  peu  près,  dont  Montaigne  parle 
dans  les  Essais. 

Lorsque  la  terre  sortit  de  la  famille,  nu  commencement  de 
ce  siècle,  elle  fut  vendue  120  mille  francs;  trente  ans  plus  tard, 
elle  fut  estimc'c  226  mille.francs;  elle  vaut  aujourd'hui  plus  du 
double  de  celle  somme. 
Éléonorc  de  Montaigne  a  rerii  20,000  •  de  dot. 
Sa  mère,  Françoise  de  La  Clinssaigne,  avoit  cipporté  à  Mon- 
taigne 7000  fr.  ;  une  sœur  de  ce  dernier,  Marie,  qui  épousa 
M.  de  Cazelis,  reçut  une  dot  de  1500  écus  h  60  sols  pièce; 
cette  somme  avoil  été  payée  par  Michel  de  la  manière  suivante  : 
«  Six  vingt-deux  écus  d'or  sol,  six  vingt-dix-neuf  écus  pistolets, 
a  douze  ducats,  mille  rctz,  cinq  cents  guamcsde  testons^  mille 
«  francs  d'argent  de  vingt  sols  pièce  faisant  en  tout  ladite 
€  somme  de  1500  écus.  »  (M.  Francisque  Michkl.) 

Jeanne  sœur  de  Montaigne  et  Jeanne  de  Bussaguet  sa  nièce 
apportèrent  chacune  iOOO  fr.  de  dot. 

Lorsque  la  terre  sortit  de  la  descendance  de  Montaigne  elle 
se  compusnil  dos  domaines  do  (iondoy,  Sidon,  Manège,  Letang, 
Clamly,  Fonrqnet,  Pagnac,  Marctnct  la  Thuilerie;  la  conte- 
nanc;»  étolt  d'environ  850  journaux  (roprésonlant*cn  moyenne 
350  hectares,  sehm  qu'on  compte  en  journaux  de  Périgueux  ou 
en  journaux  de  Volines).       {ncnscijncnwntsdc  M.  Delpit.) 

Une  autre  lacune  non  moins  importante  est  relative  aux 
PATAONAGEs.  M.  Grûu  a  vu  dans  les  Essais  que  Montaigne  pos- 


558  BULLETIN    DU    BIBUOPHILE. 

sédoit,  avec  le  baron  de  Gaupëne,  le  droit  de  patronage  sur  la 
cure  de  Lahontan  ;  il  y  avoit  à  ce  sujet  quelque  chose  à  dire , 
car  c'étoil  encore  là  une  position  publique.  On  pouvoit  au 
moins  indiquer  la  situation  de  Lahonlan  (département  des 
Basses-Pyrénées,  arrondissement  d'Orlhez,  canton  de  Salies; 
Lahontan,  Cauna  et  Gaupène  sont  voisins).  Ce  fut  cette  terre 
de  Lahontan  qui  constitua  la  baronnie  du  célèbre  voyageur  du 
xviu'  siècle.  Mais  ce  baron  de  Gaupène!  qu'est-ce  donc?  Ge 
n'étoit  rien  moins  que  le  fils  de  Montluc,  Piètre  Berirandy  dit 
le  Capitaine  Perrot  (et  plus  tard  le  fils  de  celui-ci).  La  femme 
du  premier,  Marguerite  de  Gaupène,  fille  unique  et  héritière  de 
François  de  Gaupène  et  de  Françoise  de  Gauna,  lui  avoit  apporté 
ces  deux  seigneuries.  Le  baron  de  Gaupène,  dont  parle  Mon- 
taigne  dans  les  Essais,  étoit  le  deuxième  fils  de  celui-là, 
Gharles,  seigneur  de  Gaupène,  qui  testa  en  1595. 

11  paroît  d'ailleurs  que  ce  droit  de  patronage  sur  la  cure  de 
Lahontan  a  donné  lieu  à  beaucoup  de  difiicultés,  car  parmi  les 
pièces  originales  fort  intéressantes  que  je  possède  sur  ce  droit, 
il  en  est  une  de  1572  par  laquelle  Gharles  IX  renvoie  devant 
le  parlement  de  Toulouse  la  dame  de  Caupène  (veuve  alors)  et 
Michel  Montaigne ,  la  première  agissant  pour  :  «  sujet  du 
€  patronage  qu'elle  prétend  avoir  de  la  cure  de  l'église  paro- 
«  chiale  de  Lahontan,  à  l'encontre  de  maître  Antoine  Brisseau, 
«  prêtre,  soi-disant  curé  de  ladite  cure,  ne  faisant  que  prêter 
«  son  nom  à  maître  Pierre  Eyquem,  chanoine  de  l'église  calhé- 
«  drale  de  Saint- André  de  Bordeaux,  et  Micheau  Eyquem, 
«  seigneiir  de  la  Montaigne  {sic),  conseiller  de  la  cour,  pré- 
ce  tendant  être  patrons.  »  Et  antérieurement,  en  date  du  25 
novembre  1533,  Guillaume  Garot,  vicaire  général  de  l'arche- 
vêque d'Auch  écrit  une  lettre  (communication  de  M.  Delpit)  en 
faveur  de  Ramon  Eyquem,  licencié  en  droit ,  auquel  il  accorde 
la  cure  de  Lahonlan,  à  laquelle  il  avoit  été  |)résenté  par  Pierre 
Eyquem  et  Anne  de  la  Forcade ,  patrons  de  ladite  église ,  et 
que  refusoil  d'admettre  Vévèquc  de  Dax, 

Mais  Montaigne  possédoil  encore  un  droit  dont  M.  Griln  ne 


< 


nULLETJN  DU  BIRUOPHILE.  559 

parle  pas,  le  droit  de  litre  dans  Téglise  des  Feuillants,  comme 
acquéreur  des  droits  de  la  maison  de  Vaquey,  sur  les  fonds  de 
laquelle  ladite  église  avoit  été  bâtie.  (Arrêt  du  Parlement  rendu 
en  1601,  à  propos  du   chapitre  de  Saintes,  communiqué  par 

M.  Delpit.)(i). 

Montaigne  dit,  au  sujet  des  lettres  de  bourf^eoisie  romaine  : 
«  N'étant  bourgeois  d'aucune  ville,  je  suis  bien  aise  de  Tétre 
«  delà  plus  noble  qui  fui....  »  M.  Grûn  semble  admettre  que 
Montaigne  se  trompe  ici,  car,  dit-il  :  «  L'élection  à  la  mairie  de 
<(  Bordeaux  supposoit  nécessairement  le  droit  de  bourgeoisie.  » 
Je  ne  sache  pas  que  cette  dernière  opinion  soit  prouvée  ;  rien 
n'indique  que  MM.  de  Lansac,  Matignon ,  Biron  fussent  bour- 
geois de  Bordeaux,  et  le  dire  de  Montaigne  est  positif  (2). 

M.  Delpit  pense  que  Montaigne,  fils,  petit-fils,  arrière-pelit- 
fils  de  bourgeois,  doit  être  regardé  comme  bourgeois  de  Bor- 
deaux ,  mais  il  ne  juge  pas  que  cette  qualité  fût  nécessaire 
pour  être  élu. 

M.  d'Etcheverry,  si  compétent  sur  l'histoire  de  Bordeaux  ,  et 
qui  connoîl  si  bien  les  pièces  confiées  à  sa  direction,  a  la  bonté 
de  me  transmettre  une  note  dans  laquelle  je  trouve  :  «  Les 
«  jurais  s'empressoient  d'offrir,  gratuitement  et  sans  enquête , 
«  des  lettres  de  bourgeoisie  aux  maires,  lieutenants  généraux 
K  de  la  province,  etc.  On  trouve  dans  les  registres  de  1761  les 
«  lettres  de  bourgeoisie  offertes  à  M.  de  Ségur  Cabanac,  sous- 


(1)  LiTBfsou  Ceintures  funèbres^  bandes  ou  traits  de  peinture  noire  d*une 
largeur  de  deux  pieds  au  plus,  mises  tout  autour  d*une  église  ou  chapelle, 
en  dedans  ou  en  dehors,  on  signe  de  deuil  du  patron  on  du  seigneur  haut 
ju8ticier,8ur  lesquelles  les  écussonsdes  armes  sont  peints  de  distance  en  dis- 
tance. Le  patron  et  le  haut  justicier  jouissoient  «euls  de  cette  prérogative 
refusée  aux  seigneurs  moyens  et  bas  justiciers  féodaux  ou  censiers. 

(3)  Parmi  les  nombreuses  sources  citées  par  M.  GrQn  au  sujet  de  la 
mairie  de  bordeaux  ,  je  ne  me  rappelle  pas  avoir  vu  Touvrage  spécial  inti- 
tulé :  Recherches  historiques  sur  Vvffice  de  maire  de  Bordeaux^  par  Mari»* 
de  Saint-Georges  de  Montmerci,  1785,  in-8,  lequel  a  été  reproduit  texluel- 
kment  dans  une  série  de  feuilletons  du  Mémorial  bordelais^  pu  1837,  par 
un  jeune  enthousiaste  de  nos  vieUles  chroniques,  qui  a  oublié  dr-  tionuius 
l'auteur  dont  il  reprodaiioit  le  travail. 


tid&r 


560  BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE. 

((  maire;  en  1769,  h  M.  le  maréchal  duc  de  Richelieu,  gou- 
«  verneur,  etc. 

'i  En  1762,  un  descendant  de  Bussagii^t  (Toncle  de  Michel 
«  Montaigne),  justifie  de  sa  qualité  de  bourgeois,  en  arguant 
«  qu'il  descend  de  Ciiinion  Kyqucm,  qui  Téloit.  En  1603, 
«  Guillaume  de  Montaigne  ayant  perdu  les  lettres  de  bour- 
«  geoisie  do  la  famille,  i)rouvc  dans  le  môme  but  sa  descen- 
«  dance  deGrim.  Eyquein.  (TaR  des  Bourgeois,  \om.  H.)  (1). 

Ce  qui  précède  monire  donc  l'hérédité  |)0ur  le  droit  de  bour- 
geoisie. A  ce  tilrc  Montaigne  devoît  être  bourgeois  de  Bor- 
deaux, mais  celte  qualité  n'étoit  pas  nécessaire  pour  la  mairie. 
Comment  se  perdoit-elle  ?  Montaigne  habitant  le  Pcrigord 
ravoit-il  perdue?  A  cette  occasion,  M.  Grûn  auroit  pu  annon- 
cer à  ses  lecteurs  une  nouveauté  qui  n*cst  pas  sans  intérêt. 
Un  très  petit  nombre  de  personnes  supposent,  d'après  un  ren- 
seignement inexact  donné  par  Hacnel  (2\  que  Toriginal  des 
Lettres  patentes  de  bourgeoisie  romaine  se  trouve  à  la  biblic- 
Ihèque  de  l'Arsenal.  Mallieurcusemcnt  il  n'en  est  rien,  la  pièce 
en  question  est  une  traduction  faite  en  1086,  je  ne  sais  dans 
quel  intérêt,  par  un  interprète  de  Bruxelles,  dont  la  qualité  et 
récriture  sont  constatées  et  légalisées.  En  tète  se  trouve  un  joli 
dessin  des  armoiries,  mais  inexactement  reproduites;  la  patte 
étant  placée  en  pal  au  lieu  d'être  en  fasce.  Seroit-ce  celles  des 
Montaigne  des  Essarts? 

Mais  M.  Grûn  a  laissé  sur  ce  point  de  la  bourgeoisie  une 
lacune  importante  :  postérieurement  h  l'époque  à  laquelle  Mon- 
taigne disoit  ne  la  posséder  dans  aucune  ville,  il  devint  Bour- 
geois DR  LiBouRNE  ;  Ics  papieis  de  la  famille  Ferrand,  cités  par 
Souffrain,  portent  que  le  seul  Michel  de  Montaigne  obtint  des 

(1)  Au  xvi»  Mèclc,  la  qualité  do  tK>urgcois  so  payoit  t^  h  5  écus,  et  rct 
argent  étoit  ordinairement  donné  aux  pauvres;  cependant  on  trouve  quel- 
qucfois  dans  les  registres  :  «MM.  les  jurats  ont  donné  un  bouryeoh  (c'est-à- 
dire  l'argent  reçu  pour  la  réception  d'un  Iwurgeois)  à  M.  le  scus-mairc,ctc.  » 

(M.  n'ErcnevEnnY.) 

(2)  Catalogi  libr.  manuscript.  qui  in  Bibliotb.  Gallie,  UclvctiK,  Britni> 
nia?  M.  asservant iir,  Lipsi»,  1830,  io-S,  col.  330,  n.  170. 


nuLUTiN  nu  ninMOPHiLE.*  6G1 

Lettres  de  bourgeois  d'honneur,  qu'il  accepta  avec  reconnais-- 
tance.  Celle  bourgeoisie  conféroil  un  grand  avanlagc  :  les 
bourgeois  avoient  seuls  la  facullé  de  faire  entrer  leurs  vins 
sans  pyer  aucun  droit  au  roi ,  et  les  vins  autres  que  ceux  de 
la  sénéchaussée  ne  pnuvoient  descendre  h  Lihourne  que  vers 
Noël,  aOn  de  donner  le  temps  aux  Libournois  de  se  défaire 
des  leurs. 

Dans  un  livre  où  Fliisloiro  générale  occupe  tant  de  place, 
c*eûl  été  le  cas  de  faire  ressorlir  une  circonslance  fort  remar- 
quable il  laquelle  Montaigne  fait  allusion  dans  une  |)brnse  que 
cite  M.  (irùn,  page  52  :  «  Souvienne-vous  en  quelle  bouche 
«  celle  année  passée  raffirmativb  d'icellc  (s'il  est  permis  do 
«  s\irmer  contre  son  prince)  csloit  Tarc-boulant  d'un  parly, 
«  la  négative  dequel  autre  parly  céloit  Tarc-boutant  :  cl  oyez 
«  à  présent  doquel  quartier  vient  la  voix  et  instruclion  de 

f(  Tune  et  de  Tautre »  Monlaignc  fait  allusion  évidente  à 

ce  revirement  d'opinion  des  catholiques  et  des  protcstanls .  h 
l'occasion  de  la  mort  du  duc  d'Anjou,  en  1584,  indiqué  pcir 
Bayle  (Art.  Sainctes)^  Lnbille  {Prédicat  de  la  Ligue),  Mézerai» 
cl  pour  une  époque  antérieure  par  Bossuet  (Variât.) 

ÏAï  réforme,  quoique  d'origine  aristocratique  (c'est  Tavisde 
Chàleaubrianl),  s'appuyoit,  en  France»  sur  la  démocratie  et 
soutenoii  que  le  peuple  peut  déposer  les  rois  et  tuer  les  tyrans, 
afin  de  faire  arriver  à  la  couronne  un  prince  qui  n'étoit  pas 
dans  la  ligne  héréditaire;  les  catholiques,  de  leur  côté,  pour 
éloigner  du  trône  un  prétendant  prolestant  défendoient  le  prin- 
cipe de  l'hérédité  linéale.  La  mort  du  duc  d'Anjou  renversa  les 
rôles.  Les  opinions  jusque -Ih  défendues  par  les  protestants 
pouvoient  être  invoquées  en  faveur  du  duc  de  Guise  contre  le 
roi  de  Navarre,  qui  avoit  alors  la  légitimité  pour  lui;  les  catho- 
liques, au  contraire,  se  trouvoient,  en  soutenant  la  légitimité, 
favoriser  un  hérétique;  chaque  piirti  abdiqua  donc  son  opinion 
passée  pour  prendre  celle  de  son  adversaire,  et  c'est  ainsi  que 
Montaigne  a  été  amené  à  écrire  la  phrase  ci -dessus,  et  la 
preuve  que  cette  interprétation  est  exacte,  c'est  que  la  phrase 


562  T^UTXETIN    DU   BIBLIOPHILE. 

ne  se  trouve  pas  à  l'édition  de  1580,  et  qu*on  la  rencontre  à 
celle  de  1588;  le  duc  d*Anjou  étoit  mort  dans  cet  intervalle  de 
temps. 

Page  2/!i8,  iM.  Grûn  mentionne  la  lettre  de  recommandation 
en  faveur  de  M.  de  Verres^  adressée  par  IVIontaigne  à  Claude 
Dupuy,  mais  il  ne  s'en  occupe  pas  davantage. 

Il  seroit  curieux  de  savoir  quel  est  ce  personnage  nourri  en 
la  maison  de  Montaigne ,  qui  lui  étoit  fort  ami.  Ce  nom  n'ap- 
partient pas  au  Midi,  ne  seroil-ce  pas  M.  de  Guerre  ?  Celui-ci 
est  un  nom  de  la  province  (Martin  Guerre,  à  Toulouse);  une 
famille  qui  le  portoit  étoit  très  liée  avec  celle  de  Montaigne , 
elle  est  restée  amie  et  elle  a  contracté  des  alliances  avec  la 
descendance  de  Mattecoulon,  Un  de  Guerre  figure  au  contrat 
de  mariage  d'un  membre  de  cette  branche,  Jacques  de  Gaze^ 
nave^  en  1766.  On  sait  que  dans  nos  provinces  méridionales 
on  substitue  volontiers  le  V  au  G.  Montaigne  lui-même  dit 
Walles  pour  Galles.  Cette  transformation  se  retrouve  d'ailleurs 
fréquemment  dans  les  langues  étrangères  :  en  latin  Vasco , 
Gascon ,  vastare,  gâter  ;  Vulpillus,  Goupillon  ;  etc.  En  allemand 
Winner,  gain  ;  Wafcr,  gaufre  ;  les  Picards  ont  toujours  pro- 
noncé le  G  comme  le  V  :  Wede ,  pour  Guede  ;  Werre  ,  pour 
Guerre.  Cette  opinion  est  tout  à  fait  celle  de  M.  de  Caze- 
nave. 

J'arrive  enfin  au  3"  paragraphe  de  cet  examen,  celui  que  j'ai 
consacré  aux  Erreurs. 

M.  Grûn  se  plaint  qu'on  ait  voulu  ravaler  l'origine  de 
Montaigne;  il  s'indigne  contre  Scaliger,  qui  a  dit  que  le 
père  étoit  vendeur  de  harengs!  Et  quel  mal  y  auroit-il  donc 
à  ce  qu'il  en  fût  ainsi  ?  Il  me  semble  que  Montaigne  n'auroit 
rien  à  y  perdre,  et  que  les  marchands  de  harengs  auroient 
seuls  à  y  gagner!  Scaliger  pouvoit  être  mauvaise  langue, 
mais  ce  n' étoit  pas  un  sot,  et  il  eût  été  par  trop  maladroit 
de  risquer  une  allégation  qui  pouvoit  être  démentie  par  un 
grand  nombre  de  contemporains;  il  a  pu  se  tromper  sur  le 
degré  d'ascendance  ;  mais  malheureusement  il  n'a  pas  erré  sur 


y 


BULLETIN   DU    BIBUOPRILE.  5ôS 

le  fait  principal,  et  Montaigne  compte  des  marchands  parmi  ses 
ayeux  (1). 

Ramon  Eyquem^  grand-père  de  Pierre,  est  qualifié  marchand 
et  bourgeois  de  Bordeaux  dans  un  contrat  d'acquisition  de 
terre  du  8  mars  1/|52.  En  l/i57  et  1^75  il.  est,  dans  des  actes 
de  même  nature,  qualifié  seulement  honorable  homme;  dans 
son  testament,  écrit  en  i/|73  et  ouvert  en  U78,  on  lit  :  «  *fo 
Ramon  Ayquem,  marchant^  parropiant  de  la  gleysa  de  Sent 
Miqueu  et  borgnes  de  Bordeu.  » 

Un  frère  de  Ramon  Eyquevi^  Ramon  de  Gaujac,  alias  Loco- 
dot  y  est,  dans  un  contrat  de  vente  du  18  novembre  1&67,  qua- 
lifié marchand,  de  la  paroisse  Saint-Michel. 

Le  reste  de  la  famille  semble  être  dans  la  même  position. 
D*un  acte  de  partage  en  date  du  15  novembre  1508,  il  résulte 
qu*Ysabeau  de  Verteuil,  nièce  de  Grimon  Eyquem  et  cousine- 
germaine  de  Pierre,  étoit  mariée  à  un  Dufleys,  fils  de  Bern, 
Dufleys,  marchands  et  paroissiens  de  Saint-Éloi. 

(Ces  divers  actes  m'ont  été  communiqués  par  M.  Delpit.) 

11  ne  reste  donc  plus  à  discuter  que  la  qualité  de  la  marchandise; 
mais  M.  Grûn  n'y  tient  probablement  pas  plus  que  moi,  et  j'a- 
voue que  j'aimerois  mieux  apprendre  que  Montaigne  a  été  lui- 
même  marchand  de  poisson,  que  d'être  obligé  de  croire  à  la 
flétrissure  de  sa  carrière  administrative. 

Quant  à  l'ancienneté  de  la  noblesse,  M.  Grûn  se  borne  à  dire 
que  Montaigne  est  de  bonne  famille.  Ce  n'est  pas  assez,  puis- 
qu'enfin  ce  titre  de  seigneur  est  un  des  principaux  de  sa  vie 

(i)  Bernadau  {Viographe  bordelais  )  fait  dire  à  Scaliger  ce  que  Je  ne 
trouve  paa  dans  l*édition  du  Scaligerana  que  j'ai  sous  les  yeux  :  «  Que 
Montaigne  descendoit  d*un  p(^cheur  breton  qui  se  flt  vendeur  de  harengs  & 
la  Roussette  (quartier  de  Bordeaux)  »  ;  Bernadau  trouve  la  chose  probable, 
parce  que  près  du  port  il  exiatoit  une  impasse  du  nom  de  Montaigne.  Pninis 
conteste  Texactitude  de  cette  révélation  ;  il  dit  avoir  vu  des  titres  qui  remon- 
loient  Jusqu'à  UOO,  et  que  les  ancêtres  de  Montaigne,  tous  gentilshommes, 
y  sont  constamment  nommés  damoiseaux ,  domicelli  (  gentilshommes  qui 
n*éloient  pas  chevaliers)  ;  il  est  probable  que  Pninis  aura  vu  des  pièces  rela- 
tives aux  possesseurs  antérieurs  de  la  terre  (à  des  MoirrANiu) ,  mais  non 
aux  Eyquem. 


604  BCllETIN  DU  mBLfOPinLE. 

publique.  Une  pièce  mallieiireuscment  incomplète,  (pii  n  servi 
de  couverture  à  un  regisire,  et  à  laquelle  manquent  rinlilulé  et 
la  date,  mais  qui  paroit  ôlre  du  xv*  siècle,  donne  le  leslament 
d'un  seigneur  de  Monianha^  marié  ci  Jeanne  de  Monadey,  le- 
quel n*est  pas  de  la  rumilic  des  Eyquem.  Le  testateur  laissoit 
un  fils,  Pierre,  et  une  fille,  Jeanne^  qui  est  probablement  celle 
dont  il  est  parlé  dans  une  Esporle  pour  Ramon  de  Gaujac 
(frère  de  t^imon  Eyquem),  en  faveur  de  Jeanne  de  Monadey 
(3  février  1/|56),  femme  de  noble  homme  Galhard  dUArsac, 
Cet  liommagc  lenoit  peul-êlrc«i  quelque  achat  de  (erre  fait  par 
les  Eyqitem  aux  seigneurs  de  VHostnn  de  Montanha^  et  peul- 
élrc  cela  a-!-il  él-;  Torigine  de  Tacquisilion  de  la  terre.  Dans 
tous  les  cas,  les  Eifjuem  semblent  s  arrondir  aux  dépens  des 
d'Arxnc,  car,  le  18  décembre  1477,  llamon  avoit  acquis  une 
prairie  mouvant  de  noble  Anianicu  d'Avsnc.  Du  resie,  pos- 
térieurement les  d'Arsac  se  sont  alliés  aux  Eyquem  et  à  La 
Boeiie. 

La  noblesse  de  la  terre  étoit  ancienne,  mais  la  possession 
par  les  Eyqtiein  ne  Téloil  pas.  —  Il  résulte  d'une  charte  sur 
parchemin  ayant  pour  litre  :  Instrumentum  rccognitionis  homa" 
giorum  facturum  domino  archiep,  Durd,  per  gcntes  Montreva^ 
m*//o,  etc.,  dalée  de  février  1306,  que  Peirus  de  Montanea, 
donzetlus,  figuroil  parmi  les  vassaux  de  Tarclievôque,  et  en 
celle  qualificalion  lui  a  rendu  hommage  ledit  jour.  (M.  Delpit 
m'indique  un  pareil  hommage  d*un  Petrus  Montana  dans  le  re- 
gistre 304  des  archives  du  département  (1). 

(1)  Les  Eyquem  ont  à  leur  tour  rendu  cet  hommage;  un  acte  notarié  du 
9  novembre  1530  constate  Thommago  de  Pierre  Eyquem^  seigneur  do  Mon- 
taigne. 

Deux  actes  notariés  du  7  décembre  1G02  témoignent  de  l*hommagc  rendu 
par  M"i<-*  veuve  Montaigne. 

(Notes  fournies  par  M.  Gras,  archiviste  de  la  Gironde.) 

Aux  registres  des  hommages  de  Montravel  la  cérémonie  de  riioromago 
est  décrite  :  «  Le  représentant  do  M"'«  de  Montaigne,  après  avoir  pris  inves- 
«  ti.ure  dudit  sieur  archevêque,  acceptant  et  stipulant  lequel  api  es  avoir 
«  pris  et  reçu  audit  nom  le  serment  do  fidélité  en  tel  cas  requis  et  accoù- 
«  tumé,  lui  avoir  caché  les  mains,  a  icelui  relevé.  Ta  reçu  audit  nom  conuno 


Dl  LLKTin   DU    nintlOPHTLE.  S65 

Le  testament  de  Oamon  Eyqnem,  qui  détaille  les  biens  du 
testateur,  ne  mentionne  pas  la  terre  de  Montaigne;  il  ne  la 
possédoit  donc  pas  en  l/i73;  il  est  probable  que  s*il  Teùt  ac- 
quise poslérieuromenl  jusqu*à  l/i78  qu'il  est  mort,  un  codicille 
Cil  auroit  fiit  mention.  On  ne  peut  donc  pas  présumer  que  Ita- 
mon  ait  été  seigneur  de  Montaigne, 

D'un  au:re  côté,  Grimon^  le  fils  de  Damon,  le  grand-père  de 
Michel^  est  qualifié,  en  1491,  de  seigneur  de  Moniaignc^  de 
même  en  1508,  où  de  plus  il  est  dit  noble  homme. 

C'est  donc  entre  1473  et  1401  que  la  terre  est  entrée  dans 
la  famille  Eyqucm,  et  c'est  tr^s  probablement  entre  1478  et 
1401  que  Grimon  en  a  été  Tacquéreur  (1). 

\jk  Bibliolliêque  publique  de  lu  ville  de  Bordeaux  possède  un 
registre  sur  lequel  ficrre  Kgqucm^  seigneur  de  Montaigne  (fils 
de  Grimon  cl  père  de  Michel),  avoil  fait  transcrire  par  le  no- 
taire Pierre  Perreau  tous  les  conirals  d'acquisitions  faites  par 
lui  de  1528  h  1550;  elles  soni  au  nombre  de  250,  cl  elles  ont 
coûté  ensemble  4332  livres  10  sols  10  deniers,  sans  compter 
le  blé  et  autres  denrées  données  en  échange.  Je  possède  moi- 
même  des  notes  de  même  nature  qui  relatent  les  achats  faits  de 
1528  h  1541  (1528  est  l'Hunée  du  mariage  de  Pierre). 

M.  Delpit,  h  Tobligeance  aiïectueuse  duquel  je  dois  l'analyse 
ou  la  copie  textuelle  de  ces  diverses  pièces,  pense  avec  raison 
que  ce  registre  indique  un  nouvel  acquéreur.   Les  Eyquem 


«  rassal  des  susdites  maisons  de  Montaigne,  Balbeyon ,  appartenance  et 
m  dépendance,  a  saisi  féoduloment  comme  un   fief  noble,  franc,  libre  et 

•  ccnsier,  au  devoir  et  pn^jiidicc  d*un  baiser  à  la  Joue,  à  la  coutume  des 

•  prélats,  et  muance  de  seigneur  et  do  vassal  i  .dépendant ,  etc.  • 

(M.  de  Cazenave.) 

(1)  \jD  teite  de  Montaigne  confirme  cette  supputation  ;  il  parle  do  ta  for- 
tune^  et  il  dit  :  «  Tout  re  qu'il  y  a  tfe  sex  ilonidit%  noux^  il  ij  ext  avant  moi^ 

•  ri  Al'  ht\.K  ne  cent  a\s.  »  Or,  ce  chapitre  a  été  écrit  en  1586  (18  ans 
apHrs  la  mort  de  son  pore,  arrivée  en  15C8),  en  déduisant  pluttdft  400  an% , 
nous  remontons  \  une  époque  antétieure  &  1686;  donc,  en  fin  de  compte, 
c'est  entre  \kl%  et  i486  que  la  terre  est  eniréo  dans  la  famille  :  1680 
pcQt-ôtrc  ?  Cette  phrase  des  Essais  n*avoit  pas  encore  été  interprétée. 


566  BULLETIN    DU  BIBLIOPHILE. 

avoient  acheté  une  terre  ruinée,  ils  vouloient  Tagrandir  et  con- 
server le  souvenir  de  ces  améliorations. 

Une  autre  preuve  de  noblesse  nouvelle  est  la  suppression  du 
nom  primitif.  Or,  ce  n'est  qu'à  partir  de  1568  qu'on  ne  trouve 
plus  dans  les  actes  le  nom  d'Eyquem^  et  j'ai  fait  remarquer 
que  dans  les  É])hémérides  de  Beuthcr,  annotées  par  la  famille, 
le  nom  i'Eyquem ,  inscrit  primitivement  (  le  volume  est  im- 
primé en  1551),  a  été  partout  rayé.  La  famille  nouvellement 
anoblie  vouloit  se  distinguer  des  familles  nombreuses  et 
sans  importance  qui,  dans  la  contrée,  portoient  le  nom  d'JÇy- 
queni  (1). 

Ainsi  donc,  à  trois  générations  au-dessus  de  Michel,  les  Ey- 
quein  étoient  marchands.  C'est  à  la  fin  du  xv*  siècle  que  la 
terre  est  entrée  dans  la  famille,  et  lorsque  Montaigne  dit  que 
la  plupart  de  ses  ancêtres  sont  nés  à  Montaigne,  il  ne  pouvoit 
parler  que  de  son  père  et  de  ses  six  oncles  et  tantes  pater- 
nels (2). 

Page  168,  M.  Grûn  formule  une  de  ces  affirmations  ma- 
gistrales en    présence  desquelles   le   doute  ne   semble   pas 


(1)  On  trouve  encore  le  nom  d'Eyqtiem  en  1567,  le  30  avril  (contrat  de 
mariage  d*une  fille  de  Dttssaguet  avec  Mom);  c^est  donc  entre  1567  et  1568 
que  ce  nom  a  été  abandonné. 

(2)  Je  relève  ici  les  dates  relatives  aux  ancOtres  de  Montaigne, parce  qu*on 
ne  les  trouve  nulle  part  ainsi  rapprochées  : 

Ramon  Eyquem  est  né  en  1^02  et  mort  en  1482. 

Grimon^  son  fils,  a  dû  naître  vers  1650,  et  mourir  antérieurement  à  1521, 
comme  l'établit  un  curieux  ordre  de  révélation  émané  de  Léon  X,  prescri- 
vant à  tous  ceux  qui  connoltroient  des  débiteurs  de  la  succession  de  les 
faire  connoltre  sous  peine  d'excommunication. 

Pierre  (l'alné,  senior),  fils  de  Grimon,  est  né  le  29  septembre  1495  et 
mort  le  18  juin  1568,  à  72  ans  et  9  mois  (il  est  remarquable  qu'aux  Essais 
Montaigne  dit  par  erreur  qu'il  a  vécu  Ih  ans,  et  aux  Éphémérides  73  ans 
et  3  mois). 

Un  de  ses  frères  portoit  aussi  le  nom  do  Pierre  [junior). 

Miehely  auteur  des  Essais,  fils  de  Pierre,  est  né  le  28  février  1533  et  mort 
le  13  septembre  1592. 


BULUTIN  DU  BIBUOPHILE.  667 

pennifl.    Pibarb  Eyquem  n'avoit   aucune  gonnoissange   des 

LETTRES. 

Examinons  pourtant  I  Pierre  a  été  jurât,  prévôt,  sous-maire, 
maire  !  Peut-être  cela  n'indique-t-il  qu'une  capacité  adminis- 
trative ;  pourtant  cette  dernière  fonction,  remplie  le  plus  sou- 
vent par  de  très  grands  personnages,  ne  lui  a  pas  été  conférée 
à  cause  de  Téclat  de  son  nom  et  de  Fancienneté  de  sa  race;  il 
falloit  bien  que  cela  fût  pour  son  mérite  personnel.  Mais  il  a 
été  membre  d'une  Cour  souveraine,  qu'à  l'origine  quelques  per- 
sonnes regardoient  comme  supérieure  aux  Parlements.  Gela 
suppose  une  certaine  éducation,  cela  prouve  au  moins  qu'il 
entendoit  le  (rançois;  mais  il  comprenoit  aussi  le  latin,  puis- 
qu'il lisoit  dans  Toriginal  la  Théologie  naturelle  de  Scbon.  A 
la  manière  dont  Montaigne  dit  qu'il  a  appris  le  grec,  on  peut 
inférer  que  c'est  son  père  qui  le  lui  a  enseigné;  Montaigne  dit 
encore  que  son  père  avoit  familières  les  langues  italienne  et 
espagnole  ;  il  me  semble  que  tout  cela  promet. 

On  opposera  peut-être  les  paroles  de  Montaigne  ;  mais  elles 
montrent  que  la  superbe ,  dont  on  l'a  gratifié ,  n'étoit  pas  aussi 
exubérante  qu'on  le  dit.  Montaigne  ne  regardoit  pas  son  père 
comme  un  savant  ;  lui-même  disoit  :  «  Je  n'entends  rien  au  grec,  » 
quoiqu'il  possédât,  lût  et  citât  des  auteurs  grecs;  mais  ni  son 
père  ni  lui  ne  possédoient  ces  langues  anciennes  comme  les 
Govea,  les  Élie  Vinet,  les  Marc-Antoine  Muret,  les  Grouchy,  les 
Guérente,  les  Buchanan,les  Millanges  avec  lesquels  ils  vivoient; 
d'où  Montaigne  concluoit  que  c'étoit  ne  rien  savoir  que  savoir 
moins  que  ces  érudits. 

Non -seulement  Pierre  Montaigne  avoit  connoissance  des 
lettres,  mais  il  les  cultivoit,  il  se  permettoit  de  faire  des 
vers  latins,  et  en  1511,  c'est-à-dire  lorsqu'il  avoit  à  peine 
quinze  ans,  il  adressoit  à  Piellé  des  distiques  latins  qu'on  a 
imprimés  l'année  suivante  à  la  suite  du  poème  :  Guillermi 
Pielleiy  Turonensis,  de  Anglorum  ex  Gallis  fuga  et  Hispano- 
rum  ex  Navarra  expulsione,  Parrhysiis,  Bonnemere,  1512, 
in-/t  gotli. 


%  «> 


6G8  DUrXETfN   DU   niDLlOPHIU. 

Peut-être  ces  vers  n'ont^ils  jamais,  depuis,  été  reproduits,  et 
je  me  fuis  un  plaisir  de  les  transcrire. 

PETRUS  EYQUEM  BURDIGALENSIS,    GENEROSISSIMO  ADOLESCENH 

JOHANNI  DE  DURAS, 

CARMEN   SIMONIDEUM. 

Il  Ogygius>  dextro  nalus  sub  sydere  vates, 
«  Prompsit  grandisono  niartia  bella  pede. 
(c  Bella  per  iiiacos  laie  grassafn  pénates, 
«  Sub  quibus  oppressit  mors  violenta  Parin. 
€  IIIp,  cotliiirnalo  Smyrnrus  carminé,  valcs 
«  Eacidc  cocinil  facta  Fnperbj  ducis; 
c(  Iste,  Sophocico  fucatos  ore  Brilannos 
«  Frîinra  dejectos  c  regionc  canil; 
<c  Cujus  ma^nificas  cnpiani  si  dicere  laudes, 
«  Pondère  sub  nimio  Musa  pusilla  gemet.  » 

Quelque  jugement  qu'on  porte  sur  ces  vers,  et  dût  la  musa 
ptLùUa  faire  songer  h  la  tendre  musette  de  la  chanson,  il  est 
certain  qu'ils  témoignent  que  ce  garçon  de  quinze  ans,  comme 
pourroit  dire  Montaigne,  entretcnoil  un  certain  commerce  avec 
les  vates  Siinjrneus  et  Ogygius,  On  y  sent  Tcxubérancc  et  la 
boursoudlure  de  la  sève  scolastique;  mais  Thomme  qui  les  a 
écrits  auroil  fait  au  moins  un  très  bon  bachelier  es  lettres  daas 
le  XIX*  siècle. 

Une  circonstance  qui  n*est  pas  sans  intérêt,  c*est  la  dédicace  au 
jeune  de  DinAs.  Il  s\Txii  sans  aucun  doute  de  François  de  Dur- 
fort,  srigniMir  de  Di  uas,  qui  poavoit  avoir  alors  di\>huit  ans; 
Fauteur  on  avoit  sei/.c  au  nicunont  do  lapubliralion.  Pierre  dédie 
à  l'aïeul,  et  plus  lard  Michel  dédiera  h  la  fenniic  et  à  la  bollc- 
STur  dii  pi'til-nis  (  Marguerite  de  (êramwontjQimwc  de  Jean  de 
Durfort,  vicomte  de  Duras,  et  madame  de  Cuichc^  femme  de 
Philibert  de  Grammout), 


BULLETIN   DC    BIBLIOPHILE.  500 

On  aime  à  constater  cette  perpétuité  de  relations  afTectuenses 
avec  des  familles  puissantes;  elle  prouve  plus  pour  la  consis- 
tance et  la  considération  de  la  Tamille  des  Montaigne,  que  les 
méchancetés  de  Scaliger  ne  peuvent  contre  elles. 

Je  termine  ce  qui  regarJe  le  père  de  Montaigne  en  relevant 
nne  erreur  échappée  à  M.  Grûn.  Il  dit  que  Pierre  vivoit  encore 
lorsque  Touvrage  de  Sebon  fut  imprimé.  Pierre  Montaigne 
n*existoit  plus  lorsque  cette  traduction  fut  terminée;  il  est  mort 
le  18  juin  1568,  et  la  Théologie  ne  parut  qu*en  septembre  1560. 
C*esl  comme  cela  que  Michel  a  été  amené  à  dater  sa  dédicace 
du  jour  mortuaire. 

La  mort  du  père  me  fournit  Toccasion  de  reproduire  ici,  sur 
la  mort  du  fils,  une  observation  que  j*ai  consignée  ailleurs  sans 
résoudre  la  diOiculté. 

Tous  les  biographes  sont  en  désaccord  sur  la  date  de  la  mort 
de  Tauleur  des  Essais;  il  m*avoit  paru  que  la  date  inscrite  sur 
le  tombeau  devoit  être  celle  qui  oITroit  le  plus  de  garantie;  or, 
le  mausolée  dit  :  «  Les  ides  de  septembre  »>  —  ce  mois  étant  dans 
le  calendrier  romain  un  de  ceux  où  les  nones  lomboient  le  5, 
les  ides,  par  conséquent,  lomboient  le  13;  donc,  celte  date  cor- 
respondait au  13  septembre  1502. 

Voici  maintenant  la  difficulté  :  M.  Lamolhe.  secrétaire  de  la 
commission  des  monuments  histori(|ues  de  la  Gironde,  vient  de 
publier,  dans  le  rapport  de  1855,  un  extrait  de  la  concession 
faite  h  madame  veuve  Montaigne  |)our  son  mari  d*une  sépulture 
dans  Téglise  des  Feuillants  de  Bordeaux.  Deux  messes  dévoient 
être  dites  chaque  année.  Tune  te  troisième  jour  du  mois  de 
septembre  et  Tautrc  en  commémoration  du  jour  de  IMnhumation 
(prolnblemenl  chez  les  Feuiiianls).  Si  la  première  date  est 
oxaclc,  h  quoi  ponrroil-clle  se  rapporter,  si  ce  n'est  an  jour 
mr.riiiaire;  il  faniiroit  donc,  h  cl»  cnnijMo,  accc,:tcr  k'.  3  se;)- 
tenibr»,  ot  regarder  le  13coîïïme  une  erreur  dn  tomh^ai;  pour- 
tant la  date  du  13  est  inscrite  sur  le  volume  des  Épîiémcrides 
de  Uculhor,  et  je  persiste  à  croire  que  c  est  calle-là  qu'il  faut 
mainleuir. 


570  BULLETIN   DU    BIBUOPHILE. 

M.  Grûn  s'occupe  incidemment  d'un  des  frères  de  Montaigne  ; 
il  cite  une  phrase  de  Moreri,  qui  dit  que  le  roi  donna  le  2k  juil- 
let 1565,  à  Albert  de  Luynes,  un  commandement  devenu  vacant 
par  la  mort  du  capitaine  Saint-Martin,  frère  du  philosophe;  et 
comme  Montaigne  dit  que  sou  frère  le  capitaine  Saint-Martin 
est  mort  à  vingt-trois  ans,  et  que  M.  Grûn  regarde  comme  prouvé 
qu'il  étoit  l'alné  de  Michel,  il  déclare  sans  hésiter  que  Moreri  s'esl 
trompé.  Quand  il  s'agit  de  Montaigne,  il  faut  savoir  douter,  et 
je  crois  plus  prudent  et  plus  utile  aux  recherches  ultérieures 
d'accepter  sous  réserves  tous  les  renseignements  jusqu'à  preu- 
ves contraires,  surtout  ceux  qui  viennent  d'hommes  comme  Mo- 
reri.  Or^  ces  preuves  nous  manquent.  Je  tiens  donc  pour  pro- 
bable, jusqu'à  plus  ample  informé,  le  renseignement  de  Moreri, 
et  M.  Grûn  lui-même  remarque  qu'il  est  confirmé  par  Abel 
Jouan  qui,  dans  son  journal,  dit  que  le  roi  étoit  en  effet  à  Con- 
dom  le  27  juillet  1565  ;  mais  il  s'agit  de  faire  concorder  ce  ren- 
seignement avec  ce  que  nous  savons  des  frères  de  Montaigne, 
et  il  faut  d'abord  résumer  les  faits  qui  sont  incontestables. 

Montaigne  dit  être  né  le  troisième  des  enfants  de  son  père.  U 
est  constant  qu'à  la  mort  de  Pierre  il  étoit  l'aîné  des  survivants; 
ses  deux  aînés  étoient  donc  morts  avant  1568.  Nous  n'avons 
aucun  renseignement  sur  eux.  L'un  s'appeloit  Beauregard; 
après  lui  la  terre  a  passé  à  lun  des  frères,  qui  en  a  pris  le  nom, 
ce  qui  prête  à  une  confusion  de  personnes  qui  ne  cesse  qu'à 
partir  de  la  mort  du  père. 

Montaigne  dil  que  son  père,  en  mourant,  laissa  cinq  enfants 
mâles,  mais  il  laissa  aussi  trois  filles,  ce  qui  fait  dix  enfants  avec 
les  deux  aînés  morts  antérieurement. 

Ainsi,  à  la  mort  de  Pierre,  existoient  : 

Michel,  seigneur  de  Montaigne,        né  le  28  fév.  \  553  âgé  de  35  ans 
Thomas,  seigneur  de  Beauregard,  1 7  mai  i 534    (i^    34 

(1)  Thomas  a  eu  en  môme  temps  le  titre  de  seigneur  d'Arsac  (Éphémé- 
rides).  Quant  à  la  seigneurie  de  Beauregard,  elle  avoit  dû  antérieurement 
appartenir  à  l'un  des  aînés,  décédé  alors.  (Voyez  Pierre.) 


17  oct.  1536 

32 

14  sept.  1541 

(2)  27 

28  août  1552 

16 

19fév.  1554 

14 

20  août  1560 

8 

BULLETIN    DU    BIBLIOPHILE.  571 

Pierre^  seigneur  de  la  Brousse  (1)^  né  le  lOnov.  1535  âgé  de  33  ans 

Jeanne,  mariée  à  Lestonnac, 

Arnaud,  prop'*  dans  Tile  de  Macau, 

I>éonor,  mariée  à  Camein, 

Marie,  mariée  à  Cazelis, 

Bertr.  Charles,  seig^  de  Mattccoulon, 

(Beauregard  et  Mattecoulon  survivoient  seuls  à  leurs  frères  à 
la  fin  du  XVI*  siècle.) 

Quant  au  capitaine  Saint-Martin,  mentionné  par  Montaigne 
et  par  Moreri,  ce  ne  peut  être  Arnaud,  puisqu'il  a  dépassé  Tàge 
de  23  ans.  Donc,  pour  que  le  renseignement  de  Moreri  fût  exact, 
il  faudroit  que  Pierre  Montaigne  eût  un  fils  de  plus,  lequel,  né 
en  1562,  seroit  mort  en  1565,  et  comme  le  père  vivoit  encore 
il  ne  figure  pas  au  tableau  ci-dessus.  Celte  supposition  donne- 
roit  à  Pierre  Montaigne  onze  enfants  au  lieu  de  dix  (3)  ;  elle 
n*est  pas  improbable. 

Quant  au  titre  de  sieur  de  Saint-Martin  que  porte  Arnaud  au 
contrat  de  mariage  de  Marie,  dans  cette  supposition,  il  l'auroit 
pris  à  la  mort  de  ce  frère,  comme  les  autres  frères  ont  porté 
successivement  les  titres  de  Beauregard  et  d'Arsac,  et  on  remar- 

(1)  Pierre  a  été  qualifié  aussi  de  seigneur  d'Arsac  :  c'est  sous  ce  titre 
qu'il  flgure,  en  1579,  au  contrat  de  mariage  de  sa  sœur  Marie  (M<"«  de 
Caxelis);  cependant,  en  1500,  ryiof^ioi  figure  encore  comme  seigneur  dMrsac, 
Casiera^  Ltlhan  et  Loirac  ;  U  avoit  épousé  Jacquette  d'Anac,  Ce  dernier 
nom  me  parolt  donc  avoir  été  porté  en  même  temps  par  plusieurs  per- 
sonnes, car  en  1565  il  existoit  un  Gatton  d'Arsac  qui  n'étoit  pas  Eyquem^ 
qui  épousa  Louise  de  la  Chassaigne  (sœur  de  la  femme  de  Michel  Montai- 
gne); Gaston  et  Jaquette  étoient  enfants  de  premier  Ut  de  la  femme  de  La 
Boëtie.  J'ai  indiqué  ces  diverses  aUiances  dans  la  notice  sur  cet  ami  de 
Montaigne.  (Arsac,  village  et  cU&teau  à  6  ou  5  lieues  (15  ou  20  kilom.)  de 
Bordeaux,  canton  de  Castelnau  de  Médoc) 

(3)  Arnaud  est  qualifié  seigneur  de  Saint-Martin  au  contrat  précité,  U 
étoit  mort  à  cette  époque. 

(3)  Je  ne  puis  me  dispenser  de  faire  une  remarque  qui  prouve  avec  queUe 

méfiance  il  faut  accepter  les  arrangements  généalogiques  les  plus  certains 

à  l'apparence.  Du  moment  où  je  possédois  la  date  de  naissance  d'Arnaud, 

1541,  en  y  Joignant  les  23  ans  que  Montaigne  fixe  pour  la  durée  de  sa  vie, 

J'obtenois  1564  pour  la  date  de  sa  mort,  et  le  renseignement  de  Moreri 

pvoiMOit  inattaquable.  La  preuve  qu'Arnaud  vivoit  en  1568  a  renversé 

tout  cet  échafaudage. 

39 


jrr  3LLliT73    DQ    BiBUOPHIU. 

i:ien  nv  .?  lui  «^HnàitTjii  :'.7iiiiniier  cette  opinion  de  deux 
xrsL'E.îs*  :*.'*r  «  ut-un?  llp^  :^îsi  «(ue  celle  que  je  suppose 
^i'  ir  T.-rî  i  i-^-aiitr^-  f>;  ieaiimaiee  :.ipitalxe  Saint-Martin, 
î£3L>  .:?:  i  A-».- -^.Lf  *j*  liie  inm^m^a:  sufv,rde  Sainte  Martin. 
■  -s-Tx^  ■:  -,  .  .  j.  iiîf  iisiiiiiaitjii  :  !♦?  prîmier  Saint-Martin 
v.i.  1.  -01.^  "^.f:  re  ai  ruf  e  **f:oaii  le  fùL  Ce  dernier 
T.>a<^».'r..  i  :*-^  i  «I  îrr«ii'it  H  jum.  S'il  en  est  ainsi,  ce 
s:i-..  u  v-'  *:■«.  r.w  ^  -u?i?»'rffrjic  li**  5et:re  autographe, 
it:    j  xidK-*?     A    .>*r^>   "^  nuswKSKr:  -iw  ordres  pour  le 


^'itttii  i  :5r  :  7=  .1  .ç  -  strrAîirî  Trs*f  «r  zn  acte  de  1567, 
^  't^  i  ;..—>*•:'.  .  -,•-,;..  ;>  V  inUi^Tr»;.  hxItt^  U  contra- 
.».•,..*.  -i  I.  '--i  ^  .  >i  *'-..iin'  f»  :«—u.T**  >ir  des  signa- 
it >x.    v>*:  .-.*i-'>^    *»•  *-    --.■••     •  .'  i  »TP"s 

«>wt^  ■-*•  '".-.:"      .;;^     »    4  ii^itnif^  iii:res.  qui  ont 

^.v.><    1.K    K  ...  -  ^.-'.  .-.;.  ii;.rs>  :•*:  îts  bienfaits 

.^^  ^.^   1^     .■-.,.  ■••       •    „  .  -^  ■•»  -   .:    i*   fuc,Â/9i  Ci  IjûrTaint 

'  -X  -  '.  ^.   >?'.:}:  2  déjà  si- 

.....       •    i-  .-..il.-  u-       To-i    é:^  ;k::5  hislori- 

....,  .-^^^»,      ...    >i   .  k  'M.^  .■"•Tnr»'f:f!E)eni  dé- 

,    ur.    ...t.       •..><      I     .'•    :•*•■-•"-■:  te  de  Savoie, 

-vj..«.--.    •.  N..         '  jr  •*  ■i.-'-.-.f'r  t^e  Foi\,  ei  il 
.....    -.      .-v::.».!!.    ^M.  ;i.  r.  :  m-  >fro:l  Jonc 

...  ...    ..  ,    >i  11    ..i.^^îNi..";  ^.'îsin,  quand 

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BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE.  573 

Foix ,  le  chapitre  de  Tlnstitution  des  Enranis.  Or,  celte  dame 
étoit  cousine  issue  de  germain  avec  la  femme  du  duc  de  Mayenne. 

Les  princes  lorrains  ne  pouvoient  donc  ôtre  étrangers  à  Mon- 
taigne qui,  du  reste,  a  déclaré  assez  de  fois,  même  en  parlant 
aux  rois  eux-mêmes,  qu'il  n'a  jamais  reçu  de  récompenses  des 
services  qu'il  a  rendus,  pour  qu'on  ne  le  soupçonne  pas  d'avoir 
accepté  des  bienfaits  de  qui  que  ce  soit. 

M.  Grûn  parle  de  d'ELBÈNE  qu'il  croit  avoir  été  ambassadeur 
de  France  à  Rome,  dans  le  temps  où  Montaigne  visita  l'Italie, 
et,  sur  un  renseignement  inexact,  il  va  jusqu'à  dire  que  Cathe- 
rine de  Médicis  donna  au  philosophe  une  lettre  de  recomman- 
dation pour  ce  personnage.  M.  Grûn  auroit  mieux  fait  de  s'en 
rapporter  à  Montaigne  qu'à  Meunier  de  Querlon,  car  c'est  ce 
dernier  qui  a  inventé  un  d'Elbène  ambassadeur,  tandis  que 
Montaigne  dit  très  exactement  M.  d'AoEiN.  Il  s'agit  en  effet  de 
Louis  Chasteignier  de  La  Roche  Posay,  seigneur  d'Abain  ou  d'A- 
bin,  comme  disent  les  rois  Charles  IX,  Henri  IIÎ,  Henri  IV,  etc., 
qui  lui  donnent  toujours  ce  seul  nom,  ainsi  qu'on  peut  le  voir 
dans  les  nombreuses  lettres  que  contient  l'ouvrage  d'André 
Duchosne.  Cette  grande  maison  étoit  alliée  aux  maisons  de 
France,  d'Espagne  et  d'Angleterre  (1). 

Ludovicus  Casfaneus  Abennius,  vir  nohilitate^  eruditione, 
fordtudine  et  morum  prohitate  insignis,  dit  de  Thou. 

M.  d'Abein  fut  chevalier  de  l'ordre,  membre  du  conseil 
privé,  capitaine  de  cinquante  hommes  d'armes,  maître  d'hôtel 
ordinaire  du  Roi  et  gentilhomme  de  la  chambre.  Il  accompagna 
le  duc  d'Anjou  en  Pologne,  et,  à  son  retour,  Henri  III  l'envoya, 
en  1576,  à  Rome  pour  faire  l'obédience  au  pape  Grégoire  XIII, 
et  il  resta  comme  ambassadeur  jusqu'en  1581.  Il  étoit  père  du 
célèbre  évéque  de  Poitiers,  qui  naquit  à  Tivoli  pendant  cette 
ambassade,  en  1577.    Montaigne  dit  qu'il  le  connaissoit  de 

(1)  L'erreur  a  d'autant  plus  d'importance  qu'un  Delbene  est  effectiTement 
intervenu  en  Italie  pour  Tes  affaires  de  France.  Alexandre^  sans  caractère 
officiel,  contribua  acti.emcnt,  en  1589,  à  réconcilier  Henri  IV  avec  le  Saint- 
Siëge;  c'est  lui  qui  apporta  au  roi  son  absolution,  en  1596. 


67&  BULLETIN   DU   BIBUOPUILE. 

langue  main;  nous  voyons^  en  effet,  Charles  de  Gamaches, 
cousin  de  Tévéque,  épouser  Éléonore  de  Monlaigne,  veuve  de 
François  de  la  Tour  cCIvier. 

Je  ne  sais  si  cette  erreur  de  fait  a  été  déjà  signalée  à  M.  Grûn, 
mais  elle  n'a  pas  échappé  à  Térudit  M.  Lapeyre. 

M.  Grûn  établit,  par  le  témoignage  de  de  Thou  et  celui  de 
M"*  de  Gournay,  que  Montaigne  étoit  à  Paris  en  1588  :  il  existe 
aujourd'hui  un  témoignage  bien  autrement  authentique  dans  le 
curieux  récit  fait  par  Montaigne  lui-même  de  son  emprisonnement 
à  la  Bastille,  inscrit  dans  les  Éphémérides,  par  conséquent  nous 
n'en  sommes  plus  à  chercher  les  preuves  ;  mais,  à  cette  occa- 
sion, M.  Grûn  parle  d'une  lettre  autographe  de  Montaigne  que 
je  possède  et  qui  est,  sans  aucun  doute,  de  celte  année,  et,  à  ce 
sujet,  il  trace  ces  incroyables  lignes!  «  Son  interprétation 
))  A  DONNÉ  LIEU  A  TROP  DE  DISCUSSIONS  ct  permet  trop  de  doutes 
»  pour  qu'il  soit  prudent  d'invoquer  ce  document.  »  Où  M.  Grûn 
a-t-il  vu,  je  ne  dis  pas  trop  de  discussions^  mais  Votnbre  d'une 
discussion,  sur  l'interprétation  historique  de  cette  pièce?  Au 
contraire,  chose  remarquable  !  lors  de  la  contestation  sur  Tau- 
thenticitéy  on  se  basa  uniquement  sur  la  présence  du  mot 
PASSEPORT,  qu'on  disoit  ne  pas  exister  alors  (il  se  trouve  sept 
fois  dans  l'ordonnance  d'institution  des  postes,  120  ans  aupara- 
vant), pour  établir  que  c'étoit  une  pièce  apocryphe,  mais  per- 
sonne, peu  ou  prouy  de  près  ou  de  loin,  n'a  attaqué  le  contexte 
de  la  lettre  ;  on  ne  s'en  est  pas  occupé.  En  la  publiant,  j'ai 
hasardé  quelques  explications  sur  les  faits  et  les  personnages 
auxquels  elle  fait  allusion,  et  pas  plus  alors  qu'antérieurement 
le  texte  de  cette  lettre  n'a  été  mis  en  doute.  En  quelques  mains 
qu'ultérieurement  celle  pièce  se  trouve,  elle  donne  des  rensei- 
gnements importants  qu'on  ne  rencontre  pas  ailleurs,  et  je  ne 
vois  pas  dans  quel  intérêt  M.  Grûn,  sans  aucune  autorité,  veut 
la  frapper  d'interdiction. 

La  possession  n'exerce  sur  moi  aucune  influence,  car,  Itorsquc 
j'ai  acquis  cette  lettre^  j'avois  de  grands  doutes  sur  son  authen- 
ticité, non  comme  émanation  de  Montaigne,  elle  me  paraissoit 


BULLFTIN    DU    BIBLIOPHILE.  575 

inattaquable,  mais  comme  autographe.  Quelques  soupçons, 
démentis  depuis ,  me  faisoient  croire  que  ce  pouvoit  être  un 
calque,  et,  lorsque  je  Tai  publiée,  je  n'avois  pu  revoir  l'ori- 
ginal, et  je  ne  Tai  jugée  que  sur  le  fac-similé,  compromis, 
de  M"*  Delpech. 

M.  Lapeyre,  qui  s*est  beaucoup  occupé  de  cette  lettre  et  qui 
regarde  comme  incontestable  la  date  de  1588,  ajoutée  dans  le 
temps,  l'a  étudiée  au  point  de  vue  historique,  et  sa  conviction 
est  inébranlable.  Les  deux  frères  morts  sont  évidemment  Anne 
et  Claude  de  Joyeuse,  tués  à  Goutras.  Les  corps  sont  à  Mon- 
trésor  ;  c'est  là  qu'ils  ont  été  inhumés,  et  le  grand-père  étoit 
seigneur  de  cette  petite  ville  ;  les  dames  éplorées  sont  :  la  mère, 
Marie  de  Batarnay  et  la  femme  d'Anne,  Marguerite  de  Lorraine; 
le  comte  de  Thorigny  étoit  parent  de  Joyeuse,  c'est  pour 
cela  qu'il  va  consoler  ces  dames.  Montaigne  dit  au  maréchal  de 
Matignon  :  Vous  avez  su....  parce  que  Thorigny,  son  fils,  lui 
avoit  écrit,  etc.,  etc.  Il  est  donc  très  important  de  maintenir 
l'intégrité  de  cette  lettre  précieuse  par  ses  renseignements  et 
jugée  d'une  authenticité  incontestable  par  les  hommes  les  plus 
compétents. 

Je  m'arrête,  et  si  j'ai  été  long,  la  faute  en  est  à  Montaigne  et 
à  M.  Grûn  :  on  s'atarde  aisément  en  aussi  bonne  compagnie. 
Pour  terminer,  je  résumerai,  en  les  classant,  les  renseigne- 
ments les  plus  importants  insérés  dans  cet  article,  soit  qu'ils  se 
rapportent  à  des  lacunes  ou  à  des  erreurs. 

Ce  travail  donc  remet  au  jour  ce  qu'on  a  écrit  sur  l'origine 
et  l'étymologie  du  nom  d'Eyquem. 

Il  prouve  qu'au  xv*  siècle  les  Eyquem  étoient  marchands. 

n  fixe  l'époque  vers  laquelle  la  terre  de  Montaigne  est 
entrée  dans  la  famille  et  par  conséquent  celle  de  l'anoblisse- 
ment 

Il  établit  que  Pierre  Montaigne  n'étoit  pas  étranger  aux 
lettres. 

Il  donne  la  première  liste  exacte,  je  le  crois  au  moins,  des 
enfants  de  Pierre  Eyquem. 


Ô70  BdXETIN  DU  BIBUOPUILE. 

Il  réfuie  M.  Grun  dans  ses  erreurs  d'appréciation  sur  le  ca- 
ractère de  Montaigne. 

Il  présente  à  diverses  époques  l'importance  de  la  terre  de 
Montaigne. 

Il  complète  ce  qui  a  rapport  au  patronage  de  Lahontan. 

Il  fait  connoître  un  fait  généralement  ignoré,  le  droit  de  litre  y 
sur  Téglise  des  Feuillants  de  Bordeaux. 

Il  répare  Tomission  faite  par  M.  Grûn  au  sujet  de  la  bour- 
geoisie de  Libourne,  possédée  par  Montaigne. 

Il  fait  connoitrc  une  traduction  manuscrite  des  lettres  de 
bourgeoisie  romaine. 

11  rappelle  le  fait,  révélé  par  les  Éphémérides,  que  Montaigne 
a  été  gentilhomme  de  la  chambre  du  roi  de  Navarre. 

Il  fait  connoitre  que  Mattecoulon  a  été  gentilhomme  de  la 
chambre  du  roi  de  France. 

11  discute  le  reproche  adressé  à  Montaigne  d'avoir  manqué  à 
son  devoir  à  la  fin  de  sa  mairie. 

Il  constate  la  présence  de  Montaigne  au  parlement  de  Paris, 
avec  voix  délibéralive. 

II  rectifie  l'erreur  d*un  d'Elbène,  ambassadeur  à  Rome,  en 
1580. 

Il  rétablit  la  vérité  sur  la  lettre  autrefois  possédée*  par 
M"*'  de  Castellane. 

■    Il  explique  et  justifie  le  passage  des  Essais  dans  lequel  Mon- 
taigne dit  qu'il  a  reçu  la  majesté  royale  en  sa  pompe. 

Il  fait  connoître  le  nom  du  village  où  Montaigne  a  passé  ses 
premières  années. 

fl  Ç\xe  invariablement  le  nom  jusqu'ici  ignoré  du  Montaigne, 
qui  a  été  secrétaire  de  Catherine  de  Médicis,  lequel  n'est  ni 
Michel,  comme  on  l'avait  cru,  ni  Jacques,  comme  l'a  pensé 
M.  Grûn. 

Un  dernier  mot  :  M.  Griln  n'est  pas  de  l'avis  du  poète  Calli- 
maque  (1);  il  a  voulu  faire  un  gros  livre,  mais  il  n'y  est  par- 
fis tô  «isya  PipXiov  Iffov  tw  \u'xéX<a  yjxyjûy» 


BULLETIN    DU   BIBLIOPHILE.  577 

venu  qu'en  accumulant  des  extraits,  des  citations,  dans  une  pro- 
portion telle,  que  Touvrage  est  devenu  Thistoire  du  temps  et  du 
pays  de  Montaigne,  plus  que  celle  de  Montaigne  lui-môme. 
Quelques  pages  neuves  et  substantielles,  un  très  petit  nombre 
de  pièces  nouvelles,  mais  Tune  d'elles  intéressante  au  premier 
chef,  des  aperçus  nouveaux,  parmi  lesquels  compte  l'attribution 
des  avis  à  Henri  III,  si  elle  se  confirme,  au  lieu  de  Charles  IX, 

BIEN  QUE  CELA  NE  TOUCHE  PLUS  dorénavant  LA  VIE  DE  MONTAIGNE, 

et  le  résumé  chronologique,  montrent  ce  que  M.  Grûn  auroit 
pu  faire,  s'il  avoit  su  s'arrêter  à  ce  qu'il  éloit  possible  de  bien 
faire  ;  mais  après  avoir  rassemblé  de  nombreux  matériaux  en 
étudiant  les  Essais  avec  une  rare  sagacité,  en  fouillant  a\ec  une 
ingénieuse  persévérance  l'histoire  générale  et  l'histoire  locale, 
M.  Grûn  a  laissé  subsister  dans  son  livre  trop  de  traces  de  son 
travail;  il  a  imité  un  architecte  qui,  après  avoir  terminé  un 
édifice,  laisseroit  debout  l'échafaudage  qui  auroit  servi  à  le 
construire.  On  peut  dire  même  qu'il  a  négligé  le  principal  pour 
l'accessoire,  et,  chose  étrange!  c'est  par  cette  portion  surabon- 
dante de  son  livre  que  l'ouvrage  vivra,  si,  comme  je  le  crois 
fermement,  il  a  de  l'avenir.  Les  erreurs,  les  lacunes  regretta- 
bles qui  le  déparent  feront  bientôt  reconnoitre  que  les  faits 
biographiques,  les  jugements  qu'il  contient  ne  peuvent  être 
acceptés  qu'avec  réserve  et  après  vérification  ;  mais  un  lecteur 
sérieux  qui  voudra  lire  avec  finit,  approfondir,  comprendre 
Montaigne,  trouvera  dans  l'ouvrage  de  M.  Grûn  un  ensemble 
de  renseignements  qu'il  chercheroit  |)éniblement  aux  sources  : 
c'est  une  introduction,  une  préparation  utile  à  la  lecture  des 
Essais;  je  ne  sais  si  c'est  là  le  genre  de  succès  qu'a  ambitionné 
M.  Grûn,  mais  je  me  trompe  fort  ou  c'est  celui  qu'il  obtiendra. 
Mais  les  devanciers  de  M.  Grûn  ont  le  droit  de  se  plaindre 
qu'il  ne  leur  a  pas  suffisamment  rendu  justice  (1).  Il  n'a  pas 

(1 }  Jo  ne  sais  môme  pas  si  M.  Grûn  est  Juste  pour  ses  collaborateurs;  il 
dit,  au  sujet  de  la  protestation  faite  contre  la  réélection  de  Montaigne  • 
«  ScH  MBS  IIIDIC4TION8,  Vavi$  du  Cofueil  (FÉtat  et  U$  Letlres  patenle»  du 
t  roi  ont  été  trouvé*  aux  Archive*  de  la  ville  de  Bordeaux,  »   Jusqu'ici 


y 


578  BtU.EilN  DU  BIBLIOPHILE. 

apprécié  ce  qu'on  savoit  ou  plutôt  ce  qu'on  ne  savoit  pas  sur 
Montaigne ,  il  y  a  seulement  vingt  ans,  alors  qu'on  ignorait 
comment  étoit  figurée  sa  signature,  alors  qu'Aimé  Martin^ 
l'homme  spécial,  refusoit  un  volume,  parce  qu'il  portoit  au 
frontispice  Motaigne,  alors  qu'on  payoit  les  exemplaires  des 
Essais  autant  de  francs  qu'aujourd'hui  on  les  paye  de  fois  100  fr. 
Il  a  fallu  les  efforts  réunis  et  divers  de  MM.  Villemain,  Biot, 
Jay,  Victorin  Fabre»  Leclerc,  Droz,  Dutens,  Mazure,  Bourdic- 
Viot,  Naigeon,  Guizot,  du  Roure,  Vincens,  Johanneau,  Labbu- 
derie,  Amaury  Duval,  Gence,  et,  dans  un  autre  ordre  d'idées, 
les  recherches  de  MM.  Buchon,  Macé,  Jubinal,  Vieil- Gastel, 
d'Etcheverry,  Jouannet,  Delpit,  Lapeyre,  Brunet, Lamothe,  etc., 
pour  arriver  k  rassembler  une  somme  de  matériaux»  non  pas 
suffisante  pour  construire  la  biographie,  encore  impossible,  de 
Montaigne,  mais  pour  comprendre  la  nécessité  de  nouvelles 
recherches  et  apprécier  les  résultats  qu'elles  dévoient  produire. 
Dans  ces  conditions,  les  hommes  les  plus  scrupuleux  ont  dû  se 
tromper  souvent,  et  M.  Grùn  s'est  trop  complu  à  faire  l'histoire 
de  leurs  erreurs.  Séduit  par  des  richesses  apparentes,  M.  Grûn 
a  cru  que  le  moment  étoit  venu  de  les  mettre  en  œuvre; 
son  livre  prouve  qu'il  s'est  trompé.  Alors  qu'il  le  publioit,  les 
Éphémérides  de  Montaigne  venoient  en  montrer  les  erreurs  et 
les  lacunes  :  M.  d'Etcheverry  trouvoit  des  lettres  nouvelles  et  le 
complément  d'une  remontrance,  que  publioit  M.  Dosquct; 
plus  tard,  M.  Delpit  publioit  une  nouvelle  remontrance  bien 
plus  considérable  que  la  première;  le  regrettable  M.  Parison 
dotoit  le  monde  littéraire,  et  on  peut  dire  Montaigne  lui-même, 
d'une  admirable  page  ;  M.  Tross  nous  rapportoit  d'Allemagne 
un  volume  qui  constate  l'intimité  de  Montaigne  avec  Loisel.  Le 
moment  n'étoit  donc  pas  venu  d'entreprendre  une  œuvre  frappée 
de  caducité  avant  que  de  nattre. 
Pour  mon  compte,  je  puis  dire  que  la  dernière  année  m'a 

j'avois  cru  qiren  beaucoup  de  choses,  mais  surtout  quand  il  s*agit  des 
Archives  qui  lui  sont  confiées,  c*étoit  M.  d'Etcheverry  qui  donnoit  let  indi- 
catioM. 


BULLETIN    DU   BIBLIOPHILE.  579 

plus  appris  de  choses  nouvelles  que  les  dix  qui  Tavoient  précédée, 
et,  en  outre  des  renseignements  historiques  que  je  dois  surtout 
à  M.  Lapeyre,  des  notes  généalogiques  à  M.  de  Gazenave,  des 
renseignements  bibliographiques  et  philologiques  à  M.  Brunet, 
des  pièces  officielles,  des  actes  notariés  dont  je  dois  plus  de  50 
copies  ou  analyses  à  Tinfatigable  M.  Delpit,  je  sais  encore  plu^ 
sieurs  centaines  de  pièces  dont  le  dépouillement  est  à  faire  ;  en 
ce  moment  même  M.  le  vicomte  de  Gourgues  annonce  la  publi- 
cation de  plusieurs  de  ces  actes.  Quel  écrivain  pourroit  se  dé- 
cider k  entreprendre  une  biographie  sans  profiter  de  pareils 
matériaux  ?  G'est  donc  en  connoissance  de  cause  et  non  par  la 
négligence  dont  les  accuse  M.  Grûn,  que  les  admirateurs  de 
Montaigne  n*ont  encore  rien  entrepris  de  définitif. 

La  voie  que  M.  Grûn  vient  de  parcourir,  d'une  manière  plus 
brillante  qu'il  ne  semble  le  croire,  avoit  été  ouverte  avant  lui 
par Buchon, MM.  Macé^Jubinal, d'Etcheverry,  Vieil-Gastel, etc., 
qui  avoient  senti  le  vide  de  cette  partie  de  la  vie  de  Montaigne^ 
par  Jay,  qui  publioit  les  Avis,  les  croyant  Fœuvre  du  phi- 
losophe, par  Victorin  Fabre,  à  qui  le  rapporteur  du  concours 
de  1812  reprochoit  d'avoir  t  déparé  les  beautés  du  premier 
€  ardre  répandues  dans  son  ouvrage. ...  en  donnant  à  la  vie  pu- 
a  blique  de  Montaigne  plus  d'importance  que  l'histoire  ne 
«  V autorisait  à  y  en  attacher.  »  La  part  de  M.  Grûn  est  assez 
belle  pour  qu'il  ne  s'attribue  pas  le  mérite  de  l'initiative  qui  ne 
lui  appartient  pas  ;  ce  qu'il  appelle  la  vie  publique  de  Montaigne 
avoit  été  ébauché  avant  lui,  et  la  biographie  de  l'auteur  des 
Essais  reste  ^  faire  encore  après  M.  Grûn. 

D'.  J.-F.  PAYEN. 
Janvier  1856. 


580  BULLETIN   DU   BIBUOPHILE. 


CORRESPONDANCE  RÉTROSPECTIVE 


LETTRE  DE  CHARDON  DE  LA  ROCUETTE 
A  M.  Barbier,  Bibliothécaire  dd  Conseil  d'État. 

30  Messidor  an  xi  (19  Juillet  1803}  (1). 

Je  compte ,  mon  ancien  el  cher  confrère ,  partir  vers  la  (in 
de  la  semaine.  Vous  savez  qu'une  fièvre  opiniâtre ,  qui  m'a 
tourmenté  sans  relâche  depuis  mon  retour,  m'a  empêché  de 
suivre  ma  mission  pour  laquelle  vous  connoissez  mon  zèle. 
Heureusement  je  suis  débarrassé ,  depuis  environ  un  mois,  de 
celte  maudite  fièvre,  et  après  avoir  repris  haleine,  je  retourne 
à  mon  poste,  et  vous  prie  de  croire  que  je  réparerai  le  temps 
perdu ,  et  certes  perdu  malgré  moi. 

Vous  me  connaissez  actif  et  impatient,  lorsque  je  ne  puis 
travailler.  Je  vais  d'abord  à  Troyes,  afin  de  laisser  raffermir 
ma  santé  avant  de  descendre  dans  le  Midi  et  de  monter  ensuite 
dans  le  Piémont.  Je  trouverai  à  Troyes  les  manuscrits  du  pré- 
sident Bouhier,  que  je  demanderai  au  Ministre  de  faire  enlever 
en  masse,  en  lui  demandant  en  même  temps  la  permission 
d'emporter  avec  moi  ceux  qui  sont  relatifs  à  V Anthologie^  et 
ceux  qui  peuvent  améliorer  la  nouvelle  édition  des  Œuvres  de 
La  Monnoye,  que  je  me  propose  de  publier,  et  qui  est  prête 
depuis  longtemps,  comme  vous  savez.  Vous  avez  vu  que  dans 
l'exemplaire  in-^<>  de  l'édition  de  Dijon,  qui  a  passé  par  vos 
mains,  il  y  a  au  moins  cinquante  fautes,  l'une  portant  l'autre , 

(1)  Cette  lettre  nous  a  été  communiquée  par  M.  Louis  Barbier,  conaer* 
vaieur-administrateur  de  la  BibUothèque  du  Louvre. 


BULLETIN   DU   BIBUOPHILE.  581 

dans  chaque  page.  Vous  trouverez  dans  un  article  que  j*ai 
envoyé  au  Magasin  Encyclopédique,  et  qui  paroftra  par  les 
soins  de  notre  ami  Parison  lorsqu'il  plaira  à  Tami  Millin  de  le 
faire  insérer,  deux  bonnes  àneries  de  cette  édition  de  Dijon. 
Rétablissez ,  je  vous  prie ,  le  titre  d'une  imitation  de  Martial  : 
Crispulus  iste  quis  est,  au  lieu  de  Crispes  lusiîe  ? 

Dès  que  le  Ministre  de  Tlntérieur  sera  de  retour,  et  que  je 
serai  à  mon  poste,  je  lui  écrirai  pour  le  prier  de  faire  lever  la 
suspension  de  mon  traitement ,  et  de  me  faire  payer  l'arriéré  ; 
il  ne  voudra  pas  traiter  son  compatriote,  né  à  trois  lieues  de 
distance  de  sa  maison  paternelle ,  sicut  ethnicum  et  puhlica- 
Hum, 

Faites,  je  vous  prie,  mes  remercîments  sincères  au  citoyen 
Jacquemont  de  l'intérêt  qu'il  continue  de  prendre  à  moi.  Notre 
ancien  confrère  Le  Blond  et  vous,  vous  connoissez  Testime 
que  j'ai  toujours  faite  de  lui. 

Quant  au  propos  qu'on  m'attribue  sur  le  citoyen  Arnaull , 
il  est  si  béte  et  si  peu  vraisemblable ,  que  je  ne  sais  pas  com- 
ment un  homme  d'esprit  comme  lui  a  pu  y  croire  un  seul  mo- 
ment. Je  n'ai  jamais  offensé  personne,  ni  dans  mes  lettres,  ni 
dans  mes  écrits.  Lorsque  je  me  suis  permis  quelque  critique 
raisonnable,  j'ai  toujours  eu  pour  les  auteurs  les  égards  que  les 
gens  de  lettres  se  doivent,  et  ils  m'ont  tous  remercié.  Lié  avec 
les  principaux  savants  de  l'Europe  qui  cultivent  le  même  genre 
d'étude ,  je  suis  honorablement  cité  dans  leurs  écrits.  Quand 
un  rival  dit ,  en  parlant  d'une  édition  grecque  de  l'Anthologie  : 
Eo  ipso  tempore  quo  prolegomena  nostra  prodibant,  primus 
docuit  vir  doctissimus  Chardon  de  La  Rochette,  qui  cum  vastà 
rariorum  librorum  et  universiB  litterarum  historiœ  exquisitâ 
tognitionc  eximiam  grcecœ  eruditionis  conjungit  scientiam 
(Jacobs,  Comm.  in  Ànthol.  gr.,  vol.  2,  pars  2*;  prtef.  pag.  111, 
1800),  quand  un  rival,  dis-je,  s'exprime  ainsi,  après  le  compte 
que  j'avois  rendu  de  l'un  de  ses  ouvrages ,  et  qui  étoit  sévère 
^nsétre  ni  amer  ni  offensant,  comment  me  serois-je  permis  un 
propos,  tel  que  celui  qu'on  me  prête,  sur  un  homme  que  je 


582  BULLETIN    DU   BIBUOPHILE. 

n'ai  jamais  counu ,  mais  recommandé  depuis  longtemps  à  Tes- 
time  publique  par  son  talent  poétique,  et  par  Famitié  du  Pre- 
mier Consul. 

Salut  et  longue  amitié , 

Chardon  de  La  Rochette  (1). 


VARIÉTÉS  BIBLIOGRAPHIQUFS 

* 

Nous  avons  déjà  annoncé,  dans  le  Bulletin,  qu'une  nouvelle 
société  de  Bibliophiles,  composée  d'Anglois  et-de  François,  s*é- 
toit  constituée  à  Londres  sous  le  titre  de  Philobiblon  ;  nous  avons 
même  cité  quelques  noms.  Nous  parlerons  aujourd'hui  d'un  ou- 
vrage écrit  par  l'un  des  membres  de  cette  société,  et  récemment 
imprimé  en  Angleterre.  Peu  d'amateurs  posséderont  ce  livre, 
qui  n'a  été  tiré  qu'à  cinquante  exemplaires  ;  il  est  donc  urgent 
que  nous  en  rendions  compte  à  nos  lecteurs,  avant  qu'il  ne  soit 
devenu  aussi  rare  que  les  opuscules  qu'il  reproduit.  En  voici  le 
titre  ;  De  la  littérature  macaronique ,  et  de  quelques  raretés  6i- 
bliographiques  de  ce  genre,  par  Octave  Delepierre.  L'auteur 
n'en  est  point  à  son  coup  d'essai  ;  on  connoit  ses  Mélanges  de 
littérature  macaronique.  1852,  1  vol.  in-8.  Nous  savions 
donc,  par  avance,  que  cette  nouvelle  dissertation  contiendroit 
de  curieux  aperçus  sur  ce  genre  de  poésie  ;  mais  nous  ne  nous 
attendions  pas  à  y  trouver  le  texte  des  macaronées  les  plus  rares. 
C'est  une  bonne  fortune  pour  les  élus  qui  prendront  part  à  la 
distribution  du  très  petit  nombre  d'exemplaires  livrés  au  com- 
merce. 

M.  Delepierre  a  fait  ainsi  réimprimer  le  Prosteidos,  et  une 
Ode  sur  le  professeur  Monro,  macaronées  à  base  angloise  ;  la 

(1)  On  trouve  plusieurs  autres  lettres  de  Chardon  de  La  Rochette  à 
M.  Barbier,  dans  le  Bulletin  du  Bibliophile,  m*  série,  page  617  et  vu*  série, 
page  31. 


BULLETIN   OU   BIBUOPHILE.  583 

Maeharmea,  de  Tisi  Odassi,  à  base  italienne;  la  Cagasanya 
Reistrosuyssolansqnettorum,  à  base  françoise.  a  En  offrant  éga- 
a  lement  ce  poème  aux  membres  de  la  société  des  Philobiblon, 
«  nous  croyons  avoir  remis  en  lumière  quatre  des  plus  grandes 
a  raretés  bibliographiques  du  genre.  »  L*auteur  signale  ensuite, 
comme  étant  fort  peu  connus,  deux  poèmes  macaroniques  à  base 
angloise,  Tun  Sur  les  chemins  de  fer,  et  l'autre  Sur  la  mort  du 
grand  serpent  de  mer.  11  regrette  de  n'avoir  pu  découvrir  un 
seul  exemplaire  du  Carmen  Arenaïcum,  de  Du  Monin,  et  de 
VHistoria  bravissima,  de  J.  Germain;  il  auroit  désiré  en  publier 
quelques  passages.  M.  Delepierre  reproduit  encore  le  texte  com- 
plet du  poème  de  Frey,  intitulé  :  Recitus  veritahilis  super  terri- 
hili  esmeuta  paysanorum  de  Ruellio,  Cette  pièce,  considérée 
comme  Tune  des  meilleures  macaronées,  est  tellement  rare  que 
FoD  n'a  pu  en  citer,  jusqu'à  ce  jour;  que  des  vers  détachés. 
Enfin,  dans  les  Addenda,  on  trouve  la  Macaronùe  inédite,  pu- 
bliée par  M.  Desbarreaux-Bernard,  et  un  passsage  de  VUnio, 
seu  lamentatio  Hibernica,  sanglante  critique  contre  le  ministre 
Pitl,  avec  une  Ode  satirique  sur  le  poète  Peter  Pindar. 
11  étoit  difficile  de  réunir,  en  quarante  feuillets,  un  plus  grand 

nombre  de  raretés. 

A  p.  B. 


NOUVELLES. 

Le  18  février,  on  a  commencé  la  vente  de  la  bibliothèque 
de  H.  Duplessis,  et  le  25,  celle  de  la  bibliothèque  de  M.  Pari- 
son.  Dans  un  prochain  numéro  du  Bulletin,  nous  parlerons  de 
ces  deux  catalogues,  qui  renferment  quelques  indications  biblio- 
graphiques, aussi  curieuses  qu'intéressantes.  Nous  nous  borne- 
rons aujourd'hui  à  signaler  la  notice  biographique  de  M.  Pa- 
rison,  écrite  par  M.  Charles  Brunet,  l'auteur  du  Mcaïuel  du 
Libraire. 


58&  BITLLETIN   DU   BIBLIOPIIILB. 

•—  M.  Paul  Lacroix  (Bibliophile  Jacob)  a  été  nommé  à  la 
Bibliothèque  de  l'Arsenal. 

—  M.  Prosper  Blanchemain ,  bibliothécaire  adjoint  au  mi- 
nistère de  Fintérieur,  vient  d*étre  nommé  membre  deh  Société 
des  Bibliophiles  françois, 

—  Le  23  février,  on  a  vendu  à  Londres  une  collection  de 
pièces  autographes,  parmi  lesquelles  on  remarquait  douze  pages 
in-folio  écrites  par  Torquato  Tasso  ;  une  charte  originale  de 
Guillaume  le  Conquérant,  avec  le  sceau  parfaitement  conservé; 
des  notes  autographes  de  J.  Milton,  écrites  sur  les  marges  d*un 
manuscrit  des  Pastorales  de  Browne,  des  instructions  auto- 
graphes de  Fénelon,  adressées  à  Tabbé  de  Ghanterac  à  Rome, 
pour  servir  à  sa  défense  contre  les  accusations  de  Bossuet  ; 
quelques  lettres  intéressantes  du  général  Wolfe  ;  une  lettre 
autographe  du  poète  Gowper;  une  lettre  officielle  sur  Taccident 
dont  Olivier  Gromwell  faillit  être  victime,  en  conduisant  lui- 
même  sa  voiture,  etc.... 

—  On  a  vendu  également  à  Londres,  le  26  février  et  les 
quatre  jours  suivants,  une  collection  de  livres  fort  remarquables, 
tant  par  le  choix  des  éditions  que  par  la  beautc"^  des  exemplaires 
et  la  richesse  des  reliures,  exécutées  par  Derome,  Thouvenin, 
Roger  Payne,  Wallher,  Lewis,  Glarke  et  autres  artistes  émi- 
nenls.  Nous  citerons  seulement  les  ouvrages  suivants  :  les  œu- 
vres d'Homère,  édit.  Foulis,  grand  pap.,  gravures  de  llollar, 
Lombart ,  etc. ,  h  vol.,  mar.  rouge,  tr.  dor.  ;  —  les  œuvres  de 
Platon,  édit.  par  J.  Serrani,  3  vol.,  grand  pap.,  mar.  rouge, 
tr.  dor.  (R.  Payne);  —  Xénophon ,  édit.  par  A  Leunclavius, 
2  vol.,  grand  pap.,  mar.  rouge  (R.  Payne);  —  Apulée,  avec 
les  rares  gravures  de  Marc  Antonio;  —  les  œuvres  de  Gicéron, 
édit.  par  J.  d'Olivel,  9  vol.,  mar.  rouge;  —  Histoire  naturelle 
d'Edward,  avec  les  suites,  7  vol.,  pi.  coloriées;  -  Lexicon  de 
Facciolati,  2  vol.;  —  Dictionnaire  de  Johnson,  par  Todd, 
Ix  vol.  ;  —  les  Oiseaux  de  la  Grande-Bretagne,  par  Latham,  9  vol. , 
pi.  color.  par  Miss  Stone,  mar.  vert,  doublé  de  soie,  tr.  dor. 
(Walther);  —  portraits  de  Lodges,  12  vol. ,  grand  pap.  ;  —  Métas*- 


BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE.  585 

(y  12  vol.,  grand  pap.,  vieux  cuir  de  Russie  doré;  —  His- 
toire d'Angleterre,  de  Rapin,  15  vol.,  grand  pap.,  mar.  citron, 
tr.  dor.  (Derome)  ;  —  les  Oiseaux  de  la  Grande-Bretagne  et  fables, 
par  Bewick ,  3  vol  ,  grand  pap.  ;  —  le  Magazin  de  Blackwood, 
complet  depuis  l'origine  ; — les  Conteurs  anglais,  avec  les  suites, 
62  vol.  ;  —  les  œuvres  de  Dryden ,  avec  sa  vie,  par  W.  Scott , 
18  vol.; —  Hérodote,  avec  les  notes  de  J.  Schweigbœuser, 
7  vol.,  grand  pap.,  mar.  bleu  (Lewis);  —  l'Iliade  d'Homère, 
édit.  par  C.  G.  Heyne,  8  vol.,  pap.  de  Hollande,  cuir  de  Russie, 
tr.  dor.  ;  —  œuvres  de  Johnson,  parGiiïord,  9vol.  ;  —  les  Poètes 
anglais,  avec  leurs  vies,  par  A.  Ghalmers,  21  vol.,  mar.  bleu; 
—  les  œuvres  de  Pope,  19  vol.,  grand  pap.,  mar.  vert;  —  les 
œuvres  de  Pope,  avec  sa  vie,  par  W.  Roscoe,  10  vol.,  cuir  de 
Russie,  tr.  dor.;  —  œuvres  de  Racine,  7  vol.,  magnifique  édi- 
tion, avec  les  cartons,  veau  doré;  •— Waller  Scott,  48  vol., 
mar.  vert;  théâtre  de  Shakspeare,  21  vol.,  mar.  rouge,  tr. 
dor.  (Walther)  ;  —  les  œuvres  de  Spenser,  par  Todd,  8  vol.  ;  — 
Voltaire,  œuvres  complètes,  par  Beaumarchais,  70  vol. ,  grand 
papier, tr.  dor.,  etc.... 

—  Le  17  mars  prochain  et  jours  suivants,  aura  lieu,  à  Paris, 
la  vente  des  livres  composant  la  bibliothèque  de  M.  J.  L.  H...k, 
de  Lille.  On  lit  dans  la  préface  du  Catalogue  :  a  Ce  n'est  pas 
ici  une  de  ces  collections  grandioses  et  riches  comme  celles  qui 
ont  passé  sous  nos  yeux  depuis  quelques  années.  Point  de  ro- 
mans de  chevalerie,  quelques  incunables,  quelques  heures  go- 
thiques ,  un  petit  nombre  de  livres  imprimés  sur  vélin  ;  mais, 
en  revanche,  une  assez  grande  quantité  de  livres  curieux,  d'une 
condition  irréprochable,  tant  intérieure  qu'extérieure,  et  tous, 
autant  que  possible,  dans  leur  reliure  primitive.  11  se  trouve 
néanmoins  dans  cette  collection  un  grand  nombre  de  volumes 
riches  sous  le  rapport  de  leur  reliure  ancienne,  et  sans  nous 
arrêter  aux  maroquins,  nous  pourrions  en  citer  qui,  couverts 
du  simple  veau  fauve,  sont  bien  dignes  de  l'estime  des  connais- 
seurs. x>  Cette  citation  suffira  pour  donner  aux  amateurs  une 
idée  exacte  de  l'ensemble  de  la  collection  qui  sera  bientôt  sou- 


586  BULLETIN  on   BIBUOPHILE. 

mise  aux  enchères.  Nous  ajouterons  que  le  Catalogue  forme  an 
volume  de  340  pages,  et  contient  2,{|89  articles.  La  table  des 
divisions  est  suivie  des  fac-similé  de  quatre  reliures  fort  curieuses 
aux  chiffres  de  François  I",  d'un  membre  de  la  famille  royale 
au  temps  de  Charles  IX ,  de  Sully,  de  Louis  XIII  et  d* Anne 
d'Autriche.  Nous  croyons  être  agréables  à  nos  lecteurs,  en 
ajoutant  à  cette  livraison  du  Bulletin  les  fac-similé  que  nous 
venons  de  citer. 

Les  volumes  aux  armes  sont  nombreux  dans  la  bibliothèque 
de  M.  H***.  Nous  indiquerons  seulement  les  armes  de  Henri  III, 
de  Louis  XIV,  de  Philippe  V,  de  madame  de  Maintenon,  de 
madame  du  Barry,  de  Gaston  d'Orléans,  du  comte  de  Toulouse, 
d'Henriette  d'Angleterre,  de  Condé,  du  prince  Eugène»  de 
Mazarin,  Richelieu,  Colbert,  Fouquet,  le  cardinal  de  Fleury, 
de  Thou,  Huet,  Bossuet,  Samuel  Bernard,  Mirabeau ,  etc. 

Plusieurs  articles  de  ce  Catalogue  proviennent  des  célèbres 
bibliothèques  de  Grolier,  de  Girardot  de  Préfond,  du  comte 
d'Hoym,  du  duc  de  La  Vallière,  de  la  comtesse  de  Verrue,  de 
Ch.  Nodier  et  de  la  Malmaison. 

Parmi  les  livres  imprimés  sur  vélin,  on  remarque  les  Mùr- 
ceaux  choisis  de  Massillon ,  les  œuvres  de  Demoustier,  les 
poésies  de  Clotilde  de  Surville,  le  Temple  de  Gnide^  les  Cou-- 
tûmes  de  la  ville  d' Ypres,  le  Sicge  de  Metz,  thc  Vicar  of  Wake- 
field^  etc. 

Nous  pourrions  encore  signaler  des  manuscrits  sur  vélin  ornés 
de  miniatures,  des  autographes  de  Chifilet,  de  Babœuf ,  du  ma- 
réchal Ney,  des  dessins  originaux  de  Guérin,  de  Moreau,  d'Hu- 
bert, de  Queverdo,  do  Saint-Aubin,  de  Fragonard;  mais  nous 
croyons  en  avoir  dit  assez  pour  exciter  la  curiosité  des  ama- 
teurs, et  certes  ils  trouveront  dans  cette  vente  un  grand  nombre 
d'articles  dont  la  possession  leur  sera  vivement  disputée. 


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BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE 

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CATALOGUE   DE   UVRES   RARES   ET   CURIEUX    DE  LITTÉRATURE, 
D*HIST01RE,    ETCf   QUI   SE   TROUVENl    EN    VENTE 
A   LA   UBRAIRIE   DE   I.    TEGHENBR, 
PLAGE    DU    LOUVRE,    20 


JANVIER  ET  FÉVRIER.  —  1866. 


298.  Almanach  perpétuel  d'amour,  selon  les  observatioos 
astronomiques  de  Cupidon,  diligeamment  supputé  et 
réduit  au  méridien  du  cœur,  par  JoUy  Passionné....  A 
rislt  t  Adonis^  par  Fidelle  Soupirant^  àlaruèdes  Belles, 
àl'er^eigne  de  Vénus.  (floU.),  1681,  pet.  in-12,  réglé, 
mar.  vert,  fil.  non  rogné.  (Traut%'Bauxonnet.)     75  —  » 

Rare  en  cette  condition.  Sdpbabs  b&bmplairb  ;  reliure  à  la  roue. 

209.  Antechristus,  pet  in-Â  de  22  feuill.,  goth.,  fig.  en 
bois »  -» 

M.  Brunet  {Manuel,  tom.  iv,  p.  538)  décrit  ainsi  cette  pièce  rarissime  : 
K  Turjrismma  (de!  coneeptione,  naiiintate  et  aliis  pnesagiis  diabolim 

•  ilUuê  pemmi  Aomtntf  Antichriiti.  (Paris,  Michel  Le  Noir,  absque  anno), 
«  pet.  in-4*,  goth.  à  3  col.  Sign.  a— e. 

«  Ce  volume    renferme  des  gravures  en  bois  qui  remplissent  toute  la 

•  page,  et  sont  accompagnées  d'explications  en  vers  françois.  Au  ver$o  du 

•  4*  et  dem.  f.  du  cab.  e  se  voit  la  marque  gravée  de  Mich.   Le  Noir, 
«  imprimeur  de  Paris,  de  1407  à  1520. 

Cette  description  est  exacte  ;  mais  Je  dois  faire  observer  que  le  titre  De 
îurpimma  concepiùme,  etc.,  est  celui  du  chapitre  qui  se  trouve  au  3*  feuillet, 
ft  non  de  Touvrage  entier  ;  et  nou?»  i^outerons  k  la  description  de  ce  livret, 


588  BULLETIN   DU    BIBLIOPHILE, 

presque  introuvable,  qu'il  se  compose  de  3S  feuiUetB,  dont  6  pour  \t  cahier 
A  et  &  ^ûr  chacun  des  cahiers  B,  C,  D  et  E. 

Les  vers  fraoçois  qui  se  trouvent  dans  cet  opuscule  le  font  placer  par 
M'  Brunet  au  N*  13,613  de  !a  table  de  son  Manuel^  parmi  les  poètes  pos- 
térieurs à  Villon  et  antérieurs  à  Marot  ;  on  peut  également  le  catalo- 
guer parmi  les  livres  à  figures  du  Nouv.  Testament,  immédiatement  après 
le  No  387. 

La  marque  de  Mich.  Le  Noir,  placée  au  verso  du  dernier  feuillet,  est  re- 
produite à  la  pag.  413  du  2*  vol.  du  même  Manuel. 

Eusèbe  Castaigne,  Biblioth.  d'Ange. 

Pour  compléter  cette  description,  nous  dirons  que  chaque  feuillet,  à 
l'exception  du  premier  et  du  dernier,  renferme  une  gravure  sur  le  verso 
et  Texplication  sur  le  recto  ;  celles,  imprimée  à  2  colonnes,  est  en 
prose  latine,  et  suivie  d'un  résumé  en  huit  vers  françois.  La  figure 
de  TAntechrist  est  placée  sur  le  recto  et  sur  le  verso  du  premier 
feuillet,  et  répétée  sur  le  verso  du  2*  feuillet,  avec  cette  inscription  :  Imag. 
figura,  seu  répreunlatio  Antichrisli  :  pessimi.  Apocu  XIII  Cp,  Le  recto  du 
dernier  feuillet  est  entièrement  rempli  par  une  petite  pièce  en  prose  fran- 
çoise,  dont  voici  le  titre  :  Sensuyuenl  les  quinze  signes  precedens  le  Umr  du 
grant  iugement  de  dieu  nostre  créateur.  Enfin,  sur  le  tferso  on  trouve  la 
marque  de  Michel  Le  Noir. 

300.  Antibalbiga  vel  (si  mauis)  Recriminatio  tardiuia- 
na.  {Recognitum  est  hoc  optis  per  erudiiissimum  virum  Pc- 
trum  Botilerium.  Impressum  summa  eum  diligentia  cAa- 
ractertims  parisiaeis^  impensis  Antanii  CaijfUaut.  Anno  a 
natali  Christi  1A95,  die  21  julii),  1  vol.  in-&,  gotli.,  mar. 
rouge,  fil.,  tr.  dor 90 — » 

Guillaume  Tardif,  né  vers  1640,  au  Puy  en  Velay,  professa  les  bdles- 
leitres  et  l'éloquence  au  collège  de  Navarre,  pendant  plus  de  vingt  ans. 
Charles  VIII,  qui  l'honoroit  d'une  afTection  particulière,  le  nomma  son  lec- 
eur  ordinaire.  Les  succès  de  Tardif  et  sa  vanité  lui  suscitèrent  quelques 
nimitiés.  Jérôme  Baibi,  professeur  d'humanités  dans  l'Université  de  Paris, 
depuis  le  5  septembre  1689,  après  avoir  écrit  l'éloge  de  Tardif  en  prose  et 
en  vers,  devint  l'ennemi  de  ce  célèbre  rhéteur.  Ses  premières  invectives 
n'eurent  pour  lui  qu'un  résultat  humiliant.  D  fut  obligé  de  se  rétracter,  de 
faire  des  excuses,  de  Jurer  qu'il  n'écriroit  plus  contre  son  collègue,  et  d*en 
prendre  l'engagement  par  acte  notarié.  BaIbi  viola  bientôt  ces  promesses 
solennelles,  et  composa  une  satire  violente,  intitulée  Rhetor  glortosus. 
Tardif  ne  vouloit  pas  lui  répondre.  Mais  son  adversaire  commit  l'impru- 
dence de  se  brouiller  avec  d'autres  savants,  et  spécialement  avec  Faustus 
Andrelinus.  Celui-ci  excita  Tardif  à  se  défendre,  et  fit  exercer  une  active 
surveillance  sur  la  conduite  privée  du  professeur  italien.  Ses  mœurs  furent 
promptement  décriées  ;  on  découvrit  même  qu'il  se  rendoit  coupable  de 


BULLETIN    DU    BIBUOPBILE.  689 

crimm  dignes  du  feu.  Effrayé  des  dangers  qui  le  menaçoieol,  Balbi  quitta 
Paris  en  toute  hAte,  et  se  réfugia  en  Angleterre.  VAntibalbka  est  la  ré- 
ponse de  Tardif  au  Rhetor  yloriotui.  Cette  satire  personnelle  est  fort  inté- 
rewsnte  par  les  erreurs  grammaticales  et  le  mauvais  emploi  de  certains 
mots  que  Tauteur  rclèYe  dans  les  ouvrages  de  Ealbi. 

L'éditeur  a  fait  suivre  VAntibalbica  de  deux  pièces  sur  le  même  sujet. 
L'une,  en  prose  et  en  vers  latins,  a  pour  titre  :  Balbo  ab  urbe  parisea  fiu 
gienti  Publius  Faïutm  Andreliniu  foroliuiensis poeta.  L'autre  est  une  lettre 
adressée  par  un  élève  de  G.  Tardif  à  J.  Trithème,  abbé  de  Spanheim, 
pour  lui  reprocher  les  éloges  qu'il  avoit  prodigués  à  J.  Balbi. 

Nous  ferons  observer  que  du  Boulay  a  écrit  mal  à  propos,  dans  son  Hip- 
têirt  ie  rUnivenité  de  Paru,  que  J.  Balbi  s'enfuit  de  Paris  en  l&Od,  puis- 
que l'opuscule  de  F.  Andrelinus  De  fuya  BaUn  ex  urbe  parina  fut  imprimé 
es  1404,  et  qu'il  est  reproduit  dans  VAntibalbica^  imprimé  en  1405. 

Ce  livre  est  d'une  grande  rareté  :  les  bibliographes  qui  l'ont  cité  en  ont 
donné  le  titre  d'une  manière  inexate.  Ce  n'est  cependant  que  la  seconde 
édition  de  cet  ouvrage.  En  voici  la  preuve  :  on  lit  dans  le  Dictionnaire 
kmtorique  de  Prosper  Marchand,  t.  ii,  p.  267  :  •  Dans  la  Bibliotheca  ielectii- 
«  9ima^  Amttelodami  apud  P.  Mortier,  mense  novembri  47 k3 ,  diêirahenda, 
«  on  trouve  ce  titre  bien  plus  long,  et  assez  différent,  en  ces  termes  : 
«  Ànti-Balbica^  S.  Anti-Accelina,  S,  Guillermi   fardmi,   Aniciemis,  in 

•  Bëibum,  imo  AceeUnum,defen9io  Anti-Balbica  in  Gerronnifmum  Barbarum , 
«  famotum  doctorem  bonorum  Tardini  Aniciensi$  detractorem^responiio, 

•  où  il  semble  que  le  titre  soit  double  et  répété,  et  les  mots  de  Gerrony^ 
«  nm$  et  de  Barbana  corrompus  à  dessein.  A  cela  on  ajoute  que  cette 
«  mmeienne  éditi9n  parOlt  6tre  de  1400.  Y  en  auroit-il  eu  deux  éditions, 
«  ruoe  datée  et  l'autre  sanft  date  ?  Quoi  qu'il  en  soit,  cet  Anti  est  inconnu 

•  à  M.  Baillet.  » 

81  P.  Marchand  avoit  eu  sous  les  yeux  l'édition  de  1405,  il  auroit  résolu 
la  question  affirmativement.  En  effet,  dans  la  dédicace,  l'éditeur  Petrut 
BotiUrius  dit  qu'il  a  lu  avec  plaimr  la  Recriimnatio  tardiviana,  mais  qu'il 
m  été  wrpris  de  trouver  dam  ce  Uirre  un  si  grand  nombre  de  fautes  gros- 
sières, qui  sont  le  résultat  de  la  néghgeiue,  eu  plutôt  de  l'ignorance  de 
Cimprimeur.  Cest  pourquoi  il  a  voulu  les  corriger  dans  une  nouvelle  édi- 
tion, afin  que  cet  ouvrage,  où  brilleni  Vesprit  et  la  science  de  l'auteur,  puisse 
être  utile  aux  jeunes  gens  qui  fréquen'mt  les  écoles,  11  est  donc  certain 
qu'il  y  a  eu  une  édition  de  VAntibaibica  antérieure  à  celle  de  1405  ;  mais 
nous  ne  pouvons  lui  conserver  la  date  de  1400.  Elle  a  dû  être  publiée 
vers  1403. 

Quant  au  titre,  qui,  selon  P.  Marchand,  sewMe  double  et  répété,  nous  le 
considérons  comme  triplé.  Dans  l'édition  de  1405,  la  r*  partie,  Antibal- 
Mca,  parott  seule  sur  le  titre  avec  l'addition  Vel  (si  mauis)  reerimitutiio  Tar- 
imittna;  la  3*  partie,  Guillermi  Tardini....  <fe/eiuto,  est  sur  le  premier 
teiOet;  la  3*  partie,  Antibalbica  in  ,..  responsio^  se  trouve  au  verso  du 
10*  feuillet  L'altération  des  mots  Tardini,  Gerronymum,  Barbarum  doit 
toe  attribuée  à  la  négligence  de  l'imprimeur. 


590  BULLËTil^   DU   filBUOPHILE. 

301 .  AuREA  SGOLARiUM  pharetra  tripartitam  syllabarum 
luculentissime  complectens  quantitatem  et  gnarisiocuD- 
da  et  igoaris  ad  congruam  dictionum  promuIgationeiD 
quam  utilissima.  Auguste^  per  Joh.  Frosebauer^  1502, 
1  vol.  pet.  in-4  de  48feuill.,  caract.  semi-goth.     86 — » 

Cette  rare  et  ancienne  prosodie  latine  avoit  été  commencée  par  un  moine 
de  l'abbaye  de  Saint-Pierre  de  Saltzbourg,  nonmié  Rudbert.  Un  autre 
moine  de  la  même  abbaye  mit  en  ordre  les  notes  recueillies  par  Rudbert, 
acheva  rœuvre  et  la  fit  imprimer  pour  servir  à  l'instruction  des  écoliers. 
On  trouve  ces  détails  dans  la  dédicace  adressée  à  Dom  Virgile,  abbé  de 
Saitzbourg,  et  dans  l'avis  au  lecteur,  qui  précèdent  le  texte  de  la  prosodie. 
Le  titre  est  orné  d'une  gravure  sur  bois,  représentant  un  moine  qui  instruit 
des  enfants.  On  lit  sur  une  banderolle  qui  se  déroule  au  milieu  de  la  grar 
vure  :  Accipies  tanti  doctoris  hoc  matasancli.  Ce  dernier  mot  est  peut- 
être  le  nom  de  l'auteur. 

302.  Catholicon  (le)  de  la  basse  Germanie  ;  satire.  Co- 
logncy  P.  Marteau^  1731, 1  vol.  in-8 » — » 

Rare.  —  Le  Calholicon  contient  18  satires  et  deux  poèmes  satiriques. 
L'auteur  a  dédié  son  œuvre  au  comte  de  SinzendorflT,  grand-chancelier  de 
l'Empereur  ;  mais  il  n'a  point  signé  la  dédicace.  Aussi,  son  nom  noua 
est-il  inconnu.  Nous  pensons  qu'il  a  gardé  l'anonyme,  parce  que,  dans  ses 
satires,  il  attaque  violeounent  certaines  classes  de  la  société  qu'il  étoit 
dangereux  de  critiquer.  Les  moines,  les  abbés;  les  chanoines,  les  avocats, 
les  Juges,  etc.,  sont  rudement  maltraités. 

Voici  les  seuls  renseignements  que  uous  ayons  pu  découvrir  sur  l'auteur. 
Il  étoit  né  dans  la  Flandre  autrichienne,  et  y  résidoit  en  1731. 

Pour  une  guerre  nouvelle 

Chaque  été  chez  leurs  voisins 

Nos  ayeux  cherchoient  querelle 

Et  ravageoient  leurs  confins  ; 

Mais  depuis  que  protégée 

La  Flandre  fut  agrégée 

Aux  États  de  deux  grands  rois. 

Nos  peuples  toujours  extrêmes 

Ne  s'arment  contre  eux-mêmes 

Que  pour  de  nouveaux  exploits. 
Notre  poète  étoit  un  ancien  officier,  noble  et  disgracié. 
Mais  moi,  toujours  en  butte  à  des  désirs  nouveaux. 
Par  quels  pénibles  soins,  par  combien  de  travaux, 
N'ai-Je  point  essayé,  dès  ma  tendre  jeunesse. 
Au  péril  de  mes  Jours,  d'enter  sur  ma  noblesse 
lies  titres,  les  honneurs  (équivoque  présent) 


BUIXETIN  OU  BIBLIOPHII^.  5Pl 

Dont  le  Diea  des  combats  nous  flatte  en  Tieillissaot  ! 
G>nteDt  de  mes  emplois,  déjà  siir  le  rivage 
Je  croyois  ma  fortune  à  Tabri  de  Torage, 
Victime  d*un  parti,  violent,  emporté, 
Longs  arrérages  dus,  pension,  dignité. 
Un  seul  Jour  m'enleva  le  fruit  de  mes  services. 
Il  avoit  fait  campagne. 

Au  lieu  que  si  parfois,  en  montant  la  tranchée, 
n  falloit  qu'à  mon  corps  ma  chemise  attachée 
Attendit  pour  sécher  que  le  soleil  bût  Teau 
Qui  Jusqu'au  Jour  naissant  avoit  trempé  ma  peau. 
Je  rentrois  au  quartier,  plus  défait  et  plus  blême 
Qu'un  cordelier  novice  à  la  fin  du  carême. 
Enlln,  il  composa  ces  satires  à  l'âge  de  68  ans. 

L'astre  du  Jour  a  soixante  et  huit  fois 

Renouvelé  le  printemps  dans  nos  bois. 

Depuis  que,  triste  habitant  de  la  terre, 

Tantôt  comblé  des  honneurs  de  la  guerre. 

Tantôt  errant  dans  le  sacré  vallon, 

Je  ne  pensois  loin  de  Mars,  d'Apollon, 

Qu'à  profiter,  dans  un  séjour  tranquille. 

Du  peu  de  jours  que  la  Parque  me  flle. 

Les  vers  que  nous  venons  de  citer  nous  dispensent  de  parier  du  style 
et  du  talent  poétique  de  l'auteur. 

8o3.  ChroDoLogla  saCra  eXCerpta  eX  CLarIs  senten- 
tlls,  soLIs  teXtIbVs  DIVInl  GodICIs. 

assignans  Varias  séries,  annVa  spatia,  obVIas  teX- 
tVras,  annosqVe  Inltos  saeCVLI  DeCIMl  nonl. 

serVIens  DIVersIs  oCCasIonIbVs,  InsCrIptIonIbVs, 
ConClonlbVs ,  operlbVs  Vel  pVbLICIs,  VeL  prlVA- 
lis,  pro  CViVSCVnqVe  seV  genio,  seV  Ingenio  aC 
pLaClto.  Augustœ  Vindel ,  1801,  in-12,  cart.,  non 
rogné 12 — » 

Très  rare.  —  Cette  Chronologie  iaerée  est  un  des  livres  les  plus  singu- 
liers qui  aient  été  composés  dans  le  \i\«  siècle.  On  y  reconnolt  la  patience 
et  la  ténacité  allemandes.  Que  de  temps  il  a  fallu  perdre  pour  faire  subir 
ane  si  bizarre  transformation  à  dix  mille  versets  de  l'Écriture  Sainte  ! 

Toutefois,  le  lecteur  doit  se  trouver  heureux  que  les  guerres  de  l'époque 
et  let  fraie  d'impression  aient  contraint  l'auteur  à  resserrer  son  travail 
dans  des  limites  plus  restreintes,  et  à  publier  seulement  ),500  verseu  au 
Heu  des  10,000  qu'il  avoit  préparés.  Chaque  année  du  xii«  siècle,  inscrite 


592  BULLETIN    DU    B1BU0PHILE. 

en  petites  eapitalesyesx  accompagnée  de  25  yeraets  formant  25  anagrammeft 
numériques  de  Tannée  sous  laquelle  ils  sont  placés.  Le  tiire  du  livre, 
divisé  en  trois  paragraphes,  fournit  encore  trois  anagrammes  nomériquet 
de  Tannée  1801.  A  quel  usage  peut  servir  ce  volume?  Quel  but  s'est 
proposé  Tauteur?  Nous  répondrons  à  ces  questions  en  dtant  le  der- 
nier paragraphe  du  titre  :  ServUns  divenU  oceasionibu»,  imietiptumUmi^ 
eondonibusy  operibus  vel  publicis^  vel  privatis,  pro  cîyuseumque  seu  ge$ùù, 
uu  ingenio  ac  placito.  C'est-^Miire  :  Ami  lecteur,  fais  de  ce  recueil  tel  usage 
qu*il  te  plaira.  Quelques-uns,  profitant  du  droit  que  leur  a  concédé  Tauteur, 
ont  cru  voir  dans  cette  Chronologie  sacrée  une  série  de  prophéties.  Cette 
hypothèse  nous  sourit.  Il  ne  manque  plus  qa*un  Bareste  pour  expliquer 
le  livre.  En  attendant,  nous  préférons  Nostradamus  :  les  Centuries  sont 
moins  obscures. 

30A.  Ghytraei  iDavidis).  Chronicou  Saxoniae  et  vicini  or- 
bis  Arctoi.  Pars  prima,  ab  an.  Ghr.  1500  usque  ad  an. 
1Ô2A  ;  cum  indice. — Pars  secuuda  ab  an.  152i  usque  ad 
an.  15A9.  Praemium  metropolis,  seu  successionis  épis- 
coporum  in  ecclesiis  Saxoniae  et  Vandaliœ  veteris  Cathe- 
dralibus  vîginti,  ab  an.  Ghr.  1500  usque  ad  nostram  œta- 
tem.  RostochiU  Steph.  Myliander.  1590,  1  vol.  pet.  in-S 
d'environ  1,300  pages,  vél n  —» 

David  Chytrmus,  dont  le  véritable  nom,  suivant  Crenius,  étoit  Kochbaff, 
naquit  dans  le  Wurtemberg,  vers  1524,  et  mourut  à  Rostoch,  le  25  Juin  1600. 
Fils  d'un  ministre  luthérien,  il  devint  le  disciple  de  Melanchton.  A  T&ge  de 
vingt  ans,  il  fut  nommé  professeur  d'Écriture  Sainte,  dans  Tacadémie  de 
Rostoch.  11  conserva  cet  emploi  jusqu'à  sa  mort.  Juste  Lipse  et  plusieurs 
autres  savants  citent  Chytreus  comme  l'un  des  plus  célèbres  écrivains  de 
l'Allemagne.  H  composa  un  grand  nombre  d'ouvrages,  parmi  lesquels  on 
doit  distinguer  le  Chronicon  Saxoniœ,  Ce  livre  fut  imprimé  pour  la  pre- 
mière fois  à  Wittemberg^  1586,  sous  le  titre  de  Vandaliœ  et  Saxonia  Al- 
berti  Kranttii  continuatio.  Chytrœus  avoit  gardé  l'anonyme  ;  mais  le  succès 
qu'obtint  cette  chronique  engagea  Tauteur  à  se  nommer  dans  les  éditions 
suivantes.  Celle  de  Rostoch^  1500,  est  beaucoup  plus  ample  que  l'édition 
de  Wittemberg.  La  3*  édition  parut  à  Leipsik^  en  1593  ;  et  la  4",  continuée 
par  un  anonyme  Jusqu'en  1611,  fut  publiée  dans  la  mCme  ville,  en  1628. 
Malgré  ces  quatre  éditions,  ce  volume  est  rare,  surtout  en  France. 

Cet  ouvrage,  fort  important  pour  l'histoire  du  nord  de  l'Europe,  com- 
prend les  royaumes  et  les  principautés  de  l'Allemagne,  la  Scandinavie,  la 
Pologne,  la  Russie,  etc....  Quoique  Tauteur  n'ait  embrassé  qu'une  période 
de  quarante-neuf  ans  (de  1500  à  1540),  il  remonte  cependant  Jusqu'aux 
temps  les  plus  reculés,  dès  qu'il  s'agit  d'établir  la  généalogie  des  princes 
qui  ont  régnt^  sur  cos  divers  pays.  Nous  avons  remarqué  une  histoire  fort 


BULLETIN    DU    BIBUOPHILE.  693 

oiirieQse  des  grands  maîtres  et  des  chevaliers  de  Tordre  teutooique.  On 
puisera  dans  otft  excellent  livre  des  renseignements  nombreux  et  authen- 
tiques sur  cette  partie  de  l'Europe  qui  nous  est  encore  si  mal  connue.  On 
y  tJXKivera,  de  plus,  des  détails  précieux  sur  plusieurs  familles  princières, 
dont  quelques-unes  ne  sont  pas  éteintes.  Nous  avons  lu  avec  beaucoup 
d'intérêt  la  préface,  dans  laquelle  Gbytneus  décrit  les  changements  des 
dynasties  royales  qui  eurent  lieu  au  xvi*  «iècle,  et  la  fin  malheureuse 
de  plusieurs  souverains.  N'oublions  pas  le  catalogue  des  évoques  de  la 
Saxe  et  de  la  VandaUe^  précédé  d'une  longue  introduction,  où  l'auteur 
raconte  l'établhsement  du  christianisme  en  Germanie,  et  résume  l'histoire 
des  églises  de  l'Allemagne.  Nous  pouvons  comparer  la  Chronique  de  Ghy- 
tr»us  aux  volumes  publiés  en  France,  à  la  même  époque,  sous  le  titre  de 
Histoire  de  notre  tempi  ;  en  eflet ,  c'est  l'histoire  du  nord  de  l'Europe, 
pendant  quelques  années,  écrite  par  un  auteur  contemporain,  sur  les 
pièces  oflicieUes  du  temps. 

:^05.  CoLLEcnoN  de  poètes  anciens,  imprimée  par  Cous- 
telier.  Paris,  172.^-24,  10  vol.  pet.  in-8,  réglés,  mar. 
bl.  NON  ROGNÉS.  {Trautz-Bauzonuet.) »  -  » 

Savoir  :  La  Légende  de  M*  Pierre  Faifeu,  mise  en  vers  par  Ch.  Bour- 
digné;  1733,  1  vol.  —  Poésies  de  Guillaume  Crétin,  1733,  1  vol.  —  Œu- 
vres de  Fr.  Villon,  1723,  1  vol.  —  Œuvres  de  Jean  Marot  et  les  poésies 
de  Mich.  Marot,  1733,  1  vol.  —  Les  poésies  de  Guill.  Coquillart,  1733, 
f  vol.  —  Les  poésies  de  Martial  de  Paris,  dit  d'Auvergne,  1734,  3  vol.  — 
La  Farce  de  Patbelin,  1  vol.  —  Œuvres  de  Racan,  1733,  3  vol. 

Collection  probablement  unique  en  ime  telle  condition. 

S06  Congé  des  troupes  d'Hollande,  avec  la  réfutation 
dudit  congé,  par  le  colonel  François  de  Pierson,  baron 
de  Courval.  Cologne,  P.  du  Marteau,  1679.  Réfutation 
du  congé  des  troupes  de  Hollande,  et  remarques  sur 
celle  que  M.  le  baron  de  Courval  a  faite.  S.  l.  n.  d.,  en 
i  vol.  pet.  in-12,  v.  f.,  fil.,  tr.  dor 40—» 

La  paix  entre  la  France  et  la  Hollande  avoit  été  signée  à  Nimègue,  le 
10  août  1678.  C'est  à  la  suite  de  cet  événement  que  fut  publié  le  Congé 
dei  troupes  d'Hollande.  Cette  satire  en  vers  burlesques,  se  rattache  à 
Tbistoire  du  règne  de  Louis  XIV.  Voici  les  quatre  derniers  vers  : 

Enfin,  pour  changer  tous  de  note. 
Retournez  siffler  la  H  note. 
Ou  si  vous  mesprisex  ce  seing, 
AUex  faire  du  bruit  plus  loing. 


59A  RULLETIN    DU   BIBLIOPHILE. 

François  de  Piersoo,  baron  de  Courval,  colonel  au  service  de  la  Hollande, 
trouva  fort  inconvenantes  les  plaisanteries  que  s*étoit  permises  Tautear  da 
Congé  des  troupes  d'Hollande,  Afin  de  donner  plus  de  poids  à  sa  réfutation^ 
il  la  dédia  au  prince  d'Orange,  et  y  ajouta  un  avis  au  lecteur^  ainsi  que 
six  pièces  de  vers  françois,  signées  par  des  poètes  fort  inconnus  au  Par- 
nasse, mais  dans  lesquelles  on  exalte  le  courage  militaire  et  les  talents 
littéraires  du  colonel.  Il  paroît  que  le  baron  de  Courval  étoit  tombé  en 
disgrâce  près  du  prince  d'Orange  ;  car  on  lit  dans  la  dédicace  :  «  Sans  votre 
«  protection,  ce  petit  ouvrage  seroit  exposé  à  la  fureur  des  médisans,  tout 
«  ainsi  que  son  auteur.....  Je  scay  que  la  croix  est  mon  lot,  et  Je  rend 
«r  grâce  à  mon  testateur  du  don  qu'il  m'a  faict,  puisque  sa  volonté  est 
«  telle....  Ce  sera  sur  ce  pied-là  que  je  m'efforceray  cy-après  de  marcher, 
«  afin  de  pouvoir  à  l'advenir  mériter  mieux  les  grâces  de  Vostre  Altesse, 
n  que  je  n'ay  fait  par  le  passé.  »  Où  lit  encore  dans  la  Prédiction  ntr 
V horoscope  de  M.  le  baron  de  Courval,  tirée  par  deffunt  te  grand  et  sçavant 
M.  de  Gassendi,  Van  i648  : 

L'an  mil  six  cents  septante  neuf. 
En  despit  de  la  médisance, 
Courval  aura  un  habit  neuf 
Et  sortira  de  l'indigence. 


Courval,  tu  rentreras  en  grâce. 
Tes  ennemis  fileront  doux. 
Te  voyant  chéry  du  Parnasse. 


La  réfutation  du  colonel  Pierson  pourroit  bien  être  une  réclame  renforcée 
par  les  éloges  hyperboliques  que  renferment  les  pièces  liminaires.  L'auteur 
avoue,  dans  Vavis  au  lecteur^  qu'il  est  un  poète  à  la  douzaine  ;  il  auroit 
pu  ajouter  que  la  langue  françoise  lui  étoit  peu  familière.  «  Je  m'estois 
«  oublié  de  t'advertir  que  si  Je  puis  apprendre  que  ma  façon  d'escrire  te 
w  soit  agréable,  je  te  donneray  dans  peu  l'histoire  véritable  des  avantures 

•  de  ma  vie,  sous  le  Ultre  du  baron   avanturier,  où  tu  trouveras  des 

•  enchasnements  remarquables  de  bonne  et  de  mauvaise  fortune.  >  Il  est  à 
croire  que  les  encouragements  ont  manqué  à  l'auteur,  et  que  la'postérité  a 
été  privée  des  Mémoires  du  baron  aventurier. 

La  seconde  réfutation  est  plus  sérieuse  et  mieux  écrite  que  celle  du  baron 
de  Courval.  L'auteur  anonyme  de  cette  satire  critique  tour  â  tour  le 
Congé  des  troupes  d'Hollande  et  la  réfutation  du  colonel  hoUandois.  Void 
comment  il  traite  dans  sa  préface  les  panégyristes  de  la  réfutation  :  «  Si  Je 
m  raille  un  peu  les  approbateurs  de  la  réfutation,  ils  doivent  s'en  prendre 
«  â  eux-mesmes,  puisqu'ils  semblent  avoir  affecté  de  se  rendre  ridicules 
«  par  leurs  expressions,  afin  de  rehausser  la  beauté  des  vers  de  leur  héros 
n  par  la  bassesse  de  leur  style.  »  On  trouve  dans  cette  pièce  de  vers  des 
détails  historiques  assez  remarquables. 

Ces  trois  opuscules  sont  d'une  grande  rareté,  et  il  est  difficile  de  les  trouver 
réunis. 


nur.LETIN    DU   B1BTJ0t>HILE.  595 

807.  Discours  satyrîques  et  moraux,  ou  satyres  géné- 
rales (par  T.ouis  le  Petit) .  /mprimi  à  Rouen  et  se  vend 
à Paris^  1686,  în-l2,  veau  fauve,  fil.,  tr.  dor. (Niidrée.) 

Ce  petit  volame,  doot  Tauteur  a  été  brûlé  et  pendu  en  place  de  Grève, 
contient  douze  satin»  précédées  d'une  lettre  en  vers,  à  Monseigneur  le  due 
éê  MonIttUêier,  «  Cette  lettre  est  une  espèce  de  satyre,  où  Tauteur  dit 
«  qu'on  ne  peut  rien  écrire  qui  soit  nouveau,  toutes  sortes  de  matir>reft 
«  étant  épuisées.  Qu'il  n'y  a  que  le  tour  que  l'on  donne  aux  pensées  qui  les 

•  fait  parottre  nouvelles...  .  »  Immédiatement  apri's  vient  la  première 
satire.  «  Elle  est  contre  l'ambition,  contre  l'avidité  des  richesses  et  contre 
«  la  volupté....  n  —  Satire  II.  •  Elle  est  contre  beaucoup  de  défauts  et  de 
«  vices  en  ^néral  ;  et  par  les  portraits  d'un  médisant  de  profession  et  de 

•  celui  d'une  dame  déterminée  à  faire  toujours  l'amour,  l'autheur  fait  voir 
«  que  l'on  ne  se  corrige  guère  des  vices  d'habitude.  •  —  Satire  III.  «  L'au- 
theur y  fait  voir  que  la  vie  de  la  cour  n'est  pas  la  plus  heureuse  ;  qu'il  faut 
avoir  une  grande  force  d'esprit  pour  s'y  gouverner  en  honmie  sage,  et  que 
la  vertu  y  court  de  grands  risques.  >  —  Satire  IV.  «  Elle  roulle  sur  ces 
paroles  du  Sage  :  Le  nombre  des  fou^  est  infinù  L'autheur  dit  que  la  folie 
gouverne  souverainement  l'esprit  de  l'homme,  que  sans  elle  il  n'auroit  pas 
de  quoy  s'occuper,  et  par  diverses  peintures  des  professions  que  l'on  em- 
brasse, il  montre  que  tout  est  folie.  •  —  •  Satire  V,  en  forme  de  dialogue, 
Chrysante,  Léonce.  On  y  voit,  sous  le  nom  de  Chrysante  la  peinture  de 
ees  gens  de  la  lie  du  peuple  devenus  riches  en  peu  de  temps,  insatiables 
de  biens,  insolens  dans  leur  bonne  fortune  ;  et  sous  celui  de  Léonce,  la 
peinture  d'un  homme  de  qualité,  sage  et  content  de  la  fortune  médiocre.  » 

—  Satire  VI.  —  «  C'est  une  peinture  de  la  vie  libertine  de  certains  abbez, 
qui  font  un  mauvais  usage  du  bien  d'Église  ;  et  l'autheur  fait  voir  que  le 
désordre  des  mœurs  vient  de  ce  que  l'on  embrasse  des  conditions  ^ns 
examiner  si  l'on  y  est  propre.  »  —  Satire  VII.  '«  Elle  roule  sur  la  misère  de 
l'homme,  le  plus  à  plaindre  de  tous  les  animaux,  qui  a  mille  ennemis  à 
combattre,  qui  s'en  fait  tous  les  Jours  de  nouveaux,  et  qui  est  bien  hors  du 
bon  sens  d'aimer  passionnément  la  vie,  et  de  faire  tout  ce  qui  la  détruit  » 

—  Satire  VIII.  «  Maugis,  Urgande.  Cette  satyre  est  contre  les  vieilles  co- 
quettes. •  —  Satire  I\.  «  Elle  est  contre  la  Critique.  »  — Satire  X*  «  Contre 
la  guerre.  »  —  Satire  XI.  «  Contre  le  mensonge  dont  le  monde  fait  pro- 
feMion,  et  que  l'autheur  fait  voir  par  la  peinture  de  diverses  sortes  de 
menteurs.  •  —  Satire  XII.  «  Elle  est  contre  la  Mode.  L'autheur  en  fait 
voir  les  abus,  et  que  non-seulement  elle  règne  sur  quantité  de  choses  indif- 
liéreotes,  mais  qu'elle  s'étend  aussi  sur  les  mœurs,  et  mesme  sur  les  choses 
les  phtt  sacrées.  »  —  A  la*suite  de  ces  satires,  on  trouve  une  lettre  morale 
(en  vers)  à  M^^  ***,  dont  la  fortune  n'estoit  pas  bonne,  et  des  stances  satif- 
Tiques  contre  les  mensonges  et  les  extravagances  des  poètes. 

SOS.  Cachet  o'Avrigny.  Relation  de  ce  qui  s'est  passé 
dans  une  assemblée  tenue  au  bas  du  Parnasse,  pour  la 


5M  BULLETIN   DU    BIBLIOPBaB. 

réforme  des  beUe»-lettres.  Ouvrage  curieux  et  composé 
de  pièces  rapportées,  selon  la  méthode  des  beaux  es- 
prits de  ce  temps  (par  Cachet  d'Avrigny).  Anuterdamf 
1739;  1  vol.  pet.  in-8,  relié »— » 

Le  Pamassse  réformé  et  la  Guerre  des  auteur»^  par  Guéret,  troiiyèrent 
promptement  des  iroitateure.  En  1687,  de  Caillère  publia  son  Histoire  po^ 
tique  de  la  guerre  entre  les  Anciens  et  les  Modernes;  en  1704,  Tabbéde  La 
Bizardière  flt  imprimer  ses  Caractères  des  auteurs  anciens  et  modernes.  Ces 
deux  critiques  suivirent  le  plan  adopté  par  Guéret,  mais  ils  ne  surent 
point  répandre  dans  leurs  ouvrages  l'enjouement  qui  distingue  le  Pamasie 
réformé.  Enfin,  parut,  en  1739,  la  Relation  d'Antoine  Gachet  d'ÀTrigny, 
chanoine,  né  à  Vienne  (Dauphiné)  le  8  novembre  1706,  et  mort  le 
6  mai  1776. 

Voici  comment  d'Avrigny  parle  de  son  livre  :  «  J'ai  travaillé  sur  le  plan 
«  de  ces  auteurs  (Guéret,  de  Caillère,  etc.),  et  je  me  flatte  d'avoir  rétnaL 
«  L'idée  que  j'ai  suivie,  la  variété  des  matièrfs,  la  finesse  des  pensées,  le 
«  tour  de  l'expression,  tout  plaira  à  un  lecteur  éclairé.  Ce  qui  surprendra 
«  le  plus  est  la  vaste  énidition  qui  règne  dans  cet  ouvrage.  Pour  s'en  con- 
«  vaincre,  il  n'y  a  qu'à  jeter  les  yeux  sur  la  table  qui  suit  cette  préface  : 
«  on  y  verra  avec  étonnement  les  noms  de  près  de  500  auteurs.  »  Faut-il 
prbndre  au  sérieux  ces  phrases  fort  peu  modestes,  ou  n'est-ce  qu'un  badi- 
nage  ?  Nous  n'osons  décider  la  question.  Toujours  est-il  que  cet  ouvrage 
contient  des  anecdotes  curieuses  sur  plusieurs  écrivains  anciens  et  mo- 
dernes, que  la  critique  est  judicieuse,  et  que  la  Relation  de  Gachet  d'Avri- 
gny est  un  supplément  indispensable  au  Parnasse  réformé  de  Guéret 

Un  passage  de  ce  volume  intéresse  les  bibliophiles,  et  par  ce  motif,  nous 
nou8*empressons  de  le  citer  :  «  Inutilement  nous  direz-vous  qu'il  faut  bien 

•  que  votre  ouvrage  soit  excellent  (le  Chef-d'œuvre  d'un  inconnu)^  puis* 
»  qu'il  a  été  acheté  dix  écus  pour  la  bibliothèque  du  cardinal  de  Rohan  ; 
«  la  cherté  d'un  livre  n'en  prouve  nullement  la  bonté.  N'a-t-on  pas  vu  des 
«  curieux  pousser  la  folie  jusqu'à  doimer  quatre  louis  de  l*Bistotre  et 

•  plaisante  Chronique  du  Petit-Jehan  de  Saintré?  L'ouvrage  intitulé  Uber 
«  conformitatum,  etc.^  aufh.  Bartholomeo  de  Pisis^  est  hors  de  prix,  et 
N  valoit  50  écus  du  temps  de  Scaliger.  Deux  petits  volumes  de  Servet 
•t  fureDt  vendus  450  livres  à  la  vente  de  la  bibliothèque  de  M.  Du  Fay.  Avec 
«  quel  empressement  ne  recherche-t-on  pas  les  Pensées  de  Simon  Marin, 
«  le  Teatro  Jesuitico^  les  Très  merveilleuses  victoires  des  femmes  du  fuwtwotf 
M  monde^  de    Guillaume  Postel;   les  Œuvres  de  Marot^  de  l'édition  de 

•  N3rort,  V Athénée  de  Marolle,  dont  on  ne  tira  que  vingt^cinq  exemplaires, 
«  et  cent  autres  ouvrages  pareils,  qui  ne  sont  recommandables  qne  par 
«  leur  rareté.  • 

La  Relation  de  l'assemblée  tenue  au  bas  du  Parnasse  a  été  imprimée 
avec  Us  Mémoires  d'histoire,  de  critique  et  de  littérature,  du  môme  au- 
teur ;  Paris,  Debune,  17a0-56  ;  7  vol.  iii-12. 


BULLETIN    DU   RIBUOPBILB.  607 

MO.  Gabnibi.  Rriefue  et  claire  confession  de  la  foy  chres- 
tienne,  contenant  cent  articles,  selon  l'ordre  du  sym- 
bole desapostres,  faicteet  declairée  l'an  15A9»  par  Je- 
han Gamier.  S.  L  n.  d-  (Strasbourg?)  ;  1  vol.  pet. 
in-8,  chagr.,  fers  à  froid,  tr.  dor.  (Clark^.).. .     &0--» 

J.  Garnier  avoit  professé  la  religion  catholique  avec  tant  de  lèle,  qu'il 
t'accuse  d*avoir  perUcuté  (votre  jusques  à  la  tnort)  ceux  qui  enseignoient 
ee  mume  que  maintenant  il  croit  et  confeue,  C'étoit  sans  doute  un  moine 
défroqué  qui  vint  se  réfugier  à  Strasbourg.  Il  dédie  son  livre  à  (ott(e  la 
petite  égliie  françoiu  de  Siraêimrçy  auemblée  pour  V Evangile.  Cette  pro- 
feasion  de  foi  calviniste  est  une  longue  paraphrase  du  Symbole  des  Apétres 
que  Tauteur  publie  pour  servir  de  modèle  à  tous  ceux  qui  voudront  entrer 
dans  la  petite  églite;  attendu  qu'avant  d*ùtre  admis,  chaque  candidat  étoit 
tenu  d'exposer  publiquement  ses  principes  religieux.  Au-dessous  du  titre , 
est  placée  cette  épigraphe  :  Le  cueur  croyt  pour  justice,  mais  la  bouche 
eanfeue  à  salut.  Rom.  10.  —  Quand  sera-ce?  On  lit  encore  ces  mots  à  la 
fln  du  volume  :  Quand  sera-ce  ?  question  qui  fait  notre  désespoir.  A  cha* 
qae  désir,  k  chaque  projet  que  nous  formons,  une  voix  ironique  murmure 
à  notre  oreille  :  Quand  ura-ce  ?  Et ,  impuissants  que  nous  sommes,  nous 
nous  taisons,  car  Dieu  seul  peut  répondre. 

S10.  GuEBET.  Le  Parnasse  réformé  et  la  guerre  des  au- 
tearSf  par  Gueret,  avocat  au  parlement  de  Paris.  La 
Bayet  1716,  1  vol.  iu-12,  fr.  gr. ,  relié »  —  » 

Gabriel  Gueret,  né  à  Paris,  en  1661,  mourut  dans  la  même  ville,  le  33 
avril  1688.  Les  écrits  qu'il  a  publiés,  donnent  une  idée  avantageuse  de 
ton  goût  et  de  ses  talents.  Le  Parnasse  réformé  fut  imprimé  pour  la  pre- 
mière fois,  à  Paris,  1668  ;  la  Guerre  des  auteurs  parut  en  1671.  C'est  une 
satire  ingénieuse,  pleine  d'érudition  et  de  bonnes  plaisanteries.  On  y 
tnmve,  en  outre,  de  curieux  détails  sur  un  grand  nombre  d'auteurs  anciens 
«t  modernes,  ainsi  que  sur  leurs  œuvres.  Des  citations  bien  choisies  ajoutent 
encore  à  la  gaieté  de  cet  ouvrage.  (  Voye%  Cachet  d'Avrigny,  n®  308.  ) 

SU.  L'Histoire  et  discours  au  vray  du  siège  qui  fut  mis 
devant  Orléans  par  les  Anglois,  le  mardi  xn*  jour  d'oc- 
tobre 1428,...  avec  la  venue  de  Jeanne  la  Pucelle,  et 
comment  ellefist  lever  le  siège  de  devant  aux  Anglois 
(par  Léon  Trippault).  Orléans,  Oliv.  Baynard,  1611, 
pet.  in-12,  mar.  r.  tr.  dor.  {Bel.  angl.) 48 -n 

Au  verso  du  titre  se  trouve  un  ebarmant  portrait  de  JeaDne  d'Arc  Bel 
/^«omplaire. 


508  BULLETIN    nu   BIBLIOPHILE. 

312.  Histoire  macaronique  de  Merlin  Goccaie,  prototype 
de  Rabelais,  etc.  Paris,  Tùtissaint  Dubray^  1606,  2  vol. 
pet.  in-12,  d.-rel.  mar.  rouge.  (Belexempl). .     24 — » 

Théophile  Folengo ,  d'une  noble  famille  de  Mantoue ,  né  en  1490 , 
d*abord  bénédictin  du  Mont-Cassin,  jeta  le  froc  aux  orties  et  se  mit  à  cou- 
rir ritalie  avec  une  femme  qu'il  aimoit,  composant  des  poésies  dites  ma€a>- 
roniques  dont  il  est  probablement  l'inventeur  et  où  il  n'a  point  d*égaas. 
C'est  un  mélange  de  latin,  d'italien  et  surtout  de  roantouan,  mais  toujoan 
avec  des  terminaisons  latines,  et  qu'il  publia  sous  le  nom  de  Merlinus- 
Coccaius.  Folengo  mourut  après  ôtre  rentré  dans  les  ordres,  en  154â. 

L'auteur  de  cette  traduction  n'ent  point  connu  ;  elle  m*a  paru  fort  peu 
exacte,  autant  que  j'en  ai  pu  juger  ;  d'ailleurs  le  patois  de  Mantoue  est 
très  difficile  à  compretidre. 

Cependant  l'original  contient  une  petite  pièce  pastorale,  intitulée: 
Zanitonella,  qui  m'a  paru  un  véritable  chef-d'œuvre  de  naiveté  et  de 
grâces  ;  le  traducteur  l'a  entièrement  passée  sous  le  silence.  Il  s'est  borné 
aux  aventures  d'un  héros  imaginaire  nommé  Baldus,  et  à  la  longue  des- 
cription d'une  bataille  entre  les  mouches  et  les  fourmis. 

Théophile  Folengo  est  auteur  Délia  vita  di  Cristo,  Venise,  1578.  C'est 
un  poème  en  dix  chants  par  octaves,  illustré  de  figures  en  bois  fort  jolies. 

(VIOLLIT-LB-DUC.) 

313.  Les  jeux  de  rincognu.  Paris,  au  Palais,  1680.  — 
LeHerti,  ou  TUniversel,  1630.  La  Blanque  des  mar- 
chand meslés.  —  A  très  déliée,  très  menue  et  très 
maigre  demoiselle.  (Sans  date.)  —  Discours  académique 
du  ris,  prononcé  en  l'Académie  de  Philarètes,  et  dis- 
cours du  ridicule.  {Sans  date.)  Réunis  en  un  seul  voL 
in-8,  V.  fauve »  -  -» 

«  Bien  que  la  dédicace  de  ce  livre  singulier,  adressée  au  prince  Henri 
de  Savoie,  duc  de  Nemours  et  d'Aumale ,  soit  signée  Devaux^  l'ouvrage  est 
d* Adrien  de  Montluc^  comte  de  CramaUy  petitrfils  du  célèbre  maréchal  de 
MonUuc.  Mathurin  Régnier  lui  a  adressé  sa  deuxième  satire.  C'étoit  un 
honnête  honune  et  un  homme  d'esprit.  Il  est  auteur  de  la  comédie  des 
Proverbes  et  des  Jeux  de  Cinconnu,  On  ne  pouvoit  préluder  plus  gaiement 
à  un  dénouement  plus  triste  et  plus  malheureux  :  ayant  encouru  Tani- 
madversion  du  cardinal  de  Richelieu,  le  comte  de  Cramail  subit  à  la 
Bastille  une  détention  de  douze  années  ;  il  n'en  sortit  qu'infirme  en  15^3, 
et  mourut  en  16'i6  âgé  de  soixante-quatorze  ans. 

Il  est  difficile  de  trouver  réunies  toutes  les  pièces  qui  composent  ce 
rolum<>.  Let  Jeux  de  l'inconnu  sont  des  satires  en  prose  contre  le  style 


i'.  -'.>cùjbI 


BULUTM  OU  BIBUOPHILE.  509 

ridicule,  pédant  et  alambiqué,  tout  hérissé  de  pointes ,  alon  en  faveur. 
L*éditeor  du  livre  se  défend  dans  son  avis  au  lecteur  d'avoir  eu  pour  but 
de  désigner  quelque  auteur  en  particulier,  mais  il  prétend  n'avoir  fait 
qu'une  critique  générale  ;  il  remarque  avec  raison  «  que  pour  employer  une 
telle  raillerie,  il  a  fallu  avoir  la  connoissance  de  plusieurs  choses,  ce  qui 
n'est  pas  donné  à  tous.  >  Une  partie  de  ces  critiques  a  pour  nous  beau- 
ooap  moins  de  piquant  qu'elles  n'en  dévoient  avoir  alors;  les  ouvrages 
hlâmés  n'étant  pas  indiqués,  et  n'étant  plus  sous  nos  yeux ,  sont  d'ailleurs 
probablement  oubliés.  Toutefois,  on  reconnolt  toujours  la  manière  ingé- 
nieuse et  vive  employée  par  le  comte  de  Cramail  pour  signaler  les  défauts 
des  conceptions  de  ses  contemporains.  Il  emploie  la  forme  des  petits  romans, 
d'historiettes,  qui ,  chacun  par  les  aventures  qu'il  rappelle  et  par  le  style 
surtout,  fait  probablement  allusion  à  des  ouvrages  connus.  D'après  une  de 
ees  nouvelles,  il  paroltroit  que  les  histoires  en  calembourgs  dont  on  a  cru 
M.  deBièvre  l'inventeur,  telles  que  la  Comteue  Talion,  VAngt  Lure^  etc., 
datent  de  beaucoup  plus  loin  ;  car  un  des  Jeux  de  l'inconnu  commence 
ainsi  :  «  Le  courtisan  grotesque  sortit  un  Jour  intercalaire  du  palais  de  la 
^o«eAe,  vêtu  de  vert  de  gri$.  11  avoit  un  manteau  de  eheminéey  doublé  de 
frise  (Time  co/onne,  etc.  >,  et  vingt  huit  pages  de  cette  sorte. 

Le  Herti  ou  l'Universel  est  le  discours  d'un  fou,  d'un  extravagant,  véri- 
table amphigouri  incompréhensible,  très  spirituellement  fait  de  verve,  mais 
beaucoup  trop  long  pour  être  toujours  plaisant  La  Blangue  est  une  sorte 
d'inventaire^d'objets  imaginaires,  mais  auxquels  l'auteur  donne  un  sens 
épigrammatique,  conmie  «  le  disque  dont  Hyacinthe  fut  frappé  par  Apol- 
lon, pour  apprendre  à  ne  pas  Jouer  avec  les  grands.  »  Le  Discours  sur  le 
ris  contient  des  observations  plus  philosophiques  qu'on  n'iroit  en  chercher 
dans  les  livres  de  cette  sorte  ;  il  en  est  de  même  du  Discours  sur  le  ridicule  y 
qui  termine  ce  volume  fort  curieux.  » 

(VIOLLBT-LB-DVC.) 

SI  A.  LiNSTRUGTiON  D£s  CUREZ  pour  instruire  le  simple 
peuple.  Il  est  enjoinct  a  tous  les  curez,  vicaires,  maistres 
des  escolles,  dospitaulx  et  autres  par  tout  leuesche  de 
Paris  dauoir  auec  eulx  ce  présent  liure,  et  en  lire  sou- 
ueut.  Et  y  a  grans  pardons  en  ce  faisant.  (  Imprimé  à 
Paris,  par  Nicolas  Higman^  pour  Simon  Vostre^  libraire 
juré  de  rUnit^rsité.)  (Vers  1506)  ;  1  vol.  pet.  in-â,  grav. 
sur  bols ^. . . ., » — » 

Cette  belle  édition  d'un  livre  rare  a  été  imprimée  par  ordonnance 
d'Estienne,  évéque  de  Paris.  Le  mandement  de  Tévèque,  daté  de  l'an 
IMM,  est  en  latin  et  en  françois  ;  il  est  suivi  de  VOpus  tripartilum  de 
Jean  Gerson,  également  en  latin  et  en  françois.  Les  trois  derniers  feuillets 
i!u  volume  contiennent  un  opuscule  intitulé  :  le  Liurei  de  Jésus,  lequel 


600  BtLLETIN   DO    BIBLIOPHILE. 

renferme  la  doctrine  nécessaire  à  tous  chrétien»,  Onv  trou?6 1«  Dêsm» 
articles  de  la  foi,  les  Commandements  de  Dieu  et  de  VEglin,  en  fera  flnui- 
çois;  les  TVotf  Vérités  composées  par  Jean  Gerson;  et  enfin,  Cormtna 
triuialia  quibus  potest  unusqmsque  fiddis  christianus  orare  el  a  qmeiê 
surgendo  et  ad  quietem  eundo,  AiHlestous  de  ces  prières  on  remarque 
deux  Jolies  gravures  snr  bois  représentant  :  Tune,  saint  Michel  terrasstnt 
le  dragon  ;  l'autre ,  une  Jeune  fille  portant  un  calice  surmonté  d'ane  hostie. 
La  marque  de  Simon  Vostre  est  placée  sur  le  titre  ;  et  le  terso  de  ce  feniUei 
est  orné  d'une  large  gravure  qui  représente  Jésus-Cbrist  tombant  sous  le 
fardeau  de  sa  croix. 

316.  Les  Loups  rauissans  dit  le  doctrinal  moral,  conte- 
nant douze  chapitres  ou  chascun  pourra  facilement 
congnoistre  que  cest  de  bien,  et  fuyr  mal.  Anec  les 
exemples  ioinctes  a  chascun  chapitre  (par  Robert  Go-^ 
bin).  On  les  vend  à  Paris  en  la  grant  rue  sainct  Jacques, 
a  lenseigne  de  la  Rose  blanche  couronnée  {ehe%  PhU.  Le 
Noir,  vers  1525),  pet.  in-4,  goth.  de  206  ff.  non  chif- 
frés, fig.  s.  b.,  réglé,  mar.  v.,  tr.  dor.  (Dura.). .     »— » 

Magnifique  exemplaire  avec  témoins  de  ce  curieux  ouvrage  en  vert  et 
en  prose. 

316.  Marot.  LesŒuures  de  Clément  Marot,  desquelles  le 
contenu  sensuit  :  Ladolescence  Clémentine ,  la  suite  de 
Ladolescence,  deux  liuresdepigrammes,  le  premier  liure 
de  la  métamorphose  Douide.  On  les  vend  a  Lgon,  ehe% 
Gryphius^  1538,  in-8,  goth.,  réglé,  mar.  bl.  dent.  tr. 
dor f>  — )i 

Superbe  exemplaire  rempli  de  témoins. 

317.  Mëlander.  Jocorum  atque  seriorum  cùm  novorum 
tùm  selectorum  atque  memorabilium  libri  II  ;  auctore 
Othone  Melandro  J.  u.  d.,  et  auctore  Dionysio  Melan- 
dro  P.  P.  H.  Smalcaldiœ,  ex  officinâ  Kezelianâ,  Ittll, 
2  tom.  en  1  vol.  pet.  in-8.  de  1700 pages,  relié.     60  -  » 

u  est  impossible  d'analyser  cet  énonne  recueil  d'anecdotes  et  de  bons 
mots  extraits  d'auteurs  anciens  et  modernes.  On  y  trouve  de  la  prose  et 
des  vers  latins,  voire  mCme  des  pai>!»ages  en  allemand.  Nous  citerons  ce- 


BULLETIN   DU   BIALIOPHILC.  601 

ptadifit  OM  tMé  de  Sébastien  Scheffer,  qui  nous  a  rappelé  U  f efiime 
noyée  de  Lafontaine  : 

De  viro  quodam,  uxorem  submeraam  querente. 
Flumioe  demenam  Bociam  crescente  maritus 

Querit,  et  in  Yeno  iramite  carpit  iter. 
Quo  fluit  unda,  yirum  quidam  jubet  ire;  sinistrum 

Flaminis  accedis  cur  maie  sane  caput  ? 
Uzor  in  eternom  non  invenietur,  amice, 

Alter  ait,  recto  ai  pede  forsan  eam, 
MoribuB  illa  meis  semper  contraria  vixit, 

Quis  neget  adTersus  quin  modo  serpat,  aqaat  7 

Cette  compilation ,  faite  par  Otho  M elander  et  augmentée  par  Deoi» 
MeUader,  ae  compose  de  1370  articles,  dont  les  auteurs  sont  toujours  indi- 
qués, n  auroit  été  curieux  de  réimir  tous  ces  noms  dans  une  table  géné- 
rale. On  auroit  découvert  ainsi  plusieurs  écrivains  dont  les  productions 
sont  à  peu  prte  inconnues. 

L'imprimeur,  Guolgand  Keaelius,  a  écrit  la  dédicace  adressée  à  Urbain 
de  Boineburg,  conseiller  du  landgrave  de  Hesse,  et  Préfet  de  Smalcalde , 
ainsi  que  la  préface  du  3*  tome  :  «  Le  plus  beau  préeent  q«>e  Dieu  a  fait  aux 
hommes,  dit  Kexelius  dans  VÉpitre  dédicatoire^  c'est  l'art  de  l'imprimerie, 
découvert  en  1&40,  à  Mayence,  par  Jean  Gutenberg,  et  porté  bientôt  à 
Rome  par  Ulric  Han.  »  Il  ajoute  que  ce  volume  est  le  premier  qu'il  im- 
prime depuis  qu'il  est  établi  à  Smalcalde. 

La  reliure,  ornée  d'armoiries,  de  filets  et  d'ornements  à  froid,  a  souffert 
des  injures  du  temps;  mais  on  distingue  très  bien  sur  Ton  des  plats,  les 
annoiries  de  l'empereur  d'Allemagne,  avec  cette  légende  :  Des  H.  Rémi, 
KaisertufM  Wappen,  Au-dessous  des  armoiries  sont  les  lettres  G.  K.  ;  ce 
qui  prouve  que  cette  reliure  sort  des  ateliers  de  Guolgand  Kezelius ,  et 
qu'elle  est  par  conséquent,  aussi  ancienne  que  l'impression  du  livre.  On  a 
gravé  en  creux,  au-dessus  des  armes,  les  majuscules  S.  S.  H.  qui  désignent 
sans  doute  le  nom  de  l'un  des  possesseurs  de  ce  volume,  et  dans  un  com- 
partiment inférieur,  le  millésime  1613.  Sur  l'autre  plat,  les  armoiries  sont 
presque  effacées.  Cependant  on  lit  facilement  la  légende  :  Insignia  dueum 
tUcto.  taxon. 

Ce  livre  est  rare,  surtout  lorsqu'il  est  complet.  Il  a  dû  plaire  beaucoup 
autrefois,  par  la  variété  des  sujets  qu'il  renferme  ;  il  peut  Hre  encore,  au- 
jourd'hui, d'une  lecture  agréable.  Les  tables,  placées  à  la  fin  de  chaque 
tome,  facilitent  les  recherches. 

S18  Mêmobial  contenant  une  déduction  sommaire  de 
Torigine  et  de  Tétat  présent  des  contestations  doctri- 
nales des  Pays-Bas  et  des  véritables  moyens  de  les  ter- 
miner ;  une  réponse  succincte  aux  trois  accusations  de 
jansénisme,  de  rigorisme  et  de  nouveauté.  Avec  un  re- 


602  BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE. 

cueil  de  diverses  pièces  conceniant  le  Mémorial.  De^if, 
1697,  1  vol.  in-12,  v.  br »— » 

On  connolt  les  longues  dissentions  que  soulevèrent  le  Jansénisme  et  les 
disputes  sur  la  gr&ce.  Mais  qui  pourroit  supputer  le  nombre  des  li?r«B , 
des  brochures  et  des  pamphlets  qu'enfanta  cette  polémique?  Il  est  à  regret- 
ter que  les  savants  des  deux  partis  aient  dépensé  tant  de  savoir  et  d'intel- 
ligence, au  service  d'une  cause  si  complètement  oubliée  de  nos  jours.  Rap- 
pelons-nous cependant  que  c'est  au  Jansénisme  que  nous  devons  les  Lettrtê 
provinciales.  Le  Mémorial  est  une  pièce  du  même  genre,  écrite  en  favear 
des  théologiens  de  l'université  de  Louvain.  Le  style  en  est  pur,  mais  cette 
défense,  expliquant  des  faits,  est  d'une  polémique  plus  serrée,  et  ne  saa* 
roit  être  comparée  à  l'œuvre  de  Pascal.  Les  fdèces  relatives  au  Mémorial 
occupent  les  deux  tiers  du  volume.  Elles  sont  fort  curieuses  et  se  compo- 
sent presque  uniquement  de  censures  et  de  brefs  pontificaux  condamnant 
plusieurs  livres  et  quelques  propositions  des  adversaires  du  Jansénisme.. 
La  dernière  pièce  est  le  Projet  de  la  Bulle  de  Paul  V  contre  la  doctrine 
de  Molina^  par  le  P.  Quesnel.  Le  Mémorial  a  été  condamné  et  brûU. 
L'exemplaire  que  nous  avons  sous  les  yeux  est  donc  fort  rare  ;  et  l'on 
trouveroit  difficilement  ailleurs  le  texte  des  vingt-quatre  pièces  que  l'au- 
teur a  recueillies. 

319.  MoNSTEREUL  (de  la  Chesnée).  Le  Floriste  françois, 
traittant  deTorigine  des  tulipes  ;  de  Tordre  qu'on  doit 
observer  pour  les  cultiver  et  planter,  etc.  Avec  un 
catalogue  des  noms  des  tulipes,  et  distinctions  de 
leurs  couleurs;  par  le  s'  de  la  Chesnée  Monstereul. 
Caen,  t654  ;  pet.  in-8,  vél » — » 

Charles  de  Monstereul,  sieur  de  La  Chesnée,  est  le  premier  écrivain  françois 
qui  ait  compcsé  un  traité  spécial  et  complet  sur  les  tulipes.  Cette  fleur, 
importée  en  Europe  par  les  Portugais,  vers  1530,  excita  bientôt  un  tel 
enthousiasme  que  des  amateurs  zélés  se  dévouèrent,  tant  en  Flandre  qu'en 
France,  à  la  culture  des  tulipes.  A  force  de  soins  et  de  patience,  ils  par- 
vinrent à  les  perfectionner,  et  ils  obtinrent  par  le  semis  des  graines  un 
grand  nombre  de  variétés  nouvelles,  remarquables  par  la  vivacité  et  la  di- 
versité dcri  couleurs.  De  Monstereul  étoit  l'un  de  ces  fanatiques  amateurs. 
Voici  comment  il  entre  en  matière  : 

«  Entre  toutes  les  choses  créées  par  la  bonté  et  sagei»sb  étemelle,  il  y  a 
«  un  ordre  de  supériorité  qui  donne  la  prééminence  aux  pius  parfaites' ; 
•  comme  l'on  voit  qu'entre  les  animaux  l'homme  a  la  domination;  entre 
«  les  astres  le  soleil  tient  le  premier  rang  ;  et  entre  les  pierres  précieuses 
«  le  diamant  est  le  plus  estimable  ;  ainsi  il  est  certain  qu'entre  les  fleurs  la 
«  tulipe  emporte  le  prix » 

Les  33  chapitres  du  Traité  de»  Tulipes  renferment  des  détails  intéres- 


inJLI£TIN    DU    BIRUOPHILE.  60S 

tiati  MU*  l'origiiie,  U  culture  et  les  maladies  de  ces  fleurs;  mais  l'auteur 
D*a  pas  Toulu  divulguer  le  Secret  pour  faire  perfectionner  let  Tuliptê,  qui 
ne  doit  être  enseigné  qu'aux  sayes  curieux.  Les  derniers  chapitres  de 
l'ouvrage  ont  pour  titre  :  De  la  différence  qu'il  y  a  entre  lei  véritablei 
fUtriêtee  et  les  curieus  ignorants.  —  Que  c'est  offenser  Dieu  de  mépriser 
les  /leurs» 

De  Monstereul  dédia  son  livre  à  W^*  de  Beuvron ,  et  flt  imprimer  parmi 
les  pièces  liminaires  de  sa  Monographie  des  Tulipes ,  des  vers  françois  et 
latins  composés  en  son  honneur  par  les  plus  célèbres  poètes  du  temps.  On 
y  remarque  les  noms  de  G.  de  Scudéry,  de  Tristan  THermite,  de  Brleux , 
de  Petiville,  Le  Sueur,  de  la  Grettc  Bellenger,  de  Sainte-Honorine,  de  Le 
Mière,  de  Charsonville,  et  même  de  Malherbe.  G.  de  Scudéry  termine  ainsi 
son  ptnégyrique  *. 

U  faut ,  pour  couronner  une  ai  noble  audace , 
Que  je  prenne  des  fleurs  au  plus  haut  du  Parnaate; 
Elles  empescheront  ton  renom  de  vieillir; 
Muse,  guide  mes  pas  où  Je  les  dois  cueillir. 

Voici  cependant  quatre  vers  qui  produisent  un  effet  asseï  singulier  au 
milieu  df  cette  poésie  emphatique  : 

Vous  œillets  indiens,  et  vous  fleurs  éteraellea. 
Et  mille  autres  encor  aussi  rares  que  belles , 
Abaissez  votre  orgueil,  et  loin  de  vous  fâcher^ 
Cédez  à  la  Tulipe,  et  vous  aller  cacher, 

U  nous  parolt  difficile  d'espli^er  comment  Malherbe,  mort  en  1(M8,  a 
pu  faire  l'éloge  d'un  livre  imprimé  pour  la  première  fois  en  1656.  Ou  ce 
Malherbe  n'^t  itas  le  grand  Malherbe,  ou  le  Florisèe  françois  couroit  déjà 
en  manuscrit  avant  1628.  Nous  transcrivons,  à  tout  liaaard ,  ces  vers 
d'outre-tombe  : 

Tont  est  si  bean  dans  ce  recueil , 
Qu'Adam  reler«K  du  cercueil 
Voyant  ces  merveilles  paroistre , 
Douteroit  s'il  parle  du  lieu 
Où  la  voix  puissante  de  Dieu 
JLui  donna  premièrement  l'eslre. 

Db  MAtMXtme, 

Notons  une  autre  singularité.  Le  titre  du  volume  porte  la  date  (te  t654  ; 
cependant  on  lit  au-dessous  du  privilège  :  Achevé  d'imprimer  pour  la  pre^ 
mière  fois,  le  40  jantier  4655,  Enfin,  le  titre  est  précédé  d'un  beau  fron- 
ttepice  gravé,  avec  cette  souscription  :  A  Rouen,  che*  L.  Du  Mesnil,  4658. 
Ged  prouve  seulement  que  l'impression  du  livre  a  commencé  en  1654 ,  et 
que  le  frontispice  a  été  ajouté  plus  tard  par  un  libraire  de  Rouen  qui 
poMédoit  une  partie  de  l'édition. 

41 


60i  BDLLETIK   DD   BIBLIOPHIUU 

320.  Nouveaux  amusements  sérieux  et  comiques.  Pont, 
1735,  2  tom.  en  1  vol.  in-12,  v » — n 

Ce  livre  parolt  avoir  été  composé  ponr  faire  suite  aux  Amu$emenU 
iérieux  et  comiques  de  Dufresny.  On  lit  dans  la  préface  :  La  feuilU  dont 
il  t^agit  id  te  donnera,  sans  interruption,  les  lundis  et  vendredis  de  dUi- 
que  semaine  ;  si  elle  reçoit  un  accueil  favorable^  on  s'attachera  à  donner 
du  nouveau  et  du  bon.  L'éditeur  s*est  arrêté  à  la  2A*  feuille  ;  ainsi ,  cette 
publication  périodique  n'a  vécu  qu'un  trimestre.  Elle  étoit  digne ,  cepen- 
dant, d'une  plus  longue  existence.  On  y  trouve  beaucoup  d'articles  curieux, 
ou  intéressants.  Nous  indiquerons  les  Éloges  des  Miroirs,  du  Silence,  de  !a 
Main,  de  la  Fourmi,  de  l'Abeille,  de  l'Araignée,  de  la  Mouche,  des  Nor* 
mandSp  du  Corbeau  et  de  la  Puce;  des  Nouvelles  et  des  Anecdotes;  les  Ori- 
gines de  divers  usages,  etc....  L'article  le  plus  important  de  ce  recueil  est 
intitulé  :  Traduction  d'une  lettre  italienne^  écrite  par  un  Sicilien  à  un  de 
ses  amis,  contenant  une  critique  de  Paris  et  des  François  (45  pages).  Cette 
piquante  description  de  la  ville  de  Paris  et  des  mœurs  de  ses  habitants 
peut  faire  classer  ce  volume  parmi  les  documents  relatif»  à  l'histoire  de 
France. 

321.  L*OviDE  en  belle  humeur  de  M.  Dassoucy.  Suivant 
la  copie  imprimée  à  Paris.  { HolL ,  Elzev.,  à  la  sphère  ) , 
1651,  pet.  in-12,  mar.  bl.  fil.  tr.  dor.  (Trautz-Bauzon- 
net.) »  — » 

Cette  édition  est  un  des  plus  rares  volumes  de  la  collection  elxévirienne. 

322.  Laure  d  A.VIGNON.  Extraict  du  poëte  florentin  Fran- 
çoys  Pétrarque  :  et  mis  en  françoys  par  Vaisquin  Phi- 
lieul  de  Carpentras.  Parls^  Jacq.  GazeaUy  15A8,  pet. 
in-8,  v.  ant.  fil.  tr.  dor.  [Duru.) 48     » 

Exemplaire  grand  de  marges  d'un  livre  rare. 

328.  Recueil  des  meilleurs  contes  en  vers.  Londres  (Cazin)^ 
1778,  h  vol.  in-18,  mar.  tr.  dor.  comp.  dos  à  la  rose. 
{Jolie  rel.) » — » 

Ce  très  joli  recueil,  qui  peut  en  remplacer  beaucoup  d'autres,  est  digne 
de  tenir  dans  toute  bonne  bibliothèque  une  place  honorable  qu'il  doit  au 
choix  qui  l'a  dirigé,  aux  vignettes  charmantes  qui  précèdent  chaque  conte, 
à  la  correction  et  à  la  beauté  de  son  exécution.  H  contient  tous  les  contes 
de  /m  Fontaine ,  les  contes  en  vers  de   Voltaire ,   un  dioix  de  contes  de 


BUtLETIN    DU    BIBLIOPHILE.  605 

VergUr^  de  Grééouri  et  de  Piron:  ceux  de  Séneeé,  de  Perrault ,  de  Moni- 
erif^  de  Dueerceau^  de  La  Monnaye^  de  Saint-Lambert^  de  Champfort,  de 
Dorai,  d'AiiIreaii  et  de  François  de  Neufchâteau, 

(VioLBT-LS-Duc,  BibUoihètiue  poétique,) 

S2A.  Recueil  d'opuscules  mystiques.  Frihourg  en  Sume^ 
Pavid  IrrbUeh,  1654-1676,  1  vol.  pet  în-lS,  v.  {j4ne. 
rel) • — » 

Toutes  les  pièces  qui  composent  ce  recueil  factice ,  à  Texception  d'une 
seule,  ont  été  écrites  pir  des  Jésuites.  En  voici  le  catalogue  :  1.  Exercice 
journalier  fort  dépôt,  accommodé  au  tempt^  et  trè$  utile  à  toutes  sortes  de 
personnes;  1050, 12  pag.  —  2  Litanies  de  N.-S.  Jésus^hrist ,  de  la  bienr- 
heureuse  Vierge  Marie,  pour  bien  mourir,  et  de  saint  François,  etc.: 
1059,  24  pag. — 3.  Litanies  des  très  sainctes  trois  personnes^  Jésus,  Maria, 
Jûuph,  et  de  leurs  proches  parents;  1656, 12  pag.  —  &.  Utanies  de  Jésus, 
Marie  et  Joseph;  1670,  12  pag.  —  5.  V  Office  de  la  Conception  immaculée 
de  la  sainte  Vierge  Marie,  avec  les  litanies  de  Lorette  et  prières  de  S. 
Meehtilde  pour  une  heureuse  mort,  1676,  24  pag.  Les  hymnes  et  les  an- 
tieiUMS  sont  en  vers  françois.  C'est  à  peine  si  nous  osons  citer  uo  paatagt 
de  eette  étrange  poésie  : 

Gloire  soit  au  Père  Céleste 

Au  Fils,  à  l'Esprit  Paradète, 

Ainsi  qu'elle  a  toujours  été 

Dès  le  point  de  l'éternité , 

Qu'elle  est  dans  le  temps  où  nous  sommas. 

Et  sera  toujours  cy-après. 

Tant  que  les  Anges  et  les  hommes 

Rouleront  de  siècles  divers. 

On  lit  dans  le  Mémorial  des  contestations  doctrinales  aux  Pays-Bas, 
p.  S38  (  Toyet  le  n«  318  ci-dessus  ) ,  un  décret  de  l'inquisition ,  donné  à 
Rome  lo  17  février  1678  ,  qui  supprime  un  petit  livre  intitulé  :  Office  de 
la  Conception  immaculée,  etc.  Cet  office  commence  ainsi  :  A  Matines  : 
Eia  mea  labia  nunr  annuntiate,  etc.  (sus,  ma  bouche ,  il  est  temps  d'an- 
noncer les  louanges,  etc.),  et  finit  par  l'oraison  :  Oeus  qui  per  immacula- 
tam  Virginis  conceptionem,  etc.  (Dieu  tout-puissant,  qui  par  la  Conception 
innnaculée,  etc.) ,  avec  défenses  à  toute  personne  d'avoir  la  hardiesse  de 
retenir  ehe%  soi  ledit  office,  le  lire^  l'imprimer,  ou  le  faire  imprimer.  U 
est  facile  de  reconnaître  que  VOffice ,  traduit  en  françois  dans  ce  recueil , 
est  le  même  que  celui  qui  fut  publié  en  latin  et  condamné  par  l'inquisition. 

6.  5*eMiiyreji/  les  quime  effusions  de  nostre  Sauveur  et  Rédempteur 
JéMUê-Chtist  ;  1654,  24  pag.  Cet  opuscule  est  suivi  du  Voyage  douleureux 
du  Sauveur^  et  du  Stabat  Mater^  traduit  en  vers  françois.  Dans  le  Voyage 
douleureux ,  l'auteur  a  supputé  en  détail  le  nombre  de  pieds  parcouniN 
par  notre  Sauveur,  depuis  le  mont  des  Olives  Jusqu'au  Golgotha.  •  Quinm 


600  BULLETIN    DU    BIBLIOPHILE. 

«  mille  quatre  pieds  et  demy  contient  le  chemin  par  leqael,  en  pQu 
«  d*heurc8,  le  Sauveur  fui  traîné.  Il  est  croyable  qu*il  fit  plusieurs  autres 
«  pas,  estant  tirasse  çà  et  là  par  la  cruauté  des  Juifs.  • 

7.  La  Couronne  dorée  de  No$tre-Dame  ;  1667, 24  pag.,  grav.  sur  bois.  — 
8.  lÀtanieê  de  S.  François  de  Sales;  1670,  12  pag.  —  0.  Dévotion  à  S. 
François  Xavier ,  avec  l'ordre  des  faveurs  spirituelles  ou  tempareUeSt  qu*on 
peut  obtenir  de  Dieu  par  cette  pratique  ;  1665, 12  pag.  —  10.  lÀtaniei  à 
l' honneur  de  S.  François  Xavier,  apostre  des  Indes ,  eompméu  pat  D* 
Franç.'Gaspar  de  Villarovel,  évesque  dans  V Amérique  ;  avec  les  Sougpirs 
ardents  de  S.  François  Xavier  (en  vers  françois),  et  une  concession  de 
200  jours  d*indulgonce  à  tous  ceux  qui  Liront  dévotement  lesdits  Sùu^irs 
ardents:  1667, 12  pag.  —  11.  Litanies  de  S,  Gertrude;  6  pag.  — 13.  LUa'- 
niashtatae  Mariae  Virginis.  Le  françw  est  sur  Voir  :  Jesu  nostra  rtdempUa; 
166A,  12  pag.  Chaque  verset  des  litanies  est  paraphrasé  en  quatre  vers 
françois.  Par  exemple  : 

Virgo  clemens. 

Pleine  de  clémence  et  douceur. 

Ne  s'indigne  pour  nous  pécheurs. 

Elle  nous  secourt  puissamment 

Et  miséricordieusement. 

15.  Manière  de  practiquer  la  dévotion  des  neuf  mardys^  instituée  en 
l'honneur  de  saint  Antoine  de.  Podoue,  avec  sept  dévotes  affections  divisées 
selon  les  jours  de  la  sepmaine,  dédiée  à  M,  Pierre-Fr.  d'Affry^  gouverneur 
du  comté  de  Neufchâtel^  par  les  frères  Mineurs  conventuels  de  S.  François; 
1676,  02  pag.  Ce  petit  livre ,  publié  en  Thonneur  d'un  saint  qui  a  Dieu 
même  entre  ses  mains,  et  semble  l'obliger  à  ne  lui  refuser  aucune  grâce  , 
a  dû  trouver  bïQn.des  lecteurs,  malgré  le  haut  degré  de  mysticisme  dont 
il  est  empreint.  En  effet ,  saint  Antoine  ne  se  borne  pas  à  accorder  des 
faveurs  spirituelles,  il  étend  encore  sa  bienveillante  intercession  aux  choses 
temporelles.  Ainsi,  il  ressuscite  les  morts,  il  guérit  les  malades,  il  donne  la 
richesse  aux  indigents,  et  surtout  il  fait  retrouver  les  objets  perduft.  Parmi 
les  miracles  du  saint ,  décrits  dans  cet  opuscule ,  il  en  est  un  qui  se  renou- 
velle quelquefois  de  nos  jours,  mais  dont  le  résultat  n'est  pas  précisément 
la  canonisation  de  ceux  qui  l'opèrent:  t  Son  père,  dit  l'auteur,  avoit  payé 
•  une  somme  d'argent  à  quelqu'un,  sans  en  avoir  tiré  quittance;  on  Tobli- 
«  geoit  en  justice  de  payer  une  seconde  fois.  S.  Antoine,  pour  empOcher  la 
«  justice  d'errer  en  ce  ra«,  fit  trouver  entre  les  mains  de  sondit  père  une 
«  bonne  quittance ,  la<iuelle  fut  reconnue  et  acceptée.  —  Voyes  conune 
«  l'erreur  se  di^sipe  au  nom  de  S.  Antoine  de  Padoue.  » 

là.  Pacte  et  accord  que  Von  peut  faire  avec  la  très  saincte  Vierge 
Marie,  mère  de  Dieu,  par  le  P.  François  Poire,  de  la  Comp.  de  Jétus; 
1672,  in-32,  16  pag.  —  15.  Bastion  royal  contre  tous  les  vices;  in-S2,  8  p. 
— 16.  Oraison  à  saint  Ignace  ;  placard  in-32  oblong. 

325.  Reformatorium  vite  morumque  et  honestatis  cleri- 
coruin  saliiherrimum.  In  urbe  BasileUy  perMich.  Furter, 


BULLETIN    DU   BIBUOraiLB.  607 

1AA&  (149A),  1  vol.  pet.  in-8,  goth.»  mar.  noir;  tr. 
dor.  {Duru.) 68—» 

On  lit  dans  U  Manuel  du  Ubruire  :  •  Oavrace  rare ,  éMU  Taiiteiir  est 
«  Jac.  Philippe  curé  de  Saint-Pierre  de  Bâie.  L'erreur  daaa  la  date  de 
«  rimpretsion  en  a  tait  un  objet  de  curiosité.  Vendu  iSl  tr» ,  mar.  eitr. 
•  U  Vallière.  » 

Cette  note  rend  notre  tâche  facile.  Nous  ajouterons  seulement  que  cet 
eieinplaire  ne  le  cède  en  rien  à  celui  du  duc  de  La  Vallière«  sous  le  rap- 
port de  la  eomenration,  des  marges  et  de  la  reliure. 

Au  surplus,  ce  livre  n'est  pas  entièrement  dépourvu  d'intérêt.  L'une  des 
parties,  intitulée  :  De  iignit  ruine  et  iribuiaeionit  ecelene ,  est  une  satiir 
des  mœurs  du  clergé,  et  renferme  de  curieux  détails.  Les  règles  que  donne 
Tauteur  De  communi  vita  clericorum  pouvoient  s'appliquer  également  à  la 
réfonnation  des  abbayes.  L'énumération  des  choses  défendues  aux  clercs 
par  les  SS.  Pères,  par  les  conciles  et  par  les  règlements  diocésains ,  nous 
parolt  aujourd'hui  fort  extraordinaire.  Rn  effet,  ne  seroit^-ce  pas,  de  nos 
Jours,  une  ironie,  même  une  insulte,  que  de  défendre  aux  membres  du 
clergé  de  hanter  les  tavernes  ?  Ceci  prouve  que  le  /tefbrmu/oriiuii  tciv^er- 
rimum  doit  être  considéré  comme  un  fragment  de  l'histoire  ecclésiaatique 
du  naoyen-àge,  et  que  les  mœurs  publiques  se  sont  purifiées  à  mesure  que 
la  lumière  chassoit  devant  elle  les  ténèbres  de  l'ignorance. 

326.  Senftlebi^n.  Philosophia  moralis  ad  politico-cbris- 
tianë  conversandum,  per  Joannem  Senftleben,  ë  soc. 
Jesu.  Pragcty  typis  et  sumpt,  Vnivers.  Carolo-Ferdinandeœ, 
1683,1  vol.  pet.  iu-12.  fr.  gr.,  douze  eaux4ories  par 
Jo.  Fre.  Necker,  rel 36 — » 

Ce  lirre  est  divisé  en  trois  parties.  Ccnversatio  prudent;  Convenatin 
mniea;  Convenatio  ciiiiit,  affabilis,  faceta.  Chaque  partie  se  compose  de 
douie  paragraphes,  et  chaque  parsgrapho  est  orné  d'une  gravure  embléma- 
tique, relative  au  sujet  traité  par  l'auteur.  Les  paragraphes  10,  H  et  13 
de  la  3*  partie,  contiennent,  sous  le  titre  de  Faceta  dtc/erta,  cent  reparties 
facétieuses.  Cette  Philotophie  morale  symbolisée  est  suivie  de  vers  latins , 
rangés  par  ordre  alphabétique,  et  extraits  de  Virgile,  d'Ovide,  de  Senèque, 
de  Publ.  Syrus,  etc.  Cet  appendice  est  intitulé  :  Gemmulae  pœticae  in 
omatum  philoêophiae  moralis. 

Ce  volume  de  163  pages  avec  les  pièces  liminaires  et  l'index ,  renferme 
donc  des  préceptes  moraux,  des  emblèmes,  des  bons  mots,  et  des  apo- 
phtegmes en  vers,  tirés  des  classiques  latins.  J.  Senftleben  avoit  pris  pour 
devise  :  Miêcuii  utile  duld- 

327.  Villon.  Les  Œuvres  de  Françoys  Villon  de  Paris, 
rcvenes  et  remises  en  leur  entier  par  Clément  Marot. 


608  BDLLET1N   DU   BIBLIOPHILE. 

PariSf  Amoul  et  Charles  les  Angeliersy  s.  d.,  in-16,  mar. 
cîtr.  fil.  tr.  dor.  {Bauzonnet.) 120~» 

Avec  des  notes  de  La  Monnoye,  qui  a  en  outre  copié  sur  des  feuilleta 
placés  au  commencement  et  à  la  fin  de  cet  exemplaire  trois  ballades  attri* 
buées  à  Villon  et  des  extraits  de  difTérents  ouvrages  relatifs  à  ce  pofite 
estimé. 


PUBLICATIONS  NOUVELLES. 

328.  Le  Cabinet  historique,  revue  mensuelle,  contenant, 
avec  un  texte  et  des  pièces  inédites,  intéressantes  ou 
peu  connues,  le  catalogue  général  des  manuscrits  que 
renferment  les  bibliothèques  publiques  de  Paris  et  des 
départements  touchant  l'histoire  de  l'ancienne  France 
et  de  ses  diverses  localités  avec  les  indications  de 
sources,  et  des  notices  sur  les  bibliothèques  et  les  ar- 
chives départementales  sous  la  direction  de  Louis  Pa* 
ris,  in -8 — » 

Le  titre  que  nous  venons  de  transcrire  indique  amplement  les,diTen 
sujets  recueillis  dans  te  Cabinet  historique^  qui  parott  tous  les  mois,  du  25 
au  30,  par  cahiers  de  3  à  3  feuilles  et  1/2,  ou  68  à  56  pages ,  texte  bisto- 
rique,  et  le  Catalogue  contenant  IMndication  de  300  manuscrits  enYiron. 

Prix  :  12  fr.  pour  Paris;  iU  fr.  peur  les  départem.  ;  16  fr.  pour  l*étranger. 

La  première  livraison  de  la  seconde  année,  que  nous  avons  sous  lea 
yeux,  contient  parmi  les  PifecES  inédites  :  I.  Un  Mémoire  contre  François 
Poncet,  d*Auxerre,  voleur  et  assassin,  vivant  dans  la  prejnière  moitié  du 
règne  de  Louis  XIV.  —  II.  Lettre  inédite  de  dom  Bretagne  à  Urbain  Plan- 
cher, au  sujet  de  sa  querelle  avec  Tabbé  Lebeuf,  pour  la  possession  des 
reliques  de  saint   Optât.  Le  chanoine   d'Auxcrre  y  est  assez  maltraité. 

D.  Claude  Bretagne,  né  en  1625,  à  Senmr,  en  Bourgogne,  mort  à  Rouen 
le  15  juillet  169/i,  supérieur  de  la  Congrégation  de  Saint-Maur  a  publié  : 
Vie  de  Bachelier  de  Gentes^  Reims,  1680,  in-8. — Merveilles  de  Notre^ 
Dame  de  Bethléem  de  Ferrières  en  Gdtinois.  —  Relation  de  la  procestion 
du  corps  de  saint  Remy,  etc.  Il  étoit  un  des  collaborateurs  à  l'Histoire  de 
Champagne  que  préparoient  les  religieux  de  Saint-Benott. 

III.  Deux  lettres  du  président  Bouhier,  suivies  d*une  lettre  de  Brossette, 
lo  commentateur  de  Boileau  et  Tun  des  nombreux  correspondants  du  labo- 
rieux président. 

IV.  Deux  lettres  du  curé  Meslier  :  •  Meslier  a  eu  le  triste  honneur  de 
devancer  de  quelques  années  l*èrc  dite  philosophique.  Il  étoit  athée  de 
cœur  avant  les  publications  de  la  maison  d*Holbach  et  G**,  qui  n'a  pu 
revendiquer  la  gloire  de  l'avoir  formée.  Meslier  s'est  fait  lui-même ,  on 
plutôt,  isolé  au  milieu  d'un  peuple  inculte,  il  laissa  égarer  son  esprit  à  la 
solution  de  questions  oiseuses,  à  des  lectures  imprudentes,  qui  ruinèrent 
et  éteignirent  en  lui  la  foi.  II  étoit  de  Mazemi  (canton  d'Osmont,  arrondis- 
sement de  Rhetel).  né  le  15  juin  166A  de  pauvres  ouvriers  en  serge,  qui 


BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE.  009 

cédèrent  à  un  braye  curé  du  ? oiainage  le  aoin  de  son  éducation.  Entré  au 
•éminaire  de  Reims,  il  fut  pourvu  de  la  cure  d*Êtrépigny,  le  18  décembre 
iM4,  et  Ton  sait  qu'il  mourut  en  1720.  Sa  vie  fût  exempte  de  reproches, 
et  l'exercice  qu'il  fit  des  vertus  évangéliques  préparoit  peu  au  scandale  du 
malbeureui  écrit  qui  a  fait  sa  répuution.  —  Cependant  on  cite  quelques 
singularités  de  ce  bizarre  personnage  et  le  trait  que  nous  allons  rapporter 
cadre  bien  avec  la  baine  qu'il  témoigne  à  plusieurs  reprises  dans  ses  écrits 
contre  l'oppression  des  grands.  Mesiier  avoit  refusé  de  recommander  au 
prdne  le  seigneur  d'Étrépigny,  qui  avoit  maltraité  quelques-uns  de  ses 
paroissiens;  le  cardinal  de  Mailly,  alors  archcvôque  de  Reims  devant  qui 
la  contestation  fut  portée,  l'y  contraignit,  et  le  dimanche  qui  suivit  cet 
ordre,  le  curé  monta  en  chaire  et  dit  en  présence  du  seigneur  :  •  Voilà  le 
soit  ordinaire  des  pauvres  curés  de  campagne  ;  les  arcbevesques,  qui  sont 
de  grands  seigneurs ,  les  méprisent  et  ne  les  écoutent  pas  ;  ils  n'ont  des 
oreilles  que  pour  la  noblesse  ;  recommandons  donc  le  seigneur  de  ce  lieu , 
et  prions  Dieu  pour  M.  de  Clairy  ;  demandons  à  Dieu  sa  conversion ,  et 
qu'il  lui  fasse  la  gr&ce  de  ne  point  dépouiller  l'orphelin.  • 

Cette  manière  de  réparation  fut  peu  goûtée  de  M.  de  Clairy,  et  l'état  de 
goerre  continua,  et  fut  itérativement  dénoncé  à  l'arche vôché.  Réprimandé 
de  nouveau,  le  curé,  dit-on,  en  conçut  une  telle  mortification  qu'il  se  laissa 
mborir  de  faim.  Nous  savons  ai^ourd'bui  qu'à  ce  dépit  se  Joignoit  chez 
Mesiier  un  chagrin  ttérieux:  Mesiier  deveooit  a\eugle,  malheur  qu'il  redou- 
toit  depuis  longtemps,  et  qui  acheva  de  le  dégoûter  de  l'existence.  On  com- 
prend qu'avec  les  tristes  doctrines  dont  il  s'étoit  nourri ,  n'étant  plus 
retenu  ni  par  le  devoir,  ni  par  l'espérance,  riun  ne  l'arrêta  dans  la  voie  du 
suicide.  Du  reste,  autant  le  malheureux  Mesiier  avoit  mis  de  soin  à  cacher 
de  son  vivant  les  désolantes  doctrines  dont  il  étoit  imbu,  autant  une  fois  le 
parti  de  mourir  arrêté,  prit-il  ses  mesures  pour  qu'après  sa  mort  elles  pus- 
sent acquérir  la  plus  grande  publicité.  L'ouvrage  dans  lequel  il  avoit  consi- 
gné tes  opinions,  très  nettement  écrit  de  sa  main,  en  triple  exemplaire , 
dûment  scellé,  fut  par  ses  soins  |)orté  au  greffe  de  Sainto-Menehould,  lieu 
de  la  juridiction  d'Étrépigny,  à  l'ofFicialité  de  l'archevêché  de  Reims, 
et  à  l'hôtel  de  ville  de  Méxières.  En  même  temps  Mesiier,  pour  mieux 
atteindre  son  but,  laissoit  deux  lettres,  l'une  à  l'adresse  du  clergé  de 
Reims,  l'autre  à  l'adresse  des  curés  des  environs  d'Étrépigny. 

Cette  livraison  du  Cabinet  hhtorique  se  termine  par  une  suite  du  Cata- 
lof/ue  général  dtt  documents  et  manuMcrits  relatifs  à  la  Bourgogne. 

S29.  HucHER.  Études  sur  T histoire  et  les  monuments  du 
département  de  la  Sarthe.  Le  Mans^  impr.  de  Ch.  Mon- 
nayer, 1856, 1  vol.  gr.  in-8  de  276  pages  br.  et  enrichi 
d'un  grand  nombre  de  gravures  sur  bois,  sur  cuivre  et 
sur  pierre 7    50 

Véritable  moaaique,  ce  livre  offre  comme  le  reflet  des  divers  talents  qui 
ont  prêté  à  l'auteur  leur  concours  affectueux.  M.  Lassus,  l'habile  architecte, 
donne,  tout  d'abord,  l'histoire  bibliographique  de  la  plus  ancienne  carte 
do  Maine.  M.  LandeJ,  qui  possède,  à  lui  seul,  plus  de  documents  sur  ladté 
du  Mans  que  toutes  les  bibliothèques  du  département,  raconte  ensuite 
lea  ridtsitudes  des  anciennes  enceintes  de  la  ville  :  il  dit  les  noms  et  la 
place  des  tours  qui  flanquoient  ses  murailles,  la  date  de  leur  construction 


MO  BULLETIN   IHJ    BIBLIOPHILE. 

et  de  leur  démolition,  etc.  ;  un  docoDie&t  original,  copié  presque  in  extenso, 
sert  de  pièce  justificative  à  cette  partie  du  livre.  Plus  loin  M.  Charles  donne, 
dans  un  style  vif  et  piquant,  l'histoire  de  La  Ferté-Bemard ,  sa  patrie;  il 
en  a  étudié  surtout,  avec  amour,  la  belle  et  curieuse  église,  le  second  monu- 
ment du  département,  dans  Tordre  d*intért^t.  M.  Charles  n'est  pas  moins 
compétent  lo»qu*il  s'agit  de  reconstituer  l'ancien  état  militaire  de  La 
Ferté,  et  il  appuie  tous  ses  récits  de  l'analyse  de  documents  originaux , 
inédits  jusqu'à  ce  jour,  et  qu'il  exhume  des  divers  dépôts  de  La  Ferté  et 
du  Mans. 

M.  Drouet,  qui,  à  toutes  les  époques,  a  montré  tant  de  zèle  pour  la  con- 
servation des  monuments,  fait  connottre  ensuite  ce  qu'étoit  la  mosaïque 
do  I^oHt-SairU-Jtttti^  lorsqu'elle  fut  découverte  par  H.  le  Tkomte  de  Dreoi- 
Bréié,  en  septembre  1844.  On  Mit  qu'aujourd'hui  il  n'en  ri'ste  plus  rien; 
mais  le  beau  dessin  que  nous  donnons  en  perpétuera  le  souvenir. 

Enfin,  M.  iUyabauh  a  bien  voulu  doter  ce  travail  d'une  intéressante 
révélation,  au  point  de  vue  bibliographique  :  il  s'agit  de  la  découverte  d'un 
très  ancien  Almanach  manoeau,  publié  par  Jehan  Deïetpme,  docteur  en 
médecine^  pour  l'année  1534. 

L'auteur  a  i^outé  à  ces  piquants  articles  quelques  notices,  dans  lesquelles 
il  passe  en  revue  les  vitraux  de  la  cathédrale  du  Mans  (  rose  et  chapelle 
du  chevet),  les  statues  de  son  portail  roman,  dont  il  a  donné,  le  premier, 
un  commencement  d'explication  fondé  sur  l'épigraphie  ;  une  ancienne  étoffe 
de  soie,  déposée  dans  le  trésor  de  l'église  de  la  Couture  du  Mans,  et  d'ori- 
gine sananidc,  selon  l'opinion  d'un  illustre  savant  ;  une  curieuse  maison  de 
la  vieille  ville ,  dite  d'Adam  et  d'Ëvc,  construite  précisément  par  le  même 
Jehan  Delespine  dont  nous  venons  de  parler  ;  enfin ,  la  magnifique  pierre 
tombale  de  Saint-Ouen-en-Beiin. 

On  y  remarque  aussi  un  travail  assez  étendu ,  et  richement  Illustré  de 
bois  gravés  et  de  planches  de  cuivre ,  sur  Sillé-le-GuilIaumc ,  petite  ville 
historique  qui  sera  visitée  par  plus  d'un  touriste,  aujourd'hui  que  le  chemin 
de  rOuesty  conduit,  sans  efforts,  des  flots  do  voyageurs;  l'auteur  recon* 
stituc  la  liste  de  ses  barons,  explique  et  décrit  ses  monuments,  donne  la 
pierre  tombale  du  bienheureux  Geoffroy  de  I/>udun,  les  sceaux  de  tous  les 
hcigncur»  des  environs;  enfin  publie,  pour  la  premii-re  fcis,  le  tombeau, 
du  XIII*  siècle,  de  l'église  de  Neuvillette,  qui  donne  lieu  à  un  piquant  article 
de  critique. 

Le  volume  se  toniiine  par  une  esquisse  sur  la  plus  grave  des  ma- 
tières, la  sigillographie;  c'est  uu  aperçu  rapide  qui  initie  le  lecteur  à 
cette  austère  science,  la  sœur  de  la  numismatique,  dont  les  éléments 
avoient  été  confinés,  jusqu'à  ce  jour,  dans  d'énormes  volumes  trop  peu 
accessibles  au  public. 

Un  grand  nombre  de  gravures  snr  bois,  et  quatorze  planches  sur  cuivre 
ou  sur  pierre,  dont  ({uelqucs-unes  tn-/b/to,  rendent  ce  volume  réellement 
remarquable  au  point  de  vue  archéologique  et  même  du  bon  marché. 

330.  Delepierre  (Ociai;e).  De  la  littéralure  uiacarouîque 
et  de  quelques  raretés  bibliographiques  de  ce  genre. 
Londres^  1855,  iu-8,  pap.  véliii 8  —» 

Voir  sur  ce  petit  ouvrage,  tiré  à  cinquante  exemplaires ,  les  VariétéÊ 
bibliographiqueê  de  cette  livraison. 


BULLETIN 


DU 


BIBLIOPHILE 

BEVUE    MENSUELLE 
PUBLIÉE   PAR  J.    TECHENER 

A  TEC     LE    CONCOURS 

Db  mil  L»  RâMiBii,  Conservateur-Administrateur  à  la  Bibliothèque  du 
Lowre  ;  Ap.  BtiQUR  ;  G.  Brunbt  ;  F.usèbc  Castaignb,  bibliothécaire 
à  Aii0Oiilème ;  J.  Cbeno  ;  db  Clinchamp,  Bibliophile;  V.  Cousin,  de 
l'Académie  Françoise;  Dbsbabrbalx-Bbrnard,  Bibliophile;  A.  Dinaux; 
A.  Eanocr,  Bibliophile  ;  Fbrdinand-Denis,  Conservateur  à  la  Bibliothèque 
Sainte-Geneviève;  J.  db  Gaillon;  Alfred  Giraud ;  Grangibr  db  La 
MAamiBaB,  Bibliophile  ;  P.  Lacroix  (Bibliophile  Jacob)  ;  J.  Lamoorbdx  ; 
C  Lbbbb;  Leroux  de  Lincy  ;  P.  de  Malden  ;  de  MoNHERQué  ;  Fr.  Morand  ; 
Padun  Paris,  dePInstitut;  Louis  Paris;  D'  J.  F.  Payen;  Philarete 
Chaslbs,  Conservateur  à  la  Bibliothèque  Mazarine;  J.  Pichon,  Pn}- 
aident  do  la  Société  des  Bibliophiles  François  ;  Sbbob  Poltoratzki  ; 
Ratbbbt,  Bibliothécaire  au  Louvre;  Rouard;  S.  de  Sacy,  de  l'Académie 
Vruiçoiae  ;  Sainte-Beuve,  de  l'Académie  Françoise;  Ch.  Wbiss;  Yemeniz, 
de  la  Société  des  Bibliophiles  François  ;  etc.;  etc., 

coîitbnant  des  notices  bibliographiques,  philologiqupsy  histo- 
biques,  litt^rairks,  kt  lf.  catalogue  raisonna.  des  livres  dk 
l'Éditeur. 

MARS. 


DOUZIÈME  SÉRIE 

A   PARIS 
J.  TECHENER,  LIBRAIRE 

PLACE  DE  LA  COLONNADE  DU  LOUVRE  N»  M. 

1856. 


4t 


Sommaire  des  n<>*  de  Mars  de  la  douzième  série  du  Bulletin 

du  Bibliophile. 


REVUE  DE8  VENTES.  —  I.  Notice  bibliographique 
sur  les  ventes  Duplessis  et  Parison,  par  M.  Silvestre 
de  Sacy 013 

fl.  Liste  de  quelques  principales  adjudications  de  la 
vente  Duplessis 617 

III.  Compte  rendu  analytique  de  la  vente  des  livres  de 
M.  Parison^  par  M.  Jacq.  Charles  Brunet 618 

LE  CÉSAR  DE  MONTAIGNE,  par  M.  Cuvillier-Fleury.      625 

CORRESPONDANCE  du  Bulletin  du  Bibliophilk.  — 
Lettre  à  l'éditeur,  relative  à  un  article  de  M.  Payen, 
inséré  dans  la  précédente  livraison,  par  M.  Grun. . .       6A& 

—  Lettre  sur  le  même  sujet,  par  M.  Philarète  Chasies.      610 

CATALOCiUE 6ft7 


REVUE  DES  VENTES 


I. 

BIBLIOTHÈQUES  DE  M.  G.  DVPLESSIS  ET  DE 

M.  PARISON. 


Nous  alloos  mettre  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs  les  adju- 
dications principales  de  ces  deux  ventes  qui  ont  obtenu  cha- 
cune dans  leur  genre  un  succès  mérité.  Voici  au  surplus  Tan- 
nonce  qu*en  avoit  faite  M.  de  Sacy  dans  le  Journal  des  Débats 
do  1 2  février  : 

Nous  avons  à  annoncer  une  nouvelle  qui  intéresse  les  ama- 
teurs de  livres  et  le  public  lettré  :  deux  bibliothèques  impor- 
tantes vont  être  vendues  dans  le  courant  de  ce  mois,  la  biblio- 
Uièque  de  M.  G.  Duplessis,  ancien  recteur  de  TAcadémie  de 
Douai,  décédé  il  y  a  environ  deux  ans,  et  la  bibliothèque  de 
M.  Parisoo,mort  tout  récemment  dans  un  ôge  avancé.  La  vente 
des  livres  de  M.  Duplessis  commencera  le  18  février,  et  celle 
de  M.  Parison  le  25  du  même  mois.  Le  catalogue  de  la  première 
de  ces  deux  bibliothèques  se  distribue  chez  M.  Potier,  libraire, 
quai  Malaquais,  9,  et  le  catalogue  de  la  seconde  chez  M.  La- 
bitte,  libraire,  sur  le  même  quai,  3.  Ces  deux  catalogues,  rédi- 
gés avec  beaucoup  de  soin  et  précédés  Tun  et  Tautre  d'une  no- 
tice sur  le  propriétaire  des  livres  qui  vont  être  vendus,  méritent 
d'être  lus.  La  notice  sur  M.  G.  Duplessis  est  de  M.  Preux,  pre- 
mier président  honoraire  de  la  Cour  impériale  de  Douai»  et  la 
notice  sur  M.  Parison  est  de  M.  J.-C.  Brunet,  le  savant  auteur 
du  livre  intitulé  :  le  Manuel  du  libraire  et  de  l'amateur, 

11  semble  que  le  hasard  se  soit  plu  ix  rapprocher  ces  deux 


61 A  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

ventes  et  à  confondre  le  souvenir  des  deux  hommes  savants  et 
modestes  dont  les  bibliothèques  vont  être  livrées  en  même  temps 
aux  enchères.  L'un  et  l'autre  aimoient  passionnément  les  livres 
et  en  avoient  fait  une  étude  approfondie.  L'un  et  l'autre,  dans 
une  fortune  médiocre,  avoient  trouvé  le  moyen  d'en  réunir  un 
grand  nombre  à  force  de  soins  et  de  patience,  et  de  les  choisir 
excellents.  M.  G.  Duplessis  recherchoît  davantage  les  raretés 
littéraires,  sans  négliger  pourtant  les  classiques  grecs,  latins  et 
françois,  qu'il  connaissoit  parfaitement.  Le  goût  de  M.  Parison, 
sans  être  exclusif  (quand  on  a  le  bonheur  d'aimer  les  livres,  on 
les  aime  tous) ,  le  porloit  de  préférence  vers  ces  ouvrages  de 
littérature  et  d'érudition  ancienne  et  moderne  qui  composeront 
éternellement  le  fonds  de  toutes  les  bonnes  bibliothèques.  La 
bibliothèque  de  M.  G.  Duplessis  attirera  particulièrement  ces 
amateurs  délicats  qui  ont  des  livres  pour  eux  seuls  et  qui  les 
trouvent  d'autant  plus  précieux  que  peu  de  personnes  partagent 
avec  eux  le  plaisir  de  les  posséder.  11  y  aura  plus  de  ces  livres 
qui  conviennent  à  tout  le  monde,  du  moins  à  tout  le  monde  let- 
tré, dans  la  bibliothèque  de  .M.  Parison.  M.  G.  Duplessis  atlendoit 
les  siens  et  les  guettoit  en  quelque  sorte  au  passage,  assez  maître 
de  lui-même  cependant  et  assez  raisonnable  pour  les  laisser 
aller  et  se  contenter  de  les  examiner  d'un  œil  curieux  lorsqu'un 
prix  trop  élevé,  une  concurrence  trop  ardente  les  éievoient  au- 
dessus  de  ses  modestes  ressources.  11  savoit  bien  que  le  jour 
d'un  amateur  patient  arrive  tôt  ou  tard,  et  que  le  livre  qu'il  fau- 
droit  disputer  à  prix  d'or  tombe  quelquefois  de  lui-même  entre 
les  mains  du  connoisseur  qui  veille.  Il  me  semble  voir  encore  ce 
bon  et  sage  M.  Duplessis,  avec  sa  mise  propre  et  simple,  son 
air  grave  et  doux,  l'œil  ardent  néanmoins  dès  qu'un  livre 
nouveau  lui  étoit  présenté;  il  me  semble  le  voir  tranquillement 
assis  dans  le  magasin  de  M.  Potier  et  y  passant  des  heures  en- 
tières, toujours  prêt  à  faire  part  aux  survenants  de  ses  vastes  et 
sûres  connoissances,  mais  gardant  volontiers  le  silence  lorsqu'on 
ne  l'interrogeoit  pas.  Il  n'éprouvoit  pas,  comme  certains  ama- 
teurs dont  je  me  garderai  bien  de  faire  la  critique  pour  d'excel- 


BULLETIN    DU    BIBUOPHILE.  615 

lentes  raisous,  le  besoin  insatiable  de  posséder.  11  jouissoit  avec 
bonheur  des  livres  môme  qui  ne  faisoient  que  passer  dans  ses 
mains.  11  les  voyoit  tous  et  n*en  gardoit  pour  lui  qu*un  petit 
nombre.  Une  simple  note,  prise  sur  l'exemplaire  qu*un  concur- 
rent heureux  alloit  lui  enlever,  satisraisoit  son  goût  et  sa  pas. 
sion.  S'il  n'avoit  pas  acquis  un  livre,  il  avoit  acquis  une  con- 
iioissance  de  plus  sur  ces  livres  qu'il  adoroit.  Aussi,  dès  qu'une 
question  un  peu  difficile  se  présentoit  en  ce  genre,  un  de  ces 
problèmes  de  bibliophile  qui  ont  aussi  leur  importance  dans 
l'histoire  littéraire,  étoit>ce  à  M.  Duplessis  qu'il  failoit  s'adres- 
ser ;  sa  complaisance  n'étoit  pas  moins  inépuisable  que  son  sa- 
voir. L'aimable  et  l'excellent  homme  ! 

H.  Parison  avoit  commencé  sa  bibliothèque  avec  luxe.  Les 
éditions  splendides  et  les  riches  reliures  avoient  séduit  son 
goût  Très-versé  dans  les  langues  grecque  et  latine,  amoureux 
de  Térudition  qu'il  cultivoil  pour  son  propre  plaisir  sans  éprou- 
ver le  besoin  de  la  réputation,  il  recherchoil  les  beaux  et  les 
grands  ouvrages.  Cette  passion  de  sa  jeunesse  a  laissé  de  bril- 
lantes traces  dans  sa  bibliothèque.  Une  armoire  particulière 
contient  en  ce  genre  de  vrais  trésors,  peu  nombreux,  il  est 
vraL  H.  Parison  s*étoit  bientôt  rangé  à  un  goût  plus  modeste, 
mais  qui  lui  avoit  permis  de  composer  sa  bibliothèque  sur  un 
plan  plus  vaste.  Ses  livres,  il  les  cherchoit  lui-même  sur  les 
quais,  à  une  époque,  je  me  hâte  de  le  dire,  où  l'on  trouvoit  sur 
les  quais,  plus  souvent  qu'aujourd'hui,  d'excellents  ouvrages 
délaissés  par  des  amateurs  ignorants,  excellents  pour  le  fond, 
excellents  même  pour  la  forme  et  d'une  condition  très-élégante 
ou  du  moins  très-pure,  de  beaux  in-12  d'autrefois,  reliés  soli- 
dement en  veau  fauve  ou  en  veau  marbré.  Pendant  cinquante 
ans  peut-être,  M.  Parison,  d'une  main  sûre  et  heureuse,  a 
écrémé  journellement  la  boite  modeste  des  libraires  en  plein 
vent.  Il  a  fait  là  de  précieuses  découvertes,  ne  fût-ce  que  celle 
de  cet  exemplaire  des  Commentaires  de  César,  avec  une  longue 
note  manoscrite  de  Montaigne,  livre  inappréciable,  acheté  90  cen- 
times par  M.  Parison,  et  qui  se  vendra  prochainement  Dieu 
sait  combien,  au  feu  des  enchères!  Je  n'ai  pas  connu  H.  Parison 


616  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

pour  mon  niallicur  ;  yaï  vu  sa  bibliothèque,  j'cu  ai  parcouru 
avidement  les  rayons.  C'est  simple,  en  général,  mais  appétift- 
sant  par  la  propreté,  pîur  je  ne  sais  quel  air  de  choix  délicat  et 
savant.  Quant  aux  amateurs  proprement  dits,  qu'ils  se  fassent 
ouvrir  Farmoirc  mystérieuse,  qu  ils  demandent  à  voir,  à  toucher 
de  leurs  mains  le  PliUon  en  deux  volumes  in-folio,  le  Pline  aux 
armes  de  de  Thou,  le  Vcycce^  exemplaire  ayant  appartenu  à 
Henri  III,  le  Virgile  Ëlzevier,  Ylùiripide  aux  armes  du  comte 
d'IIoym,  le  TClêmaque  de  Lon^epicrre,  les  Provinciales  aux 
armes  de  M'"*  Ghamillart,  le  Dictionnaire  de  fiayle  aux  armes 
de  M""*  de  Pompadour  ;  ou  plutôt  qu'ils  lisent  le  catalogue  de 
M.  Labitte,  car  j'en  oublie  et  des  meilleurs. 

Je  ne  puis  pas  énumércr  non  plus  tous  les  trésors  de  la 
bibliotht^que  de  M.  G.  Duplessis.  Les  littératures  étrangères, 
très-famili(>res  au  vaste  savoir  de  M.  I)u[)lessis,  littératures  ita- 
lienne, angloise,  espagnole,  etc.,  y  iigurent  pour  un  bon  nombre 
de  livres  très-précieux  et  très-rares.  M.  Duplessis  s'étoit  beau- 
coup occupé  des  proverbes  de  toutes  les  nations  ;  il  avoit  com- 
posé sur  ce  sujet  de  curieux  et  savants  ouvrages.  L'article  des 
proverbes  est  donc  un  des  plus  riches  de  son  catalogue.  Il  re- 
cherchoit  aussi  les  éditions  originales  de  nos  grands  classiques; 
il  possédoit  celles  de  Montaigne»  de  La  Rochefoucauld,  de  La 
Bniyère,  etc.,  avec  de  belles  et  brillantes  reliures.  Les  poètes 
du  XVI*  siècle,  des  éditions  les  plus  ran^s  et  les  plus  recher- 
chées abondent  dans  sa  collection.  Je  citerai  encore  VHaracc 
Ëlzevier  relié  par  Derome  ;  les  Contes  de  La  Fontaine,  édition 
dite  des  fermiers  généraux  ;  les  (ouvres  de  Molière  de  1682, 
des  Rabelais  fort  rares,  les  Contes  de  Marguerite  de  Valois^  les 
serves  de  Bouchet,  un  cancionero  général  d'Anvers,  1573;  le 
Mystère  de  la  Passion,  Paris,  1539.  Je  m'arrête;  il  faudroit  tout 
citer  et  tout  prendre,  si  Ton  avoit  assez  d*argent  pour  cela.  J'a- 
jouterai seulement  qu'à  la  fîn  de  cette  vente  on  offrira  aux  ama- 
teurs deux  ouvrages  d'une  haute  importance,  qui  ne  font  point 
partie,  je  crois,  de  la  bibliothèque  personnelle  de  M.  G.  Du- 
plessis :  un  recueil  de  mazarinades  des  plus  complets,  et  un 
Voltaire  unique  qui  ne  contient  pas  moins  de  12,800  figures. 


BULLETIN   DU   niBLlOPHILB.  617 

C*e8t  le  Voltaire  illustré  par  les  soins  de  M.  le  comte  de  Saint- 
Mauris.  On  n'en  trouveroit  pas  un  pareil  dans  le  monde  entier. 
Voilà  donc  encore  deux  belles  bibliothèques  qui  vont  être 
dispersées  !  Une  réflexion  me  console  :  ceux  qui.  les  possédoient 
en  ont  joui  sagement.  Ce  n'étoit  pas  pour  eux  un  meuble  de 
luxe,  une  vaine  décoration  d'appartement.  Ils  aimoient  les  beaux 
livres ,  mais  ils  les  aimoient  pour  les  lire  ;  ils  en  paroient  leur 
esprit,  ils  en  nourrissoient  leur  cœur.  Dans  ces  livres,  M.  Du- 
plessifl  et  M.  Parison  avoient  cherché  et  trouvé  ce  qui  est  le 
véritable  fruit  des  livres,  la  tranquillité  de  l'&me,  le  gofit  d'une 
vie  simple,  modeste  et  cachée.  M.  Duplessis  et  M.  Parison  ont 
été  heureux  ;  ils  méritoient  de  Tétre.  La  science  leur  a  donné 
ce  qu'elle  devroit  donner  toujours,  la  sagesse.  Tâchons  d*étrc 
bibliophiles  aux  mêmes  conditions  qu'eux  !  Le  goût  des  livres, 
quand  il  n'est  pas  la  passion  d'une  âme  honnête,  élevée,  déli- 
cate, est  le  plus  vain  et  le  plus  puéril  de  tous  les  goûts. 

8.  DE  8ACY. 


II. 

Liste  de  quelques  principales  adjudications  de  la  vente 

de  M.  G,  Duplessis. 

N«  31.  Heuros  de  Notr»>Dame  de  Chiulret,  WX «...  210  fr. 

89.  Montaigne,  1580 , , . , .  332 

253.  Le  second  volume  de  Cathon 350 

302.  Marguerites  de  la  Marguerite,  1554,  in-16 200 

43tt.  Contes  de  La  Fbntaine,  édition  des  fermiers^énéraux.  173 

470.  Aindeoour.  Poiiiên.  1007 300 

kBOt  Trdtor  dea  chansons  amourousos,  16U 200 

571.  Oriando  Farioso,  1533.. 283 

000.  Molière,  1682 320 

«70.  Racine,  1007 110 

TOt.  Sérées  de  Boucliet. 180 

813.  GoUeeUon  de  Caron 183 

810.  Gûlloction  do  Joycusetex. 2A0 

1002.  Les  Menus  Propos. 101 

1471.  RccueO  de  Mazarinades. 380 

1472.  Voltaire, 4,000 


618  BULLETIN   DU   BIBUOPHILE. 


iri. 


VENTE  DES  LIVRES  DE  M.  PARISON. 


La  bibliothèque  de  M.  Parison,  dont  la  vente  vient  de  se 
faire  dans  l'appartement  de  ce  bibliophile  distingué,  quai  des 
Augustins,  n**  9,  peut,  sous  plus  d'un  rapport^  être  comparée  à 
celle  du  savant  traducteur  d'Hérodote,  M.  Larcher,  laquelle  fut 
vendue  très-avantageusement  à  la  fin  de  Tannée  181/i.  L'une  et 
l'autre,  composées  particulièrement  d'auteurs  classiques  grecs 
et  latins,  de  livres  de  philologie  et  d'ouvrages  relatifs  à  This- 
toire  ancienne,  ont  été  également  formées  par  des  hommes  peu 
favorisés  des  dons  de  la  fortune  ;  mais  qui,  à  force  d'économie, 
et  après  plus  de  soixante  années  de  persévérance,  sont  parvenus 
à  laisser,  en  mourant,  deux  collections  remarquables  par  l'ex- 
cellent choix  des  ouvrages  et  des  exemplaires  qu'elles  conte- 
noient.  M.  Larcher,  il  est  vrai,  dans  les  dernières  années  de  sa 
vie  avoit  été  revêtu  de  fonctions  lucratives,  qui,  en  augmentant 
considérablement  son  revenu  lui  avoit  enûn  permis  de  se  pro- 
curer des  éditions  princeps  d'un  grand  prix  et  des  exemplaires 
en  grand  papier  qu'il  avoit  longtemps  convoités.  Moins  heureux 
à  cet  égard  que  ce  savant,  M.  Parison,  dont  le  revenu  annuel 
atteignoit  à  grand'peine  /i^OOO  fr.  et  qui  sur  cette  modique 
somme  avoit  à  prélever  un  loyer  de  1000  fr.  et  les  gages  d'une 
servante,  s'étoit  vu  forcé  de  diminuer  successivement  ses  ac- 
quisitions de  livres,  à  mesure  qu'augmentoit  le  prix  des  choses 
les  plus  nécessaires  à  la  vie.  Pourtant,  comme  quelque  heureux 
hasard  lui  avoit  procuré  de  temps  en  temps,  à  des  prix  très- 
modiques,  des  livres  précieux  soit  par  leur  rareté,  soit  par  la 
beauté  des  reliures,  la  collection  qu'il  a  laissée  après  sa  mort 
n'étoit  guère  inférieure  à  celle  de  M.  Larcher,  et  elle  avoit 
même  sur  cette  dernière  l'avantage  d'être  plus  variée,  et  de 


bUtLLTlN    1>U   BIBUOPHILE.  619 

présenter  des  curiosités  bibliographiques  tout-à-fait  analogues 
au  goût  du  jour.  Toutefois  si  Ton  compare  les  prix  auxquels 
quelques-uns  des  mêmes  livres  ont  été  portés  dans  les  deux 
ventes  on  sera  affligé  de  voir  dans  quel  discrédit  sont  tombées, 
depuis  1816)  les  meilleures  éditions  anciennes  des  auteurs  clas- 
siques grecs  et  latins  et  certaines  grandes  collections.  Tel  livre 
(le  Platon,  édit.  de  Deux-Ponts,  en  12  vol.  in-8<>)  qui  avoit  été 
payé  130  fr.  dans  la  première  vente  a  été  donné  pour  30  fr. 
dans  la  seconde;  d'autres,  par  exemple  les  in-^<»,  cumnoiis 
diversorum,  les  in-S**,  cum  notis  variorum,  et  surtout  les  beaux 
iu-fol.  imprimés  en  Hollande,  ont  perdu  de  60  à  80  pour  100  ; 
en  sorte  que  ce  qui,  en  ce  genre,  n'avoit  pas  coûté  moins  de 
25,000  fr.  à  M.  Parison,  a  produit  à  peine  10,000  fr.  Mais  par 
bonheur  pour  les  héritiers  de  notre  bibliophile  ce  déficit  a  été 
amplement  compensé  par  la  plus  value  d*un  certain  nombre  de 
beaux  livres  qui  ont  été  portés  à  des  prix  exorbitants,  par 
suite  de  Tentrainement  auquel  plusieurs  amateurs,  et  particu- 
lièrement Fauteur  de  cet  article,  se  sont  laissé  aller.  La  plupart 
de  ces  livres  curieux  avoient  été  acquis  à  des  prix  très-faibles, 
soit  aux  étalages  des  bouquinistes,  soit  môme  chez  les  libraires 
et  dans  des  ventes  plus  ou  moins  célèbres,  avant  que  ces  sortes 
de  curiosités  eussent  acquis  la  haute  valeur  que  leur  donne 
aujourd'hui  une  concurrence  nombreuse. 

Pour  faire  mieux  juger  de  TefTet  qu'a  produit  cette  concur- 
rence à  la  vente  de  M.  Parison,  nous  allons  donner  ici  les  prix 
des  acquisitions  d'un  certain  nombre  d'articles  précieux  com- 
parés à  ceux  des  adjudications ,  en  prévenant  qu'il  convient 
d'ajoBter  5  pour  100  à  ces  derniers.  Nous  commencerons  par 
les  trtÎGles  trouvés  aux  étalages  : 

N*  h  Biblîa,  1526,  in-/i,  aux  armes  d'Henri  H,  mais  assez  mal 
conservée,  achetée  3  fr.  en  1820,  sur  le  pont  Notre-Dame, 

vendue 220  fr. 

1&  Psalterium  Davidicum,  1555,  in-16,  exemplaire 
du  connétable  Anne  de  Monmorency,  acheté  65  c. 
en  1827,  sur  le  quai  de  l'École,  et  vendu 250  fr. 


620  BULLETIN    DU    BIBLIOPHILE. 

15  Liber  Psalnioruin,  in-8,  exemplaire  d'Henri  111, 
acheté  1  fr.  25  c  chez  un  fripier  au  Marais,  en 
1850 159  fr. 

23  Paraphrase  des  psaumes  par  Godeau,  in-ili,  reliure 
attribuée  au  Gascon ,  acheté  2  fr.  sur  le  quai  de 
TÉcole,  vendu 180  fr. 

83  Office  de  la  semaine  sainte,  exompl.  de  Louis  XV, 

acheté  1  fr.  25  c.  sur  le  Pont-Neuf,  en  1847,  vendu      60  fr. 

176  Les  Provinciales,  2  vol.  in-12,  exempl.  de  madame 
Ghamillart,  acheté  10  fr.  à  Tétalage  de  Dabin,  en 

1828,  vendu 350  fr 

177  Autre  édit.  des  Provinciales,  aux  armes  de  Gha- 
millart; exempl.  donné  &  M.  Parison,  vendu. . .     355  fr. 

2/iO  Explication  des  maximes  des  saints,  exemplaire 
de  Godet  Desmarais,  évéque  de  Ghartres  ;  acheté 

1  fr.  en  1811,  vendu 2ft0  fr. 

662  Pline  le  naturaliste,  édit.  de  1608,  in-8,  exempL 
de  de  Thou,  acheté  5  fr.  sur  le  quai  Voltaire, 

en  1820,  vendu 100  fr. 

575  Gento  giochi,  in-4,  avec  la  signât,  de  Montaigne, 

acheté  1  fr.  50  c. ,  vendu 89  fr. 

764  Florilegium,  in-8,  même  signature,  acheté  1  fr., 

vendu 69  fr. 

1059  La  religion,  poOme  de  L.  Racine,  pet.  in-12, 
reliure  en  veau  dont  les  plats  représentent  un 
parterre  de  jardin,  acheté  2  fr.  75  c.  sur  le  pont 

St-Michel,  vendu 52  fr. 

1153  Plautus,  in-24,  exempl.  du  cardinal  de  Ri- 
chelieu, acheté  2  fr.  50  c,  vendu 108  fr. 

1185  Le  Misanthrope,  édit.  de  1667,  acheté  25  c.  et 

la  reliure,  vendu %      63  fr. 

1208  lléliodorus,  in-8,  exempl.  deMaioli,en  mauvais 

état,  acheté  30  c,  vendu 370  fr. 

1232  Télémaque,  in-12,  édit  originale,  acheté  2  fr. 

vendu 55  fr. 


BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE.  624 

18/|2  Fragnienla,  in-/i,  exempl.  de  de  Tbou,  acheté 

1  fr.  50  c.  vendu 88  fr. 

1908  César,  édit.  de  Plantin,  in-8,  avec  des  notes  et 
une  page  de  la  main  de  Montaigne,  acheté  90  c. 
en  décembre  1892  (pas  1801),  sur  le  quai  de 

la  Monnoie,  vendu 1550  fr. 

Le  jour  où  M.  Parison  fit  cette  trouvaille  mer- 
veilleuse fut  certainement  un  des  plus  heureux 
de  sa  vie  ;  à  peine  venoit-il  de  la  faire  que,  ren- 
contrant un  de  ses  amis,  il  voulut  dans  son 
enthousiasme  qu*il  baisa  comme  une  relique  cet  * 

affreux  bouquin.  M.  van  Praet  lui  en  offrit  le 
même  jour  300  fr.  mais  il  n'étoit  pas  homme  à 
le  céder^  lui  en  eût-on  donné  10,000  fr. 

2\ki  Histoire  des  rois  des  deux  Siciles,  in-^,  mar.  bl. 

doublé  de  mar.  acheté  3  fr. ,  vendu 95  fr. 

2168  Maria  Stuarta,  in-12,  v.  f.  exempl.  dedeThou, 

acheté  1  fr.,  vendu 46  fr. 


UVRES    ACUETÉS    CUtZ    DES   LIBRAIRES  OU    DAJ<iS    DBS   VENTES 

PUBLIQUES. 

38  Novum  Tcstamentum,  1649,  2  vol.  in-12,  mar. 

bl. ,  acheté  12  fr.,  vendu 86  fr. 

lOS  Philo.  Judœus,  2  vol.  in-fol.,  vente  Clavier, 

acheté  111  fr.,  vendu 2j60  fr. 

161  Élévations  à  Dieu,  par  Bossuet,  2  vol.  in-12,  m. 

r.,  acheté  6  fr.,  vendu 160  fr. 

S71  Boethius,  in*8,  mar. ,  Derome,  acheté  1 5  fr.  60  c 

en  1799,  vendu 93  fr. 

525  Gemini  afltronomica,in*8,  exempl.  de  de  Thou, 

acheté  10  fr.,  vendu 80  fr. 

638  Glossarium  médias  graecitatis,  in-fol,  acheté 

30  fr.,  vendu 93  fr. 


622  BULLETIN    DU    BIBLIOPHILE. 

687  Dictionnaire  de  Ménage,  2  vol.  in-fol.  Padeloup, 

acheté  60  fr.,  vendu 220  fr. 

67/i  Deux  dialogues  d*Henri  fistienne,  1579,  in-16, 

acheté  18  fr:,  vendu 69  fr. 

7/i/i  Recueil  d'oraisons  funèbres,  4  vol.  in -12,  mar. 

acheté  16  fr. ,  vendu 251  fr 

763  Poelœ  grœci  principes,  in-fol.  mar.  à  compart. 

de  la  bibliothèque  de  de  Thou,  acheté  122  fr. 

vente  Firmin  Didot,  vendu 6M  fr. 

776  Mulieres  grflpcœ,  3  vol.  in-4,  gr.  pap.  mar.  r. 

■ 

Derome,  acheté  151  fr.  vente  Maucuneen  1799, 

vendu 522  fr. 

793  Eudoxiic  centones,  joli  manuscrit  d'Ange  Ver- 
gece,  in-8,  provenant  de  Brotier,  acheté  50  fr., 
vendu 805  fr. 

871  Virgilius,  édit.  d'Elzevir,  1636,  mar.  bl.  (91ig.) 

acheté  40  fr.  en  1792,  vendu 600  fr. 

884  Horatius,   1699,    pet.  in-12,  mar.  Padeloup, 

acheté  12  fr.  vente  Crozat,  en  1813,  vendu 160  fr. 

958  Panopliœ  artium  ;  Album  de  Dupuis,  acheté 
6  fr.  dans  la  cour  Si-Martin  chez  un  bouquiniste, 
par  M.  By,  accoucheur,  et  cédék  M.  Parison  en 
1804,  en  échange  de  quelques  livres,  estimés 

9  fr.,  vendu 1000  (r. 

1008  Œuvres  de  J.  Molinet,  1587,  in-8,  Bauzonnet, 

acheté  48  fr.,  vendu 131  fr. 

1 028  Mellin  de  St-Gelais,avec  les  notes  de  Lamonnoye, 
acheté  5  fr.  65  c,  vente  Laujon,  en  août  1811 

(avec  TédiL  de  1719),  vendu 460  fr. 

1022  L'exemplaire  de  l'édition  de  1719,  vendu 16  fr. 

Le  po6te  chansonnier  Laujon,  connu  par  ses 
A  propos  de  Société,  et  mieux  encore  comme  au- 
teur de  V Amoureux  de  quinze  ans,  jolie  pièce 
composée  par  lui  à  l'occasion  du  mariage  du  duc 
de  Bourbon,  dont  il  éloit  le  secrétaire,  avoit 


BULLETIN   DU  BIBLIOPHILB.  02S 

eu  autrefois  une  assez  bonne  bibliothèque,  qu'il 
fut  obligé  de  vendre  pendant  la  révolution.  A  A 
mort,  arrivée  en  1811,  il  n'en  restoit  plus  que 
quelques  débris  que  l'on  vendit  aux  enchères, 
sans  en  publier  le  catalogue.  A  cette  vente 
M.  Parison  acheta  encore ,  indépendamment  du 
SaintrGelais,  le  Passerat  (n»  1037),  3  fr.,  re- 
vendu 99  fr.  ;  le  firuscambille  (n»  1233),  payé 
k  fr.  et  revendu  67  fr.,  et  le  Vico,  in-4,  exem- 
plaire de  Grolier  (n<'  2363),  joli  volume  payé 
7  fr.  et  revendu  1800  fr.  !  !  ! 

Il  est  à  remarquer  que  Tannée  1811  a  été 
très-favorable  pour  notre  bibliophile ,  car  ce 
fut  à  cette  même  époque  qu'il  se  procura  plu- 
sieurs beaux  livres  du  Cabinet  de  Firm.  Didot  ; 
qu'il  trouva  pour  1  fr.  V Exposition  des  Maximes 
des  Saints ,  déjà  citée,  et  enfin  qu'il  fit  l'impor- 
tante acquisition  des  papiers  de  Brotier,  parmi 
lesquels  se  sont  trouvés  tant  de  précieux  auto- 
graphes. 

1208  Heliodorus,  in-8,  mar.  à  compart.,  acheté  10  fr. 

chez  Blondel,  place  Saint-Germain-l'Auxerroi^, 

vendu 370  Ir. 

1233  Télémaque,  édit.  de  1717,  2  vol.  in-12,  mar. 

bl.,  exemplaire  de  Longepierre,  acheté  30  fr. 

vers  1802,  chez  Passart,  au  Louvre ,  vendu..  1700  Ir. 

Cette  enchère  extravagante  a  été  portée  pour 
le  compte  d'un  vieux  bibliophile,  qui,  cette  fois, 
n'a  pas  fait  preuve  de  sagesse. 

H02  Petronius,  cum  notis  variorum,  in-8,  Derome, 

acheté  36  fr.,  vendu 89  fr. 

1{|21  Adagia,  in-6,  mar.  r.  le  plus  beau  de  Thou  de 
la  bibliothèque  de  M.  Parison,  acheté  12  fr.  chez 
Blondel,  en  1804,  vendu 161  Ir. 


62 A  BULLETIN  DU  BIBUOPHILB. 

1529  PlutarchuB,  1590,  2  vol.  in-fol.  mar.  r.  armes 
(le  Ac  Thou,  QclieU^  l\2  fr.  vente  Le  Blond, 
en  1802,  vendu 335  fr. 

1715  Kusebii,  etc.  Ilistoria  ecclesiastica,  3  vol.  in-fol. 

acIioU^  /i8  fr.  en  1802,  vendu 120  Tr 

1773  nistoin3de  Porl-lloyal,  6  vol.  in-12,  v.  f.  Pade- 

loup,  ackot(^.  kO  (r.  en  18[i9,  vendu 152  fr. 

1858  llerodotus,  editio  Wesselingii,  in-lol.,inar.De- 
ronie,  itchoté  92  fr.  vente  Maucune  en  1799, 
vendu 151  fr. 

187/i  Diodorus  Sioulus,  2  vol.  in-fol.  mar.  r.  Derome, 

ixdwÀé  100  fr.  ni^^nie  vente,  vendu 205  fr. 

1905  SullustiuR,  15/i3,  in-8,  mar.  bl.  armes  du  comte 
d*lIoym,  acheté  80  fr.  vente  de  Bure,  jeune,  en 
1849,  vendu 176  fr. 

HIM  Dictionnaire  do  Bayle,  1720,  h  vol.  in-fol. 
mar.  r.,  armes  de  madame  de  Pompadour, 
achoW  200  fr.  en  1 797,  vendu 319  fr. 

1.0  \v*  22.'iô,  comprenant  TAntiquité  expliquée  et  les 
Monuments  do  la  monarchie  française,  par  le 
l\  Montfaucon,  20  \ol.  in-fol.  çr.  pap.,  reliés 
on  \.  f.,  qui  on  tlort'al  an  m  (mai  1796),  avoit 
oto  )K)yo  10,000  fr.  en  assignats,  représentant 
alors  9jO  fr.  en  ar^nit ,  n'a  été  vendu  que 585  fr. 

JACi}*  CHARLES  RRIAET. 


LE  CÉSAR  DE  MONTAIGNE. 

Nous  avons  pensé  que  nos  lecteurs  retrouve roisnt  ici  avee  plaisir  les 
deux  articles  suivants  sur  le  Cé»ar  de  la  vente  Parison ,  articles  qui  ont 
paru  dani  le  Journal  diê  Déhati  (n**  des  10  et  13  mars  1B50),  et  que  Tau- 
ti»ur  nous  autorise  à  reproduirp. 

1. 

Un  Jour»  il  y  a  longtemps  de  cela,  ce  bon  M.  Parison,  qui 
étoit  an  savant  modeste  et  un  chercheur  infatigable,  trouva  sur 
le  quai  un  aiïreux  petit  volume  relié  en  basane  qu'il  paya  qua^ 
tre*vingt-dix  centimes.  Ce  volume  étoit  le  César  de  Montaigne, 
qui  vient  d'être  vendu  quatre-vingt-dix  louis  (1)  aux  enchères 
de  la  bibliothèque  de  M.  Parison. 

Pour  apprécier  la  joie  que  dut  éprouver  notre  savant,  quand 
il  se  vit  en  possession  de  ce  bouquin  incomparable,  il  faut  avant 
tout  se  rendre  bien  compte  de  ce  qui  se  passe  dans  Tftme  d*ttn 
vrai  bibliophile  quand  il  découvre  un  trésor.  D'abord  a  Tinven- 
teur  »  d'un  trésor  de  cette  sorte  n'a  rien  à  démêler  avec  l'arti-^ 

cie  716  du  Gode  civil,  lequel  dispose  :  « Si  le  trésor  est 

trouvé  dans  le  fonds  d'autrui,  il  appartient  pour  moitié  à  celui 
qui  l'a  découvert,  et  pour  l'autre  moitié  au  propriétaire  du 
fonds,  n  Le  trésor  que  découvre  un  bibliophile  est  bien  à  lui; 
et  il  y  a  une  bonne  raison  à  cela  :  ce  n'est  pas  seulement  sa 
découverte,  c'est  son  invention,  presque  son  œuvre.  Si  M.  Pa- 
rison n'avoit  pas  été  un  lettré  de  premier  ordre,  un  habile  dé- 
chiffreur  de  vieux  manuscrits  et  un  coîleetionneur  à  outrance, 
si  môme  il  n'eût  appartenu,  bien  avant  la  création  du  mot,  à 
cette  classe  d'érudits  qu'on  appelle  aujourd'hui  assez  gauche- 
ment Aesmantaignologues  ;si  M.  Parison  n'avoit  pas  réuni  tous 
ces  avantages,  il  n'auroit  pas  sans  doute  attaché  plus  de  prix  au 
César  de  Montaigne  que  l'étalagiste  qui  l'estimoit  si  peu ,  et  le 

(1)  Le  Cétar  (Cœtarh  Commeutarii^  1570,  petit  in-S»  bas,  n**  1,008  du 
catalogue)  a  été  acheté  1,550  Tr.  par  M.  Techcner  pour  le  compte  de  M.  le 
duc  d*Aumale,  non  compris  les  frais  de  vente  et  de  commiision;  soit  à  peu 
près  1,100  fr. 


K^,-  v!Lir-:*  ^:  xrxtyj^'BZi. 


L:  ^ivii.  u^  1  MC  n»  MSkfïflHSLC  k  rïdc  û^  î*cr«  ^  inl  le 

i>L.'>  ucry*»:  A.  Ty.<rz  i  %  TïTtiiJT.  *c  j«  -çTiiri:*  bussent 
'^r.^A  jl  :rr.r  oiiiTiK  ô^  *ix.:vr-ï  z-vn-h:*  ifîTLii:  oecîT  rûK  des 

Cè^^.  ht  î'!f-  k  itil.  ii  ^•-.•tj*  rri^i-i  r»î--5s ed:!>:«5 d^s  ch»- 
»>;;*^  4«:  i  4i.*i7-.'^:  «  '■! 5.  ^'>  r^rirc.î  rî\  tv-:2\  livres,  — 
SfV.ûy;':***  ff%.Ci^/K*.  Irrj'-riirr**  *-r  Tr  ii.  n  îiit^rrlts  ave»:  msnia- 

atv^ii^rftt  proOU:  0  un^  trf-ve  ;<«ar  falr-=-  '^cr  iiiviiion  bibliogra- 
phique er.  France  apr*r*  !*:  traite  d  .\in!-=^>.  rroSteot  de  la  pais 
y^ï  rec/Huib^rij'.-er  ;a  càm[Azai  apr^  ia  Rf^IauraLion,  et  ils 
«rttpfjrt^ût  d<&ris  leurs  ch^t^ui  ces  dépouille^  opimes^  qui  y  sont 
eric/ire,  v>us  ia  protection  du  droit  d'aine>s^.  En  ldf2.  hausse 
Mibite  dei»  VAihs'xTh,  qui  dure  plu>  de  quinze  ans:  puis,  vers 
1  >.'//,  f^endan:  que  ie>  Flzevirs  retombent  en  baisse,  el  que  les 
tÀiîSSU{\ï*ts  Kre^rs  et  latins  sont  cabneplat,  cumoie  disoit  \odier, 
les  romans  de  chevalerie,  les  mystères  el  les  vieux  poètes  sont 
plus  que  jamais  '-  demandés  i  I).  Depuis  vingt  ans,  même  va- 
riation dann  la  fortune  des  livres:  même  inconstance  dans  le 
(Toiit  et  dan»  le  prix  des  reliures.  J'ai  connu  un  amateur  (  le 
premier  de  tous  !  )  qui  '<  déshabilloit  »  impitoyablement  tous 
les  vieux  livre»  qui  lui  tomboieiit  sous  la  main,  sans  égard  pour 
les  chefH-d'aruvre  d'un  art  plutôt  rajeuni  que  surpassé.  Ten 
«'finnois  d'autres  qui  croiroient  déshonorer  un  maroquin  vicu\ 
(te  Irois  ou  quatre  siècles  s'ils  y  laissoient  mettre  la  plus  légère 
couche  d'or  on  de  vernis.  Qui  |)eut  dire  les  destinées  si  diverses 

(1;  Ifu  l'rij    t-ouninl  tlfn  livrai  nu  en  ila:iN  \o  ItuUftin   du  Uiblioyhiie . 
P»rii»,iiunilH:{7. 


BULLETIN   OU   BIBLIOPHILE.  627 

des  Gascon,  des  Dusseuil,  des  Derome,  des  Pasdeloup,  des 

« 

Bradel,  des  Bozerian?  Qui  ne  sait  ce  que  deviennent  souvent, 
sur  le  marché,  les  magnifiques  veaux  fauves,  les  vélins  satinés, 
les  tranche-files  métalliques,  les  charnières  dorées,  les  brillants 
écussons  qu'admiroient  nos  pères? 

Comment  en  un  plomb  vil  Tor  pur  s'est-il  changé? 

Comment  ce  qui  avoit  coûté  si  cher  tombe-t-il  à  rien?  Ou 
pourquoi  ce  que  vous  aviez  payé  un  écu  en  vaut-il  tout  à  coup 
cinquante  pour  avoir  vieilli?  Tantôt  une  indifl'érence  sans  pitié, 
tantôt  un  engouement  sans  raison.  L'amour  n'est  ni  plus  capri- 
cieux, ni  plus  passionné,  ni  plus  prodigue.  <(  ...Je  trouve  éga- 
«  lement  naturelle,  dftoil  Nodier,  l'élégante  prodigalité  du  cu- 
«  rieux  qui  enrichit  le  Virgile  d'Aide  et  l'Horace  d'Elzevir 
c  d'un  vêtement  somptueux,  et  celle  de  l'amant  qui  suspend 
c  une  rivière  de  diamants  aux  épaules  de  sa  maltresse.  La  bi- 
«  bliomanie  est  peut-être  encore  de  l'amour.  Une  bibliothèque 
«  de  luxe  est  le  harem  des  vieillards...  »  Soit!  pourvu  que  les 
trésors  qu'on  y  rassemble  n'y  soient  pas  possédés  par  des  eu- 
nuques. 

Revenons  à  Montaigne.  J*ai  montré  la  mode  à  peu  près 
maltresse  sur  la  place,  quand  il  s'agit  des  éditions  rares  et  des 
vieilles  reliures,  décidant  tour  à  tour  du  prix  d'un  incunable  ou 
d'un  Didot,  d'un  filet  gothique  ou  d'un  vélin  blanc.  Montrons 
qii*elle  décide  quelquefois  du  destin  des  auteurs  eux-mêmes. 
Montaigne,  pour  ne  parler  que  de  lui,  en  est  bien  la  preuve. 
Très-recherché  de  son  vivant,  comme  le  témoignent  les  lettres 
d'Eslienoe  Pasquier,  très-admiré  après  sa  mort,  même  de  Bi- 
cbelieu  qui  accepta  la  dédicace  de  l'édition  de  1635,  la  vogue 
du  grand  sceptique  commence  à  baisser  vers  le  milieu  du 
xvn*  siècle.  De  1580 ,  date  de  la  première  publication  des^ 
Essais,  à  1650,  le  docteur  Payen,  c'est-à-dire  l'homme  de 
France  qui  connoit  le  mieux  Montaigne  et  ses  abords^  compte 
trente  et  une  édition  de  son  auteur;  de  1650  à  172&,  six  édi^- 


Ô28  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

lions  seulement  (1).  Puis  à  ce  moment  la  faveur  lui  revient.  On 
réimprime  ses  œuvres  à  Londres,  à  Paris^  à  Genève^  à  la  Haye, 
à  Amsterdam,  treize  fois,  de  1724  à  1801.  Ici,  nouvelle  déca- 
dence de  la  popularité  de  Montaigne^  qui  ne  se  relève  qu'en 
1 8 1 6  et  par  une  série  non  interrompue  de  réimpressions  jusqu'en 
1836.  Pendant  ces  vingt  ans,  les  Essais  comptent  vingt  éditions; 
et  aujourd'hui,  après  un  autre  quart  de  siècle,  grâce  à  des  travaux 
récents  d'une  valeur  et  d'une  originalité  incontestables,  on  peut 
assurer  que  notre  grand  Montaigne  est  plus  lu,  plus  aimé,  plus 
demandé,  et,  pour  tout  dire  en  un  mot,  u  plus  à  la  mode»  qu'il 
n'y  fut  jamais.  Nous  sommes  donc  bien  loin  du  temps  où  Pas- 
cal écrivoit  :  «Le  sot  projet  qu'a  eu  Montaigne  de  se  peindre!» 

—  où  La  Bruyère  le  défendoit  à  la  fois  contre  Balzac  et  contre 
Malebranche  ;  —  où  Voltaire  disoit  en  pleine  Académie  :  «  Le 
style  de  Montaigne  n*cst  ni  pur,  ni  correct,  ni  précis,  ni  noble;  » 

—  où  La  Harpe  lui-même,  qui  l'a  d'ailleurs  bien  jugé,  lui  re- 
proche l'abus  du  langage  familier;  —  où  M.  Aimé  Martin,  l'é- 
rudit  célèbre,  rofusoit  un  de  ses  autographes  et  contestoit  sa 
signature  (2).  Les  temps  sont  bien  changés;  les  éditions  origi- 
nales de  Montaigne  se  vendent  aujourd'hui  un  prix  fou  ;  ses 
autographes  ont  monté,  nous  l'avons  vu,  dans  la  proportion  de 
dix-huit  sous  à  dix-huit  cents  francs;  on  fouille  les  biblioUië- 
ques  pour  y  découvrir  les  moindres  débris  de  sa  correspon- 
dance; on  se  dispute  ses  lettres  devant  la  justice  (3)...  Si  Mon- 
taigne n'cxistoit  pas,  ce  seroit  le  moment  de  l'inventer.  Mais  à 
l'époque  (c'étoit  en  1801)  où  M.  Parison  trouva  sur  les  quais 
le  César  qui  s'y  morfondoit  dans  la  case  à  quatre-vingt-dix  cen- 
times, Montaigne  n'étoit  encore  qu'un  écrivain  de  génie.  Quoi- 
qu'il eût  été  bien  des  fois  Tobjet  de  travaux  sérieux,  personne 
ne  l'avoit  encore  ni  commenté,  ni  illustré,  ni  autograpbié,  ni 
instrumenté,  ni  plaidé,  comme  il  l'a  été  de  notre  temps.  Mon- 

(1)  Notice  bibliograpMqtte  sur  Montaigne»  Paris,  1837. 

(2)  Voir  dans  le  numéro  du  Bulletin  du  Bibliophile  do  février  1850*  un 
réoeut  article  de  M.  Paycu. 

(3)  Voir  le  apirituol  iVrit  public'-  par  M.  FeuillPt  de  Conches  sous  ce  litre  : 
Encore  me  lettre  de  Montaigne  !  Paris,  1851. 


BULLETIN  DU  BlfiUOPHILC.  629 

taigne  étoit  Montaigne,  et  rien  de  plus.  C'étoit  bien  assez,  a  Ah! 
Tadmirable  homme!  »  écrivoit  M"*'  de  Sévigné,  qui  étoit  restée 
fidèle  à  Tauteur  des  Essais,  «  Ah!  l'admirable  homme!  qu'il 
est  de  bonne  compagnie  (elle  vouloit  dire  :  bon  compagnon). 
C'est  mon  ancien  ami!...  »  Avant  que  Montaigne  eût  été  re- 
trouvé et  remis  h  la  mode  par  l'érudition  moderne,  plus  d'un 
homme  de  goût  pensoit  comme  M"*''  de  Sévigné,  et  le  disoit  tout 
bas.  M.  Villemain  a  eu  le  mérite  de  le  dire  tout  haut  un  des 
premiers,  dans  «  TÉloge  »  que  TAcadémie  françoise  couronna 
en  1812.  Il  a  commencé  la  monrai^/io/o^fie  françoise.  Iln'auroit 
pas  inventé  le  moi,  et  je  suis  sûr  qu'il  ne  l'aime  guère.  Il  doit 
avoir  quelque  respect  pour  la  chose. 

Et  maintenant,  comprend-on  comment  ce  bon  M.  Parison 
put  se  croire  légitime  propriétaire  pour  ses  dix-huit  sous, 
comme  il  l'étoit  en  effet,  de  ce  bouquin  méconnu  dont  la  haute 
valeur  venoil  de  lui  être  si  subitement  révélée?  Il  auroit  dû 
partager  avec  le  vendeur,  dira-l-on.  Partager  quoi?  Une  valeur 
qui  étoit  tout  entière  de  goût  et  d'imagination?  Pour  pouvoir 
juger  à  quel  point  la  valeur  vénale  du  livre  seroit  en  rapport 
avec  ce  prix  tout  imaginaire  que  le  choix  de  M.  Parison  lui 
donnoit,  il  auroit  fallu  le  revendre,  et  M.  Parison  n'y  songeoit 
pas.  Il  songeoit  à  le  garder  et  à  en  jouir,  à  en  jouir  tout  seul, 
avec  le  délicieux  égoïsme  de  l'érudition  et  de  la  passion.  £t 
ausi  bien,  qui  lui  eût,  fait  concurrence  en  ce  temps-là?  En  1801, 
M.  Parison  n'étoit  pas,  comme  nous  tous,  aussi  enfant  que  le 
siècle  qui  commençoil.  Il  étoit  né  en  1771.  Sa  bibliothèque 
avolt  presque  le  môme  Age  que  lui  :  je  crois  vraiment  qu'il  l'a- 
voit  commencée  au  collège.  uLa  bibliothèque,  c'est  l' homme  «»> 
dit  quelque  part  le  docteur  Payen.  Celle  de  M.  Parison  s'ou- 
vroit,  avec  une  prédilection  marquée,  à  ces  livres  curieux  en- 
tre tous  qui  portent  la  trace  des  savants  ou  des  hommes  célèbres 
qui  les  ont  possédés,  ces  livres  préférés  où  ils  mettent  leur  chif- 
fre, leur  nom,  leurs  armoiries,  quand  ils  en  ont,  leurs  notes 
rapides,  leur  pensée,  quelquefois  leur  génie.  A  tous  ces  titres 
le  César  de  Montaigne  appartenoit  à  la  bibliothèque  de  M.  Pa- 


630  BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE. 

rison,  comme  il  apparlient  aujourd'hui  à  celle  qui  Tattend,  en- 
tre TEschyle  annoté  de  Racine  et  TAristophane  de  Rabelais. 
Dans  le  César,  Montaigne  revivoit  en  quelque  sorte  à  toutes  les 
pages.  Au  bas  du  frontispice,  il  avoit  mis  sa  signature  authenti- 
que; sur  les  marges  du  livre,  plus  de  six  cents  notes  (1)  de  sa 
main  inégalement  réparties  sur  trois  cent  trente-six  pages  ;  k  la 
fin  du  volunîe,  au  verso  d'un  des  derniers  feuillets,  tout  entier 
rempli  de  la  plus  fine  écriture  de  Montaigne  (  de  trente-six  li- 
gnes à  la  page  et  de  quarante  lettres  environ  à  la  ligne),  un 
jugement  inédit  sur  le  grand  homme  qui  avoit  écrit  ses  campa- 
gnes de  la  même  main  rapide  et  ferme  qui  avoit  tenu  Tépée  du 
commandement.  Tel  étoit  ce  César  de  Montaigne,  si  heureuse* 
ment  retrouvé  par  M.  Parison  (2).  Montaigne  avoit  consacré 
près  de  cinq  mois  à  Tétude  des  Commentaires.  Commencée  le 
25  février  1578,  par  la  lecture  des  trois  livres  de  la  Guerre  ci» 
vile,  et  deux  ans  avant  la  première  édition  des  Essais,  il  Favoit 
terminée  par  la  Guêtre  des  Gaules,  le  21  juillet  de  la  même 
année.  Après  le  millésime,  Montaigne  avoit  mis  le  chiffre  qui 

(1)  Le  docteur  Payen  se  trompe  cette  fois,  lui  qui  ne  se  trompe  guère , 

quand  il  dit  que  «  le  nombre  des  annotations  ne  s'élève  pas  à  moins  de 

3G8.  »  {Doeumenii  inédits  sur  Montaigne^  1855.)  J'en  ai  compté  644«  ainM 

i-éparties  :  livre  I,  des  Gaules^  43;  livre  II,  32;   livre  III,  37;  livre  IV,  35  ; 

ivre  V,  75;  livre  VI,  82  ;  livre  VII,  123  ;  livre  VIII,  2.  Livre  I,  des  Guerreê 

civiles^  56;  livre  II,  22  ;  livre  III,  137. 

(2)  En  voici  la  description  exacte  :  Au  titre  C.  Julii  CcBsaris  Comnteti, 
tarit,  novis  eme,ndationibus  illustrati.  Ejtisdem  librorum  qui  desiderantur 
fragmenta,  ex  bibliotheca  Fuivi  Ursini  romani,  —  Pour  écussoo ,  la  main 
armée  du  compas  et  traçant  un  cercle. — Antuerpiœ,  ex  officina  Chriêtoph» 
Plantini,  CICDLXX.  Pet.  in-8o  de  409  pages  chiffrées,  le  livre  finissant  par 
16  feuillets  sans  chiffres,  dont  Tun,  le  14*,  contient  la  grande  page  aato- 
graphe  de  Montaigne  ;  le  15«,  deux  lignes  de  son  écriture  ;  le  16%  en  blaor; 
—  et  commençant  par  16  autres  feuillets  également  sans  chiffres  qui  con- 
tieinipnt  les  dédicaces,  Vindex  géographique,  les  cartes  des  Gaules  et  de 
TEspagne,  le  plan  des  fortifications  de  quatre  villos  :  Bourges,  Marseille, 
Uxelodunum  (Cahors),  Alexia,  et  celui  d*un  pont  que  César  fit  jeter  deux 
fois  sur  le  Rhin  et  une  autrt»  fois  sur  l'Auron  devant  Bourges.  «  Estimant 
indijrno  do  l'honneur  du  peuple  romain,  écrit  Montaigne  {Essais^  livre  Ii;. 
qu'il  passast  son  armée  à  navire,  ilfeit  dresser  un  pont,  à  fin  qu'il  paflsast 
ù  pied  ferme.  » 


BULLETIN   DU    BIBLIOPHILE.  631 

Diarquoit  son  âge,  quarante-quatre  ans  avant  le  28  février  (date 
de  sa  naissance),  quarante-cinq  ans  après.  Il  se  précautionnoit 
ainsi,  comme  il  le  dit  lui-même,  contre  les  défaillances  trop 
habituelles  de  sa  mémoire  :  «  Pour  subvenir  un  peu  à  la  trahi- 
«  son  de  ma  mémoire  et  à  son  défault  si  extrême  qu'il  m'est 
«  advenu  plus  d'une  fois  de  reprendre  en  main  des  livres 
c  comme  récens  et  à  moi  incogneus^  que  j'avois  leu  soigneuse* 
o  ment  quelques  années  auparavant  et  barbouiUc  de  mes  notes^ 
«  j'ai  prins  en  coustume  depuis  quelque  temps  d'adjouster  au 
«  bout  de  cbasque  livre  (je  dis  de  ceulx  desquels  je  ne  me  veulx 
ce  servir  qu'une  fois)  le  tems  auquel  j'ai  achevé  de  le  lire  et 
c  le  jugement  que  j'en  ai  retiré  en  gros;  à  fin  que  cela  me  re- 
«  présente  au  moins  l'air  et  idée  générale  que  j'avois  conceu  de 
«  l'aucteur  en  le  lisant...  (1)  »  Et  à  la  suite  de  ce  passage  Mon- 
taigne cite  in  extenso  les  notes  qu'il  avoit  écrites  sur  son  Guic- 
ciardin,  son  Philippe  de  Gomines  et  son  Du  Bellay.  Quant  à 
800  jugement  manuscrit  sur  Gésar,  il  n'en  dit  mot.  Il  le  gardoit 
pour  M.  Parison. 

Je  reviendrai  avec  détail  sur  cette  page  finale  du  Gésar  de 
Montaigne,  et  j'essayerai  de  l'apprécier.  Bornons-nous  aujour- 
d'hui à  la  décrire.  Elle  est  écrite  d'un  caractère  très-fin ,  mais 
lisible.  La  première  ligne  manque  tout  à  fait  :  elle  a  été  visi- 
blement rognée  par  le  relieur.  Il  en  est  de  même  des  notes  qui 
couvrent  les  marges.  Le  mal  est  irréparable.  Fortune  des  livres! 
disions-nous.  G'étoit  bien  la  peine  de  parottre  dans  un  temps 
dont  les  reliures  sont  justement  célèbres,  où  les  Grollier  d'a- 
bord, puis  les  d'Urfé,  les  deThou,ces  pères  de  la  bibliographie 
fraoçoise,  trouvoient,  je  ne  dis  pas  des  ouvriers,  mais  de  véri- 
tables artistes  qui  composoient  pour  eux  des  merveilles  dignes 
de  leur  goût  intelligent  et  magnifique.  Voici  un  exemplaire  de 
César,  imprimé  chez  Plantin,  en  1570,  sorti  des  mains  de  Mon- 
taigne, marqué  de  son  nom,  couvert  de  ses  notes,  illustré  par 
une  page  inédite,  donnant  la  date  de  sa  lecture  et  celle  de  son 

(i)  Estais^  Utt«  D,  ch.  X. 


632  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

âge,  nous  associant  presque  jour  par  jour  à  son  travail  et  à  sa 
pensée;  —  et  cet  exemplaire  tombe  sous  le  couteau  d'un  arli« 
san  grossier,  qui  non-seulement  retranche  cette  ligne  d'en  haut 
à  la  page  finale,  en  rognant  la  tranche  supérieure,  mais  qui 
supprime  deux  ou  trois  lettres  à  chacune  des  notes  marginales 
en  coupant  la  tranche  du  milieu  dans  toute  Tcpaisseur  du  vo- 
lume! Vanité  des  livres,  comme  tout  le  reste!  M.  Charles  No* 
dier  a  fait  d'inutiles  recherches  pour  découvrir  le  nom  des  ha- 
biles relieurs  d'autrefois.  ((  Tel  homme,  dit-il^  a  brodé  sur  le 
dos  ou  sur  les  plats  d'un  beau  livre  du  xvr  siècle  des  arabes- 
ques d'une  ûnesse  et  d'un  goût  qui  feroient  envie  au  crayon  de 
Raphaël  et  au  burin  de  Benvenuto  Cellini,  dont  le  nom  ne  noua 
est  point  parvenu...  »  On  ne  sait  plus  rien  de  ceux  qui  furent 
habiles  ;  on  saura  peut-être  un  jour  le  nom  de  celui  qui  a  rogné 
le  César  de  Montaigne!  On  apprend  tant  de  choses  aujourd'hui! 
Ce  relieur  a  droit  à  la  célébrité  d'Erostrate.  Quant  à  moi,  jo 
voudrois  mettre  ces  malencontreux  rogneurs  de  raretés  sécu- 
laires dans  ce  coin  du  purgatoire  où  le  Dante  a  placé  je  ne  sais 
plus  quels  réprouvés,  qu'il  nous  montre  les  pieds  et  les  mains 
iés  dans  une  immobilité  sans  relâche. 


E  quanto  fia  piaccr  del  giusto  Sire, 
Tanto  staremo  immobili  e  distesi. . . 


Et  aussi  bien  n'est-il  pas  toujours  facile  de  rétablir  le  texte, 
quelquefois  même  le  sens  véritable  de  ces  notes  ainsi  mu- 
tilées. Quelques-unes,  huit  ou  dix  au  plus,  résisteront,  je  le 
crains^  à  toute  interprétation.  Elles  sont  d'ailleurs,  pour  la  plu- 
part, fort  lisiblement  écrites  dans  tout  ce  que  le  ciseau  du  relieur 
a  épargné;  et  je  ne  sais  pas  trop  pourquoi  Montaigne  s'accuse 
quelque  part  «  d'escrire  si  precipiteusement  que,  quoique  il 
peigne  insupportablement  mal,  dit-il,  il  aime  mieulx  escrire  de 
sa  main  que  d'y  employer  une  aultre...  »  Tout  au  contraire,  sa 
main  est  fort  belle.  Sa  correspondance  a  très-bon  air;  toutes 
les  lettres  qu'on  a  récemment  publiées  de  lui>  avec  le  spécimen 


BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE.  633 

antographi^  de  son  écriture,  sont  des  pièces  admirables.  La 
page  finale  du  César  est  également  d'une  parfaite  netteté  ;  et 
quant  aux  notes  marginales  qui  couvrent  le  livre,  elles  sont 
presque  toutes  écrites  visiblement  avec  le  soin  qu'on  met  (quand 
On  a  ce  défaut-là)  à  écrire  sur  les  imprimés  qu'on  aime  à  lire. 
ù  Les  historiens  sont  le  vray  gibier  de  mon  estnde,  »  disoit  Mon- 
taigne dans  la  première  édition  de  ses  Essais.  On  voit  assez, 
dans  le  César  qu'il  nous  a  laissé,  quelle  rude  chasse  il  faisoit  à 
ce  gibier-là  ! 

Quelle  est  au  fond  la  valeur  réelle  de  ces  notes  ajoutées  au 
texte  des  Commentaires?  On  pourroit  les  diviser  en  trois  séries 
distinctes,  suivant  la  manière  dont  elles  sont  rédigées.  Ainsi 
tantôt  ce  sont  de  simples  sommaires  sans  aucune  réflexion,  tels 
que  celui-ci  :  Dénombrement  des  forces  des  Suisses  (p.  16);  — 
r Estât  de  la  Gaule  de  ce  temps  (p.  17);  —  Victoire  de  César 
sur  les  Anglois  (p.  89),  etc.,  etc..  Ailleurs,  le  sommaire  est 
accompagné  d'une  épithète  qui  est  comme  un  jugement  porté 
par  l'auteur  :  Paroles  de  Divico  à  César  (p.  7);  Montaigne 
ajoute  après  coup  le  mot  braves^  pour  marquer  l'état  qu'il  fait 
de  ce  discours  adressé  par  l'envoyé  des  Suisses  au  général  ro- 
main. Honteuse  supplication  des  Gaulois  à  César,  écrit-il  ail- 
leurs (p.  16);  — Patience  des  Alcmands  à  la  guerre  (p.  21); 
—  Estrange  obligation  {p,  59),  etc.,  etc.  Enfin  il  arrive  aussi 
que  tantôt  ces  notes  résument,  par  quelque  pensée  brève  et 
expressive,  la  substance  du  texte,  comme  dans  celle-ci  :  Un 
ban  chef  n'est  jamais  désobéi  (p.  26);  tantôt  elles  ne  sont  que 
la  traduction  précise  et  énergique  de  quelque  sentence  qui  se 
retrouve  dans  l'original,  et  alors  le  commentateur  souligne  sur 
le  texte  la  phrase  qu'il  a  reproduite,  comme  ici,  par  exemple  : 
Le  soldat  aux  guerres  civiles  donne  plus  à  la  crainte  qu'au  de- 
voir (p.  239)  {miles  in  civili  dissensione  timori  magis  quam  re- 
ligicni  consulit).  Ailleurs,  Montaigne  se  contente  de  souligner 
sans  traduire,  comme  dans  cette  phrase  :  Plerumquc  in  summo 
periculo  timor  misericordiamnonrecipit,..  (p.  1/|5),  etc.,  etc. 

Mon  intention  n'est  pas,  on  le  pense  bien,  de  pousser  à  bout 


63A  BULLETIN   DU    BIBLIOPHILE. 

celte  recherche  un  peu  lechnique.  Bornons-nous  à  dire  qu'a- 
près la  peine  de  déchiffrer  ces  notes  de  Montaigne,  on  pourroit 
i»e  procurer  une  grande  satisfaction,  celle  de  les  publier,  en  les 
utilisant,  comme  dit  M.  Payen,  dans  une  édition  nouvelle  de 
César.  L'idée  est  heureuse.  Quel  ne  seroit  pas  Tintérét  d'une 
édition  des  Commentaires  oii  ces  notes  de  Fauteur  des  Essais 
scrviroient  de  guide  au  lecteur  et  le  mettroient  sans  cesse  en 
rapport  avec  ce  grand  et  sage  esprit  ! 

Nous  arrivons  ainsi  à  la  pièce  principale,  à  la  page  autogra- 
phe que  Montaigne  a  écrite  sur  le  dernier  feuillet  de  son  livre. 

Mais  ici  nous  avons  tout  un  petit  drame  à  raconter.  « La 

c  chaleur  des  enchères  met  en  jeu  des  passions  si  vives  et  si 
((  difficiles  h  concevoir,  que  nous  i^e  craignons  pas  de  trop  pro- 
c  mettre,  disoit  le  Bulletin  du  Bibliophile  (janvier  1836),  en 
n  faisant  espérer  à  nos  lecteurs  qu'ils  trouveront  quelquefois, 
((  dans  le  récit  de  ces  innocents  débats,  tout  Tattrait  d'un  spec- 
<  tacle...  ))  Aussi  n'avons-nous  pas  fini  avec  le  César  de  Mon- 
taigne. Nous  sommes  loin  d'avoir  dit,  sur  l'histoire  de  ce  bouquin 
illustre,  ce  qu'elle  renferme  de  plus  nouveau  et  de  plus  curieux. 

IL 

C'étoit  donc,  vers  1801,  un  homme  particulièrement  heureux 
que  ce  bon  M.  Parison,  quand  il  se  vit  possesseur  du  César  de 
Montaigne. 

Nous  venons  de  raconter  l'histoire  de  sa  découverte.  Nous 
dirons  maintenant  l'histoire  de  sa  possession.  M.  Parisoo , 
si  j'ai  bien  compris  quelques  documents  curieux  que  j'ai  entre 
les  mains,  garda  près  de  cinquante  ans  le  trésor  dont  le 
hasard  l'avoit  rendu  maître  à  si  peu  de  frais,  sans  jamais  trahir 
vis-à-vis  du  public  le  secret  de  sa  jouissance.  Appartenoit-il  à 
celte  classe  de  bibliophiles  qui  sont  avares,  jaloux  et  secrets  7 
Je  n'en  sais  rien.  I!  passoit  pour  un  aimable  homme,  fort  obli- 
geant dans  tout  le  reste.  Je  doute  qu'il  fût  un  grand  a  préteur 
de  livres  » ,  comme  étoit  ce  célèbre  Jean  Grollier,  lettré  par 
goût,  financier  de  son  état,  et  qui  avoit  fait  mettre  en  lettres 


BULLETIN   DU   BIBUOPHILE.  6S6 

d'or  sur  cliacim  des  volumes  dont  se  composoit  sa  magnifique 
bibliothèque  :  Grollieri  et  amicorum  (à  Grollier  et  à  ses  amis). 
Quant  à  M.  Parisou,  il  garda  pour  lui  le  César  de  Montaigne,  et 
il  n'en  laissa  jamais  rien  sortir^  jusqu*au  moment  où  la  fortune 
lui  suscita  une  concurrence  dont  il  faut  bien  que  nous  disions 
quelques  mots. 

Le  concurrent  de  M.  Parison  dans  la  possession  du  César, 
tout  le  monde  le  devine,  c*étoit  le  docteur  Payen.  Nous  avons 
déjà  cité  avec  éloge,  dans  un  précédent  article,  les  travaux  sé- 
rieux par  lesquels  cet  érudit  s'est  fait  connoitre,  travaux  qui 
durent  encore  et  qui  ont  presque  uniquement  pour  objet  la 
bibliographie  et  la  biographie  de  Montaigne.  M.  Payen  sem- 
bloit  avoir  voué  sa  vie  à  une  sorte  de  commentaire  perpétuel  de 
l'auteur  des  Essais,  Avant  de  livrer  au  public  l'ouvrage  princi- 
pal qu'il  méditoit,  il  en  avoit  donné  une  sorte  d'avant-goût  par 
quelques  extraits  d'une  nouveauté  piquante.  Médecin  à  Paris  et 
praticien  estimé,  M.  Payen  s'étoit  livré  à  sa  passion  dominante 
avec  cette  vivacité  un  peu  inquiète  que  nous  mettons  à  suivre 
nos  goûts  quand  ils  sont  contrariés  par  notre  état.  Deus  nobis 
non  otia  fecit  !  dit-il  quelque  part  avec  une  sorte  d'amertume. 
0  J'ai  mis  au  service  de  Montaigne'autant  de  désintéressement 
que  d'amour,  »  écrit-il  ailleurs,  à  propos  d'un  récent  livre  de 
M.  Grûn  sur  la  vie  publique  de  son  auteur  favori.  Puis,  ayant  à 
relever  quelques  inexactitudes  innocentes  qui  s'étoient  glissées 
dans  cet  ouvrage,  M.  Payen  r(  se  croit  forcé,  dit-il,  de  signaler 
«  des  erreurs  d'autant  plus  dangereuses  qu'elles  sont  protégées 

a  par  un  nom,  une  position  et  un  remarquable  talent (1)  » 

M.  Payen,  non  plus,  ne  manquoit  pas  de  talent.  Il  avoit  la  ré- 
partie prompte,  l'érudition  un  peu  agressive,  le  ton  poli,  l'affir- 
mation trancJiante,  avec  une  certaine  idolâtrie  de  son  travail 
et  de  sa  pensée.  Peut-être,  à  force  d'étudier  Montaigne,  avoit- 
il  grandi  hors  de  toute  proportion  humaine  ce  sage  aimable  et  ce 
sceptique  de  bonne  foi.  Peut-être  s'étoit-il  trop  facilement  per- 

1)  Bulletin  du  Bibliophile^  numéro  de  Janvier-février  1S56,  p«ge  526. 


M6  DULLETIN   nu   BIBLIOPHILE. 

suadé  que  Montaigne  étoit  devenu  sa  propriété.  Et  malgré  tout, 
si  Montaigne  devoit  appartenir  à  quelqu'un,  qui  ne  voudroit  le 
céder  à  M.  Payen  plus  qu'à  tout  autre?  M.  Payen  est  de  l'école 
de  Grollier  ;  il  croit  que  les  bons  livres  ne  doivent  pas  être  mis 
sous  clef,  que  le  génie  des  grands  écrivains  est  le  patrimoine  de 
tous,  et  que  les  rarelés  sont  pour  tout  le  monde.  Il  diroit  vo- 
lontiers des  auteurs  illustres  ce  que  Bossuet  disoit  des  princeSt 
que  ce  sont  «  des  fontaines  publiques  qu'on  élève  pour  les  ré- 
pandre. »  Seulement  il  auroit  bien  voulu  se  réserver  le  privi- 
lège d'étudier  Montaigne  à  lui  tout  seul,  sauf  à  répandre  à  flots 
dans  le  public  les  fruits  de  ses  études  et  le  trésor  de  ses  décou- 
vertes. 

Tel  est  le  docteur  Payen.  Imaginez  maintenant  ce  qui  va  86 
passer  entre  ce  savant  si  discret  qui  veut  tout  garder,  et  cet 
érudit  si  expansif  qui  veut  tout  savoir  et  tout  produire.  M.  Pft* 
rison  jouissoit  depuis  trente  ans  sans  contestation  du  César  de 
Montaigne  ;  il  en  jouissoit,  comme  je  l'ai  dit,  avec  le  plus  par- 
donnable des  égoïsmes,  celui  de  l'érudition  bien  sûre  de  son 
fait  et  bien  tranquille  dans  son  domaine.  Mais  il  ne  s*agissolt 
plus  de  jouir,  il  falloit  se  proléger  contre  la  convoitise  d'un  ri- 
val. Ce  n'étoit  pas  tout  de  posséder  le  César^  il  falloit  le  dé- 
fendre... 

J'ignore  à  quelle  époque  le  docteur  Payen  a  su  que  M.  Parison 
avoit  en  sa  possession  le  César  de  Montaigne ,  et  cela  importe 
peu.  Je  m'en  tiens  aux  documents  que  j'ai  sous  la  main»  docu- 
ments tirés  de  la  bibliothèque  de  M.  Parison  lui-même,  et  qui 
marquent  assez  le  caractère  et  la  suite  de  ce  petit  drame  bi- 
bliographique. 8i  je  me  sers  de  ces  pièces,  c'est  précisément 
parce  que  je  suis  du  parti  de  M.  Payen  contre  M.  Parison,  et 
que  je  n'en  veux  rien  tirer  de  désagréable  ni  pour  M.  Parison 
ni  pour  personne.  Après  tout,  ces  passions  que  le  goût  des  li- 
vres entretient,  sont  les  plus  respectables  de  toutes;  et  s'il  entre 
parfois  un  peu  de  manie  dans  ces  surexcitations  inoiïensives, 
M.  Sainte-Beuve  a  raison  de  le  dire  :  il  y  a  aussi  là  bien  sou- 
vent quelque  étincelle  du  feu  sacré. 


BUIXBTIIf  DU  BIBLIOPHILE.  M7 

Mai»  pomsuivons*  C'est  en  1837  que  le  docteur  Payen  oom*- 
meoce  Fattaque  contre  le  César  de  Montaigne.  Le  César  étoU 
alors  retranché  au  quatrième  étage  d'une  maison  du  quai 
des  Augustins,  habitée  par  M.  Parison.  Le  docteur  Payen  ve** 
Doit  de  publier  sa  Notice  bibliographique  sur  Montaigne,  Dans 
cette  notice,  une  petite  note  glissée  au  bas  de  la  page  /|2,  signa- 
loil  le  précieux  exemplaire,  mais  rien  de  plus.  Dix  ans  se  pas- 
sent, la  durée  du  siège  de  Troie.  L'aiTaire  tiroit  en  longueur. 
Le  César  s'obstinoit  à  rester  caché.  M.  Payen  fait  une  nouvelle 
tentative  :  il  adresse  à  M.  Parison  une  nouvelle  brochure  (Pa- 
riSf  18^7),  sous  le  titre  de  :  Documents  inédits  et  peu  connus 
sur  Montaigne,  Ce  titre  seul  avoil  un  air  d*épigramme.  M.  Payen 
y  joint,  sur  un  des  feuillets  de  garde,  une  dédicace  ainsi  con- 
çue :  «  Au  savant  M.  Parison,  V heureux  et  trop  discret  posses- 
seur de  précieuses  lignes  autographes  de  notre  Montaigne  ;  hum- 
ble hommage  de  Fauteur...  a  Ce  n'est  pas  tout  :  page  3/i  de 
cette  brochure,  M.  Payen  revient  sur  le  volume  introuvable,  et 
il  en  donne  le  titre  en  tôle  d'une  u  Liste  des  ouvrages  signés  ou 
annotés  par  Montaigne,  qui  sont  parvenus,  dit-il,  à  ma  connois- 
sance,..  •  C'étoit  un  progrès.  Trois  ans  plus  tard,  le  docteur 
Payen  se  rapproche  de  la  place,  et  cette  fois  il  essaye  d'ouvrir 
la  brèche.  Sous  le  titre  de  :  Nouveaux  Documents  inédits  ou 
peu  connus  (Paris  1850),  il  lance  une  troisième  brochure  fort 
curieuse  et  tout  à  fait  pressante  :  a Notre  publication  d'au- 
jourd'hui^ dit-il,  encouragera  peut-être  les  érudits  à  nous  com- 
muniquer les  matériaux  nouveaux  qu'ils  pourroient  posséder; 
el  afin  de  leur  donner  une  idée  de  l'œuvre  que  nous  projetons, 
nous  en  transcrivons  ici  le  titre  (1),  tel  qu'il  nous  a  été  conseillé 
par  un  savant  modeste  qui  pourroit,  lui  aussi,  s*il  voulait,  nous 
enrichir  d'une  belle  jtage  inédite  encore  de  Montaigne,  »  «  Ce  sa- 
vant modeste»,  qui  ne  le  comprend?  c'est  l'obstiné  possesseur 

(1)  Voici  ce  titre  de  l'ouvrage  projeté  de  M.  Payen  : 

«  Michel  de  âfontaigney  recueil  de  particularités  inédites  ou  peu  connues 
sur  l*auteur  den  Ensais^  son  livre  et  ses  antres  écrits,  sur  m  famille,  ses 
amis,  ses  admirateurs,  ses  contempteurs. 


ô38  BULLETIN  DU  BIBUOPHILE. 

du  César.  Pourtant  on  semble  déjà  en  meilleure  intelligence 
avec  lui,  hormis  sur  un  point  où  le  savant  modeste  se  défend 
encore.  Mais  patience!  quelques  années  s'écoulent,  et  la  brèche 
n*est  pas  réparée  ;  le  César  va  se  rendre,  non  pas  vaincu,  mais 
fléchi.  Nous  sommes  en  1855.  Le  docteur  Payen  publie  tout  à 
coup  un  nouveau  recueil  de  Documents  inédits  sur  Montaigne^ 
tiré  cette  fois  à  cent  exemplaires  seulement.  Et  que  lisons-nous 
en  tête  de  Texcmplaire  adressé  à  ce  bon  M.  Parison?...  «  A 
M.  Parison  ;  bien  chétif  honimayc  en  reconnaissance  d'une  tm- 
mense  libéralité!  »  Qu'étoit-il  donc  arrivé?  Âh!  ici  il  faut  lais* 
ser  parler  M.  Payen  lui-môme  :  a  Bonheur  inouï!...  M.  Pari- 
((  son,  qui  possède  une  page  entière,  autographe  et  inédite 
«  de  Montaigne,  dont  jusqu'à  présent  il  avoit  désiré  réserver  la 
f  publication,  a  bien  voulu  s'en  dessaisir  en  ma  faveur^  et  il 
((  m'autorise  à  la  publier  !»  M.  Payen  attendoit  depuis  vingt 
ans  cette  autorisation.  Mais  quel  triomphe  pour  lui!  comme  cet 
hommage  à  M.  Parison,  sous  forme  d'un  rcmerciment  respec- 
tueux, ressemble  à  un  chant  de  victoire  !  Il  le  tient  enfin  ce 
précieux  volume, 

Mumbttsque  mets  Meienlius  hic  est  ! 


il  tient  les  notes  marginales  et  la  page  inédite  ;  il  tient  tout.  Il 
a  pu  compter  les  notes,  copier  la  page.  Le  César  s'est  livré  à 
discrétion.  M.  Payen  prend  son  âme,  c'est-à-dire  cette  page 
autographe  qu'il  s'empresse  de  livrer  au  public  :  il  ne  laisse  k 
M.  Parison  que  le  squelette  relié  en  basane...  Quelques  mois 
plus  tard,  le  savant  si  longtemps  discret  mouroit  à  Paris  au  mi- 
lieu de  ses  livres  chéris  et  de  ses  autographes  inexplorés  ;  il 
mouroit,  non  pas  certes  de  cette  indiscrétion  dont  avoit  profité 
le  docteur  Payen  ;  —  mais  peut-être  ce  sentiment  de  sa  fin  pro- 
chaine ne  l'avoit-il  que  trop  disposé  à  un  sacrifice  si  contraire 
à  ses  habitudes.  «...  Ses  organes  s'étoient  afl'aiblis,  écrit 
M.  Brunet;  il  avoit  éprouvé  un  peu  de  surdité,  et  de  jour  en 
jour  la  marche  lui  étoit  devenue  plus  pénible  ;  enfin  il  en  étoit 
presque  réduit  à  garder  la  chambre,  lorsqu'il  fut  atteint  de  la 


BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE.  689 

maladie  sous  laquelle  il  a  succombé,  après  huit  jours  de  légères 
souffrances  et  en  pleine  connoissance,  le  16  septembre  der- 
nier (1).  » 

Arrêtons-nous  ici  et  admirons  cette  puissance  d'une  volonté 
résolue  dans  une  bonne  cause.  M.  Paycn  vouloit  voir  le  César 
de  Montaigne....  c  J'ai  voulu  voir,  j'ai  vu  !  »  Il  vouloit  publier 
la  page  inédite  ;  il  en  a  été  le  premier  éditeur.  Plus  d'un  ama- 
teur a  pu  la  lire,  même  avant  la  mort  de  M.  Parison.  Nul  doute 
maintenant  sur  les  intentions  du  docteur  Payen,  dans  cette  pour- 
suite obstinée  où  nous  l'avons  vu  employer  tour  à  tour  l'épi- 
gramme  et  le  madrigal,  tous  les  aiguillons  d'une  ironie  spiri- 
tuelle et  toutes  les  séductions  de  la  dédicace.  Nul  doute  non  plus 
sur  le  caractère  [de  sa  passion  pour  Montaigne.  Il  est  un  pas- 
sionné, non  un  jaloux.  Il  aime  son  auteur  non  pour  l'exploiter, 
mais  pour  le  répandre,"  non  pour  en  tirer  l'égoïste  satisfaction 
d'an  succès  personnel,  mais  pour  partager,  s'il  est  possible, 
son  bonheur  avec  tout  le  monde.  —  Citons  maintenant,  à  notre 
tour,  cette  page  si  longtemps  dérobée  à  la  lumière.  Citons-la 
tout  entière.  Le  nouveau  possesseu  r  du  César  de  Montaigne 
nous  y  autorise,  a  Je  ne  suis  nullement  disposé  au  mystère, 
nous  écrit-il,  dans  les  choses  où  la  légitime  curiosité  [du  public 
érudit  est  intéressée...  »  Ajoutons  ainsi,  comme  il  le  désire,  à 
une  première  et  incomplète  publicité.  Voici  le  texte  de  cette 
page  fidèlement  reproduit  d'après  l'original  que  nous  avons 
soos  les  yeux  (2)  : 

(1)  Notice  9ur  N,  PariêOH^  par  M.  J.-C.  Brunet,  le  célèbre  auteur  du  Ma- 
nuel du  Libraire^  p.  9,  en  tête  du  catalogue  des  livres  de  la  biblioUièque 
de  feu  M.  Parison.  (Paris,  1856.) 

(2)  M.  le  docteur  Payen  donne  strictemeut  Tortbographe  et  la  ponctua- 
tion de  Montaigne  ;  nous  avons  préféré,  pour  Tintelligence  du  lecteur,  nous 
rapprocher  davantage  du  système  adopté  par  les  éditeurs  modernes  de  Fau- 
teur des  EnaU.  Il  y  a  pourtant  ici  une  remarque  à  faire  :  Montaigne,  dans 
cette  page  qui  est  si  incontestablement  de  sa  main,  écrit  autres,  et  non 
QuUres,  eut^  et  non  eutt,  fut^  et  non  fmt^  prele^  et  non  preste.  Nous  avons 
justement  respecté  une  orthographe  qui  est  restée  la  nôtre. 


6ikO  BULLETIN    DU    BIBLIOPHILE. 

((  Somme,  c'est  Gésar^  un  des  plus  grands  miracle  de  Na- 
((  ture  !  Si  elle  eut  voulu  ménager  ses  faveurs,  elle  en  eut  bien 
«  faict  deus  pièces  admirables  ;  —  le  plus  disert,  le  plus  net  et 
c(  le  plus  sincère  historien  qui  fut  jamais;  car  en  celte  partie  il 
a  n'en  est  nul  Romain  qui  lui  soit  comparable,  et  suis  très  aise 
«  que  Cicero  le  juge  de  même  ;  —  et  le  chef  de  guerre  en  toutes 
(c  considérations  des  plus  grands  qu'elle  fit  jamais.  Quand  je 
«  considère  la  grandeur  incomparable  de  cette  ame,  j'excuse  la 
«  victoire  de  ne  s'eslre  peu  défaire  de  lui,  voire  en  cette  très 
«  injuste  et  très  inique  cause.  Tl  me  semble  qu'il  ne  juge  de 
f  Pompeïusque  deux  fois  (208,  32/i)  (1).  Ses  autres  exploits  et 
((  ses  conseils,  il  les  narre  naïfvement,  ne  leur  dérobant  rien 
et  de  leur  mérite  ;  voire  parfois  il  lui  prête  des  recommanda- 
«  tiens  de  quoi  il  se  fut  bien  passé,  comme  lors  qu'il  dict  que 
((  ses  conseils  tardifs  et  considérés  éloient  tirés  en  mauvaise 
u  part  par  ceux  de  son  armée;  car  par  là  il  semble  le  vouloir 
u  décharger  d'avoir  donné  cette  misérable  bataille,  tenant  Cé- 
((  sar  combattu  et  assiégé  delà  fein  (319)  (2).  Il  me  semble  bien 
((  qu'il  passe  un  peu  legierement  ce  grand  accident  de  la  mort 
((  de  Pompcïus  De  tous  les  autres  du  parti  contraire,  il  en 
(f  parle  indifféremment,  —  lantost  nous  proposant  fidèlement 
c:  leurs  actions  vertueuses,  tantost  vitieuses ,  —  qu'il  n'est  pas 
«  possible  d'y  marcher  plus  consciencieusement.  S'il  dérobe 
<  rien  à  la  vérité,  j'estime  que  ce  soit  parlant  de  soi  ;  car  si 

(1)  Ces  chiffre»  sont  ceux  do  deux  pages  de  l'exemplaire  mrme  du  César 
de  Montaigne,  auquel  l'auteur  nous  renvoie  :  il  s'ajrit  en  effet  de  deux  ju- 
gements portés  par  César  sur  son  rival,  dont  le  premier  surtout  est  trts- 
sév^re  :  page  208,  uSimul  iiifamia  duarum  legionum  permotus  ..  »»  (de  BeUo 
rivili,  liv.  I,  /i),  et  pa^e  32.'i,  «  Quod  nohis  quidem  nulla  ratione  factum  a 
Pompeïo  mdeiur.  .«  {ibid.f  liv,  111,02).  Dans  le  premier  cas,  César  reproclic 
&  Pompt^  une  ambition  peu  srrupulcusc  sur  le  choix  des  moyens  ;  dans  lo 
second,  une  fausse  manœuvre  sur  le  champ  de  bataUle. 

(2)  Ceci  se  rapporte  évidemment  à  ce  passage  du  livre  III,  82,  Dt  bello 
ciuili  ;  «  Si  quid  Pompeîus  tardius  aut  considcratius  faccrct,  -HlutH  dt- 
lednri  imper'm  et  ronsuhires  prœlorioxque  sen'onnti  luthere  numéro  dia^ 
bant.  » 


BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE.  GAI 

a  grandes  choses  ne  peuvent  élre  faictes  par  lui  qu*il  D*y  aie 
n  plus  du  sien  qu'il  n'y  en  met.  C'est  ce  livre  qu'un  gênerai 
((  d^armée  devroit  continuellement  avoir  devant  les  yeus  pour 
(I  patron,  comme  faisoit  le  maréchal  Strozzi  qui  le  savoit  quasi 
c  par  cœur  et  l'a  traduit  ;  non  pas  je  ne  sçais  quel  Philippe  de 
<(  Gomines  que  Charles  cinquième  avoit  en  paieille  recommau- 
«  dation  que  le  grand  Alexandre  avoit  les  œuvres  de  Homère, 
i  Marcus  Brutus  (avoit)  Polybius  l'historien.  » 

Telle  est  donc  cette  page,  objet  d'une  si  longue  et  si  légi- 
time convoitise.  Le  dirai- je  pourtant?  Bien  que  le  mouvement 
de  phrase  par  lequel  la  page  débute  me  paraisse  admirable, 
bien  que  César  y  soit  très-nettement  qualifié  comme  historien, 
et  que  sa  grande  manière,  son  impartialité  supérieure,  son  ha- 
bile modestie  y  soient  appréciées  avec  justesse,  je  ne  trouve  là 
ni  tout  à  fait  le  César  que  nous  montre  l'histoire,  ni  celui  dont 
Montaigne  lui-même  a  fait  une  peinture  si  achevée  en  maint  en- 
droit de  ses  Essais.  César  est  l'enfant  gûté  de  Montaigne.  Il 
aime  Épaminondas  comme  «  le  plus  excellent  »  des  hommes, 
César  comme  le  plus  grand.  Il  ne  dissimule,  il  est  vrai,  ni  les 
vices  de  son  caractère,  ni  les  crimes  de  sa  politique.  Il  va  quel- 
que part  jusqu'à  le  traiter  de  «brigand  >  (liv.  II,  chap.  xi)  ;  il 
ne  lui  épargne  ailleurs  aucun  reproche  sur  «sa  mauvaise  cause 
et  l'ordure  de  sapesiilente  ambition  »  (chap.  x).  Malgré  tout, 
ce  miracle  de  nature  l'attire.  Il  y  revient  sans  cesse  dans  le 
cours  des  Essais ,  et  souvent  dans  des  termes  presque  sem- 
blables à  ceux  qu'une  première  impression  lui  a  inspirés.  Com- 
parez, par  exemple,  cette  phrase  où,  dans  la  page  autographe, 
Montaigne  excuse  la  victoire,  et  cette  autre  où  il  caractérise 
la  modestie  de  César  ;  comparez-les  avec  leur  reproduction  dans 
les  Essais  (liv.  II,  chap.  xxxni  et  x),  et  vous  y  verrez  la  preuve 
de  ce  travail  incessant  que  le  grand  moraliste  faisoit  subir  à  son 
style.  Quant  au  fond  des  idées  même,  Montaigne  est  allé  beau- 
coup plus  loin  dans  son  immortel  ouvrage,  et  il  s'est  élevé  plus 
haut.  Ce  n'est  pas  seulement  Tespace  qui  lui  manquoit  quand  il 
fit  ce  résumé  rapide  d'une  loniçue  lecture;  maison  diroit qu'une 


6h2  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

certaine  confusion  lui  en  étoit  restée  dans  Tesprit  ;  le  César 
tout  entier  ne  se  détachoit  pas  encore  nettement  dans  sa  pen- 
sée ;  l'écrivain  éclipsoit  le  héros.  Pour  Montaigne,  quand  il  écrit 
la  page  inédite,  «  le  miracle  de  nature,  »  c'est  rhistorien; 
rhomme  de  guerre  est  presque  sur  le  second  plan.  Or,  c'est 
l'homme  de  guerre  que  Montaigne  admire  le  plus  quand  il  a 
une  fois  repris,  par  la  méditation,  toute  la  liberté  de  son  juge- 
ment. Relisez  plutôt  ce  vif  et  profond  chapitre  (le  34*  du 
livre  II)  qu'il  a  écrit  :  t  sur  les  moyens  de  faire  la  guerre  de 
Julius  César.  »  Ce  patricien  débauché,  qui,  suivant  le  mot  de 
Montesquieu  <  avoit  plusieurs  vices  et  aucun  défaut  ;  »  ce  poli- 
tique sans  scrupule  qui  disoit  «  qu'on  ne  doit  violer  les  lois  que 
pour  régner;  »  ce  factieux,  grammairien  et  puriste,  qui  passoitle 
Rubicon,  et  dont  la  plume  s'arrétoit  devant  un  mot  insolite  (1); 
ce  grand  capitaine  qui  va  «  se  serrant,  dit  Montaigne,  où  H 
parle  des  oflîces  de  sa  profession  >  et  des  prodiges  de  son  com- 
mandement, et  qui  décrit  un  pont  qu'il  a  fait  jeter  sur  le  Rhin, 
avec  la  complaisance  et  la  prolixité  d'un  vieil  ingénieur  (2)  ;  — 
ce  génie  à  mille  faces  et  cet  orgueil  insaisissable,  Montaigne  le 
peint  supérieurement  dans  son  livre.  La  page  retrouvée  n'y 
ajoute  rien,  qu'une  révélation  curieuse  des  habitudes  de  son 
travail  et  des  procédés  de  son  esprit.  Dire  que  la  tardive  géné- 
rosité de  M.  Parison  <(  a  doté  le  monde  littéraire  vt  Montaigne 
lui-même  d'une  page  admirable,  »  <*'est  tomber  dans  l'exagéra- 
tion et  le  dithyrambe  (3). 

Quant  à  moi,  ce  que  j'aime  précisément  de  cette  page  inédite 
de  Montaigne,  c'est  qu'elle  n'est  pas  une  feuille  retrouvée  des 
Essais.  Elle  a  une  autre  valeur,  non  pas  supérieure,  mais  plus 
originale.  Elle  a  le  mérite  d'un  premier  jet.  Elle  contient  comme 

(1)  Tanquam  scopuhim,  sic  fiigins  insolens  verbum.  (AulugeUc,  livre  I, 
10). 

(2)  De  liello  yallico,  liv.  IV. 

(3)  liulletin  du  ttihhophUe ,  nnnirro  do  fi'vrior,  pagf*  .'i78.  (Article  de 
M.  Paycn.) 


Z 


BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE.  643 

le  germe  des  pensées  que  la  lecture  des  Commentaires  de  Cé- 
sar a  foi  t  naître  dans  Tesprit  de  Montaigne,  et  qui  plus  tard, 
après  on  travail  plus  ou  moins  long ,  se  sont  répandues  et 
classées  chacune  à  leur  rang  dans  son  admirable  ouvrage. 
On  les  y  retrouve,  comme  je  Tai  dit,  souvent  avec  la  même 
forme,  mais  mieux  définies  et  plus  achevées.  Tel  est  le  mérite 
de  cette  curieuse  page  et  aussi  de  cette  quantité  innombrable 
de  notes  marginales.  Nous  assistons  pendant  tout  le  cours 
de  cette  lecture,  s'il  est  permis  de  le  dire,  &  la  gestation  de  ce 
grand  esprit  ;  puis,  la  pensée  sort  du  cerveau,  non  pas  tout  ar* 
raée,  comme  Minerve  ;  mais  laissez-la  grandir  encore,  cette  fille 
de  la  méditation  et  du  travail  :  nous  la  retrouverons,  sous  sa 
forme  définitive  et  complète,  dans  les  Essais. 

Laissons  Montaigne,  et  ne  nous  reprochons  pas  toutefois 
d'avoir  employé  quelques  instants  à  parler  de  ce  respectable 
booquin  qui  lui  a  servi  cinq  mois.  Montaigne  a  mis  cinq  mois  à 
lire  César.  M.  Payen  emploie  toute  sa  vie  à  commenter  Mon- 
taigne. Voilà  de  bons  exemples,  trop  peu  suivis  de  nos  jours. 
L'unité  du  travail,  la  durée  du  zèle,  la  persévérance  de  la  pas- 
sion^ Fardeur  de  la  convoitise  et  Thonnêteté  du  but,  voilà  com- 
ment on  réussit  quelquefois  dans  ce  monde,  et  comment  le  doc- 
teur Payen  a  fini  par  attendrir  un  jour  le  possesseur  du  César 
de  Montaigne^  ce  bon  M.  Parison. 

Ciivimjfr-Flfury. 


!i'4 


(yhh  I>ULI.ETI\    l)!l    BlnLIOPHlLK. 


CORRESPONDANCE. 


Monsieur, 

Vous  avez  publié,  dans  le  dernier  numéro  du  Bulletin  du  Bi^ 
bliophilcy  un  article  où  M.  le  docteur  Payen  décharge  toute 
une  année  de  mauvaise  humeur  contre  l'ouvrage  que  j'ai  en  la 
témérité  de  publier  sur  Montaigne,  et  qui  a  eu  le  tort  de  réus- 
sir. Je  réfuterai  en  temps  et  lieu  celles  de  ses  critiques  qui  mé- 
ritent une  réponse;  mais  je  dois  protester  immédiatement  con- 
tre un  de  ses  reproches,  que  ne  me  feront  certes  pas  ceux  qui 
auront  lu  mon  livre.  Pour  ceux  seulement  qui  ne  me  connois- 
sent  pas,  j'ai  besoin  de  déclarer  que  j'ai  rendu  pleine  justice 
aux  auteurs  qui  se  sont  occupés  de  Montaigne  avant  moi.  J'ai 
proclamé  et  je  répète  que,  sans  leurs  travaux,  je  n'aurois  eu  ni 
la  liberté  ni  même  la  pensée  de  faire  mon  ouvrage  ;  j'ai  cité 
tous  les  écrits  de  quelque  valeur  dont  j'ai  eu  connoissance.  Il 
est  vrai  que  j'ai  eu  l'occasion  de  relever  de  nombreuses  er- 
reurs ;  au  lieu  de  s'en  plaindre ,  M.  Payen  devroit  m'en  remer- 
cier. Son  amour  pour  Montaigne  et  pour  la  vérité  me  fait  re- 
gretter de  n'avoir  pas  signalé  tous  les  endroits  où  il  s'est 
trompé  ;  c'est  un  service  que,  le  moment  venu  ,  je  lui  rendrai 
complètement. 

Veuillez  «igréor  Texpression  de  mes  sentiments  distingués, 

A.  (InuN. 


BULLETIN    DU    BIBLIOPHILE.  6ii5 


Monsieur, 

Je  trouve  mon  nom'cilé  honorablement  à  propos  de  Michel 
Montaigne  par  M.  le  docteur  Payen  (1) ,  et  je  suis  heureux  que 
ce  ûls  légitime  de  notre  grand  Périgourdin  m'ait  placé  au  nom- 
bre des  plus  fervents  disciples  de  notre  maître.  Il  y  a  plusieurs 
années,  poursuivant  une  série  d'études  sur  le  xvi«  siècle,  com- 
mencées (callida  juventa)  au  moment  où  MM.  Saint- Marc-Gi- 
rardin  et  Sainte-Beuve  se  dirigeoient  dans  la  même  voie,  je  me 
réjouis  fort  de  rencontrer  Shakspeare  en  face  de  Montaigne  ; 
Shakspeare  feuilletant  les  Essais ,  s'en  nourrissant  et  les  imi- 
tant ,  ou  plutôt  copiant  (2)  in  extenso  une  brillante  page  de  ce 
beau  livre,  page  qu'il  inséroit  sans  changements  dans  son 
drame  féerique  et  philosophique  the  Tempest  (3).  G'étoit  un 
fait  grave,  et  qui  fortifioit  mes  convictions  acquises  sur  la  puis- 
sance du  génie  que  l'on  accuse  sans  cesse  de  plagiat,  comme  on 
accnseroit  le  ciel  de  dérober  la  terre  et  le  chêne  de  prendre*  et 
de  confisquer  à  son  profit  la  substance  même  du  sol.  Soumise 
d'abord  à  des  modèles  italiens,  je  voyois  l'éducation  intellec- 
tuelle de  Shakspeare  traverser  les  chroniqueurs  nationaux  et 
finir  par  accepter  la  tutelle  de  notre  Amyot  traduisant  Plutarque 
et  de  notre  Montaigne  qui  traduit  beaucoup  aussi.  Il  me  falloit 
déterminer  ces  phases  de  transformations  shakspeariennes  et 
donner  des  preuves;  non  pas  toutes  les  preuves,  seulement  les, 
plus  connues,  les  plus  incontestées,  les  plus  vulgaires  ;  je  n'en- 
trois  ici  dans  aucun  combat  spécial,  n'ayant  pas  l'honneur,  la 
prétention,  le  droit  ou  la  puissance  d'être  un  savant  ;  mais, 
comme  un  homme  simple  qui  a  une  idée  fixe  à  soutenir,  je  l'ap- 
puyois  de  faits  authentiques.  De  là,  cette  absence  de  détails 
érudits  que  le  docteur  ne  me  reproche  pas  précisément  d'avoir 

(1)  Bulletin  du  Bibliophile,  18jC,  page  528. 

(3)  Tempest,  a.  II,  se.  I. 

(3)  V.  notre  Shakspeare,  Marte  Stuart,  rArélin. 


6A6  nULLI-TlN    DU   BIBLIOPHILE. 

omis  (il  esl  bienveillant  comme  an  médecin ,  s'il  est  malicieux 
comme  un  bibliophile)  ;  mais  qu'après  tout  il  signale.  Ici  le  faîl 
seul  m'importoit.  Oui,  Shakspeare  a  copié  et  étudié  Montaigne, 
comme  Molière,  Rabelais.  Oui,  l'exemplaire  du  Montaigne  tra- 
duit par  Florio,  et  portant  la  signature  de  William  Shakspeare 
existe  au  Musée  britannique.  Ces  seuls  faits,  corrélatifs  à  tant 
d'autres  qui  se  trouvent  épars  dans  la  vie  de  Molière,  de  Pascal, 
de  Cervantes,  de  Rabelais,  de  Gœthe ,  de  Byron ,  éclairent  le 
procédé  psychologique  des  grands  esprits.  C'est  tout  ce  que  je 
voulois  dire  et  prouver.  Que  plus  de  deux  cents  écrivains  an- 
glois  eussent  signalé  l'emprunt  de  Shakspeare  ;  cela  ne  me  con- 
cernoit  en  rien.  Je  ne  leur  prenois  pas  leur  gloire  ;  je  ne  m'al- 
tribuois  pas  leurs  découvertes  ;  mes  pages  et  mes  idées  n'ap- 
partenoient  à  aucun  livre  étranger,  quoi  qu'en  aient  dit  quelques 
docteurs  moins  bienveillants  et  moins  véridiques  ;  je  n'avois 
pas  &  revendiquer  une  trouvaille  d'érudition  devenue  du  do- 
maine commun,  écrite  et  imprimée  dans  tous  les  commentaires 
sur  Shakspeare,  et  qui  n'étoit  point  mienne;  j'avois  à  venger  le 
génie  que  les  sots  calomnient  toujours,  et  je  me  plaisois  à 
pénétrer  aussi  loin  que  possible  dans  le  mystère  de  ses  créa- 
tions. 

Agréez,  monsieur,  je  vous  prie,  avec  tous  mes  remerctments 
pour  M.  le  docteur  Payen,  mes  civilités  les  plus  empressées. 

Philauètr  Chasles, 
Professeur  au  collège  de  France. 

Paris,  Institut,  12  mars  1850. 


BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE 

■  T 

CATALOGUE   DE   LIVRES   RARES   ET  CURIEUX   DE  LITTÉRATURE, 
D  HISTOIRE,    ETC.,   QUI   SE   TROUVENT   EN    VENTE 
A   LA   UBRAIRIE   DE   J.    TECHENER, 
PLACE   DU   LOUVRE,    20 


MARS  —  1856. 


SSl.  Alphabetuii  graeeum,  Oralio  dominica,  Angelicasa- 
lutatio ,  etc. ,  Grxce  et  Latine  ;  ^Esopi  et  Gabriae 
fabellae,  gr.  lat.  ;  Homeri  Batrachomyomachia,  gr.  lat.  ; 
Musseus,  de  Ere  et  Leandro,  gr.  lat.  ;  Agapetus,  de 
Oflicio  régis,  gr.  lat.  ;  Galeomyomachia,  gr.  ;  Intro- 
ductio  utilissima  hebraice  discere  cupientibus,  Matthaeo 
Adriano  interprète.  Basileœ,  J.  Froben,  1518;  le  tout 
en  1  vol.  pet.  in-â',  v.-m » — » 

Rakb.  —  Ce  volume  est  ciU  dans  le  Manuel  du  Ubrairef  ainsi  qu*il 
mit  :  «  i£8opi  et  Gabrite  fabule;  Homeri  Batrachomyomadiia ;  Museus  de 
Erone  et  Leandro;  Agapetus,  de  Officio  régis;  Galeomyomachia.  Omnia 
gnece  et  latine,  Bas.^  /.  Froben^  1518.  2  part,  en  1  vol.  pet.  in-&.  Édition 
as«ez  rare,  dont  les  exemplaires  n'ont  de  valeur  que  lorsqu'ils  se  trouvent 
bien  conservés,  u 

Notre  exemplaire  n*a  donc  à  craindre  aucune  déprédation,  car  il  est  par. 
faiiement  conservé.  Il  contient  même  deux  pièces  de  plus  que  n*en  rcnfermoit 
l'exemplaire  indiqué  par  le  Manuel  du  lUtraire  :  VAlphabeticum  gnetum^  et 
rinlroduetio  hebraica.  Nous  ferons  obsen-er,  en  outre,  que  la  Galeomfoma" 
tkia  n'est  pas  traduite  en  latin  ;  que  la  première  pièce  et  la  dernière  ne 
•ont  point  paginées  ;  que  les  fables  d'Ésope  et  de  Gabrias  forment  un  vo- 
lume du*  362  pages ,  et  que  les  quatre  opuscules  suivants ,  quoique  ayant 

/|5     . 


6&8  BULLETIN    DU    BIBLIOPHILE. 

une  pagination  suivie,  ont  ccpi^ndant  des  tittos  séparés,  des  tôiucriptioiift 
distinctes,  et  port«înt  toutes  sur  le  dornicT  Aniillct  la  marque  de  Timpri- 
moui'.  Ces  opuscules,  doslinés  aux  j<îun('s  gens  qui  étudioiont  la  langue 
grecque,  pouvoiont  iHre  détachés  pour  si'i  vir  à  l'étude,  ou  réunis  pour 
former  un  petit  volume  de  128  pages.  Les  Préfaces^  écrites  par  Froben  , 
sont  intéressauteb. 

C'est  un  beau  livn;  sous  le  rapport  tyi)ographique ,  et  la  traduction  lar 
tine  mot  pour  mot,  en  rend  la  lectui-<i  facile. 

332.  Batrachomyomachia  grœce  :  Glossa  graeca,  et  la- 
tinae  versioneSy  éd.  Mich.  Maittaire.  Londinij  typis 
Bowyer,  1721;  grand  iii-8,  vélin,  fac-similé,  portrait 
ajouté t 18 — I) 

On  Ht  sur  la  garde  de  ce  volume  la  note  extraite  du  cat:Uogue  raisonné 
de  M.  Renouard,  cet  exemplaire  provenant  de  sa  bibliothèque  :  «  La  meil- 
«  leure  des  éditions  de  oo  poëm»^,  elle  contient  un  double  texte,  d'abord  ce- 
a  lui  de  l'édition  première  dr  l/iSO,  (lu'elhi  copie  ligne  pour  ligne,  aussi 
«  avec  les  vers  en  hîttres  uoin;s,  et  la  glose  en  lettrc»s  rouges.  Ensuite 
«  vient  un  texte  grc^c  formé  sur  les  dornièrcs  éditions;  des  notes  interli- 
«  néaiifs  inédite»  et  deux  versions  latines.  Elle  est  fort  bien  exécutée  et 
M  peu  commune,  ayant  été  tiive  seuletnent  à  deux  c(*nt  quatre  cxemplaii^îs, 
te  ainsi  que  le  fait  savoir  un  avis  imprimé  sur  la  dernil*re  page.  Comme  ce 
«  volume  est  grand  in-8,  on  l'iinnonce  toujoui'ij  en  grand  papier.  » 

333.  Gasell£  {Pétri  Leonis).  De  primis  Itali®  colonis; 
de  Tuscorum  origine  et  republica  Florentina.  Elogîa 
illustrium  artificium.  Ëpigraminata ,  et  inscriptiones. 
Lugduni^  1606 ;  in-8,  vél.    » — » 

Premièrt^  édition  du  liviv  d(*  Casclla  sur  les  anciens  liabitants  de  l'Italie. 
Cet  ouvrage  a  été  inséiv  daits  hi  ivcueil  d«^s  lii-.toi-iens  de  l'Italie  par  Grœ- 
vius  et  Bunnann.  Le  traité  de  Primis  Italien  col  unis  est  suivi  d'un  opus- 
cule du  même*  g(Mn*e  :  de  Tiisconim  origine  ;  de  h!i  «'loges  d'artistes  célè- 
bres (i)eintres,  sculpteurs  et  architectîs)  ;  d'in<.criptions  funèbres  et  dMpt- 
grammes  en  vei-s  latins.  En  lisant'ce  volume,  ou  peut  Juger  du  mérite  de 
Tautcur  comme  antiquaire,  comme  historien  et  connue  poCtc.  Cascila  étoSt 
né  en  1540,  à  Aquila  dans  l'Abruzze. 

384.  Cazeneuve  {Louis  de).  L'héroïque  Héros  (Eros),  ou 
les  forces  d'amour,  par  L.  D.  G.  (Louis  de  Cazeneuve). 
Tourtwn,  G.  Linocier,  1614;  1  vol.  pet.  in-12,  fig.,  fiL; 
vél.  {Armes) 24—» 

Rare.  —  Qnoicpui  cet  ouvrage ,  écrit  en  prose  mêlée  de  vers,  ne  soit 
qu'un  badin:igi>  d'espi-it.  ce]HM)dant  l'auteur  y  a  ivpandu  beaucoup  dVru- 


1" 
,  r 

.  1 


BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE.  649 

dition.  On  peut  lire  parmi  les  pièces  liminaires  la  liste  des  124  auteurs 
grecs,  latins  ou  françois  qui  sont  cités  dans  ce  livre.  Le  sommaire  de 
VAavnt-propos  nous  annonce  que  L.  de  Cazeneuve  donne  en  passant  un 
kaussebee  aux  envieux^  lesquels  il  promet  de  calenger  plus  amplement^  s'ils 
ne  sont  plus  advisés,  «<  J*aymc  la  paix ,  dit-il ,  j'ayme  la  concorde,  j'ayme 
Tamour  qui  m'a  mis  la  plume  en  la  main  :  mais  si  Ton  lance  la  corsesque 
de  défy  dans  mes  teri-es,  j'ayme  le  débat,  j'ayme  l'hostilité,  j'ajrme  la 
guerre.  L'abeille  de  nature  aymo  le  miel,  le  fait,  le  donne;  irritez-la,  elle 
se  plaist  au  picquant,  le  poincte,  le  plante.  Moy  tout  de  mesme.  » 

Le  premier  chapitre  traite  d(;  la  maiyre  inscription  que  Vautheur  VOU' 
kiU  donner  à  son  livre,  et  qui  en  a  retardé  Vimpression,  A  ce  sujet ,  L.  de 
Cazeneuve  critique  les  titros  mensongers,  u  Certains  livrets  françois  ont  à 
|a  leste  un  tiltre  tiré  dos  plus  rares  et  royales  choses  que  puisse  avoir  un 
monarque,  comme  sçavont  fort  bien  tous  ceux  (|ui  prennent  plaisir  de 
¥oir  tout  ce  qui  de  jour  à  autre  vient  on  lumière,  non  sans  estre  souvent 
trompés.  Car  tournant  feuillet  lmi  lieu  de  quelque  chose  qui  corresponde  à 
la  majesté  du  tiltre,  ils  n'y  trouvent  que  drilles  et  haillons  ramassés  en  la 
fripperie  de  certains  jazeurs....  Par  quoy  il  ne  se  faut  attacher  au  tiltre  et 
à  rescorce,  mais  bien  jauger  avant.  » 

Nous  citerons  encore  la  première  phrase  de  VAvis  au  Lecteur  :  «  Tel 
presse  qui  est  pressé ,  ainsi  qu'il  se  void  es  pièces  d'un  pressoir,  où  celles 
qui  pressent  sont  ordinairement  pressées.  »  Le  reste  est  du  même  style. 

VUéroique  Eros  est  un  panég>Tique  de  l'Amour  ;  l'auteur  avait  conçu  le 
projet  de  publier  une  contre-partie  intitulée  Anteros,  Nous  ignorons  si  ce 
dernier  ouvrage  a  été  imprimé. 

Les  plats  du  volume  sont  ornés  aux  coins  de  4  fleurs  de  lis,  et,  au 
centre,  d'armoiries  dorées  avec  cette  inscription  :  F,  Tevfeliorvm  a  Ceyl- 
hergio. 

8S6.  Chappellet  (le)  Des  vertus  et  les  vices  contraires  a 
ycelles  ;  aultrement  nommé  Prudence.  {Paris,  Phil.  Le 
Noir)^  s.  d.  ;  1  vol.  ia-4,  goth »  — m 

Tai»-iiARB.  Le  Manuel  du  libraire  indique  quatre  éditions  de  ce  livre. 
L'une  de  £yon,  G.  Le  Roy  (sans  date),  citée  par  l'abbé  de  Saint-Léger; 
Tautre  de»  Lyon,  P.  Maréchal^  1498.  «  Le  premier  catalogue  de  La  Val> 
«  lière,  n®  532 ,  qui  nous  fournit  le  titre  de  cette  édition ,  nous  fait  con- 
•  naître  une  autre  de  Pam,  Ph.  Le  Noir  (s.  date)  ».  Enfin  la  dernière  do 
Jl^fris,  Ant,  CaiUaut  (s.  date),  inscrite  au  Catalogue  de  Sepher.  Puisque 
IL  Brunet  n'a  vu  aucune  de  ces  éditions,  nous  pouvons  en  conclure  qu'elles 
tom  également  rares. 

Le  Roman  de  Prudence  a  été  écrit  dans  le  xv«  siècle  ;  car  nous  ne  pen- 
aona  pas  qu'on  en  ait  rajeuni  le  style.  Le  prologue  se  compose  de  81  vers 
françois  de  huit  et  de  dix  syllabes.  Ces  vers  sont  en  nombre  impair,  parce 
que  l'imprimeur  a  oublié  le  soixantième,  qui  devait  rimer  avec  celui-ci  t 

Mais  pensay  dedans  mon  couraige  ; 
omission  qui  rend  la  phrase  à  i)eu  près  inintelligible* 


<5Ô0  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

Cet  autre  vers  est  également  inexact  : 

Puis  attrcmpance  et  inattrempance  ensemble. 

Il  a  onze  syllabes  au  lieu  de  dix  ;  et  de  plus,  ensemble  ne  rime  pa^  a?oc 
elle^  mot  qui  termine  le  vers  précédent. 

Le  prologue  commence  ainsi  : 

Ce  fut  dapuril  xvii  iour, 

E»  ce  temps  prin  que  la  rose  entre  on  (Iour, 

Gnye  saison  que  tout  se  renouuellc: 

L<'s  prez  verdoyent  et  toute  fleur  est  belle , 

Yucr  se  passe  et  la  morte  saison , 

Kt  les  oyseaulx  commencent  leur  chanson. 

Voici  les  derniers  vers  de  cette  pit'cc  : 

Si  vous  prie  quayez  pacience 
Do  prendre  en  gré  cestuy  runiant. 
Et  sachez  que  doresnauant 
Pour  les  porolles  abregier 
De  rime  ne  veulx  plus  user. 
Mais  vous  diray  comment  commence 
Le  commencement  de  prudence. 

Le  Roman  de  prudence  est  un  traité  de  morale,  bien  écrit,  qu*onpeiit 
lire  encore  avec  plaisir.  L*auteur  dissorte  sur  les  vertus  et  sur  les  vices , 
en  allegant  à  propos  les  diti  moraulx  de  plusieurs  saincl*  et  aultres  phi' 
osophes  et  plusieurs  exemples  contenwi  aux  hystoires  anciennes. 

• 

336.  GiGERONis  de  Oiliciis  libri  très.  Ahsque  anni  et  loei 
nota  ;  in-8,  v.  fauve 30~» 

On  lit  sur  le  premier  feuillet  du  volume,  la  note  suivante  :  «  Ce  livre  a 
appartenu  à  messire  Achille  de  Harlay,  procureur  général  au  parlement  et 
ensuite  premier  président  (mort  le  23  juillet  1712).  C*est  lui  qui  l'a  fait 
relier  ainsi,  et  les  notes  que  Ton  voit  sont  de  sa  main ,  et  par  conséquent 
fort  justes  et  dignes  d'un  si  grand  homme;  elles  doivent  par  cet  endroit 
estre  fort  précieuses  à  ceux  qui  chérissent  sa  mémoire.  » 

«  J*ay  trouvé  ce  livre  par  hasard,  le  10  avril  1710,  chez  un  libraire  qui 
n'en  connaissoit  pas  la  valeur.  » 

Ce  volume,  interfolié  par  les  soins  du  président  Achille  de  Harlay ,  est 
couvert  de  nombreuses  annotations  qui  ne  sont  autre  chose  qu'une  traduc* 
lion  aussi  exacte  qu'élégante  des  préceptes  les  plus  importants  du  trtité  ^e 
Offlciis.  C'est,  en  outre,  une  collection  précieuse  d'autographes  d*un  ma- 
gistrat célèbre.  Ces  diverses  considérations  donnent  h  ce  livre  une  grande 
valeur. 


BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE.  651 

337.  CoBLESTEs  et  Inferi  (autb.  Baltimore).  S.  1.  (VenctiiSj 
typis  C.  Palese)^  1771  ;  gr.  in-4.  fig.,  mar.-r.,  dent., 
Ir.  dor ; 35  —» 

Ce  poëme  latin,  de  1651  Tere,  est  divisé  en  huit  chants.  L'auteur  raconte 
les  crimes  et  la  mort  funeste  des  rois  de  diverses  nations,  dans  les  temps 
anciens,  depuis  Tempoisonnement  de  Ninus  par  Sémiramis,  Jusqu'au 
meurtre  d'Héliogabale.  Cet  ouvrage  est  orné  de  33  figures  très-remarquablet 
sous  le  rapport  du  dessin,  et  gravées  à  l'eau-forte  :  elles  sont  dans  le  goût  de 
celles  de  Cochin. 

338.  CoLLETET.  Les  divertissements  du  sieur  GoUetet, 
seconde  édition  revue  et  augmentée  par  l'autheur. 
Paris,  Jac.  Dugast^  1633  ;  in-8 ,  cart 3A — » 

Très-bel  exemplaire  grand  de  marges  et  réglé.  —  Guillaume  CoUetet,  né 
à  Paris  en  1506,  membre  de  l'Académie  françoise  dès  son  institution  en 
1634,  fut  un  littérateur  très-distingué.  Il  a  composé  plusieurs  ouvrages  ou 
recueils  de  poésies  fort  estimés  alors,  surtout  par  le  cardinal  de  Richelieu 
qui  mit  CoUetet  au  nombre  des  cinq  auteurs  chargés  par  ce  cardinal  de 
travailler  pour  le  théâtre,  sur  des  sujets  qu'il  leur  indiquoit.  Il  mourut  mi- 
sérable en  1659  ;  ses  amis  firent  les  frais  de  son  enterrement. 

Les  Divertissements  de  CoUetet  contiennent  des  élégies ,  des  stances,  des 
odes  et  des  sonnets  sur  les  événements  du  temps ,  sur  ses  propres  aventures, 
sur  le  vin,  l'amour,  etc.  Nous  citerons  seulement  :  Sur  la  paix  faite  avec  les 
Anglois,  et  Sur  la  réduction  des  rebelles  du  Languedoc,  après  la  prise  de 
la  Rochelle,  l'an  1639;  Chant  de  victoire  sur  la  défaite  des  Anglois  en 
risle  de  Ré,  et  sur  la  prise  de  la  Rochelle  ;  Hymne  de  l'imprimerie  ;  Sur  la 
paix  de  1629,  après  la  prise  de  la  Rochelle  ;  Advertissement  sur  un  livre 
intitulé  :  le  Moyen  de  parvenir;  Sur  la  tragédie  de  Pasiphaé  ;  Advis  sur  un 
lirre  intitulé  :  les  Heures  perdues  ;  Sur  un  livre  contre  les  frères  de  la  Rose- 
Croix  ;  Sur  l'addition  à  l'histoire  de  Louis  XI  ;  Sur  une  apologie  pour  les 
grands  personnages  soupçonnez  de  magie  ;  Sur  la  tragi-comédie  d' Argents  ; 
Sur  la  tragi-comédie  de  Lisandre  et  de  Caliste  ;  Sur  un  livre  d'airs  ;  Sur  le 
livre  des  abominations  ;  Les  désirs  pieux  ;  Sur  la  mort  de  Mme  la  Présidente. 

339.  CoLONNA  {Gilles  de).  Le  mirouer  exemplaire  et  très- 
fructueuse  instruction  selon  la  compillation  de  Gilles 
de  Rome,  du  régime  et  gouuernement  des  roys....  Et 
auec  ce  est  comprins  le  secret  d'Aristote  appelé  le  se- 
cret des  secretz  enuoyé  au  roy  Alexandre ,  et  le  nom 


052  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

des  roys  de  France  et  combien  de  temps  ilz  ont  régné. 
Paris^  Guill  Eustace,  1517;  1  vol.  in-â.  goth.,  v.  m., 
fig.  s.  bois,  relié » — > 

Gilles  de  Colonna ,  en  latin  ^gidim  a  Columna  ou  Algidius  Romanus, 
théologien  de  la  fin  du  xiii^  siècle,  do  Tillustrc  famillo  des  Colonna  de  Na- 
plcB,  entra  dans  Tordre  des  Augustins  dont  il  devint  général  en  1293.  Il  Ait 
le  précepteur  de  Philippe  le  Bel,  et  c'est  pour  ce  prince  qu'il  compoea  le 
traité  de  Regimine  principum.  Il  Tut  nommé  archevôque  de  Bourges  en 
120â,  assista  au  concile  de  Vienne  en  1311,  et  mourut  à  Avignon  le  >S2  dé* 
cembrc  1316. 

Le  traducteur  du  traité  de  Regimine  principum  est  nommé  dans  le  Jlia* 
nuel  du  libraire^  Henri  de  Ganchy  ou  Gauchy,  et,  dans  la  Biographie  iifii- 
verselle^  Simon  de  Hosdin.  Cette  dernière  attribution  ne  sauroit  ôtro  ad- 
mise, puisqu'on  l'applique  au  Gouvernement  des  princes  imprimé  par  Ve- 
rard  en  1497,  et  que  ce  livre  n'est  pas  celui  de  Gilles  de  Colonna.  Panser 
avait  déjà  confondu  le  Mirouer  exemplaire  avec  le  Gouvernement  det 
princes^  Verard,  1497,  qui  n'est  autre  chose  que  le  Secret  des  secret»  «TA- 
risiote»  Au  surplus,  on  lit  dans  le  privilège  que  G.  Eustace  avoit  recouvré 
cette  traduction  en  1516;  il  est  donc  probable  qu'elle  date  de  cette  époque  , 
et  que  l'édition  de  1517  est  la  première  et,  sans  doute,  l'unique  du  Mirouer 
exemplaire.  Ce  volume  est,  par  conséquent,  d'une  certaine  rareté. 

Le  Secret  des  secrets  d'Aristote  forme  la  cinquième  partie  do  ce  livre. 
Ënfln,  sensuguent  les  noms  des  roys  de  France  et  combien  de  temps  il*  ont 
régné.  C'est  une  singulière  chronologie.  L'auteur  qui,  sans  doute,  étoit  né 
sous  Louis  XI,  ignoroit  combien  de  temps  ce  prince  avoit  régnéj  il  lui 
donne  30  ans  de  règne,  au  lieu  de  22.  Il  nomme  des  rois  qui  nous  sont 
inconnus;  il  en  augmente  le  nombre.  D'après  ses  calculs,  Pcpin  seroit 
monté  sur  le  trône  Tan  864  ;  Hugues  Capet,  l'an  1039  ;  et  François  î**, 
ran  1576. 

Nous  terminons  cette  note  par  une  citation  extraite  du  Mirouer  exem- 
plaire. Voici  ce  que  Gilles  de  Colonna  écrivoit  pour  rinstmction  de  Phi- 
lippe le  Bel  ! 

«  C'est  chose  juste  et  raisonnable  que  cculx  qui  ont  seruy  aux  roya  et 
«  aux  princes,  et  qui  ont  labouré  corporellement  et  loyaulment  ayent  con- 
fi  digne  rétribution  tant  en  honneurs  comme  en  biens  temporelz  sdon  les 
«  mérites  des  personnes....  Toutefois  voyons  nous  souuent  qu'il  est  faict 
«  aultrcmeut,  car  ceulx  qui  sont  bons,  simples,  et  honnestos,  vergongneux, 
«  et  qui  n'osent  demander  serucnt  tou^jours  et  sont  tousjours  souffreteux, 
«  et  no  les  rémunère  Icn  myo  selon  la  loyaulté  de  leurs  scruioes  ne  lelon 
«  l'exigence  de  leur  mérite  et  de  leur  labour.  Et  ce  est  contre  Justice  est 
<  contre  tout  Jugement  de  raison.  » 

Gilles  de  Colonna  avoit  semé  ses  paroles  dans  un  mauvais  terrain  ;  six 
eents  ans  n'ont  pas  suffi  pour  les  faire  germer* 


BULLETIN    DU    BIBLIOPHILE.  (SbZ 

8A0.  CovARBUYiAS.  Roguldo  peccatum.  De  regul.  jur.  lib. 
VI.  Relectio,  a  Didaco  Covarruvias  a  Leyva.  Lugduni, 
[Nie.  Edoard.  Campante),  1560 ;  1  v.  in-8,  vél.       »  — » 

Diego  Covarruvias  y  Loyva,  fiurnommé  lo  Bartolo  espagnol,  naquit  en 
1515  à  Tolède,  et  mourut  à  Madrid  le  27  septembre  1577.  En  1569, Char- 
les-Quint lo  nomma  aroliev(V|uc  de  Saint-Dominguo.  Philippe  11  le  fit  évo- 
que de  Ciud;id-I\odripo  on  1560,  et  eu  1505  évC<iue  de  Ségovio.  En  157Î, 
Il  devint  président  du  conseil  de  Castille,  et  deux  ans  plus  tard,  président 
du  conseil  d'fitat.  Les  savants  étrangers  Pont  regardé  comme  l'un  des  pre- 
miers jurisconsultes  du  x\i'  siècle.  Ses  œuvre»  ont  étc*  imprimées  à  Lyon, 
en  1568,  160G  et  lOCl  ;  à  Anvers,  en  1G38,  2  vol.  iu-fol.  La  derniùi*e  édi- 
tion est  celle  de  Genl'vc,  avec  les  additions  d'Vbiinnez  de  Faria,  1702, 
5  YOL  in -fol. 

Le  titre  do  ce  volume,  Ilegulœ  pectalum,  pouvoit  fttre  compris  par  les 
JtuiBConsultes  du  \>r'  sitcle,  mais  il  nous  paroît  inBuillsant  aujourd'hui, 
pour  faire  connoitrc  le  sujet  de  cette  dissertation.  C'est  un  traité  complet 
de  la  restitution  des  choses  détenues  illégalement.  I/auteur  discute  toutes 
les  causes  qui  donnent  lieu  h  restitution  :  le  vol,  Tusun*,  le  Jeu,  les  ga- 
belles et  les  autres  imprtts,  la  chasse,  la  guerre,  les  trésors,  etc.  Nous 
louions  un  et  cœtera,  parce  que  le  chapitre  le  plus  curieux  not^auroit  être 
indiqtié  en  françois.  En  voici  le  sommaire  :  Meretrix  pet  ère  potesl  apud 
iudicem  mercedem  sibi  prnmissam  oh  fornicationem.  Donaiio  fieri  polesl 
eoncubinœ,  prœterquam  à  milite  et  clerico.  Promissum  porasitis  ob  verbera 
re/  alapas^  an  peti  possit?  Datum  causa  turpitudinis,  an  sit  necessario  ret- 
tUuêndum  danti^  qui  in  eadem  turpitudine  versatur.  On  trouve  dans  ce 
chapitre  des  décisions  telles  que  celles-ci  :  3îonacha  non  tenetur  reslituere 
quod  ob  incestum  accepcrit.  Nupta  non  tenetur  restituere  quod  pro  ad^il- 
leriopretiumveperit.  Liret  nerno  dominus  sit  membrorum  suorum ,  eet  ta- 
men  dominus  usûs  proprii  rorporis  :  siquidem  usum  corporis  locare  potesi 
propter  mercedis  pretium. 

La  dédicace  de  ce  livre  est  datée  du  1"  novembre  1553.  Nous  ignorons 
8*n  fut  imprimé  en  Espagne  avant  1560;  toutefois,  cette  jolie  édition  de 
£yon  est  la  première  publiée  en  France,  et  peut^trc  la  seule  de  cette  œuvre 
détachée. 

3A1.  Cbittom  {Georgii)y  professons  regii,  oratio  de 
ApoUinis  oraculis.  ParisiiSj  Steph.  Prevosteau,  1596. 
Ejusdem,  de  Sortibus  homericis.  Ibid.,  id.,1697.  Ejus- 
dem,  de  Dicendi  charactere  vere  regio.  Paris.,  Ci.  Jlfo- 
ff /,  1599  ;  en  1  vol.  in-8 »  — » 

George  Critton,  oé  en  Écoeae  Tan  1554,  fit  ses  études  dans  rCJnlTerBité 
de  Paris.  11  professa  le  droit  à  Toulouse  pendant  quatre  ans,  et,  en  1583. 


654  BULLETIN   DU  BIBLIOPHILE. 

il  obtint  une  chaire  au  collège  d^Harcourt.  Il  enseigna  plus  tard  dans  d*aa- 
tres  collèges  de  Paris,  et  enfin  au  collège  Royal.  Il  mourut  le  13  a;rril 
1611.  Critton  avait  épousé  la  fille  de  Adam  Blackwood,  Écossais,  couseîUer 
au  présidial  de  Poitiers.  Après  la  mort  do  son  mari,  elle  épousa  en  se* 
condes  noces  La  Mothe  Levayer  qui,  dit-on,  acquit  ainsi  les  manuscrits 
de  Critton  et  sut  en  faire  son  profit. 

Critton  publia  un  grand  nombre  d*opuscules;  mais  ces  brochures  ayant 
été  imprimées  séparément,  sont  devenues  fort  rares.  Les  trois  discours 
que  renferme  ce  volume  nous  ont  paru  offrir  de  TintérOt. 

Le  premier,  de  ApoUinis  oraculis^  est  une  introduction  à  la  Cauandre 
de  Lycophron.  On  y  trouve  quelques  détails  historiques  sur  rentrée  de 
Henri  IV  à  Paris  en  1504,  et  sur  rengagement  qu*il  prit  de  confirmer 
toutes  les  nominations  faites  par  le  duc  de  Mayenne.  On  lit  dans  la  ffio- 
grapkie  universelle  :  •  Critton  étoit  ligueur,  et  vers  1500,  Mayenne  le 
nomma  professeur  de  grec  au  collège  Royal  ;  mais  il  perdit  sa  place  à  l'en- 
trée d'Henri  IV.  En  1505,  il  demanda  la  chaire  de  grec  qui  étoit  devenue  va- 
cante, et  ne  l'obtint  qu'avec  peine.  »  Voici  ce  que  Critton  raconte  à  ce  sujet: 
En  1500,  il  fut  nommé  professeur  de  grec  après  la  mort  de  Hélic.  Malgi^ 
les  promesses  du  roi  Henri  IV,  en  1504,  il  resta  deux  ans  sans  occuper  sa 
chaire  ;  d'abord ,  parce  que  toutes  les  heures  de  la  Journée  étoient  em- 
ployées par  les  autres  professeurs  ;  puis,  parce  qu'il  n'osoit  pas  conti- 
nuer ses  leçons,  avant  d'y  f>trc  autorisé  par  un  diplôme  royal.  Pendant 
ces  deux  ans,  il  professa  au  collège  de  Boncour.  Après  dix-huit  mois  de 
sollicitations,  il  obtint  son  diplôme;  mais  il  s'aperçut  que  le  rédacteur 
avoit  glissé  dans  le  texte  une  erreur  qui  rendoit  cet  acte  nul.  11  fut  donc 
obligé  do  faire  de  nouvelles  démarches,  et  il  désespéroit  de  réussir,  lorsque 
Villeroy  prit  sa  défense,  surveilla  l'expédition  d'un  second  diplôme  et  le  lit 
approuver  par  le  chancelier  de  Chiverny.  Critton  reprit  alors  possession 
de  sa  chaire  de  grec  Le  discours  de  Apollinis  oraculis,  est  son  discoura  de 
rentrée,  et  par  conséquent  le  premier  qu'il  ait  prononcé  au  collège  Royale 
depuis  l'occupation  de  Paris  par  Henri  IV. 

Le  deuxième  discours ,  de  Sortibu*  homerieis,  est  asses  important.  Cest 
un  panégyrique  des  douxe  professeurs  du  collège  Royal.  Critton  donne  aor 
chacun  d'eux,  des  renseignements  utiles  pour  l'histoire  littéraire  du  xti* 
siède. 

Le  troisième  discours ,  de  Dicendi  charactere  vere  regio^  est  une  intro- 
duction à  l'un  des  ouvrages  d'Hérodien .  On  lit  dans  cet  opuscule  une  anee> 
dote  curieuse.  Après  avoir  établi  que  le  laconisme  est  le  véritable  caractère 
d'un  discours  royal,  l'auteur  raconte  qu'il  avoit  entendu  parler  Henri  III 
deux  ou  trois  fois,  et  en  dernier  lieu  lorsque  le  roi  sortit  de  Paris,  à  la  nite 
de  la  Journée  des  Barricades.  Le  peuple,  un  peu  calmé,  envoya  dea  d^Mi- 
tés  pour  apaiser  le  roi  :  Critton  fit  partie  de  l'ambassade.  Tous  les  délégnét 
admirèrent  la  facilité  et  l'élégance  du  discours  que  prononça  Henri  UI; 
mais  Critton  disoit  qu*un  aussi  long  discours  ne  convenoit  pas  à  on  roL 
Cet  opuscule  nous  apprend  encore  qu'en  1500  les  professeurs  du  collège 
Royal  faisoient  leurs  cours  au  collège  de  Boncour,  attendu  que  l'on  rép»- 
roit  celui  de  Cambrai ,  où  se  tenoit  ordinairement  le  collège  Royal. 


BULLETIN  DU  BIBUOPHILC.  655 

SâS.  CcTJACii  [Joe.)  J.  C,  de  Confessione  concio.  In  scho- 
la  Bituricensi  habita»  an.  1676,  et  nunc  primum  typis 
informata.  Lutetiœ,  F  éd.  Morellus^  459S.  — Ejusdem, 
deRatione  docendi  juris  oratio,  habita  in  scholis  Bi- 
turigum,  VI  id.  octob.  1585.  Ibid.,  id. ,  159A.       » — » 

Jacques  Cujas,  né  à  Toulouse  en  1520,  vint  enseigner  le  droit  à  Cahore  on 
1554.  L'année  suivante,  il  fut  appelé  à  Bourges  par  Marguerite  de  Valois  ; 
mais  il  se  réfugia  bientôt  à  Valence  pour  échapper  à  une  émeute  d'étu- 
diants qu'avoit  suscitée  la  jalousie  d'un  de  ses  collègues.  Rappelé  par  ordrr 
de  llk  duchesse  de  Berry,  il  quitta  Bourges  pour  la  seconde  fois  en  1567. 
Bnfln,  il  revint  dans  cette  ville  vers  1576  et  y  mourut  le  4  octobre  1500. 

Cest  la  première  édition  de  ces  deux  Opuscules  de  Cujas,  que  recueillit 
l'imprimeur  Frédéric  Morel,  l'un  des  nombreux  élèves  de  notre  éminent 
JoriseoDsulte  : 

Attentus  auditor  Morellus,  et  notis 
Impressit  eneis,  quod  auribus  suis, 
Cum  mille  discipulis,  prius  perceperat. 

On  lit  encore  à  la  fin  du  second  discours  :  Excepta  ex  ore  dteenltf ,  Btlu- 
rifii  Cubontm, 

Neiia  ignorons  si  ces  deux  pièces  ont  été  insérées  dans  les  Œuvres  de 
Ci^M,  imprimées  au  xvii«  siècle  et  au  xvin*;  mais  il  est  certain  que 
cette  édition  prmcepi  est  très-rare. 

SAS.  Examen  du  Traité  de  la  liberté  de  penseï*  (par  Col- 
lins)  ,  écrit  à  M.  D.  Lig**.  par  M.  D.  Cr**.  (J.-P.  de 
Crousaz) .  Amst..,  1718  ;  pet.  in-8,  v.  f. »  --» 

Le  Traité  de  la  liberté  de  penser  fit  beaucoup  de  bruit  lort  de  son  app»- 
ritioD.  Le  titre  seul  du  livre  alarma  les  catholiques,  et  le  texte  déplut 
mèaie  aux  protestants.  Voici  les  propositions  que  l'auteur  soutient  dans  son 
Tnilé.  On  ne  doit  rien  croire  sans  examen.  Or,  l'examen  ne  peut  conduire 
à  ftoeiiDe  certitude  :  donc,  il  ne  faut  rien  croire.  Une  th^se  si  téoiéraire 
•OQlef  a  tous  les  théologiens.  Des  critiques  et  des  réfutations,  souvent  vio- 
lealea«  quelquefois  accompagnée»  d'injures,  fondirent  de  toutes  parts  sur 
ce  malencontreux  ouvrage.  Au  surplus,  le  Traité  de  la  liberté  de  pen- 
ser a  été  traduit  par  le  baron  d'Holbach  :  c'est  un  brevet  d'athéisme. 
L'Examen^  par  de  Crousaz,  se  distingue  des  autres  réfutations  par  le  calme 
et  la  modération  de  l'auteur.  Mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  de  Gronsas 
était  protestant;  qu'en  cette  qualité  il  approuvoit  le  titre  du  livre  de  Col- 
lins,  et  même  plusieurs  passages  du  texte.  Ainsi,  dans  le  cours  de  son  Kxa- 
m«fi,  il  ajoute  de  nouvelles  preuves  à  oellei  qne  GoUins  Ibiunit  pour  dé- 


6Ô(5  nULLKri?(    DL    BIBLIOPHILE. 

montrer  quelques-unes  de  ses  propositions,  il  i*éfutc  seulement  tout  ee(|iii 
tend  à  prouvrr  que  Texamon  ne  peut  aboutir  à  la  certitude.  On  s'aperçoit 
par  co  court  exposé,  que  rc  volume  n'est  qu'une  réfutation  partielle  du 
Traité  de  la  libertr  de  penser^  et  qu'il  a  dû  ranimer  la  polémique  an  Heu 
de  réteindre.  Les  ouvrages  du  baron  d'Holbach  et  compaenie  sont  mainte- 
nant peu  recherchés,  cependant  nous  croyons  que  lo  livre  do  Grouiax, 
contre  les  doctrines  de  l'athéisme,  offre  encore  aujourd'hui  un  certain  in- 
térêt. 

3iA.  Essai  sur  le  gouvernement  civil  où  l'on  traite  de  la 
nécessité,  de  l'origine,  des  droits,  des  bornes  et  des 
difTérentcs  formes  de  la  souveraineté,  selon  les  psin- 
cipes  de  Fénelon  (par  de  Ramsay),  Londreêf  1722; 
in-12,  V.  br.  arm » — » 

«  Le  seul  mérite  de  l'auteur  ,dit-il  h  la  fin  delà  préface)  est  d*aToir 

été  nourri  pendant  plusieurs  années  des  lumières  et  des  sentiments  de  feu 
mossire  François  de  Salignac  do  La  Mothc  Fénelon,  arrhcvi-que  de  Cam- 
bray.  Il  a  profité  des  instructions  de  cet  illustre  prélat  pour  écriro  cet 
Essai,  n 

Cet  ouvrage  n'est  que  le  développement  des  conversations  qu*cut  Féne- 
lon avec  le  prétendant  (Jacques  111),  prndant  le  séjour  que  C4)  prince  fit  à 
Cambrai,  dans  le  coui-s  de  la  guerre  de  la  succession  d'Espagne. 

Il  est  dinicile,  dit  M.  do  ik>aussct,  de  réunir  sur  la  politique  des  îdéct 
plus  justes  et  plus  saines  ;  de  les  prt^senter  sous  une  forme  plus  claire  et 
plus  à  la  portée  de  tous  les  esprits  raisonnables,  et  de  les  discuter  avec 
une  partialité  plus  exempte  de  préventions  et  d'enthousiasme. 

Le  chevalier  And.  Michel  de  Ramsay,  littérateur,  d'une  branche  cadette 
de  l'ancienne  et  illustre  famille  de  ce  nom,  gouverneur  du  duc  de  Chà^ 
teau-Thicrry  rt  du  prince  de  Turonoe,  précepteur  des  enfanta  de  Jac- 
ques m,  rt'-fugié  à  Home  ;  enfin  intendant  du  prince  do  Turenne,  depuis  duc 
de  Bouillon  ;  membre  do  la  Société  royale  do  Londres  ;  né  en  1C86,  à  Ayr, 
en  Ecosse,  mort  à  Saint-Germain  en  Layc,  lo  ti  mai  17A3. 

3&5.  Frank  (Sébast.).  De  arbore  scientiœ  bonietraali, 
ex  quo  Adanius  mortem  comedit,  et  adhuc  hodie  cuncti 
homines  mortem  comedunt...  ;  Augustino  Eleutherio 
(Sebast.  Frank)  authore.  MuUiusii^  P.  Fabrus,  1561; 
1  vol.  in-8,  V.  f.,  fil.,  tr.  dor 48 — » 

RAns.  —  Sébastien  Frank,  visionnaire  du  xvi«  si^cle,  naquit  en  BarRife 
vers  la  fin  du  x\«  si^clc,  et  mourut  vers  1545.  On  possède  peu  de  rensel- 
gnemonts  sursa  vio;  il  étoit  difficile  do  recueillir  les  particularités  qui 
concemoient  un  homme  errant  sans  cesse  d*un  lieu  à  un  autre.  Il  fut  suo* 


BULLETII^    DU    BIBLIOPHILE.  667 

oeMivcmcnt  chassé  de  Nuremberg,  do  Strasbourg  et  d'Ulni,  à  cause  des 
ouvrages  quMl  faisoit  imprimer.  On  ignore  dans  quelle  ville  il  mourut.  Son 
eipnlaion  de  Nuremberg  eut  lieu  en  1531,  après  la  publication  de  son  livre 
De  l'Arbre  de  la  science  du  bien  et  du  mal.  Ce  volume  renferme  la  plupart 
des  rûverics  qu'il  reproduisit  dans  la  suite. 

Lacbute  d*Adam  n'est,  selon  Frank,  qu'une  allégorie.  L*arbro  fatal,  c*est 
U  personne,  la  volonté,  la  science  d'Adam.  Adam  ne  devoit  pas  manger  de 
Tarbre,  car  c'étoit  manger  la  mort.  Il  devoit  ne  rien  savoir,  ne  rien  faire 
et  garder  le  .silence  :  Dieu  savoit,  agissoit  et  parloit  en  lui.  S'il  eût  suivi 
ces  préceptes,  il  serait  resté  soumis  à  Dieu,  et  Dieu  auroit  exercé,  sans 
obstacles,  sa  puissance  entière  en  la  personne  d'Adam.  Frank  déclame  con- 
tre toutes  les  connoissances  humaines  et  même  contre  l'usage  do  la  raison, 
Bui|uel  il  attribue  la  chute  d'Adam.  Les  sciences,  dit-il,  sont  de  vains  Jouets, 
des  erreurs  ridicules,  dos  causes  do  perdition  ;  elles  ont  donné  aux  honmies 
la  mort  et  Jamais  la  vie.  Nous  devons  chercher  à  annihiler  notre  esprit,  et 
par  une  dépression  continue,  nous  rendre  àncs,  fous  et  imbécilles.  Au  sur- 
plot,  tous  les  hommes  sont  pétris  de  méchanceté  et  de  sottise  ;  en  culti- 
vant cette  dernière  qualité,  nous  nous  rendrons  dignes  de  Dieu. 

Frank  avoit  traduit  en  allemand  l* Eloge  de  la  folie ^  par  Érasme;  le 
Trmité  de  la  vanité  des  sciences^  et  l'Eloge  de  Cane,  par  Agrippa.  C'est 
après  avoir  milité  ces  trois  ouvrages  facétieux  ou  paradoxaux,  qu'il  écri- 
vit, aussi  en  allemand,  son  livre  do  l'Arbre  de  la  seienrê  du  bien  et  du 
mûl,  dont  Adam  a  mangé  h  morl^  et  dont  encore  aujourd'hui  tous  les 
k&mmei  la  mangent^  Après  la  mort  do  l'auteur,  un  anonyme  traduisit  ce 
traité  en  latin  et  le  fit  imprimer  à  Mulhouse,  en  l5Ci.  Seulement,  il  chan- 
fe»  le  nom  de  Séb.  Frank  en  celui  do  Augustinus  Eleuthoriui,  afin  sans 
dMtte  que  Ton  regardât  cette  œuvre  conune  nouvelle. 

SAO.  Hegendorff.  Encomium  ebrietatis,  Christof.  Hegen- 
dorfiino  autfaore;  —  ejusdem,  Encomium  sobrietatis. 
S.  l.  n.  d.  ;  pet.  in-12,  demi-rel 12— n 

Christophe  Hegendorff,  pofte,  jurisconsulte  et  théologien  luthérien,  na- 
quit à  Leipsic  en  1500,  et  mourut  à  Lunebourg  en  15&0.  Il  composa  son 
Eloge  de  Virresse^  en  1526,  et  peu  de  temps  après,  V Eloge  de  la  sobriété. 
Gee  deux  dissertations  facétieuses  sont  très-rares  ;  elles  ont  été  sans  douto 
Imprimées  à  Loipeic.  On  trouve  dans  ce  petit  volume  deux  pièces  do  vers 
latins  d'Hegendorff  :  Epigramma  ad  leetorem,  et  Carmen  in  orgia  S,  Mar- 
tini; enfin,  Ph»  Noveniani  ad  Chr,  Hegendorjftnum amieum ntum  earmen. 

3A7.  Hélie.  HistoriaFiixensiumcomitum,BertrandiHelie 
Appamiensis  jurisconsulti,  in  quatuor  libres  distincta  ; 
ejusdem^  de  Regni  NavarrdQ  origine,  et  regibus  qui  in 


658  BULLETIN  DU  BIBUOPHILE. 

ea  ad  hœc  usque  tempora  regnarunt.  Tolasœ,  iVtc» 
Vieillard,  1540;  1  vol.  pet.  in-â,  v.  m 40— » 

On  lit  dans  la  Dissertation  sur  la  clause  régnante  Cliristo,  par  Besly,  au- 
teur de  VHistoire  des  comtes  de  Poitou  :  «  Bertrand  Hélie,  de  Pamiers,  a 
c  publié  depuis  cent  ou  six  vingts  ans,  Thistoirc  des  comtes  de  Foix,  qu'il 
«  a  dérobée  d'un  Arnaud  Souerrer,  qui  auparavant  avoit  traité  le  môme 
«(  argument  en  langue  du  pays  ;  comme  aussi  Guillaume  de  I^a  Perrière  qui 
«  traduit  cet  Ilélie  en  notre  langue.  »  Voici  le  passage  qui  a  donné  lieu  & 
cette  citation  :  Annus  erat  4095,  qui  régnante  propheta  Jhesu  inscribé~ 
batur  in  Gallia^ob  Philippi  hujus  nominis  primi  Gallorum  régis  anathema^ 
quo  Claromoutensi  concilio  Urbanus  pontifexeumconcusserat. 

La  version  françoise  de  l'ouvrage  de  Hélie  parut  avant  l'original  sous  ce 
titre  :  les  Annales  de  Foix,  etc.,  par  G.  de  La  Pcrritre.  Tolos,  N,  Vieil- 
lard^ 1539,  in-A. 

Hélic  avoue  lui-mt^mc  dans  sa  dédicace  au  roi  et  à  la  reine  do  Navarre, 
qu'il  a  fait  usage  d'un  ancien  manuscrit  écrit  en  langue  vulgaire,  mais  il 
ajoute  qu'il  l'a  corrigé  et  beaucoup  augmenté.  Cette  histoire  des  comtes  de 
Foix,  devenus  rois  de  Navarre,  est  intéressante,  quoiqu'elle  conunencepar 
une  origine  fabuleuse  des  comtes  de  Foix,  qui,  selon  l'auteur,  descendent 
d'Hercule  en  ligne  directe.  On  trouve  dans  cet  ouvrage  un  grand  nombre  de 
faits  importants  pour  l'histoire  générale  de  la  France,  jus([u'aux  expédi- 
tions de  François  I<^''  en  Italie,  et  des  détails  curieux  sur  les  guerres  sus- 
citées à  diverses  époques  par  des  prétendants  au  comté  de  Foix  et  au 
royaume  de  Navarre.  » 

Cet  historien  constate,  ainsi  qu'il  suit,  la  découverte  de  rimprimerie  : 
«  L'art  d'imprimer,  dit-il,  inventé  à  Mayence,  fut  exercé  à  Rome  quelques 
années  plus  tard,  et  comme  cet  art  étoit  presque  divin,  on  le  consscn 
d'abord  à  reproduire  des  livres  sacrés.  Aide  Manuce  a  tenu  autrefois  le 
premier  rang  parmi  les  imprimeurs,  et  de  nos  jours  les  plus  céll'bres  type- 
graphes  sont  :  Froben,  à  Bàle;  de  Colines  et  Robert  Estienne,  à  Paris;  Sébb 
Gryphius,  à  Lyon,  et  Nie.  Vieillard,  à  Toulouse.  » 

348.  Lasgaris  {Jani)  Rbyndaceni  Epigrammata  grœc.  la- 
tin. Parisiis^  Joe.  Bogardus,  1644  ;  1  vol.  in-4.      • — • 

André-Jean  Lascaris,  l'un  de  ces  savants  grecs  chassés  de  leur  patrie  dans 
le  xv«  siècle  après  la  prise  de  Constantinoplc,  se  réfugia  d'abord  à  Flo- 
rence; mais  lorsque  Laurent  de  Médicis  eut  cessé  d'exister,  Lascaris  ao- 
cepu  les  offres  que  lui  fit  Charles  VIII  pour  l'attirer  en  France.  U  étoit  à 
Paris  en  1A05.  C'est  lui  qui  enseigna  la  langue  grecque  à  Budé  et  à  Daoes* 
Louis  XII  le  nomma  ambassadeur  à  Venise,  en  1503  et  en  1505.  Il  se  rendit 
ensuite  à  Rome  où  l'appeloit  Léon  X,  pour  fonder  un  collège  et  pour  diri- 
ger une  imprimerie  spécialement  destinée  à  la  reproduction  d'ouvrages 
grecs.  Il  retourna  à  Paris  en  1518,  et  fut  chargé  avec  Budé  de  former  la 
bibliothèque  royale  de  Fontainebleau.  Il  mourut  à  Rome  en  1535.  Ses  Épi^ 


BULLETIN   DU   BIBUOPHILE.  650 

grûmmts  ffreequet  et  latine»  Aircnt  imprimées  par  les  soins  de  Jseq.  Tusft-^ 
RUS,  k  Parié,  che%  Badiuê  Ascensius^  1527,  inS^  et  réimprimées  en  15A4, 
ftvec  une  addition  de  12  pièces.  Cette  dernière  édition,  presque  aussi  rare  que 
la  première,  est  donc  plus  complète.  Au  milieu  des  Épigrammes  grecques  et 
latines  de  Lascaris,  nous  en  avons  trouvé  une  en  vers  françois.  Elle  est 
intitulée  :  De  la  patience  de  Marie  de  Crète.  Nous  citons  les  premiers  vers  : 

lusqu'a  ce  iour  le  soleil  qui  tout  ueoyt, 
Telle  uertu  d'homme  ou  femme  n'auoit 
Mis  en  lumière.  Vne  femme  do  Crète, 
Sans  y  penser,  en  sa  chambre  secrète 
Cache  un  meutrier,  qui  pas  ne  la  cognoist, 
Et  de  la  mort  du  filz  d'elle  il  estoit 
Ensanglanté,  duquel  filz  on  apporte 
Le  corps  tout  mort 

S&O.  Laurenberg.  Ocium  Soranum,  sive  Epigrammata, 
continentia  varias  historias,  et  resscitu  jucundas,  ex 
grœcis  latinisque  scriptoribus  depromptas»  et  exercita- 
Uonibusarithmeticis  accommodatas,  à  Jo.  Laurenbcrgio 
in  reg.  Acad.  Sorana  Mathematum  interprète.  Hafniœ, 
1640;  in-i,  vél.,  pi 28  ^» 

Livre  rare  et  singulier.  Dans  la  dédicace  adressée  à  Justin  Hoi^,  che- 
valier, sénateur  et  président  de  l'Académie  de  Sorô  (Danemark;,  Jean  Lau- 
renberg dit  :  <(  Selon  l'opinion  commune,  l'étude  de  l'arithmétique  est  in- 
digne de  la  noblesse,  et  n'est  point  le  complément  d'une  solide  instruction. 
n  faut  laisser  cette  étude  aux  fils  des  marchands  et  à  ceux  qui  se  destinent 
à  la  tenue  des  livres  de  comptes.  >  L'auteur  ajoute  que  cette  opinion  est 
finisse ,  que  l'arithmétique  est  fort  utile  pour  éclaircir  certains  points  ob- 
scurs de  l'histoire,  et  qu'elle  conduit  à  de  curieuses  découvertes. 

C*est  donc  afin  de  prouver  cette  assertion  que  Laurenberg  a  écrit  son 
Ovre.  Les  pièces  liminaires  renferment  quelques  notions  de  géométrie  né- 
wsaircj  pour  l'intelligence  des  calculs,  la  signification  des  signes  élémen- 
taires de  l'algèbre,  et  une  planche  gravée  sur  cuivre  contenant  sept  figures  : 
?Vp*f  mundi  ex  Jedikrat^  Tempe  Epidaphnia,  Rhodtm,  CanathuM  font, 
Oi^mpiœ  et  Sotipolis  fanum^  Murta  peninsulœ  Mathanemi»^  taera  Tiberis 
msv/a. 

L'ouvrage  est  divisé  en  71  articles.  Chaque  article  se  compose  d'une 
épigramme  grecque,  suivie  de  la  traduction  en  vers  latins,  et  de  calculs 
ayant  pour  but  d'expliquer  le  sens  de  cette  épigramme.  En  un  mot,  c'est  ut 
recueil  de  problèmes,  basés  sur  des  faits  historiques,  avec  la  solution  don- 
née par  l'auteur. 

Le  professeur  danois  n'a  point  trouvé  d'imiuteurs.  Les  mathématiciens 
nodeme^  se  sont  sbittenus  de  prendre  des  vers  grecs  pour  sujets  de  1eur« 


660  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

calculs.  Au  surplus,  les  élèves  ne  s*cn  plaindront  pas  :  il  leur  serolt  peu 
agréable  de  chercher  à  résoudre  de^s  problèmes  d'arithmétique,  tout  héris- 
sés de  ç,nic  et  do  latin. 

Ce  volume  est  lui-même  un  problème  que  nous  proposons  humblement 
aux  bibliographes.  Dans  laquelle  des  trois  «éries,  arithmétique^  poitte 
grecque  ou  poésie  latine  doit-on  classer  Touvrage  de  Laurenberg  ? 

350.  Martigna.  Sylva  radicum  hebraîcarum;  auctore 
J.-B.  Martigna.  Parisiis,  1622;  in-8,  cart.. . .       » — » 

Ce  volume  renferme  2,000  racines  imprimées  à  deux  colonnes,  en  beaux 
caractères  hébraïques,  avec  rexplication  latine  en  caractères  italiques  ;  l'exé- 
cution tj-pogrnphique  ne  laisse  rien  à  désirer. 

C'est  par  suite  d'uiKî  erreur  commise  par  l'imprimeur  que  ce  livre  parut 
sous  le  nom  de  Martigna  :  Tauteur  vrritahic  est  le  P.  Nicolas  Rigueil,  do 
Rouen,  jésuite,  <iui  mourut  à  Reims  le  16  octobre  1G43. 

351.  NiGRi  {Stephani)  Dialogus  in  quem  quicquid  apud 
Pausaniam  scitu  dignum  legitur,  summa  cum  diligentia 
congestum  est.  Accedunt  Philostrati  heroica  (per  eam- 
dem  in  latinum  conversa  sermonem).  Mediolani ,  1517  ; 
1  vol.  in-â,  d.-rel.,  v 60— o) 

Très-rahe.  Etienne  Nigri,  né  à  Casai,  dans  le  pays  de  Crémone,  fût  l'an 
des  élèves  de  Démétrius  Chalcondylas,  et  professa  avec  distinction,  à  Mi- 
lan ,  les  langues  gi'ccque  et  latine.  Il  étoit  lié  avec  plusieurs  savants  de 
l'Europe,  ainsi  que  le  prouvent  les  vers  grecs  et  latins  composés  en  son 
homieur  et  imprimés  parmi  les  pièces  liminaires  de  ce  volume.  Nigri  dédia 
son  ouvrage  au  célèbre  Lyonnois  Jean  G  relier,  le  hiécèm  de  son  tempe. 
C'est  un  nom  bien  connu  des  bibliophiles;  et,  h  notre  avis,  une  dédicace  à 
J.  G  relier  étoit  une  bonne  fortune  pour  l'auteur,  et  doit  être  encore  au- 
jourd'hui une  excellente  recommandation  pour  son  livre. 

On  sait  que  les  Ileroica  de  Philostrate  contiennent  le  récit  des  exploits 
de  tous  les  héros  qui  assistèrent  au  siège  de  Truye,  et  que  Ton  trouve  dans 
cet  auteur  grec  des  faits  omis  par  Homère  et  par  les  autres  portes.  Nous 
ferons  remarquer  que  cette  traduction  des  Heroica  par  Et.  Nigri  est  citée, 
dans  le  Manuel  du  Libraire^  conuue  «  un  livre  excellent  et  très-rare,  qui 
conserve  encore  une  tii's-haute  réputation.  »  I^e  Dialogue  se  compose  de 
longs  extraits  traduits  de  Pausanias  sur  la  géographie  et  l'histoire  de  la 
Grèce. 

Le  priiilége^  imprimé  sur  le  dernier  feuillet,  n*est  pas  la  pièce  la  moins 
curieuse  du  volume.  En  effet,  ce  privilège  est  accordé  par  le  roi  l^ançois  !•% 
en  qualité  de  duc  de  Milan.  Il  est  daté  du  20  février  1517,  et  porte  pour 
souscription  :  Per  regem,  Mediolani  ducem;  ex  relatione  Conailii.  Fran- 
ciscus  Castilliomts. 


BULLETIN    DU   DIBUOPHILE.  664^ 

Notons  encore  l'autographe  qu'on  lit  sur  le  titre  i  Sum  Gilberti  Coçtiaii 
Noiertni^  et  amicorum;  autograplie  du  célèbre  Gilbert  Coualn  de  Nozeroi, 
en  Franche-Comté,  auteur  d'ouvrages  recherchés. 

S62.  NuNEz.  Refranes,  o  prouverbiosen  romance,  que 
Duevamente  coUigio  y  glosso,  el  comendador  Hernan 
Nunez.  Van  puestos  por  la  orden  del  ABC.  —  En  Sa^" 
lamanca,  1578  ;  in-12  allongé,  vél » — » 

Noua  lisons  une*  note,  jointe  au  volume,  do  l'érudit  bibliothécaire  d'An- 
goulCme,  M.  Eusôbc  Castaigno  :  «  Édition  rare  de  ces  charmants  proverbe», 
m  plua  recherchée,  en  raison  de  sa  commodité,  que  Tédition  de  1555,  in-foU, 
«  qui  8*est  pourtant  vendue  jusqu'à  50  flor.  Mccrman.  Elles  contiennent 
«  l'une  et  l'autre  plusieurs  proverbes  que  les  censeurs  n'ont  pas  laissés  pasr 
«  ser  dans  les  réimpressions  modernes.  » 

M.  G.  Duplessis  [Bibliographie  parémiologique)  ajoute,  en  parlant  du  vo- 
lume qui  nous  occupe  :  «  Le  Recueil  de  Nunez  est  un  des  plus  curieux  et 
«  des  plus  considérables  qui  existent.  Il  est  distribué  par  ordre  alphabétique, 
m  et  Taotour  s'est  contenté,  en  général,  de  donner  l'énoncé  des  proverbes, 

•  sans  y  joindre  aucun  coumientaire.  De  temps  en  temps  il  ajoute  à  certains 
«  proverbes  quelques  mots  d'explication  fort  concis,  mais  suffisants.  J'a- 
<  Jouterai  que,  dans  cette  immense  nomenclature,  on  trouve  presque  tous 

•  les  Proverbes  portuguois  et  un  assez  grand  nombre  de  Proverbes  françois 

•  et  de  Proverbes  italiens.  Les  Proverbes  galliciens  (gallegos)  n'y  sont  pas 
«  non  plus  oubliés.  Cet  ouvrage  peut  donc  ôtrc  considéré  comme  un  réper- 

•  toire  abondant  de  Proverbes  bon  à  consulter,  et  auquel  il  ne  manque , 
a  pour  être  encore  plus  utile,  que  d'avoir  été  rédigé  dans  un  ordre  alpha- 
0  bétique  un  peu  plus  rigoureux.  « 

An  surplus,  notre  exemplaire  est  conforme  à  la  description  du  Manuel  de 
M.  Bronet  II  est  dans  une  parfaite  conservation  et  rempli  de  témoins. 

35S.  Ordonnances  royaulx  sur  le  faict  de  la  justice  et 
abbreuiation  des  procès  ;  publiées  en  la  cour  de  parle- 
ment à  Paris,  le  6*  iour  de  septembre  1539.  Paris 
(impr.  par  Nicolas  Couteau) ,  on  les  vend  par  Galiot  du 
Pré,  1539  ;  1  vol.  in-4,  goth.,  d.-r.,  v.  f . . . .     86 — » 

Ces  ordonnances  sont  presque  toutes  relatives  à  la  procédure  oivile  et 
criminelle  ;  nous  en  indiquerons  quelques  articles  remarquables. 

(50-55).  François  !•»  ordonne  de  tenir  des  registres  de  baptetmei  qui  eon- 
tiendront  le  temps  et  V heure  de  la  nativité,  et  par  l'extraict  detéUê  r©- 
futrei  u  pourra  prouver  le  temps  de  la  m^njorité  ou  mifiorité.  11  ordonne, 
en  outre,  que  Voti  fasse  registre  des  sépultures  des  personnes  tenant  biné- 
fiées:  et  que  ces  registres:  soient  portés  tous  les  ans  et  gardés  ès-greffes  des 


66*2  BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE, 

plus  prochains  juges  royaux^  pour  y  avoir  recours  quand  mestier  et  hesoing 
sera.  Il  résulte  de  là  que  Ton  étoit  tenu  de  constater  les  baptêmes  de  tous 
les  nouTeau-nés,  mais  que  l'on  inscrivoit  seulement  les  décès  des  bénéfidevs. 
Ces  prescriptions  n'étoient  point  encore  suffisantes  pour  rendre  inutile  l'in» 
scription  des  baptêmes,  mariages  et  décès  des  membres  de  certaines  familles 
sur  les  marges  de  quelque  volume  précieux  qui  se  transmettoit  par  llié 
ritage, 

(185-101).  Le  i*oi  abolit  les  confrairies  des  gens  de  mestier  et  artisans  • 
leur  défend  de  faire  aucune  despence  pour  obtenir  la  maistrise,  de  ne  tesnr 
aucune  assemblée  grande  ou  petite ,  pour  quelque  cause  que  ce  soit ,  de  ne 
faire  aucun  monopole  et  n'avoir  ou  prendre  aucune  intelligence  les  ungt 
avec  les  autres  du  faict  de  leur  mestier  ;  sur  peine  de  confiscation  de  eorpê 
et  de  biens.  Ces  articles,  tombés  bientôt  en  désuétude,  pourroient  donner 
lieu  à  des  commentaires  intéressants  pour  l'histoire  des  maîtrises  et  des  Ju- 
randes. 

La  torture  étoit  un  terrible  appendice  de  la  procédure  criminelle.  Fran- 
çois I*'  consacre  à  ce  sujet  deux  articles  de  son  ordonnance  de  1539  (163).  5i\ 
par  la  Visitation  des  pièces  »  la  matière  est  trouvée  subjecte  à  torture  ou 
question  extraordinaire ,  nous  voulons  incontinent  la  sentence  de  ladiete 
torture  estre  prononcée  au  prisonnier,  pour  estre  promptement  exéaUie 
(164).  Et  st,  par  la  question  ou  torture,  Von  ne  peult  riens  gaigner  à  ren^ 
contre  de  Vaccusé ,  tellement  qu'il  n'y  ayt  matièr  e  de  le  condamner,  hoêkê 
voulons  luy  estre  faict  droict  sur  son  absolution, ...  Ainsi,  le  législateur  avooe 
qu*on  appliquoit  quelquefois  à  la  torture  ou  à  la  question  extraordinaire 
des  innocents  qu'on  étoit  obligé  d'absoudre  après  les  avoir  estropiés.  Et 
cependant  ce  n'est  que  sous  Louis  XVI  que  la  question  a  été  abolie  ! 

Nous  citerons  encore  l'article  3.  par  lequel  il  est  ordonné  que  doresna- 
vant  tous  arrests  y  pièces  de  procédure  ^  contracts^  sentences  ^  testament B^ 
et  autres  quelsconques  actes  soient  prononcés  ou  rédigés  en  langage  mater" 
nel  français  et  non  autrement. 

Cette  édition  gothique  est  aussi  belle  que  toutes  celles  qui  ont  été  impri- 
mées pour  Galliot  du  Pré.  Nous  ferons  seulement  observer  que  le  roi  ac- 
corde le  28  août,  à  Galliot  du  1^,  un  privilège  pour  trois  ans,  à  l'exclndon 
de  tous  autres  libraires ,  et  que ,  le  môme  jour,  le  Parlement  accorde  un  se- 
cond privilège  pour  trois  ans  à  J.  Bonhomme  et  à  J.  André,  à  rexcloaion 
de  tous  autres  libraires.  Il  nous  seroit  difficile  d'expliquer  cette  singularité 
qui  résulte  de  deux  privilèges  émanant  de  deux  autorités  différentes  et  pa- 
raissant se  contredire.  Nous  préférons  rappeler  les  conditions  imposées  par 
le  Parlement  aux  libraires  :  A  la  charge  que  ladiete  impression  sera  bien 
correcte,  en  beau  volume,  belle  marge  et'bonne  lettre.  Cette  injonction  étoit 
la  sauvegarde  de  l'art  de  l'imprimerie,  et  elle  a  été  fidèlement  observée  par 
Galliot  du  Pré. 

—  Exemplaire  grand  de  margo<i  et  beau,  sauf  une  légère  piqûre  à  quel- 
ques feuillets. 


BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE.  603 

S64.  PiGARDUs  Toutreriaiius  {Joanties).  De  prisca  Celto- 
pœdia,  libri  y.  Parisiis,  Mat.  David,  1566;  pet.  in-A, 
vél 45 — » 

Exemplaire  de  lluct,  évoque  d'Avranchcs.  On  trouve  l'analyse  suivante 
du  cet  ouvrage  dans  la  Bibliothèque  de  la  France^  du  Père  Lelong^  U  I  : 

«  Ce  livre  conticnl  l'histoire  du  progrès  des  lettres,  des  sciences  et  des 
arts  dans  les  Gaules.  Le  but  de  l'auteur  est  de  faire  voir  que  les  Gaulois  les 
ont  connus  et  cultivés  avant  les  Grecs,  les  Latins  et  les  autres  nations,  et 
i\ti*îh  n'y  ont  pas  moins  excellé.  Son  ouvrage  est  divisé  en  cinq  livres,  dont 
on  trouve  l'analys^^  à  la  tôte. 

•  Dans  le  premier,  il  expose  en  abrégé  la  contrariété  qui  règne  dans  l'his- 
toire par  rapport  à  l'invention  des  arts  et  des  sciences  que  chaque  peuple 
a  \oulu  s'attribuer.  Dans  le  second,  il  fait  l'histoire  de  l'antiquité  des  samo- 
théens,  saronides,  druides  et  bardes  qui  ont  cultivé  dans  les  Gaules  la  phi- 
losophie, l'astrologie,  la  poésie ,  etc.,  etc.,  plus  de  huit  cents  ans  avant  que 
Cadmmeût  apporté  l'usage  des  lettres  dans  la  Grèce.  Saroothès,  premier 
phlloaopho  des  Gaulois,  étoit  petit-flls  de  Noé,  quatrième  fils  de  Japhet^  et 
frère  de  Gomor.  11  occupa  les  Gaules  cent  quarante-quatre  ans  après  le  dé- 
luge ;  c'est  ce  qu'ont  avancé  les  auteurs  fabuleux  que  l'auteur  suit,  selon  les 
pi^ugés  de  son  temps. 

*  Dans  le  troisième,  il  prétend  que  la  langue  grecque  étoit  en  usage  dans 
lea  Gaules  longtemps  avant  que  les  Grecs  s'en  servissent,  et  qu'elle  leur  a 
été  apportée  par  les  Gaulois  lors  do  leur  passage  dans  la  Grèce,  quand  ils 
peuplèrent  une  partie  de  l'Asie  mineure,  à  laquelle  ils  donnèrent  le  nom  de 
Galatie  ou  Gallo-Grî'co.  Pour  le  prouver,  il  rapporte  plusieurs  noms  de 
villes  et  autres  très-anciens  dans  les  Gaules,  qui  sont  purement  grecs.  Il  se 
fonde  aussi  sur  deux  passages,  l'un  de  Xénophon,  l'autre  d'Archiloque,  qui 
attestent  que  les  lettres  et  les  caractères  grecs  ont  été  tirés  des  Galates  et 
des  Méoniens;  d'où  il  conclut  que  c'étoient  les  mêmes  qui  y  avoient  été  ap- 
portés précédemment  par  la  transmigration  des  Gaulois  en  Galatie. 

Dans  le  quatrième  livre ,  qui  est  sans  contredit  le  plus  utile  et  le  meil- 
leur, il  rap}M)rtc  plusieurs  mots  qui  nous  sont  cooununs  avec  les  Grecs,  et  il 
attribue  les  différents  changements  qui  sont  survenus  dans  la  langue  gau- 
loise aux  incursions  et  transmigrations  de  différents  peuples  dans  les 
Gaules.^ 

«  Dans  le  cinquicnu*,  il  s'emporte  contre  les  auteurs  qui  ont  mal  parlé 
des  Gaulois.  Il  fait  l'énumération  de  plusieurs  grands  honunes  dans  les 
sciences  et  dans  l'art  militaire  que  les  Gaules  ont  produits,  et  de  différentes 
ronqu(!tr*s  de»  Gaulois,  surtout  eu  Italie. 

m  L'auteur  étoit  Bourguignon,  natif  de  Toutry,  proche  Époisso,  dans 
r\u\ois,  ainsi  qu'il  le  témoigne  lui-mf^me.  Son  ouvrage  est  savant,  surtout 
pour  ce  qui  regarda;  Ic^  langues  oi  les  étymologies,  et.  c'est  ce  qui  en  fait 
tout  le  inériti»,  car  d'aillcui-s  c'est  bien  peu  de  chose,  tant  par  rapport  au 
m\1p  «imo  par  rapport  à  la  fa«;on  dont  il  établit  son  système.  Le  style  est  à*un 

^6 


U()A  llUtXETlIN    DU    niBLlOPlllLK. 

latin  plat  ut  plein  de  lieux  communs,  de  répcHitions,  d'invectives  et  de  décla- 
mations. Quant  à  son  systî^me,  il  Ta  pris  d*Annius  de  Viterbe,  ainsi  qu*il 
en  convient,  fol.  187,  et  il  Ta  appuyé  sur  quelques  passages  des  faux  Bérose 
et  Manethon,  ouvrages  publiés  par  Annius  de  Viterbe,  dont  on  parle  au  com- 
mencement de  Tarticlc.  Les  autres  autorités  dont  Picard  se  sert  n*ont 
aucune  époque  qui  remonte  aussi  haut  que  Cadmus  et  Orphée;  d'ailleurs, 
son  ouvrage  prouveroit  tout  au  plus  que  les  Celtes  ou  les  Gaulois  avoieni 
une  connoissance  imparfaite  et  grossière  des  arts  et  des  sciences,  et  telle  à 
peu  près  que  Teurent  les  premiers  habitants  qui  peuplèrent  la  terre  apr^ 
)e  déluge,  mais  non  pas  qu'ik  les  avoicnt  portés  au  point  de  perfection  où 
les  Grecs  les  ont  conduits. 

«  Pour  ce  qui  est  des  lettres  et  de  la  langue  des  Grecs,  il  parolt  plus  pro- 
bable, quoi  qu'en  dise  l'auteur,  qu'elles  furent  apjiortées  dans  les  Gaules  par 
la  première  colonie  des  Phocéens,  qui  fondèrent  Marseille  l'an  63  de  Rome« 
501  ans  avant  Jésus-Christ.  L'on  sait  que  cette  ville  est  une  des  premières 
des  Gaules  où  les  lettres  aient  fleuri  ;  il  y  a  eu  des  écoles  par  le  moyen  des- 
quelles la  langue  grecque  s'est  répandue  dans  le  reste  des  Gaules,  et  s'y  est 
peu  à  peu  mêlée  au  langage  naturel  des  Gaulois.  C'est  cependant  ici  la 
meilleure  partie  de  Touvrage  de  notre  auteur.  Le  Père  Pezron  a  eu  à  peu 
près  la  mOine  idée,  mais  il  l'a  soutenue  d'une  manière  plus  claire,  plus 
simple  et  plus  persua;>ive.  » 

355.  Réflexion  sur  Tédit  IoiicIkuU  la  rérormation  des 
monastères.  S.  l. ,  16(58  ;  pet.  in- 12,  vél 12  —  » 

L'auteur  de  cet  opuscule  expli(|ue  les  moiifs  d'un  projet  d'édit  royal  sur 
la  réformation  des  monastères.  Après  avoir  fait  connoitre  les  obstacles  qui 
s'opposent  à  l'exécution  de  l'édit  projeté,  il  projwst^  et  développe  les  moyens 
qui  lui  paroissent  utiles  pour  aplanir  toutes  les  difficultés. 

Ce  n'est  pas  sans  de  bonnes  raisons  que  l'autour  et  l'imprimeur  ont  gardé 
l'anonyme,  car  à  cette  époque  il  étoit  dangereux  de  parler  avec  tant  de  li- 
berté des  inconvénients  qu'entralnoient  pour  la  prospérité  de  l'État  la  mul- 
tiplicité des  monastères  et  le  nombre  toujours  croissant  des  moines  et  des 
religieuses. 

356.  Stephanoni.  Gemmae  anti([uitus  sculptœ,  a  Petro 
Stepbaiionio  Vicentino  collecta}  et  declaratiouibus  illus- 
tratiB.  Romœ^  1627,  in-4,  vél 40—-» 

Ce  volume,  très-rare,  se  compose  d'un  titre  gravé  et  de  49  planches  égale- 
ment gravées  à  l'eau-forte,  sur  cuivre  ;  elles  ont  du  mérite.  Il  n'y  a  point 
d'autre  texte  qu'une  indication  du  sujet  au  bas  de  chaque  figure.  Les  plus 
riches  bibliothèques  en  ce  genre,  telles  que  celles  de  Cotte,  de  Millin,  de 
Mariette, etc.,  ne  possédoient  point  cet  ouvrage;  cependant  il  est  indiqué 
par  Hébert  (no  21,735).  Notre  exemplaire  offre  une  particularité  qui  en  aug- 
mente la  valeur.  En  effet,  il  est  interfolié,  et  les  feuillets  ainsi  intercalés 
contiennent  une  savante  explication  manuscrite  du  temps,  et  en  italien,  de 
Ja  plupart  des  pierres  antiques  gravées  dans  lo  volume. 


BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE.  (565 

357.  ViNCARTii  {Jo  )  Gallobelgœ  insulanî  e  soc.  Jesu,  sa- 
crarum  heroidum  episiolœ.  Tornaci,  Adr.  Qainque  t 
1640;  1  vol.  in-1-2.  lig.,  rel 3â— » 

Jean  Vincart,  né  à  Lille  on  1503 ,  fut  reçu  jésuite  à  Tàgc  de  vingt  ans.  Il 
l>rofe»a  les  humanités  à  Lille  et  à  Tournai,  et  se  distingua  par  son  talent 
poétique.  11  mourut  à  Tournai  en  1670. 

L*auteur  dit,  dans  la  préface  de  ses  Héroïdes  sacrées^  que  son  admiration 
pour  le  génie  d*Ovide,  et  surtout  pour  les  Héroïdes  de  ce  po^te,  Tavoit  en- 
gagé à  rimiter,  mais  que,  par  respect  pour  sa  profession,  il  ne  mettoit  en 
scène  que  des  héroïnes  chrétiennes. 

«  Cet  ouvrage,  dédié  à  Vitellcsco,  général  des  Jésuites,  contient  vingt-quatre 
lettres  en  vers  élégiaques  ;  elles  sont  divisées  en  trois  livres,  dont  le  dernier 
spécialement  consacré  aux  saints  de  Tordre  des  Jésuites.  Chaque  Héroîde 
ornée  d'une  fort  jolie  vignette  allégorique,  gravée  par  P.  Rucholle. 

Nous  avons  remarqué  que  le  privilège  est  signé  par  Florent  de  Montmo- 
rend,  provincial  des  jésuites  dans  la  Gaule  belgique,  et  que  Vapprobation 
est  signée  parle  célèbre  ligueur  Jean  Boucher,  docteur  en  théologie^  archi- 
ékaere  et  chanoine  de  Tournai.  Le  texte-  de  cette  approbation  nous  a  paru 
curieux,  et  nous  la  transcrivons  :  Elégantes  hœ ,  sacris  heroidibus  afficlœ 
Fpûiolœ,  prœterquam  quod  suaves  sunt^  et  lacteo  decurrunt  flumine,  nihil 
kûbent  quod  non  pietalem  simul,  et  bonos  mores  œdificet;  ob  idque  quo  mi- 
nu»  secure  imprimi^  legique  possit.  Aclum  Tornaci  septima  julii  1640.  U  est 
Trai  que  la  poésie  latine  de  Vincart  est  facile,  et  que  Ton  trouve  dans  ce 
livre  d'heureuses  imitations  du  poOte  romain. 

S58.  Voyage  (le)  de  Maline.  S.  l  n.  d.,  in-12,  veau 
fauve 18—» 

Cette  relation,  écrite  en  prose  et  en  vers,  est  dans  le  genre  du  Voyage  de 
Bachaamont.  Des  HoUandois,  gens  de  qualité,  et  plusieurs  dames,  s'em- 
barquent à  Rotterdam  pour  se  rendre  à  Malines,  et  assister  à  la  célèbre  pro- 
ccwion  qui  a  lieu  dans  cette  ville  de  cinquante  ans  en  cinquante  ans,  et 
que  par  conséquent  il  est  difficile  de  voir  plus  d'une  fois  en  sa  vie.  L'an- 
teur  nomme  et  décrit  quelquefois  les  villes  qu'il  trouve  sur  sa  route.  Voici 
ce  qu'il  dit  de  Middelbourg  : 

Bliddelburg  est  sans  doute  une  ville  fort  belle  ; 
Tout  y  rit,  tout  y  plaît,  il  le  faut  avouer  ; 

Mais  sur  la  porte  de  laquelle 

On  peut  mettre  ville  à  louer. 

D  raconte  les  dîners  et  les  divertissements  de  cette  joyeuse  société.  Enfin, 
il  fait  une  description  minutieuse  de  l'aspect  de  la  ville  de  Malines  pen- 
dant ces  jours  de  fête,  ainsi  que  de  la  fameuse  procession  de  Saint-Romuald. 
Cependant,  comme  le  narrateur  professoit  la  religion  réformée,  et  que  la 


W6  BULLETIN    DU   BIBLIOPHILE. 

o^rémonic,  toute  catholique,  étoit  dirigée  par  les  jésuites,  on  »e  aéra  point 
surpris  des  traits  satiriques  que  l*on  rencontre  dans  cet  oa^rage.  Nom  ci- 
terons pour  exemple  ce  portrait  des  béguines  de  Malines  : 

C*ostoient  des  choses  sans  pareilles 
"Que  de  voir  toutes  ces  corneilles 
Avec  leur  petit  comillon 
Qu*on  voyoit  en  guise  de  creste, 
D*où  pcndoit  un  noir  pavillon. 
Planté  sur  le  haut  de  la  teste. 
Qui  les  couvroit  jusqu'au  talon. 

Nous  terminerons  cette  note  par  le  récit  d*une  Collation  nutiqme  à  Ma- 
lines :  «  Comme  il  faisoit  extrômcment  chaud  et  que  nos  dames,  pea  ao 
coutumées  d*aller  à  pied,  se  trouvoient  lasses  de  marcher,  elles  dema» 
dèrcnt  de  se  reposer  dans  quelque  logis  :  la  peine  fut  d*en  trouver  an  o4 
il  y  eust  place  pour  une  compagnie  aussi  grande  que  la  nostre,  car  tOQl 
estoit  plein  jusqu'à  la  rue  ;  néanmoins,  à  la  fin,  après  avoir  bien  cherché, 
nous  entrâmes  dans  un  cabaret 

Qui,  pour  dire  la  vérité, 
Avoit  bien  Tair  d'une  gargotte  : 
Sales  servantes,  vilain  hôte. 
Hospice  peu  séant  à  gens  de  qualité  : 
Mais  enfin  la  nécessité 
Fait  servir  un  sabot  de  botte. 

«  L'entrée  estoit  terriblement  fumée,  et  nous  ne  trouvâmes  pas  le  dcdaai 
plus  beau  que  rentrée.  Cependant,  tel  qu'il  estoit,  il  ne  laissoit  pas  d'estrc 
occupé  jusqu'au  grenier.  Il  ne  restoit  que  la  cour  de  vuide,  dont  il  faUnl 
nous  contenter,  aupr{;s  d'une  escurie  et  d'un  magasin  à  foin  :  ce  n*e8toil 
plus  un  cabaret,  mais  une  grange ,  où  l'on  nous  apporta  sur  une  escabeik 
de  quoy  faire  une  collation  à  la  rustique ■ 

Ce  volume ,  imprimé  en  beaux  caracttTcs ,  nous  paroit  avoir  été  publié 
en  Hollande ,  vers  la  fin  du  xvii«  siècle. 


BULLETIN 


DU 


BIBLIOPHILE 

REVUE    MENSUELLE 
PUBLIÉE   PAR  J,    TECHENER 

A  TKC     LE    COMCOO&S 

MM.  L.  Barbibr,  Coniiervateur>Administrateur  à  la  Bibliothèqae  du 
l^uTre;    Ap.  Briquet  ;  G.  Bru.nbt;   Eusèbe  Castaigkb,   bibliothécaire 
^Angoulème;  J.  Chenu  ;  de  CLmcHAyp,  Bibliophile;    V.  Cousin,   de 
t* Académie  Françoise;  Dbsbarreaux-Bbrnard,  Bibliophile;  A.  Dinaux; 
A.  Ernoup,  Bibliophile  ;  Ferdinand-Denis,  Conservateur  k  la  Bibliothèque 
Sainte-Geneviève;    J.  de   Gaillon  ;  Alfred  Girauo;  Grangibr  de  La 
MAaiNttRB,  Bibliophile;  P.  Lacroix  (Bibliophile  Jacob);  J.  Lamoureux  ; 
^  Lebbr;  Leroux  db  Linct  ;  P.  de  Maldbn  ;  db  Monmbrqoé  ;  Fr.  Morand  ; 
Vauun  Paris,  de  PInstitut ;  Louis  Paris;  D'  J.  F.  Payen  ;  Philarète 
Chaslbs,  Conservateur    à  la  Bibliothèque  Mazarine;  J.  Pichon,  Pré- 
sident  de  la   Société  dos  Bibliophiles  François  ;  Serge  Poltoratzki  ; 
Bathbbt,  Bibliothécaire  au  Louvre;  Rouard;  S.  de  Sacy,  de  TAcadémie 
Françoise  ;  Sainte-Beuve,  de  TAcadéinie  Françoise;  Cb.  Wbiss;  Yembnu, 
de  la  Société  des  Bibliophiles  François  ;  etc.;  etc., 

<^<lirtbnant  des  notices  bibliographiques,  philologiques,  hi8t0- 
klques,  littéraires,  et  le  catalogue  raisonné  des  livres  de 
l'Éditeur. 

AVRIL. 


DOUZIÈME  SÉRIE 


A  PARIS 

J.  TECHENER,  LIBRAIRE 

t\VE  DE  L'ARBBE-SEC,  52,  PRÈS  LA  COLONNADE  DO  LOUVRE. 

1866. 

47 


Sommaire  du  n^"  d'Avril  de  la  douzième  nirie  du  Bulletin 

du  Bibliophile, 


NOTICE  BIOGRAPHIQUE  ET  LITTÉRAIRE  SUR 
M.  BAZIN,  par  J.  Andrieux 669 

NOTICE  SUR  DEUX  OUVRAGES  FORT  RARES  — 
Proverbes  basques  d*Oihenart.  —  Vie  et  révélations 
d* Agnès  Blannberkin,  par  Gustave  Brunet 681 

VARIÉTÉS 685 

CORRESPONDANCE.  —  Lettre  relative  à  Montaigne, 
par  le  docteur  J.  F.  Payen 686 

—  Lettre  sur  la  réimpression  d*un  petit  volume  fort 

rare  intitulé:  Cagasanga  Reistrosuyssolansqnenorum,       687 

ANALECTA-BIBLION 691 

NOUVELLES 696 

CATALOGUE 699 


.^ 


NOTICES  ^ 


BIOGRAPHIQUES  ET  LITTÉRAIRES 


M.  BAZIN 


SA    VIE    ET    SES   ÉCRITS. 


La  situation  dans  laquelle  le  critique  se  trouve  vis-à-vis  de 
rhomme  dont  il  veut  étudier  les  écrits  peut,  à  son  insu,  influer 
beaucoup  sur  son  jugement.  Jamais  la  tâche  n*est  plus  difficile 
que  lorsqu'il  s'agit  d'émettre  un  avis  sur  un  personnage  vivant, 
aidé  par  les  renseignements  qu'il  veut  bien  communiquer;  car 
il  a  soin  de  ne  rien  montrer  de  ce  qui  pourroit  être  à  son  désa- 
vantage. Si  celui  que  l'on  veut  juger  s'est  illustré  dans  la  car- 
rière qu'il  a  parcourue,  on  doit  attendre  longtemps,  et  ne  point 
se  hâter,  à  moins  que  l'on  n'ait  l'intention  de  rédiger  un  pa- 
négyrique ;  s'il  a  obtenu  seulement  la  sympathie  de  quelques  es- 
prits d'élite,  sans  rechercher  l'approbation  de  la  foule,  sans  que 
900  talent  ait  soulevé  de  vives  contestations,  sans  que  les  cir- 
constances l'aient  fait  louer  ou  blâmer  outre  mesure,  quelques 
années  après  lui,  le  jugement  peut  se  formuler  d'une  façon  assez 
équitable,  pour  qu'il  n'y  ait  pas  besoin  d'appel.  II  en  est  des  grands 
hommes  comme  des  grands  monuments  :  pour  bien  les  contem- 
pler, il  faut  les  voir  d'un  peu  loin,  et  n'être  plus  à  l'abri  sous 
leur  ombre;  pour  les  illustrations  moins  grandes,  à  qui  la  pos- 
térité ne  veut  élever  qu'une  statuette  ou  qu'un  buste,  il  suffit 
de  reculer  d'un  pas. 

Cinq  années  se  sont  écoulées  depuis  la  mort  de  M.  Bazin.  Il 
semble  que  c'est  déjà  assez  pour  qu'il  soit  placé  dans  la  si- 


670  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

lualion  qui,  à  son  poinl  do  vue,  Ini  eut  paru  la  plus  favorable 
pour  t^tre  jup:é,  celle  d'un  ancien.  Les  événeiuenls  se  succèdent 
avec  laiil  do  rapidité  dans  Tépoque  actuelle,  que  quelques-uns 
mt^iues  de  ceux  qui  s'occupent  exclusivement  des  choses  de  l'es- 
prit, peuvent  n'avoir  plus  qu'un  vague  souvenir  de  certains  ou- 
vrages de  M.  Bazin  ;  j'en  rappelle  ici  le  litre,  en  les  rangeant 
par  ordre  de  date  :  c'est  dans  cet  ordre  aussi  que  je  les  appré- 
cierai ;  on  sent  toujours  le  progrès  en  passant  successivement 
de  l'un  à  l'autre. 

Eloge  historique  do  Chrvtien-GuiUaume  jMmoignon  de  Males^ 
herbes,  in-8,  Didol,  1830. 

La  Cour  de  Marie  de  }fcdicis^  Mémoires  d'un  Cadet  de  Gas- 
cogne, 1  vol.  in-8,  Mesnier,  1830. 

L'kpoque  saîisnom^  2  vol.  in-8,  Mesnier,  1833. 

Histoire  de  France  sous  Louis  XII J  et  sous  le  ministère  du 
cardinal  Mazarin.  (Les  l\  vol.  in-8  sur  Louis  XIII  ont  paru  en 
1838,  les  2  vol.  sur  Mazarin  en  18/|2.)  2'  édition  revue  par  l'au- 
teur h  vol  in-12,  Chamerot,  1846. 

Études  d'Histoire  et  de  Bio(/raphie,  1  vol.  in-8,  Chauierot, 
1844. 

Notes  historiques  sur  la  vie  de  Molière^  1  vol.  in-12,  Teche- 
ner,  1851.  (Ces  notes  avoient  déjà  été  publiées  dans  les  nu- 
méros des  15  juillet  1847  et  15  janvier  1848,  de  la  Revue  des 
Deux  Mondes,  ) 

J'ajouterai,  pour  être  complet,  une  édition  de  Y  Histoire  de 
Madame  Henriette  d'Angleterre,  par  M"«  de  La  Fayette,  1  vol. 
in-12,  1853.  La  publication  de  ces  deux  ouvrages  posthumes  a 
été  surveillée  par  M.  Paulin  Paris. 

I. 

Anaïs  de  Raucou,  connu  sous  le  nom  de  Bazin,  que  portoit 
son  bienfaiteur,  et  qu'il  fut  autorisé  à  prendre  par  ordonnance 
royale  du  25  avril  1843,  naquit  le  8  pluviôse  an  v  ;  il  fut  mis 
de  bonne  heure  en  pension,  puis  au  Lycée  (Iharlemagne  où  il 
faisuit  de  brillantes  éludes,  lorsqu'en  1814,  dg^  de  17  ans,  il 


/ 

f 


BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE.  671 

quitta  ie  collège  pour  entrer  dans  les  gardes  du  corps.  Le  re- 
tour de  rtle  d'Elbe  termina  sa  carrière  militaire,  contre  laquelle 
il  décocha  plus  tard  ce  trait  :  u  J'ai  le  malheur  d'appartenir  à 
«  une  nation  qui  n'est  jamais  plus  fière  que  lorsqu'elle  a  un 
«  pompon  sur  la  tôte,  et  quand  elle  obéit  au  mot  d'ordre  d'un 
«  caporal.  »  Il  s'adonna  à  l'étude  de  la  jurisprudence,  et  après 
s'être  fait  recevoir  avocat,  il  prit  part  à  la  rédaction  de  la  Quo- 
iidiennc^  que  dirigeoit  encore  M.  Michaud;  mais  en  dehors  de 
la  polémique,  il  s'exerroit  sur  les  sujets  mis  au  concours  par 
l'Académie;  en  1820,  le  mémoire  qu'il  présenta  n'eut  pas  de 
succès;  deux  ans  plus  tard  son  discours  sur  Le  Sage  obtint  une 
mention,  et  quelques  mois  après  la  révolution  de  1830,  il  lut 
lui-même,  dans  une  séance  solennelle  de  l'Académie,  son  éloge 
de  Maiesherbe,  achevé  au  bruit  de  l'émeute,  et  surtout  in- 
spiré par  la  vue  de  l'image  mutilée  de  Louis  XVI,  placée  au 
Palais  de  Justice  sous  la«statue  de  son  défenseur. 

Le  nom  de  M.  Bazin  devoit  jusqu'à  sa  mort  retentir  presque 
chaque  année  sous  les  voûtes  de  l'Académie,  et  y  être  toujours 
chaleureusement  applaudi.  Si  son  existence  avoit  eu  la  durée 
ordinaire,  il  seroit  probablement  aujourd'hui  au  nombre  des 
înoiDortels. 

La  Cour  de  Marie  de  MédicispdLVni  en  1830,  ce  roman  por- 
tuit  pour  second  titre  :  Mémoires  d'un  Cadet  de  Gascogne 
(1615-1618),  il  n'y  avoit  pas  de  nom  d'auteur;  mais  deux  cir- 
constances indiquoient  assez  M.  Bazin  pour  que  le  public  ne  pût 
pas  se  méprendre  :  d*abord  sur  le  verso  du  faux  titre  se  trouve 
Pannonce  de  V  Histoire  de  Louis  Xlll^  dont  la  première  partie 
ne  fut  publiée  que  huit  ans  plus  tard;  ensuite  on  lit  dans  l'aver- 
tissement :  (c  Soit  que  ces  mémoires  viennent  d'un  écrivain  mo- 
«  deme  qui  s'est  rendu  contemporain  de  cette  époque  par  des 
«  études  destinées  peut-être  à  une  composition  plus  sérieuse,...» 
il  n'est  guère  possible  de  se  déguiser  de  façon  à  se  faire  mieux 
rcconnoltre.  Ce  roman  a  une  certaine  originalité  qui  peut  sembler 
1111  défaut  au  premier  abord  :  il  est  sur  la  limite  entre  l'œuvre 
d'imagination  et  l'histoire,  de  sorte  qu'il  n'appartient  d'une  fa- 


1«- 
672  BULLETIN    DU  BIBLIOPHILE. 

çoD  marquée  ni  à  Tune  ni  à  Tautrc  de  ces  deux  catégories.  L'ia- 
vention  y  fait  complètement  défaut,  mais  Tétude  déjà  approfon- 
die de  la  littérature  des  premières  années  du  temps  de  Louis  XIII 
répand  un  certain  charme  sur  Tensemble,  et  M.  Bazin,  qui 
lorsqu'il  sera  devenu  réellement  historien  s'abstiendra  de  notes 
et  de  pièces  justificatives,  ne  déplace  pas  le  fait  historique  le 
moins  important  sans  en  prévenir  le  lecteur.  Son  Gascon  est 
un  observateur  ingénieux;  mais  pour  un  homme  de  sa  pro- 
vince il  se  vante  bien  peu,  et  reçoit  successivement  les  couseik 
de  tout  le  monde.  Un  poëte  de  second  ordre  lui  donne  d'abord 
des  avis  assez  sensés,  trop  sensés  môme  pour  un  poôte,  et  si 
après  plusieurs  pérégrinations  il  ne  s'attachoit  pas  k  la  fortune 
du  cardinal  fle  Richelieu,  ce  héros  de  roman  pourroit  bien  avoir 
une  fm  tragique  au  lieu  de  devenir  paisiblement  capitaine  des 
gardes  de  Son  Ëminencc.  Le  manque  d'intrigue  dans  un  roman 
paroit  toujours  assez  singulier  ;  mais  en  1830,  c'étoit  une  oppo- 
sition à  l'excès  dans  lequel  tomboieut  beaucoup  des  auteurs  de 
nouvelles.  Voir  les  défauts  de  son  temps,  les  critiquer,  y  résis- 
ter pour  tomber  dans  les  défauts  contraires,  c'est  ce  qui  arriva 
plus  d'une  fois  à  M.  Bazin. 

L'étude  du  passé  occupoit  déjà  la  majeure  partie  de  sa  vie, 
mais  elle  ne  Tavoit  pas  encore  absorbée  complètement,  il  se 
méloit  des  affaires  de  son  temps,  non  point  dans  l'espoir  d'ob- 
tenir quelque  place  au  lendemain  d'une  révolution  qui  avoil 
renversé  le  gouvernement  qu'il  préféroit,  mais  comme  délas- 
sement de  ses  études.  Il  publia  d'abord  séparément,  dans  di- 
vers recueils,  puis  en  1833,  sous  la  forme  de  deux  in-8,  une 
série  d'articles  piquants  et  spirituels  sur  l'époque  contempo- 
raine qu'il  appela  :  VÉpoque  sans  nom^  titre  peu  flatteur,  qui 
pourtant  n'em|)écha  pas  son  livre  d'avoir  beaucoup  de  succès. 
Si  on  le  relit  aujourd'hui,  quelques-unes  des  scènes  qu'il  dépeint 
ont  un  peu  passé;  mais  sauf  La  Bruyère,  quel  est  le  moraliste 
dont  Tœuvre  n'a  pas  diminué  de  valeur  au  bout  de  plus  de 
vingt  ans  ?  Des  plaisanteries  sur  la  garde  nationale,  les  Jour- 
naux et  les  parlementaires,  n'ont  plus  de  sens  aujourd'hui  ;  elles 


BULLETIN   DU    BIBLIOPHILE.  67S 

ODt  du  moins  conservé  le  mérite  d*étre  venues  des  premières 
et  d'être  narrées  dans  un  style  pur  et  correct,  bien  éloigné  de 
celui  qu*on  a  employé  pour  peindre  le  personnage  affublé  du 
nom  de  Ai.  Prudhomme,  On  le  nommoit  May  eux  en  1830,  et 
M.  Bazin  lui  a  consacré  un  chapitre  en  ayant  soin  de  ne  pas  le 
confondre  avec  le  bourgeois;  ce  n'est  que  plus  tard,  quand  la 
plaisanterie  a  été  usée,  que  Ton  a  réuni  en  une  même  personne 
le  type  du  commerçant  retiré  et  celui  du  garde  national. 

Ceux  des  chapitres  de  V Époque  sans  nom,  qui  ne  s'attaquent 
pas  à  un  ridicule  momentané,  mais  qui  sont  consacrés  à  des 
études  de  mœurs  plus  générales,  tels  que  la  Bourse,  le  Palais 
de  Justice,  les  Boulevarts,  le  Jour  de  l'An,  les  Jeunes  Gens  à 
marier,  auroient,  s'ils  étoient  publiés  aujourd'hui,  le  même  à 
propos  qu'au  temps  de  leur  première  apparition.  Il  en  est  un 
bien  remarquable,  qui  heureusement  ne  seroit  pas  de  circon- 
stance, c'est  le  chapitre  sur  le  choléra.  -  Mais  c'est  dans  l'étude 
sur  le  flâneur  que  l'on  trouve  tout  l'esprit  de  M.  Bazin  ;  quel- 
ques-uns disent  qu'il  s'est  peint  lui-même  ;  je  serois  disposé  à  le 
penser.  Il  faut,  en  effet,  une  expérience  personnelle  pour  dé- 
peindre :  a  Le  quai  des  Vugustins  entièrement  peuplé  d'hon- 
«  nêtes  libraires  qui  confectionnent  hardiment  des  livres 
«  nouveaux  en  face  même  des  parapets  où  la  littérature  de  trois 
«  siècles  étale  au  rabais  ses  produits  oubliés  ;  »  et  le  quai  Mala- 
qnais  :  «  Musée  toujours  ouvert,  où  l'on  trouve  des  tableaux, 
a  des  armures,  des  meubles  gothiques,  des  porcelaines,  des 
«  gravures,  où  l'on  est  sûr  de  voir  sa  figure  exposée  pour  peu 
«  que  l'on  ait  de  célébrité,  que  l'on  soit  homme  d'État  ou  co- 
«  médien.  »  Mais  voici  quelques  traits  qui  montrent  d'une 
façon  évidente  que  M.  Bazin  pensoit  à  lui  en  écrivant  :  u  II  n'y 
a  a  jamais  vu  son  portrait,  grâce  à  Dieu  !  car  le  flâneur  ne  pose 
«  point,  et  pour  ce  qui  est  de  la  renommée,  il  la  fuit  comme 
«  d'antres  la  cherchent.  Vous  jugez,  en  effet,  quel  fardeau  ce 
«  seroit  pour  lui  qu'un  visage  qui  se  fait  nommer  des  passants, 
ti  quel  insupportable  compagnon  de  sa  vie  lui  seroit  une  répu- 
«  tation  quelconque,  fût-ce  celle  d'homme  d'esprit;  quel  tour- 


67i  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

«  ment  il  éprouveroit  à  se  voir  désigner  par  un  de  ces  gestes 
c(  que  provoque  chez  les  curieux  la  rencontre  d'une  notabilité* 
((  Je  l'ai  vu  un  jour  regretter  de  n'avoir  pas  un  ruban  rouge  à 
((  sa  boutonnière,  il  prétendoil  que  cela  le  faisoit  remarquer.  » 
Un  jour  vint,  en  effet,  ou  M.  Bazin  désira  la  croix  d'hon- 
neur, ce  ne  fut  pas  le  moins  singulier  de  sa  vie.  G'étoit  pendant 
l'été  de  1839;  une  maladie  l'avoit  forcé  à  se  diriger  vers  Aix- 
la-Chapelle  pour  y  prendre  les  eaux.  Au  milieu  de  l'ennui  et 
du  désœuvrement,  il  adressa  h  M.  Villemain,  alors  ministre  de 
l'instruction  publique,  une  lettre  qui  fait  maintenant  partie  de 
la  belle  collection  d^autographes  de  M.  Moulin,  où  j'ai  pu  la 
consulter.  Celte  épître  assez  longue  est  remplie  de  traits  sati- 
riques; M.  Bazin  prie  l'ami  puissant  de  ne  pas  l'oublier,  de 
souscrire  à  ses  ouvrages,  et  de  lui  envoyer  un  peu  de  ce  ruban 
((  dont  il  porte  une  aune.»  L'épigramme  étoit  lancée,  le  minis- 
tre accéda  à  la  demande  après  avoir  ri^  et  sans  doute  il  ne 
manqua  pas  de  rappeler  ces  mots  de  ['Époque  sans  nom  :  «  Si 
«  pour  entrer  aux  Tuileries  vous  n'avez  ni  chien,  ni  croix 
a  d'honneur,  ni  paquet,  le  factionnaire  ne  vous  regardera  pas.  n 

II. 

Il  est  temps  de  laisser  de  côté  cette  nuance  d'originalité  qui 
n'étoit  motivée  que  par  une  extrême  indépendance,  |)Our  consi- 
dérer M.  Bazin  sous  le  point  de  vue  sérieux  de  l'historien.  C'est 
en  1838  qu'il  conquit  vis-à-vis  du  public  ce  titre  d'une  façon 
incontestable,  en  publiant  les  'i  vol.  sur  l'Époque  de  Louis  XIIL 
Le  succès  fut  grand,  et  les  deux  volumes  sur  Mazarin,  venus 
quatre  années  plus  tard,  ne  firent  que  justifier  l'opinion  bien- 
veillante qui,  du  reste,  avoit  dès  le  principe  rencontré  peu  de 
contradicteurs.  Depuis  I8/4O  jusqu'il  la  mort  de  l'auteur,  l'Aca- 
démie françoise  décerna  chaque  année  à  cet  ouvrage  le  second 
prix  (iobert,  en  maintenant  lo  nom  de  M.  Bazin  immédiatement 
après  celui  de  M.  Augustin  Thierry,  (réloit  lui  assigner  une 
place  élevée  ;  mais  il  la  méritoit  à  beaucoii])  de  titres.  Les  qua- 
lités réunies  de  ces  publicistes  formcroient  un  historien  parfait; 


BUUETIN  DU  BIBUOPHILE.  075 

Us  ont  à  un  égal  degré  la  pureté  du  style,  Télégance  et  la  vi- 
vacité dans  le  récit  ;  M.  Thierry  a  plus  d'élévation  dans  les 
considérations  générales,  M.  Bazin  lui  est  supérieur  dans  les 
appréciations  de  détail.  Une  grande  diiïérence  paroit  exister 
entre  eux  au  premier  abord  ;  mais  un  examen  sérieux  en  fait 
promptement  disparoitre  jusqu'à  l'apparence.  Les  pages  de 
M.  Thierry  sont  couvertes  de  citations  et  de  notes,  qui  quel- 
quefois n*ont  pas  un  rapport  immédiat  avec  le  texte.  Jamais  on 
ne  rencontre  la  moindre  indication  de  source  chez  Thistorien 
de  Louis  XIII  ;  c'est  une  affectation  que  Ton  est  tenté  de  blâ- 
mer quand  on  ne  sait  pas  à  combien  de  recherches  prépara- 
toires il  soumettoit  son  travail.  Au  moment  où  j'adresse  à 
M.  Bazin  ce  reproche,  qui  me  paroit  être  le  seul  qu'on  puisse  lui 
faire  sur  l'ensemble  de  ses  travaux,  je  me  trouve  forcé  de  l'at- 
ténuer par  la  vue  d'une  note  inédite  qui  en  détruit  presque 
rimportancë.  A  la  page  61  de  ses  Notes  sur  la  vie  de  Molière, 
se  trouve  cette  phrase  :  «  Quanta  celle  (l'anecdote)  où  l'on  fait 
«  figurer  et  même  parler  Ménage,  d'après  le  Mènagiana,  pu- 
0  bliéen  1693,  cette  révélation  posthume  venant  après  trente- 
«  quatre  ans  attribuer  l'honneur  d'un  bon  sens  vraiment  pro- 
«  digieux  à  un  homme  qui  a  fait  peu  de  preuves  en  ce  genre, 
c  nous  paroit  tout  k  fait  suspecte.  »  Pourquoi  7  Le  livre  ne  le 
dira  pas;  mais  M.  Bazin  confie  ses  doutes  à  un  ami,  il  dédaigne 
le  public,  et  veut  être  cru  sur  parole  ;  voici  la  note  en  son  en- 
tier, il  seroit  difficile  de  l'abréger  sans  en  dénaturer  le  sens,  et 
sa  longueur  même  a  le  mérite  de  montrer  la  façon  de  travailler 
de  H.  Bazin  : 

(c  Ma  principale  objection  contre  l'historiette  rapportée  dans 
«  le  Ménagiana  au  sujet  des  Précieuses  ridicules,  étoit  qu'elle 
«  faisoit  vraiment  trop  d'honneur  à  Ménage,  en  lui  attribuant 
«  un  excès  de  désintéressement,  une  dose  énorme  de  bon  sens, 
«  dont  rien  de  ce  qu'on  snit  dn  lui  n'avoil  pu  laisser  croire 
c(  qu'il  eût  jamais  été  capable.  Un  tel  fait  raconté  par  lui  ou 
ce  par  ses  amis  d'après  lui,  plus  de  trente  ans  après  Févénement 
a  auquel  il  se  rapporte»  ne  me  sembloit  rien  de  plus  qu* un  men- 


076  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

«  songe  habile  ou  complaisant.  Mais  comme  c'étoit  là  une  cod- 
i(  viction  purement  morale  contre  laquelle  une  conviction  con- 
((  traire  pouvoit  argumenter,  je  m'étois  arrêté  aux  circOD- 
<(  stances  matérielles  de  son  récit,  qui,  manquant  de  vérité  se- 
((  Ion  moi,  suiBsoient  pour  lui  ôter  toute  créance  et  supprimer 
u  la  discussion. 

«  La  première  édition  du  Mvnagiana  (1693),  page  278,  s'ex- 
«  prime  ainsi  :  j'étois  à  la  première  représentation  des  Pré- 
«  cieuses  ridicules^  de  Molière,  au  Petit-Bourbon,  M"*  de  Ram- 
«  bouillet  y  étoit.  M"»*  de  Grignan,  tout  le  cabinet  de  l'hôtel  de 
((  Rambouillet,  M.  Chapelain  et  plusieurs  autres  de  ma  connais- 
M  sance. . .  »  «  grammaticalement,  il  n'ctoit  pas  possible  d'entendre 
<(  cette  phrase  autrement  que  comme  je  Tai  fait.  Une  énuméra- 
((  tion  qui  commence  par  deux  personnes,  qui  résume  ensuite 
c(  une  désignation  générale,  tout  le  cabinet,  et  qui  reprend 
((  après  cela  par  VI.  Chapelain  et  les  autres. 

«  Or,  je  trouvois  que  les  deux  personnes  nommées  d'abord, 
«  et  dont  Tune  avoit  été  fort  irrégulièrement  appelée  de  son 
((  nom  de  fille,  étoient  toutes  deux  ou  dévoient  être  alors  ab- 
c  sentes  de  Paris. 

«  M.  de  Monmerqué  pense  qu'il  y  a  moyen  de  réduire  ces 
H  deux  personnes  à  une  seule,  de  ne  faire  assister  à  la  première 
«  représentation  des  Précieuses  que  la  seconde.  M"*  de  Ram- 
((  bouillet,  celle  qui  étoit  alors  M"'"  de  Grignan,  en  lisant  ainsi  : 
«  M"*  de  Rambouillet  y  étoit  (M™*"  de  Grignan). 

ii  C'est  là  faire  ingénieusement  violence  à  la  phrase  imprimée. 
«  mais  enfin  il  n'est  pas  impossible  qu'un  passage  du  Mena'- 
<(  giana  ail  été  mal  écrit  et  imprimé  inexactement. 

a  il  rcstoit  donc  à  chercher  si  Tunique  personnage  fait  de 
0  deux,  pouvoit  être  au  Petit-Bourbon  le  jour  où  l'on  joua  les 
«  Précieuses, 

«  J'îivois  trouvé  la  preuve  que  M™'  de  Montausier  étoit  à  An- 
ci  gouléme,  et  je  croyois  absolument  certain  que  la  femme  de 
«  M.  de  Grignan  devoit  être  avec  lui  en  Provence  dans  ce  temps 
«  là,  où  l'on  y  attendoit  le  roi. 


BUUëTIN   du   BIBUOPHILB.  677 

o  En  cberchaot  aujourd'hui  un  témoignage  positif  de  ce  que 
((  je  teuois  pour  constant,  j*ai  trouvé,  à  ma  grande  confusion 
a  et  pour  renseignement  de  tous  ceux  qui  conjecturent,  le 

<  témoignage  du  contraire. 

a  La  même  semaine  où  furent  jouées  pour  la  première  fois 
c  les  Précieuses  ridicules^  M.  de  Grignan  dinoit  à  Paris  en  très- 
«  bonne  compagnie,  avec  les  ducs  de  Lesdiguières  et  de  Ghaul- 

<  nés,  les  marquis  de  Cœuvres  et  de  Gadagne,  chez  le  duc  de 
«  Saint-Simon,  et  nous  tenons  cela  d'un  des  convives,  dont  je 
(f  vous  donnerois,  après  ces  noms-là,  à  deviner  le  nom  en  cent, 
<i  si  je  n'étois  extrêmement  pressé  de  vous  le  dire,  ce  convive 
u  est  notre  ami  Loret. 

«  Me  voilà  donc  hors  de  mon  dernier  retranchement.  Si  M.  de 
tt  Grignan  étoit  à  Paris  le  18  novembre  1653,  sa  femme  devoit 
a  y  être,  et  en  accordant  que  la  phrase  du  Mènagiana  puisse 
a  s*appliquer  à  elle  seule,  moyennant  deux  (  ),  peu  importera 
u  que  M"*  de  Montausier,  l'ancienne  M"'  de  Rambouillet,  n*y 
(t  fût  pas. 

a  Dès  lors,  plus  d'impossibilité  matérielle  au  récit  du  Mena- 
u  giana,  qui  n'en  restera  pas  moins,  pour  moi,  un  délit  de 
u  mensonge  ;  mais  sans  que  je  puisse  le  prouver  par  l'alibi.  » 

Peut-on  accuser  celui  qui  a  rédigé  une  note  aussi  minutieuse 
de  manquer  d'exactitude  et  de  patience  dans  les  recherches?  Le 
seul  reproche  qu'on  lui  puisse  faire,  c'est  de  garder  sa  science 
pour  lui  et  pour  ses  amis.  Mais  n'est-il  pas  permis,  lorsqu'on 
s'est  fait  contemporain  du  passé,  d'avoir  un  peu  de  misanthropie? 
Le  temps  où  l'on  vil  intéresse  peu  ;  ce  que  l'on  aime,  c'est  la 
lecture  des  vieux  livres,  le  déchiffrement  des  manuscrits,  la 
vue  des  débris  épars  des  anciens  monuments  ;  et,  chaque  année, 
le  monde  moderne,  pour  niveler  le  sol,  pour  élargir  une  rue, 
pour  faire  quelque  chose  de  nouveau,  détruit  ces  vastes  palais 
dans  lesquels  faiiliquaire  recherche  des  souvenirs  oubliés;  Ips 
anciens  jardins  sont  couverts  de  constructions.  S'il  s'éloigne  de 
Paris,  où  tout  semble  lui  faire  la  guerre,  à  lui  qui  n'attaque  per- 
sonne, pour  visiter  les  coteaux  avoisinants,  riches  en  souvenirs. 


^78  BC1UTI5   DC   BIBUOPUU. 

d'où  U  grande  ville  ne  semble  plus  qn'ane  masse  noire  à  rbori- 
zon,  que  f  rouve-Nil?  A  Marty.  des  brouMailles  an  lieu  d'an  palais; 
»  Saint-fiermain.  la  chambre  on  est  qh  Louis  \IV  cooTertie  en 
rabfirft;  le  reste  du  monunent,  en  prison  :  â  Versailles,  le  lien 
ou  habitoit  le  srrand  roi  devenu  trop  petit  pour  tous  les  héros 
qo  on  y  entasse,  quoiqu'un  architecte  moderne  Fait  démesu- 
rément agrandi.  Il  y  ciierche  les  souvt^nir^  de  la  vie  intime  de 
Louis  Mil  et  de  Louis  \IV  :  il  y  rencontre  les  batailles  gagnées 
depuis  Tolbiac  jusqu'à  l'Aima. 

M.  Ba/.in,  plus  que  personne.  s«?mb!e  avoir  éprouTé  cette 
dé<:eption  :  la  trace  s'en  retrouve  souvent  dans  ses  écrits,  où 
elle  jf:tte  wtut  nuance  de  tristesse.  Il  avoit  pourtant  remédié  à 
cet  inconvéni^^nt  en  s'cntounmt  d^s  portraits,  des  livTes,  des 
meubles  qui  remontoient  à  répo<{ue  qu'il  étudioiL  Tout  autour 
de  lui  rappeloit  le  xvfi*  siècle. 

M.  Bazin  ainioit  â  surprendre  son  lecteur,  et  pour  cela  il 
employoit  miuvent  un  procf*dê  assez  bizarre.  Dans  son  histoire 
fie  Louis  Xlll,  où  d'ordinaire  il  vise  à  la  concision,  lorsqu*iui 
fait  qui  attire  Tintérf^t,  comme  la  mort  de  la  maréchale  d'Ancre, 
est  sur  le  point  d'être  narré,  il  parolt  vouloir  donner  des  dé- 
tails; mais,  au  bout  de  quelques  lignes,  la  concision  revient 
avec  plus  de  vigueur,  et  on  est  étonné  d'avoir  trouvé  un  récit 
plus  succinct  que  lorsqu'il  s'est  agi  de  l'assemblée  des  réformés 
il  Sauniur.  Oa  défaut  est  encorf;  plus  sensible  dans  l'histoire 
du  niinlst<M'e  de  Mazarin,  parce  ({ue  les  circonstances  secon- 
(laireH  sont  |)réMentcs  dans  le  souvenir  du  lecteur,  grâce  aux 
mémoires  de  Hetz,  de  M'"*  de  Motteville,  de  la  grande  Mademoi- 
»(*ile,  et  mémo  h  ces  pamphlets  qui  ont  formé  une  littérature 
snns  avoir  eu  de  mod/>ln  vA  restés  depuis  sans  imitateurs  :  les 
Ma^arinadcs, 

L(\H  études  dliistoire  et  de  biographie  sont  un  de  ces  volumes 
rounn(>  la  littérature  des  journaux  en  a  tant  formé,  elles  se 
nunposrnt  d'une  réunion  d'articles  publiés  dans  l'ancienne 
lirvurdr  Paris,  dans  la  Revue  des  Deux-Mondes, ^i  dans  di- 
vemoK  collections  historiques;  c'est  le  complément  de  l'œuvre 


/ 


.  j 


BULLETIN  DU  BIBUOPHILE.  670 

de  M.  Baxin.  Le  défaut  de  ce  travail  est,  on  le  voit,  le  manque 
d*unité  ;  mais,  comme  tous  les  sujets  qui  y  sont  traités  ont  à- 
peu-près  rapport  à  la  même  époque,  le  lecteur  n'est  pas  trop 
étonné  de  les  trouver  cAte  à  cAte.  La  plupart  de  ces  pièces  dé- 
tachées sont  remarquables  par  la  rapidité  du  récit,  par  Té- 
légance  du  style,  et  surtout  par  la  rectification  de  nombreuses 
erreurs  historiques.  Les  articles  consacrés  à  Henri  IV,  à  la 
reine  Marguerite,  et  aux  économies  royales  de  Sully,  sont  de 
véritables  petits  chefs-d'œuvre.  Il  n'y  a  dans  tout  le  volume 
qu'un  seul  morceau  qui  fasse  ombre  auprès  de  ces  excellentes 
notices,  c'est  celui  qui  a  pour  titre  le  duel  théologique,  petite 
nouvelle  historique  qu'il  eût  mieux  valu  ne  pas  joindre  à  ces 
sujets  sérieux.  M.  Bazin,  lui-même,  reconnoît  son  tort  avec  trop 
de  franchise  pour  que  j'insiste  davantage,  et  dans  quelques  li- 
gnes placées  avant  ce  récit,  il  demande  :  «  Humblement  pardon 
«  à  la  raison  et  au  bon  goût  pour  ce  timide  essai  dans  un  genre 
«  détestable.  » 

L'espace  de  temps  qui  s'écouloit  entre  l'apparition  de  cha- 
cune des  publications  de  M.  Bazin  serviroit  ati  besoin  à  prouver 
le  soin  qu'il  apportoit  dans  les  recherches  qu'elles  nécessitoient. 
On  sait  qu'il  travailloit  d'une  façon  continue,  et  que  le  même 
sujet  l'occupoit  sans  relâche  depuis  le  jour  où  il  en  commençoit 
l'étude  jusqu'à  celui  où  il  livroit  son  travail  à  la  publicité.  Eh 
bien!  de  iSlik,  c'est  l'époque  à  laquelle  parut  le  dernier  des 
morceaux  qui  composent  les  études  d'histoire,  jusque  vers  le 
milieu  de  18/i7,  la  vie  de  M.  Bazin  fut  complètement  occupée 
par  son  travail  sur  Molière,  qui  devoit  former  deux  articles  de 
revue;  dont  le  second  eut  la  mauvaise  fortune  de  paroltre 
presqu'à  la  veille  d'une  révolution.  De  notre  temps,  on  est 
habituée!  travailler  plus  vite;  mais  aussi  à  moins  approfondir 
son  sujet.  Poui*  peu  que  l'on  ait  étudié  la  vie  du  grand  po^te 
comique,  soit  dans  les  travaux  des  devanciers  de  M.  Bazin,  soit, 
ce  qui  vaut  infiniment  mieux,  dans  Molière  lui-même,  on  est 
étonné  en  songeant  au  nombre  prodigieux  de  recherches  aux- 
quelles ce  dernier  biographe  a  dû  se  livrer,  pour  réduire  tant 


680  BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE. 

d'anecdotes  faites  après  coup,  à  un  petit  nombre  de  notions  cer- 
taines. J'ai  cité  plus  haut  un  fragment  inédit  relatif  à  ce  travail 
qui  prouve  ce  que  j'avance  ici  d'une  façon  que  je  suis  tenté  de 
nommer  mathématique.  M.  Bazin  donne  à  juste  titre  des  éloges 
à  M.  Beiïara,  cet  ancien  commissaire  de  police,  qui  s*est  mis  au 
bout  de  deux  siècles  à  la  piste  des  dates  importantes  de  la  vie 
de  Molière  ;  mais  l'auteur  des  Notes  historiques  (il  n'a  pas  eu  la 
prétention  d'intituler  son  travail  histoire)  mérite  bien  davantage 
d'être  lu  pour  avoir  su  réunir  une  vaste  érudition  à  une  perspi- 
cacité non  moins  grande  que  celle  de  l'ancien  fonctionnaire. 

Ce  travail  est  le  dernier  que  devoit  publier  M.  Bazin;  il  le  re- 
toucha pendant  les  deux  années  qui  lui  restoient  à  vivre  ;  mais, 
au  lendemain  de  la  révolution  de  18/i8,  sa  vie  dut  principale- 
ment se  passer  (j'en  juge  d'après  V  Époque  sans  nom)  k  décocher 
des  épigrammes  k  toutes  ces  vanités  qui  se  heurtoient  les  unes 
contre  les  autres,  afin  d'attirer  sur  elles,  pendant  un  instant, 
l'attention  publique.  N'ayant  jamais  eu  ce  travers,  il  évita  la  con" 
tagion  et  mourut  le  23  août  1850. 

Riche,  spirituel,  érudit  surtout;  sa  vie  s'est  écoulée  au  milieu 
de  quelques  amis,  et  dans  l'étude  calme  du  passé.  Il  n'a  jamais 
recherché  que  l'estime  de  ceux  qui,  comme  lui,  comme  le  font 
maintenant  un  évéque  et  un  philosophe,  s'étoient  reconstitués 
un  wii*  siècle  bien  plus  pour  eux  que  pour  le  public.  Cette  spé- 
cialité de  M.  Hazin  me  fait,  en  terminant,  exprimer  un  souhait  : 
je  voudrois  que  ses  amis  formassent  la  réunion  de  ses  œuvres 
complètes;  et,  pour  y  contribuer  en  quelque  chose,  je  leur  rap- 
pelle, pour  les  placer  au  bas  du  portrait  (qui  me  procureroît 
l'avantage  de  contempler  pour  la  première  fois  le  visage  de 
M.  Bazin) ,  ces  vers  de  La  Fontaine  qui  me  semblent  résumer 
l'esprit  de  l'historien  de  Louis  XIII  : 

Que  j'ai  toujours  haï  les  pcnsers  du  vulgaire  î 
Qu'il  me  semble  profane,  injuste  et  téméraire, 
Mettant  de  faux  milieux  entre  la  chose  et  lui, 
Kt  mesurant  par  soi  ce  qu'il  voit  en  autrui  I 

J.  Andaieux. 


BUUETIN   DU  UBUOPaïU.  081 

NOTICE  SUR  DEUX  OUVRAGES  FORT  RARES 

Proverbes  basques  d'Oihenart  (2*parlie). — Vie  et  R^.vélations 

d'Agnès  Blannberkin. 


M.  Francisque  Michel  a  publié,  eu  1847,  une  fort  bonne 
édition  des  Proverbes  basques,  recueillis  et  mis  au  jour  en 
1657,  par  Arnaud  Oibenart,  le  savant  historien  des  provinces 
du  sud-ouest  de  la  France.  On  sait  à  quel  point  ce  volume  est 
devenu  rare;  il  n'en  existe,  à  notre  connoissance  du  moins, 
que  deux  ou  trois  exemplaires  ;  mais  ce  qui  est  encore  plus 
difficile  à  trouver,  c'est  un  Appendice  qu'Oihenart  joignit  à  sa 
collection,  et  qu'il  fit  paroitre  après  coup  et  sans  date.  Le 
Recueil  primitif  contient  537  proverbes;  le  supplément  en 
donne  168  numérotés  538  à  706.  M.  Francisque  Michel  n'a 
point  parlé  de  ce  supplément;  M.  G.  Duplessis  n'en  a  pas  dit 
un  mot  dans  sa  Bibliographie  parvmioloyique,  où  il  a  cepen- 
dant épuisé  ce  qui  concerne  les  recueils  de  proverbes;  les 
personnes  qui  sont  un  peu  au  fait  de  l'édition  basque  (et ces 
personnes  ne  se  trouvent  que  dans  le  département  des  Basses- 
Pyrénées)  ne  soupçonnoient  pas  l'existence  de  ce  livret  ;  il  s'en 
rencontre  un  exemplaire  (le  seul  peut-être  qui  subsiste  encore) 
à  la  Bibliothèque  impériale.  La  langue  basque  étant  très-digne 
d'attention,  ses  productions  littéraires  ne  se  montrant  qu'en 
nombre  des  plus  restreints,  et  les  dictons  sauvés  de  l'oubli  par 
Oibenart  se  distinguant  assez  souvent  par  un  tour  ingénieux 
et  une  expression  pittoresque,  nous  croyons  faire  chose  utile  en 
consignant,  dans  le  Bulletin  du  Bibliophile,  une  vingtaine  de 
ces  sentences,  que  nous  accompagnons  d'une  traduction 
fidèle. 


082  BUtUTIN  DU  BIBUOPHILB. 

NotODs  que  les  Proverbes  538  à  679  sont  rangés  dans  Tordre 
alphabétique;  de  079  à  706  il  y  a  un  troisième  supplément 
disposé  dans  le  même  ordre.  Oihenart  a  donc  à  trois  reprises 
différentes  repris  Ténumération  des  adages  qu'il  recueilloit. 

Ahoan  min  dûenari  estia  Kannin, 

Le  miel  est  amer  à  celui  qui  a  mal  à  la  bouche. 

A 15  cortes  gusiequin^  eta  nahassi  gutirequin. 

Sois  courtois  avec  tous  et  familier  avec  peu. 

Aurki  gusiac  du  bere  imper zia. 

Tout  drap  a  son  envers. 

Belea  ikus  daite ,  xurit  esiaite. 

Le  corbeau  peut  bien  se  laver,  mais  non  devenir  blanc. 

Bihicor  da  naguiaren  alhorra,  bana  helharsar  beci  hanti 
estathorra. 

Le  champ  du  paresseux  est  fertile,  mais  il  n'en  sort  quenie 
méchantes  herbes. 

Daquian  gusia  esterrala,  es  ian  bethi  eure  ahala. 

Ne  dis  pas  tout  ce  que  tu  sais,  et  ne  mange  pas  tout  ce  que 
tu  peux  manger. 

Educan  eure  athea  hersiric  etaes  erran  eure  ausoas  gai»' 
quirric. 

Tiens  ta  porte  fermée  et  ne  dis  pas  de  mal  de  ton  voisin. 

Estago  ilharguia  bethi  bere  bethean, 

La  lune  n'est  pas  toujours  dans  son  plein. 

Estemala  eure  molsa  beguirazera  bethi  so  dagoenari  lurrera. 

Ne  donne  pas  ta  bourse  à  garder  à  celui  qui  a  toujours  les 
yeux  fichés  en  terre. 

HiZ'ixila,  hintr  beharritan  iraganes  guerosy  arotan  Ifisterea 
dabila. 

Le  secret,  après  qu'il  s'est  promené  en  trois  oreilles,  va 
courant  partout. 

Inharbaictaric  su  handi  ialguidaite. 

D'une  étincelle  peut  sortir  un  grand  feu. 

Latsari  onari  estaquidio  falta  latsarri. 


BUIXETIN   UU   niBLIOPHILE.  (588 

A  une  bonne  lavandière  il  ne  sauroit  manquer  une  pierre 
pour  y  battre  sa  lessive. 

Mahaïan  errana  bego  gordei'ic  dahaillan. 

Que  ce  qui  est  dit  à  la  table  demeure  caché  dans  la  nappe. 

Nahiayo  dut  arsto  iassan  nescnbat ,  csies  saldi  egoz  ne- 
satibat. 

J'aime  mieux  un  âne  qui  me  porte  qu*un  cheval  qui  me  jette 
à  terre. 

Urdaia  cta  amoa^  urthecoa  ;  adisquidea  urthetacoa. 

Le  lard  et  le  vin  de  Tannée  courante,  les  amis  de  plusieurs 
années,  sont  les  meilleurs. 

UfTunera  dehona  esconzera ,  edo  da  enganatu ,  edo  doha 
enganazera. 

Qui  loin  va  se  marier,  ou  il  est  trompé,  ou  il  va  tromper. 

Vrlhearequila  iragan  datceno,  kexa  esadila. 

Ne  te  plains  pas  de  Tannée  jusqu'à  ce  qu'elle  soit  passée. 

Aberatsi  nahi  scna  urthc  bitan,  urkha  sediù  urtherditan. 

Celui  qui  vouloit  devenir  riche  dans  deux  ans,  se  fit  pendre 
dans  une  demi-année. 

Bcrceren  escus  suguea  berrotic  athera  nahi  du. 

Il  veut  tirer  le  serpent  du  buisson  avec  la  patte  d'autrui. 

Ema  surzari  lurra  cre  alha. 

A  veuve  ou  à  orpheline,  la  terre  même  à  nuire  s'obstine. 

Ohi  bano  nauena  acata  zenago,  cerbaiten  eske  dago. 

Celui  qui  me  caresse  plus  que  de  coutume,  veut  me  deman- 
der quelque  chose. 

Orrazac  bano  hariac  luceago  behar  du  isan. 

11  faut  que  le  fil  soit  plus  long  que  l'aiguille. 

Ser  da  mira,  ardiac  ofsoari  ihes  ari  badira  ? 

Quelle  merveille  si  la  brebis  fuit  le  loup  ? 


Agnetis  Blannberkin,  Vita  et  Revelationes..,  edidit  B.  Pcz, 

Viennœ,  1731,  inS. 

Cet  ouvrage    est   bien  connu  de  nom  des  bibliographes 


68ft  BULLETIN   DU   BIBUOPHILE. 

ronime  ayant  M  supprimé  h  rniiso  di^  absurdités  mystiques 
dont  il  est  rempli. 

M.  Peignot  en  a  parlé,  d'après  Vogt  (Dictionnaire  des  Livres 
condamnés,  1806,  t.  I,  p.  iO). 

Nous  n'avons  jamais  rencontré  l'opuscule  d'Adr.  Pootius  : 
Epistola  qua  historiam  libri  rarioris  qui  inscribitur  :  «  Agnetis 
Blannberkin  Vita  et  Revelationes ,  exponit,  Francfort,  1735, 
in-8 ;  mais  Us  Procvs-verbnux  (rédigés  en  allemand  et  très-peu 
connus  en  France)  den  srances  de  V Académie  impériale  de 
Vienne,  nous  offrent  (janvier  18/|9)  quelques  détails  sur  ce 
livre. 

Les  ravissements  d'Agnès  au  troisième  ciel ,  ses  visions,  ses 
extases,  sont  l'objet  des  récits  les  plus  étranges.  Le  chapitre  27 
de  Praputio  Domini  est  devenu  fameux  par  son  ridicule  ;  le 
chap.  XXVII  de  Ferculis  coquinœ  Domini,  moins  indécent,  est 
tout  aussi  absurde.  Le  Seigneur  y  est  représenté  comme  un 
cuisinier  qui  prépare  trois  plats ,  l'un  formé  d'épices  et  d'aro- 
mates signifie  le  souvenir  de  la  Passion  ;  le  second  est  un  plat 
do  laitage  et  «  signifient  dolorem  et  compassionem  super  pee^ 
catis proaimi;  le  troisième  est  du  beurre,  substance  douce  qui 
entre  dans  la  confection  des  autres  mets,  et  qui  représente  la 
prière  quœ  in  se  dulcis  est  et  ad  omnia  valet.  Les  couronnes 
des  confesseurs  admis  dans  le  Paradis,  et  qui  sont  partagées 
en  quatre  sections  de  couleurs  différentes  (or,  vert,  rouge  et  bleu)  : 
l'odeur  suave  qui  s'exhaloit  des  autels  (jue  baisoit  la  soeur, 
les  mille  coups  qu'elle  se  donna  une  nuit  avec  une  branche 
d'arbre  ;  toutes  ces  circonstances  et  bien  d'autres  mériteroient 
d'être  relatées  pour  la  singularité  du  fait  ;  mais  il  nous  suflbra 
de  les  indiquer,  et  nous  laissons  dans  les  Actes  des  académi- 
ciens de  Vienne  la  reproduction  de  ces  récits  prolixes  en  latin 
très-peu  cicéronion.  G,  B.  " 


BULLETIN    DU   BIBLIOPHILE.  685 


VARIÉTÉS 


Une  publication  périodique  qui  fait  parfois  d'intéressantes 
excursions  dans  le  domaine  de  la  bibliographie,  Y  Artiste,  nous 
a  offert,  il  y  a  quelque  temps,  une  curieuse  notice  de  M.  Charles 
Monseiet  sur  un  ouvrage  fameux  en  son  genre  et  des  plus  rares, 
puisqu*il  n'en  existe  qu  un  seul  exemplaire. 

Il  s'agit  du  Tableau  des  ma'urs  du  temps  dans  les  différents 
âges  de  la  vie,  livre  composé  par  M.  de  La  Popelinière,  fermier- 
général,  fameux  au  wiii®  siècle,  grâce  à  ses  infortunes  conju- 
gales et  à  son  luxe. 

On  peut  consulter  ce  que  dit  le  Manuel  du  Libraire  (der- 
nière édition,  t.  II,  p.  3)  à  l'égard  de  ce  volume. 

Nous  ajouterons  seulement  (et  ces  détails  n'ont  pas  été  con- 
nus de  M.  Monseiet),  que  le  Tableau  des  Mœurs  a  figuré  à  la 
vente  J.  G.  (Gallois),  faite  pai*  M.  Techener  en  18/i/(.  Une  note 
annonçoit  que  le  livre  étoit  mis  en  vente  sur  une  mise  à  prix 
de  5,000  fr.,  et  que  les  peintures  étoient  Tœuvre  de  Carême, 
artiste  peu  habitué  à  traiter  des  sujets  édifiants. 

Lne  copie  manuscrite  du  Tableau  des  Mœurs,  indiquée 
comme  le  manuscrit  original,  est  portée  à  un  catalogue  de  ra- 
retés bibliographiques  publié  par  M.  Leblanc,  1837,  n°  348. 

M.  Monseiet  analyse  successivement  les  dix-sept  dialogues 
qui  forment  cette  production  ;  il  glisse  sur  quelques-uns  d'en- 
Ire  eux  qui  semblent  malheureusement  sortis  de  la  plume  de 
TArétin;  il  s'arrête  sur  quelques  autres  qui  peuvent  se  lire 
partout  et  qui  offrent  une  piquante  image  de  ce  qu'étoit  la  haute 
société  à  l'époque  de  Louis  \V. 

C'est  également  à  La  Popelinière  qu'on  doit  le  petit  roman  de 
Daïra,  dont  l'édition  originale,  1760,  est  très-rare,  et  l'édition 
«le  1761  bien  moins  difficile  \\  IrouviT.       • 


686  BULLETIN    IHI    BIBLIOPHILE. 

((  Les  aventures  qui  y  sont  relatées  ne  sortent  pas  du  cadre 
ordinaire  des  romans  musulmans;  on  y  trouve  cependant  quel- 
ques situations  pathétiques  et  un  certain  art  de  composition.  Ce 
livre  n'a  rien  de  bien  galant,  malgré  la  réputation  que  les  ca- 
talogues lui  ont  faite,  et  quoique  la  scène  se  passe  dans  le  sérail 
d'Alep.  »  Ainsi  s'exprime  M.  Monselet.  M.  Saint-Marc  Girar- 
din,  qui  a  trouvé  l'occasion  de  dire  un  mot  de  Daira  dans  ses 
Études  sur  Jcan-Jacques  Rousseau,  publiées  dans  la  Revue  des 
Deux-Mondes,  s'énonce  d'une  façon  qui  donne  peu  d'envie  de 
lire  cette  narration  :  a  Je  n'ai  jamais  rencontré  de  roman  plus 
sottement  écrit  et  plus  sottement  inventé.  » 


CORRESPONDANCE 


Le  dernier  numéro  du  Bulletin  contient  deux  lettres  relatives 
à  l'article  que  j'ai  récemment  publié  sur  Montaigne.  L'une  est 
de  M.  Philarète  Chasies,  et  l'ingénieux  professeur  du  GoUé^ 
de  France  a  cru  devoir  répondre  à  une  critique  qui,  dans  ma 
pensée,  s'adressoit  exclusivement  a  M.  (îriln  ;  mais  M.  Ghasles 
porte  dans  ses  relations  privées  les  habitudes  du  haut  enseigne- 
ment dont  il  est  chargé,  et  il  m'apprend  ce  que  j'ignorois  en 
des  term(»s  où  la  plus  exquise  courtoisie  le  dispute  à  l'érudition. 
Je  l'ai  déjà  remercié  directement,  je  suis  heureux  de  trouver 
l'occasion  de  le  faire  en  public. 

Quant  à  la  lettre  de  M.  Grûn,  le  Bulletin  s'est  chargé  d'y  ré- 
pondre. En  plaçant  en  regard  deux  pièces  d'un  ton  si  différent, 
relatives  au  même  article ,  il  a  fait  de  cette  dernière  la  critique 
la  plus  sanglante.  Tout  ce  que  je  puis  faire  pour  la  lettre  de 
M.  Grûn,  c'est  de  la  répandre;  je  la  publierai,  et  elle  formera  le 
comj)lémcnl  de  mon  article. 

M.  Grun  me  reproche  d'avoir  «  drcharyé  dans  le  Bulletin 


BULLETIN    DU   BIRUOPHILE.  687 

«  toute  une  année  de  mauvaise  humeur.  »  De  la  mauvaise 
humeur  !  mais  c'est  dans  la  leltre  de  M.  Grun  qu'on  en  trouve 
et  non  pas  dans  mon  article  !  Et  si  j'avois  pu  en  éprouver 
en  cette  occasion,  j'aurois  dû  commencer  dès  le  premier  jour 
de  nos  relations,  et  je  me  serois  évité  les  reproches  ouïes  raille- 
ries de  mes  amis. 

M/  Grûn  me  menace  de  me  rendre  un  service.,,  de  signaler 
totis  les  endroits  où  je  me  suis  trompé  ;  d'abord  tout  le  monde 
est  sujet  à  Terreur,  et  le  livre  de  M.  Grûn  le  prouve  surabon- 
damment; ensuite,  je  pourrois  m'élre  trompé  encore  plus  que 
je  ne  fai  fait,  que  cela  n'ôteroit  pas  une  erreur  à  M.  Grûn; 
enfin,  ce  service  qu'il  me  fait  si  délicatement  entrevoir  ne  sera 
pas  tout  à  fait  gratuit,  car  pendant  les  dix-huit  mois  que  je  lui 
ai  donné  mon  hospitalité,  à  lui,  qui  m'étoit  (je  le  confesse) 
complètement  inconnu,  qui  ne  se  réclamoit  de  personne,  je  lui 
ai  signalé  moi-même  bon  nombre  de  rectifications  que  le  temps 
m'a  fait  connoitre,  et  il  ne  sera  pas  sans  agrément  pour  moi  de 
me  voir,  un  jour  ou  l'autre,  écrasé  par  l'érudition  de  M.  Grûn, 
après  lui  avoir  communiqué  à  peu  près  sans  réserve  les  notes 
que  j'ai  recueillies,  les  travaux  préparatoires  que  j'ai  rédigés, 
les  pièces  authentiques  que  j'ai  péniblement  rassemblées  depuis 
trente  ans. 

SIT   MIHI    TERRA    LBVIS ! 

Avril  1856.  D'  J.  F.  Païen. 


Monsieur  l'Éditeur, 

J'aime  beaucoup  les  Macaronées ,  et  j'en  possède  d'assez 
rares.  Aussi,  me  suis-je  empressé  de  me  procurer  un  exem- 
plaire de  la  nouvelle  dissertation  de  M'  0.  Delepierre  sur  la 
littérature  macaronique.  J'ai  lu  avec  plaisir  l'analyse  de  cet 
ouvrage,  que  vous  avez  insérée  dans  le  dernier  N'»  de  votre 


688  BULLETIN    DU    BIBUOPHILE. 

Bulletin,  et  je  suis  de  votre  avis  :  c*est  une  charmante  collec- 
tion de  raretés  bibliographiques.  Mais...,  j'avois  sous  les  yeux, 
par  hasard,  le  Cagasanga;  Paris,  1588,  21  pages  pet.  in-12  : 
livret  fort  mince,  en  vérité,  qu'on  peut  lire  tout  d'une  haleiae, 
sans  trop  se  fatiguer.  J'ai  vu  d'abord,  avec  surprise,  que  M.  De- 
lepierre  attribue  cette  Macaronée  à  Est.  Tabouret*  Les  vers 
latins  qui  se  trouvent  à  la  fîn  du  volume  prouvent  clairement 
que  Tabourot  n'en  est  pas  l'auteur.  Puis,  je  me  suis  aperçu 
que  M.  Delepierre  a  donné  un  titre  fautif  :  Cagasanga  Reistro- 
suyssoy  Lansquettorum,  au  lieu  de  Cagasanga  Reistrosuyssolans- 
qnettorum.  Enfin,  j'ai  remarqué  que  les  mots  Lamqnettiy  Latu- 
^nerronnnétoicnt  presque  toujours  réimprimés Lan^uerrt,  Laïu- 
quettorum  et  même  Lansquenetorum.  Ces  erreurs,  je  l'avoiie, 
m'ont  rendue  suspecte  la  reproduction  du  texte  original,  et, 
pour  en  avoir  le  cœur  net,  je  me  suis  mis  à  coUatîonner  mon 
exemplaire  de  1588  avec  la  réimpression  de  1856. 

Le  livre  de  M.  Delepierre  n'a  été  tiré  qu'à  50  exemplaires.  Les 
amateurs  en  réclameront  bientôt  une  nouvelle  édition  :  je  me 
réjouis  d'avance  de  pouvoir  concourir  à  la  rendre  parfaite. 
C'est  dans  ce  but  unique  que  j'ai  Thonneur  de  vous  adresser 
le  résultat  de  mon  travail  de  correcteur. 

Je  vous  soumettrai  {)réalabiement  deux  observations  impor- 
tantes :  1"  la  plupart  des  notes  marginales  sont  embrouillées 
et  mal  placées  ;  puis ,  comme  on  a  négligé  d'imprimer  les  mots 
auxquels  se  rapportent  les  notes,  en  caractères  différents  de  ceux 
du  texte  (ce  qui  n'a  point  éiô  oublié  dans  Toriginal),  il  devient 
à  peu  près  impossible  de  deviner  à  quel  passage  telle  ou  telle 
note  est  relative  ; 

2»  Les  deux  poèmes  sont  divisés  en  34  alinéas  :  on  les  a 
supprimés  dans  la  réimpression.  Ceci  nuit  essentiellement  à  la 
clarté  du  sens,  surtout  lorsqu'on  s'abstient  très-souveot  de 
mettre  un  point  à  la  fin  du  dernier  vers  de  l'alinéa* 

Je  regrette  encore  qu'on  ait  substitué  le  j  h  l'i,  et  le  v  à  Tl. 
A  mon  avis,  c'est  altérer  la  physionomie  d*un  livre  ancien,  sans 
en  rendre  la  lecture  plus  facile. 


BULLBTIN   DU  BIBUOPBIU.  689 

Passons  maintenant  à  Tërrata  : 

Partout  où  vous  trouverez  Lansquetti^  Laïaquetiorum,  Usez  : 
Lansqnetti,  Lansqncttorum, 

On  a  imprimé  2k  fois  la  diphtongue  œ  au  lieu  de  ^.  Il  me 
suffit  d'indiquer  le  nombre  de  ces  fautes  typographiques  qui  ne 
peuvent  échapper  aux  lecteurs. 


p.  45,  I.    2  Hcay  lisex     sçay. 

—  1.     3  naïf  —      naïf. 

—  I.    7  os  rue»  —      é»  rues. 

—  1.  16  traytros  —      trtyitros. 

—  dernière  note  margin.  :  in^utum,  que;  U)ez  insutum.  Que... 

Ije  mot  que  devroit  Mrc  à  la  ligne;  il  commence  une 
seconde  note. 

P,  46,  I.    4  Culot a5  lisez     Culatas. 

—  I.  27  Piccas  —      Pieças. 

—  !'•  note  marg.     Métrai  —      Metri. 

P.  47,  1,     6  Etquid  —       Et  quid. 

—  1.    9  Crimem  —      Crimen. 

—  1.  13  VesprimatJui  fragidas;  lisez  en  un  seul  mot. 

—  l.  16  ferra  lisez     terra. 

—  d'*  note  O  bene  —      O,  bcne. 

P.   48,  1.     9  qiii'  —       quo 

—  1.  1 1  niôstieris  —  môstieris  (p'  monstieris). 

—  1.  23  area  —  aerca. 

—  I.  24  minguida  —  ninguida. 

—  4*  note  Cacasangue  —  Cacasangue. 

—  —  Vcl  —      vel. 

P.  49,  d"  1.  trcpidarr.  valtêi       —      trepidaro  Valesi  (de  Va- 

lois,  et  non  pas  adieu  ), 

—  1.  22,  ajoutez  en  note  margin.  :  Ex  billeo. 

P.  51,  I.  1  Cagu;isangam  lisez  Caquasangam. 

—  L  9  tcrreviratus  —  ter  reviratus. 
~  1.  11  eclassat  —  eclafTaU 

—  L  20  barba  —  barb». 

P.  52,  1.    2  Catbolices  —      Catholicot. 

»     1.    9  fœnare  —      franare. 


690 


BULLETIN    DU   BIBLIOPHILE. 


P.  54,  1.     9 

hugonotti 

lisez 

hugnotti. 

—     1.  20 

ait 

— 

ait. 

P.  57,  1.     6 

Ventridolcre 

_ 

Ventridolore. 

—     1.     8 

Cathedra) 

— 

Cathedram. 

—      l.  17 

Ijngucbant 

— 

linquebant. 

P.  58,  1.     3 

tam 

^— 

Jam. 

—      1.  17 

Malberoso 

— 

Malhoroso. 

—      1.  26 

Galline 

— 

Galli  ne. 

—     d"  1. 

albora 

— . 

alhora. 

Il  faut  croire  que  M.  Delepierre  n'a  pas  eu  le  temps  de  cor- 
riger les  épreuves  de  sou  livre,  ou  qu'il  a  fait  imprimer  une 
mauvaise  copie  de  Tédilion  de  1588. 

J'ai  rtionneur  de  vous  saluer  avec  une  parfaite  considération, 

Un  de  vos  abonnés. 


P.  5.  J'ai  l'honneur  de  vous  adresser  sous  ce  pli,  un  article  destiné  à 
votre  Analecta  biblion,  sur  les  véritables  auteurs  des  deux  polîmes 
macaroniques  réimprimés  par  les  soins  de  M.  Delepierre. 


BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE.  691 


ANALECTA-BIBLION. 


Cagasanga  Reistrosuyssolansqnettorum.  Per  magistrum 
loannem  Bapistam  Lichiardum  recatholicatum  spa- 
liporcinum  poëtam.  —  Ad  Caquasangam  loan.  Ba- 
pista)  Lichiardi  poëta)  spaliporcini  Reistrorum  niaca- 
ronica  defensio,  per  lo.  Kransfeltum  Germanum.  — 
Chant  sur  la  deffaite  des  Reistres,  par  F.  B.  Auxon- 
nois.  Paris,  loan.  Wêe/zer,  1588;  1  vol.  pet.  in-12. 

On  a  souvent  parlé  de  cette  rarissime  macaronée  ;  elle  est 
citée  par  les  bibliographes  ;  elle  vient  d'être  réimprimée  tout 
récemment.  Je  me  permettrai  de  dire,  cependant,  que  le  vo- 
lume qui  la  renferme  est  encore  inconnu.  En  eiïet,  d'après  les 
indications  données  jusqu'à  ce  jour,  on  devroit  conclure  qu'il 
n'existe  sur  le  Cagasanga  qu'un  seul  poOme  macaronique,  at- 
tribué assez  légèrement,  soit  à  Jean -Baptiste  Richard,  avocat  k 
Dijon,  soit  au  célèbre  Etienne  Tabourot.  Quant  au  poi^me  qui 
suit  le  Cagasanga^  ce  seroit  tout  simplement  une  seconde  par- 
tie composée  par  l'auteur  de  la  première.  Enfin,  on  passe  sous 
silence  l'ode  en  vers  françois  sur  la  défaite  des  Reltres,  écrite 
par  un  Auxonnois,  ainsi  que  les  vers  latins  de  Philippe  Robert 
et  d'Etienne  Tabourot.  Il  est  vraiment  extraordinaire  que  per- 
sonne n'ait  pris  la  peine  de  lire  avec  soin  ce  petit  volume  de 
21  pages.  Je  rends  grâce  à  cette  négligence,  qui  me  procure  le 
plaisir  de  restituer  ces  deux  pof^mes  à  leurs  véritables  auteurs. 

On  lit  dans  les  histoires  de  France  :  «  Cependant  le  roi  de 
Navarre,  à  Taide  du  secours  de  l'Angleterre,  avoit  fait  lever 
en  Allemagne  une  armée  de  36,000  hommes.  Retires^  Land- 
sknechts^  Allemands,  Suisses  et  Grisons.  Cette  grande  armée 
pénétra  en  Lorraine,  au  mois  d'août  1587,  et  s'avança  au  tra- 


692  BULLETIN  OU  BlBUOPUiLE. 

vers  de  la  France  pour  rejoindre  la  chevalerie  de  Henri  de 
Navarre.  Les  campagnes  étoient  dévastées  et  toutes  les  villes 
inquiétées.  Guise,  avec  10,000  hommes,  entreprit  de  Taire  léte 
à  celte  multitude  ;  il  sut  couvrir  Paris,  poursuivre  et  harceler 
CCS  bandes  pillardes,  les  tailler  en  pièces  à  Vimory  (près  de 
MoDtargis)  et  à  Auneau  (Eure-et-Loir)  ;  enfin,  Guise  repoussa 
les  Reîtres  jusqu'à  la  frontière.  » 

C'est  à  Toccasion  de  cette  défaite  des  Reitres  par  le  duc  de 
Guise,  que  fut  composé  le  Cagasanga,  petit  poème  macaronique 
de  123  hexamètres.  L'auteur,  caché  sous  le  pseudonyme  de 
Joannes  Bapista  Lichiardus,  commit  l'imprudence  de  se  don- 
ner le  titre  de  Reeatholiçatus  et,  ce  qui  est  plus  grave,  de  plai- 
santer sur  la  grande  marmite  des  moines  de  Giteaux. 

Marmitasve  amplas,  pedefirmas,  et  résonantes, 
Quales  Cisterti,  tornare  novitia  turba 
Edocta,  à  missis  et  vespris  quando  revenit. 

Un  zélé  catholique,  scandalisé  des  facéties  de  Lichiardus^  lui 
répondit  par  un  poème  du  même  genre,  en  264  vers.  Non-seu- 
lement il  reproche  à  son  adversaire  qu'il  nomme  ter  reviratus^ 
ses  variations  en  matière  religieuse,  mais  encore  il  critique  amè- 
rement tous  les  ouvrages  qu'avoit  déjà  publiés  l'auteur  pseudo- 
nyme du  Cagasanga,  Il  est  donc  impossible  d'admettre  que  ces 
deux  pièces  macaroniques  soient  l'œuvre  d'un  seul  écrivain. 

Oo  lit  à  la  fin  du  volume,  les  vers  suivants  : 

Ad  Stephanum  Taborotium. 

Ut  qui  de  partu  certum  novere  parentem, 

Sic  mihi  de  versu  notus  Ecebolius. 
Qui  dùm  falsa  suis  affmgit  nomina  rithmis, 

Vera  miser  Musœ  sentiet  arma  mea;. 
Diunque  tibi  veterem  subducere  tentât  amicum, 

Non  impunè  planus  crimen  utrumque  feret. 

P.  R.  J.  G. 


BULLETIN   DU   BIBUOPHILE.  093 

Ad  p.  Robertum  amiciss.  De  inepto  Nugivkndulo. 

Inler  se  cbaros  committere  tentât  aœicos, 

Ineptufi  Nugivendulus  : 
Ac  eroentito  supponit  Domine  nobis, 

Versus  quibus  te  vellioat. 
8ed  tu  qui  suboles  insuiso  ex  carminé  fraudem, 

Suum  authorem  quod  arguit. 
Par  referens  Roberte  pari  festiviter  illum, 

Suis  pingis  coloribus. 
Tam  taroen  est  fatuus  tua  paasim  ut  carmina  cantet. 

DigQum  imposture  prœmium. 

Strph.  Tabor. 

11  est  évident  que  Tabourot  n'a  composé  ni  Tun  ni  l'autre 
des  deux  pommes  ;  mais  Fauteur  de  la  critique  du  Cagasanga 
est  clairement  désigné.  Phil.  Robert  annonce  qu'il  connott  le 
po(^te  qui  écrit  ses  vers  sous  un  faux  nom,  et  qu'il  lui  déco- 
chera les  traits  de  sa  muse.  Tabourot  est  encore  plus  explicite 
dans  ces  deux  vers  : 

Par  referens  Roberte  pari  festiviter  illum 
Suis  pingis  coloribus. 

Au  surplus,  Philippe  Robert,  avocat  et  substitut  de  Favocat 
général  au  parlement  de  Dijon,  est  cité  dans  la  Biblioth,  de 
Papillon  et  dans  le  Diction,  de  Moreri,  comme  l'auteur  de  plu- 
sieurs ouvrages,  et  entre  autres  d'un  volume  de  poésies 
latines. 

La  lettre  liminaire  de  Claude  Bomibitous  à  Hans  Kraufeit, 
commence  ainsi  :  «  Monsieur,  je  vous  envoyé  la  copie  d'un 
«  Macurouique  gracieux,  qu'a  fait  un  advocat  de  Dijon  :  et 
((  combien  qu'il  soit  d'un  stile  embronché  en  tout  ce  qu'il  fait, 
((  si  est-ce  qu'il  semble  qu'il  ait  esclaircy  sa  Muse  en  ce  petit 
u  livret,  plus  que  de  coutume.  » 


Ô9à  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

Phil.  Robert  découvrit  aisément  quel  étoit  ravocat  de  Dijon 
qui  avoit  écrit  le  Cagasanga.  Aussi,  dit-il  dans  la  réponse  de 
Kransfelt  à  Bornibitous  :  «  J'ay  leu  les  vers  de  vostre  poète 
«  Bourguignon,  que  je  vous  renvoyé  avec  petites  notes  :  afin 
((  que  vous  cognoissiez  de  quoy  vous  faites  cas.  J'avoy  deqà 
«  veu  ses  versions  disticaires  des  quatrains  de  M.  de  Pibrac. 
«  C'est  assez  pour  faire  jugement  de  Tautheur,  qui  est  je  croy 
«  aussi  bon  catholique  que  poète  :  car  il  se  moque  à  pleine 
a  gorge  de  ceux  qui  ont  deffait  les  nostres,  et  n'espargne  pas 
((  les  religieux  de  Gisteaux.  » 

Cet  auteur  se  nommait  Jean  Richard,  et  non  Jean-Baptiste 
Richard.  Le  titre  porte  Joannes  Bapistâ^  c'est-à-dire  Papista. 
C'est  ainsi,  sans  doute,  que  Ph.  Robert  a  voulu  expliquer  ce 
mot  : 

0  si  successus  nostrique  tuique  fuissent 
Ut  pensabamus,  non  te,  revirate,  virasses, 
Nomine  nec  ficto  fieres  Baptista,  Papista. 

il  ne  faut  donc  point  attribuer  le  Cagasanga  à  Jean-Baptisle 
Richard,  avocat  au  parlement  de  Dijon,  né  en  15/45  et  vivant 
encore  en  1615. 

Jean  Richard,  avocat  au  parlement  de  Bourgogne,  fils  de 
Claude  Richard  et  de  Jeanne  Véfe,  étoit  né  à  Dijon.  Selon  Fe- 
vret  (De  claris  fori  Burgundici  oratoribus),  Richard  avoit  un 
grand  fonds  de  lecture  et  d'érudition  ;  mais  il  n'avoit  ni  la  mé- 
moire, ni  l'action,  ni  l'éloquence.  I^hil.  Robert  partage  cette 
opinion  : 

Nam  défendis  eos,  sicut  défendis  iniquas 
Ore  ministrali  et  longo  brouillamine  causas. 

Fevret  ajoute  que  Richard  était  excellent  poète  Bourguignon, 
Ph.  Robert  dit  à  ce  sujet  : 

Sed  sis  contenlus  Bourguignâ  voce  pitaldos 


BULLETIN  DU   BIBLIOPHILE.  095 

Delectare  tui  similes  rogoosaque  verba 
Pro  spaliporcinis  vineronis  scribere. 

Voici  la  liste  des  ouvrages  de  J.  Richard,  extraite  de  la  Bi- 
blioth.  de  Papillon.  J*y  ajouterai  les  commentaires  de  Phil. 
Robert. 

1.  Vidi  Fahri  tetrasticha  gallica^  distichis  reddita  h  J. 
Richardo  divionensi.  Paris,  1585,  in-4". 

Nec  te  plus  mesles  de  Grœco,  deque  Latino, 
Vel  Macaroneo,  vel  Franco  idiomate,  nàmque 
Cœtera  quœ  scribis  sunt  una  digna  litura. 
Testes  sunt  nobis  tua  carmina  sufficientes 
Quels  deshonorasti  Pibrachi  pulchra  quatrina, 
Pro  quibus  ut  pressis  Parisinis  imprimerentur, 
Imprimatori  scutos  bis  quinque  dedisti, 
Et  bis  quinque  iterum,  populo  ne  venderet  illa  : 
In  syllabarum  quia  quantitate  clochabant, 
Grammaticoque  dabant  suffletos  sœpe  Donato. 

2.  J.  Richardi  Antiquitates  divionenses^  et  de  statuts  noviter 
Divione  repertis Paris.  1585,  in-8". 

Appello  testes  etiam  istas  Antequitates 
Dijonis,  Gothicus  quarum  lu  ferruminator. 
Te  monstras  sine  judicio,  ratione,  rimâque. 

3.  Notes  sur  Pétrone^  par  J.  Richard.  Paris^  1585,  in-8*». 

Teslis  erit  quoque  suffîciens  Poltronius  ille 
Arbiter,  in  quo  te  tantùm  comprendere  monstras 
Quantum  in  muscoso  porcus  cognoscit  odore. 

Je  crois  avoir  prouvé  d'une  manière  irrécusable  que  Jean 
Richard  est  Fauteur  du  Cagasanga,  et  que  la  réponse  a  été 
composée  par  Philippe  Robert.  C'est  donc  mal  à  propos  que 


6M  BnLLRTIN   DU  BIBLIOPHILE. 

Barbier  {Dict.  des  an,,  n»  19986)  a  attribué,  «tir  la  foi  de  Joly 
{Notes  sur  Bayle^  p.  /i8),  Tun  et  l'autre  poftme  à  Et.  Tabonrot. 
Je  ferai  remarquer,  en  outre,  que  Barbier  n'avoit  pas  vu  cet 
ouvrage;  car  le  titre  qu'il  donne  est  d'une  rare  inexactitude. 

Quant  au  nom  du  pof^te  auxonnois,  dont  nous  ne  connais^ns 
que  les  initiales,  il  est  plus  difficile  de  le  déterminer.  Les  docu- 
ments bibliographiques  sur  les  écrivains  d'Auxonne  manquent 
complètement.  Si  je  parviens  plus  tard  à  découvrir  le  véritable 
nom  de  cet  auteur,  je  m'empresserai  d'en  faire  part  aux  lecteurs 
du  Bulletin, 


NOUVELLES. 


—  Un  manuscrit  important,  un  de  ces  registres  dans  lesquels 
on  transcrivoit  des  chartes,  et  qui  sont  spécialement  désignés 
sous  le  nom  de  Cartulaircsy  vient  d'être  découvert  dans  le« 
riches  archives  du  chftleau  de  Serrant,  appartenant  à  M.  le 
comte  deWalsh  de  Serrant.  Il  remonte  au  milieu  du  xv«^  siècle, 
et  contient  la  copie  des  Lettres  et  Enseignements  de  la  seigneu- 
rie de  Rays,  depuis  1161  jusqu'en  1/|49.  Cette  découverte, 
faite  par  M.  P.  Marchegay,  excitera  sans  doute  la  curiosité  des 
nombreux  investigateurs  des  antiquités  bretonnes,  poitevines  et 
angevines. 

—  M.  Paulin  Paris  a  été  nommé,  dans  une  des  dernières 
séances,  membre  de  la  Société  des  bibliophiles  françois. 

—  On  écrit  du  Mein,  le  23  mars  :  •  On  a  trouvé  hier  à 
Mayence,  en  creusant  un  puits,  un  fragment  d'une  presse  à 
imprimer,  qui  porte  les  initiales  de  J.  Guttcnberg,  et  Tannée 
H(il  en  chiffres  romains  {Mercure  de  Souabe),  » 


BULLETITf  DU  BIBUOPHILE.  607 

—  Le8  frètrs  Gèbcodà  viennent  de  publier  à  Londres  leur 
troisième  publication,  tirée,  comme  les  autres,  à  60  exemplair 
res  pour  le  commerce.  Ce  petit  volume ,  qui  se  compose  d'un 
choix  de  chansons  historiques  et  satiriques  sur  la  cour  de  France 
(1615-i6/i0),  sera  l'objet  d'un  examen  plus  étendu  dans  une 
prochaine  livraison. 

—  On  écrit  de  Rome  : 

((  Hier  est  mort  le  savant  jésuite  Gian  Pietro  Secchi,  professeur 
de  langue  grecque  et  bibliothécaire  au  collège  Romain.  11  étoit 
profondément  versé  dans  Tarchéologie  païenne  et  chrétienne, 
l'herméneutique,  Fhistoire  de  l'Église  et  la  philologie.  Ses 
ouvrages  les  plus  connus  sont  :  «  la  Cattedra  di  S.  Marco  di  Ve^ 
nezia  et  VAnatisi  delV  edizionc  del  Nuovo  Testamento  greco,  »> 
On  dit  qu'il  a  laissé  prêt  à  être  imprimé  un  nouveau  lexique  de 
l'ancienne  langue  égyptienne.  Il  étoit  membre  de  l'Académie 
archéologique  de  Rome,  de  celle  de  Berlin,  ainsi  que  de  l'Insti- 
tut de  France.  » 

—  Un  littérateur  aussi  spirituel  qu'érudit,  M.  F.  Génin, 
est  mort  à  Paris  le  20  mai  dernier,  à  l'âge  de  cinquante- 
trois  ans.  Il  avoit  élé  successivement  professeur  de  la  Faculté 
de  Strasbourg,  puis  chef  de  division  au  ministère  de  l'instruction 
publique  (18/i8-1852).  Outre  plusieurs  ouvrages  de  polémique 
et  de  nombreux  articles  de  critique  épars  dans  les  revues  et  les 
journaux,  on  a  de  ce  philologue  distingué  :  Des  variations 
du  langage  français  depuis  le  xir  siècle,  18/|5,  in-8";  Lexique 
comparé  de  la  langue  de  Molière^  1866,  in-S"  ;  des  éditions  des 
iMtres  de  Marguerite d' Angoulâme ;  delà  Chanson  de  Roland; 
de  la  Farce  de  Pathelin;  des  Éclaircissements  de  la  langue 
françoise,  par  J.  Palsgrave  (in-{|*')  ;  et  en  On,  le  matin  même  de 
sa  mort,  a  paru,  chez  Téditeur  Ghamerot,  le  premier  volume 
de  ses  Récréations  philologiques^  in-8%  dont  nous  reparlerons 
dans  une  prochaine  livraison. 

—  Les  charmants  ouvrages  de  M'"«  de  La  Fayette  sont  entre 
les  mains  de  tout  le  monde.  Cependant  un  livre  de  sa  compo- 
sition, demeuré  inconnu  de  presque  tous  les  bibliographes,  ou 


698  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

du  moins  auquel  ils  n'ont  pas  fait  grande  atlenlion,  a  été  mis  à 
contribution  par  des  éditeurs  de  Hollande,  par  un  historien 
de  notre  pays,  et  même  par  plusieurs  romanciers,  sans  jamais 
avouer  la  dette.  11  porte  le  titre  de  Mémoires  de  Hollande. 
Paris,  Michallet,  1678,  in-12,  édit.  orig.  de  /|56  p.  C'est  un 
savant  philologue  hollandois,  Grœvius,  qui  le  premier  a  soulevé 
le  voile  qui  nous  déroboit  le  nom  de  M'"^  de  La  Fayette.  A  ce 
témoignage  d*un  ami  de  Huet,  et  sans  exposer  dans  ce  moment 
des  preuves  intrinsèques  tirées  du  livre  même,  nous  mettrons 
sous  les  yeux  de  nos  lecteurs  une  lettre  du  bibliographe 
littérateur  qui  a  jeté  le  plus  de  lumière,  par  ses  travaux,  dans 
ces  derniers  temps,  sur  la  vie  et  les  ouvrages  des  personnages 
célèbres  anciens  et  modernes.  Les  Mémoires  de  Hollande^ 
soumis  à  une  sage  révision  par  M.  Parison,  et  édités  par 
M.  A. -T.  Barbier,  paraîtront  prochainement  imprimés  avec  tout 
le  soin  qui  a  présidé  à  l'édition  d'Henriette  d'Angleterre  de 
M"»*^  de  La  Fayette,  publiée  il  y  a  quatre  ans,  par  M.  Paulin-Paris, 
avec  les  notes  de  Bazin. 

Besanvon,  le  25  mars  1836. 

Monsieur, 

C'est  sans  doute  d'après  quelques-uns  des  catalogues  de 
Paris  que  j'ai  attribué  les  Mémoires  de  Hollande  à  Stoupe, 
personnage  qui  m'est  d'ailleurs  parfaitement  inconnu,  mais  je 
m'empresse  de  reconnoître  que  j'ai  dans  celle  circonstance  agi 
avec  une  impardonnable  légèreté.  11  in'auroit  suffi  de  lire  la 
lettre  des  éditeurs  au  président  Rose  pour  reconnoître  que  ces 
mémoires  sont  l'ouvrage  d'une  des  personnes  les  plus  aimables 
et  les  plus  spirituelles  du  temps;  et  je  suis  prêt  à  me  ranger  à 
votre  opinion,  en  les  donnant  h  M"*«  de  La  Fayette. 

Je  vous  remercie  de  m'avoir  averti  de  mon  erreur,  et  vous 
pri(^  d'agr<''er  l'expression  de  mes  sentiments  d'affectueux  dé- 
vouement. Ch.  Weiss. 

A  M.  Harbier,  h  Paris. 


BLLLKTIN  \){}  BIBLIOPHILE 

ET 

CATALOGUE    DE   UVRES   RARES    ET   CURIEUX    DE   LITTÉRATURE, 

d'histoire,    ETC.,    QUI   SE   TROUVENT   EN   VENTE 

A   LA   UBRAIRIE   DE   J.    TECHENER, 


AVRIL  —  1856. 


359.  André  {Valère).  Imagines  doctorum  viroruin  e  variis 
gentibus,  elogiis  brevibus  illustratae  :  Valerius  Andréas 
Desselius  Brabantus  publicabat.  Antverpiœ,  1611  ;  pet. 
in-12,  vél. ,  portr 28 — » 

Valèr«  André,  surnommi^  Desselius,  du  bourg  de  Desschel,  dans  le  Bra- 
bant,  où  il  étoit  né  en  1588,  fut  professeur  de  droit  et  bibliothécaire  de 
ronivcrsité  de  Louvain  ;  il  mourut  en  1G56. 

Valère  André  n'avoit  que  vingt-trois  ans  lorsqu'il  publia  les  portraits  et 
I«  éloges  de  soixante-treize  savants  de  diffén-nts  pays;  mais  il  parolt  qu'il 
attachoit  peu  d'importance  à  cette  compilation,  car  il  ne  l'a  point  citée 
au  nombre  de  ses  ouvrages,  dans  les  deux  éditions  do  sa  Bibliotheca  bel- 
gica.  Chaque  page  du  livre  contient  un  portrait  en  médaillon,  avec  un  éloge 
fort  succinct.  A  la  suite  de  ces  portraits,  on  trouve  un  opuscule  assez 
curieux,  dont  voici  le  titre  :  Nomina  ac  studia  torunUy  qui  in  coUegium  bi- 
bliothecœ  Ambrosianœ  à  Frtderico  Borromao^  card,  et  archiep.  Mediola- 
iiefiti,  anno  i644y  v  idw  decembris  cooptati  sunt.  Les  neuf  docteurs  agrégés 
au  collège  de  la  bibliothèque  ambroisienne,  par  le  cardinal-archevêque, 
étoient  chargés  de  dresser  les  catalogues  des  volumes  imprimés  et  manus- 
crii»  de  cette  bibliothèque  ;  ils  dévoient,  en  outre,  travailler  à  traduire  des 
ouvrages  écrits  en  langues  étrangères,  à  préparer  de  nouvelles  éditions  des 
livres  rares,  et  à  publier  certains  manuscrits  précieux.  Le  fondateur  de 
cet  établissement  littéraire  fut  vivement  loué  par  les  savants  contempo- 
rains ;  et  nous  saisissons  cette  occasion  pour  rappeler  aux  bibliophiles  de 
notre  époque  le  souvenir  du  cardinal  Borromée,  qui  a  créé  l'un  des  plus 
andpns  collèges  de  bibliophile^. 

49 


700  BULLETIN    DU    BIBLIOPHILE. 

360.  BiBLiA  SACRA  ((licUi  des  évêques),  Parmis,  typogra- 
phia  Regia,  1642;  8  vol.  gr.  in-fol.,  mar.  rouge  fil.  tr. 
dor.  larges  dentelles  {rel  de  Dusseuil) 1000 — » 

Magmfiql'b  f.xempi.urb   en  grand  papier  aux  armes  db  Logis  xiv.  — 

Véritable  monument  typoj;raphi(]uo  élovii  à  la  gloire  et  à  rillustration  d'mi 
graud  règne.  Tout  co  qui  pouvoit  cuncourir  à  faire  une  édition  spleudidn 
a  été  mis  à  contribution.  Le  premier  volume  s'ouvre  par  un  frontispice 
dessiné  par  N.  Poussin  et  gravé  par  Cl.  Mellan.  Et  dans  le  courant  de 
Touvrage  se  trouve  une  multitude  de  fleurons  et  de  lettres  inajuBCules 
gravés  sur  cuivre  représentant  les  embR'nies  alléporidues  du  Roi. 

361.  BoNTEMPS.  La  vérité  de  la  foy  chrestienne,  contenant 
douze  protestations,  suyvant  Tordre  des  douze  articles 
d*icelle  foy.  (Par  L.  Bontenips).  Rouen,  s.  d.  (vers 
1557);  1  vol.  pet.  in-16,  mar.  r.,  fil.,  tr.  d.  .     28 — » 

Léger  Bontemps,  bénédictin  de  Dijon,  savant  dans  les  langues  latine, 
grecque  et  hébrai(iue,  mourut  le  9  août  1505,  suivant  le  nécrologc  de  Saint- 
Bénigne  de  Dijon. 

La  Vérité  de  la  foy  chrestienne  est  une  paraphrase  des  douze  articles  da 
Symbole  des  apôtres,  extraite  de  l'Écritui-e  sainte  et  des  saints  rères.  Cette 
œuvre  a  pour  but  d'affcîrmir,  dans  resj)rit  des  fidèles,  les  principes  de  la 
foi  orthodoxe,  et  de  I(>s  prémunir  coiitn;  l(.>s  opinions  contraires  à  la  religion 
catholique,  c'est-à-dire  contre  les  lutin-riens  (»t  les  calvinistes.  La  dédicace 
adressée  au  cardinal  de  Givry,  évèqu(>  de  î^angres,  «îst  datée  du  monas- 
tère de  Saint-Benigne,  à  Dijon,  l'an  1555,  et  signée  par  l'auteur.  L'appro- 
bation porte  la  date  de  1557. 

Ces  petits  volumes  de  polémi(iue  religieuse  sont  devenus  tK»s-rares  ;  et 
notre  exemplaire  se  recommande  pai-  une  conservation  parfaite. 

362.  Bossi  {Mattliaei)  Veroiiensis  canonici  regularis  vera 
et  salutariaanimi  gaudia.  Impressit  Florentine  ser  Fran^ 
ciscus  Bonaccursius.  Anno  salutiSf  mcccclxxxxi;  1  vol. 
iii-â,  cart 48—» 

Volume  TRÈs-nARR  et  bien  imprimé.  —  Bel  exemplaire  ri>glé  et  nou  nigné. 
—  Mathieu  Uosso,  né  à  Véront!  en  li'i28,  mourut  à  Padoue  en  1502.  Eu 
1451,  il  entra  dans  la  congrégation  d*'s  chanoinr^  ii'îguliers  do  Sainl-Jcan- 
de-Latran,  et  il  drvint  confesseur  de  Lauit'nt  d«»  Médicis.  Bosso  avolt 
donné  h  son  ami.  Antre  Politien,  son  livre  tliéol<igi>-pliiiosophique  De  IWJ 
et  salutarihus  animi  ijuudiis:  (-•'lui-ci  le  pivsiMita  à  LaunMit  de  Médici\ 
avant  d(*  le  fair4>  imprimer.  La  lettre  d'envoi  de  lV)li!ien  :^rt  do  préface  à 
l'ou\ragi^  (\<'  Bosso.  I^a  ra«*t'''  de  c»^  vrlnme  engagea  D.  MabilItMi  à  le  rt'im- 


BlLLKTiN  DU  BiBLlOPUlLL.  701 

primer  dans  son  Musaum  italicum,  p.  173.  11  a  été  traduit  en  italien  par 
!♦»  chunuine  régulier  D.  Antoine  Pallavicini  ;  LuganOy  1755. 

On  seroit  tenU'  de  croire  que  notre  exemplaire  est  incomplet  du  titre  ; 
mais  le  registre  (jui  se  trouve  à  la  fin  du  volume  prouve  que  ce  livre  n'a 
jamais  eu  de  titre  imprimé.  On  lit  :  A.  —  Primum  vacat,  et,  en  effet,  le 
premier  feuillet  est  blanc.  La  lettre  de  Poliiien  à  I^urent  de  Médicis  est 
sur  le  second  feuillet,  signé  Aii. 

S63.  Bouillon.  Les  œuvres  de  feu  M.  de  Bouillon ,  con- 
tenant THistoire  de  Joconde,  le  Mari  commode,  TOiseau 
de  passage,  la  Mort  de  Daphnis,  l'Amour  déguisé,  por- 
traits, mascarades,  airs  de  cour  et  plusieurs  autres 
pièces  galantes.  Paris,  1663;  pet.  in-12,  mar.  rouge, 
fil.  tr.  dor.  (TrautZ'Bauzonnet) 65—» 

Bel  e&euplaibe  de  M.  Armand  Bertin.  —  C'est  à  propos  de  V Histoire  de 
Joconde,  de  M.  de  Bouillon  que  Boilcau-Despréaux  fit  cette  dissertation  que 
ron  comprend  toujours  dans  ws  œuvre*;  complètes,  où  il  établit  une  com- 
paraison entre  cette  histoire  et  le  conte  de  La  Fontaine  sur  le  même  sujet. 
Boileau  étoit  encore  fort  jeum;  ;  il  avoit  au  plus  vingt-six  ans  quand  il  com- 
posa cette  dissertation,  puis(|ue  de  Bouillon  étoit  encore  vivant,  et  qu'il 
mouinit  eu  1G62.  François  Lamothc  Lcvayer  de  Boutigny,  auteur  d'un 
roman  de  Tarsis  et  Zélie,  avoit  gagné  cent  pistoles  pour  La  Fontaine  contrt^ 
Saiut-Gilles,  qui  soutenoit  le  mérite  do  la  production  de  Bouillon.  Ce  Saint- 
Gilles  étoit  une  espiicc  d'original,  qui  inspira,  dit-on,  à  Molière,  avec  lecjuel 
il  étoit  lié,  le  portrait  de  Timante  dans  la  comédie  du  Misanthrope  : 
C'ebt  de  la  tète  aux  pieds  un  honnnc  tout  entier,  etc. 

A  défaut  de  goût,  Saint-Gilles  auroit  fait  preuve  de  sens  s'il  avoit  em- 
ployé la  même  diî>ci*étion  à  juger  du  mérite  de  Bouillon. 

J'ai  peine  à  comprendre  «lu'à  l'époque  où  nous  sommes  parvenus,  on  ait 
pu,  non  pas  préférer  l'histoire  de  Bouillon  au  conte  de  La  Fontaine,  mais 
même  établir  une  comparaison  entre  ces  deux  ouvrages!  Boileau  a  dit  sur 
ce  sujet  tout  ce  (lue  Ton  peut  dii*e,  et  je  ne  m'aviserai  pas  de  le  traiter 
après  lui. 

Les  autres  pièces  de  Bouillon  sont,  comme  l'histoire  de  Joconde,  de  la 
dernière  platitude.  C'est  le  plus  faible,  certes,  de  tous  les  auteurs  depuis 
Malherbe,  qui  me  soient  passés  sous  les  yeux.  Il  étoit  secrétaire  de  Gaston, 
duc  d'Orléans,  à  la  cour  duquel  il  aura  dû  se  rendre  agréable  par  la  com- 
position de  ballets,  de  couplets  de  circonstance,  fOtes,  mariages,  bap- 
têmes, etc..  ce  qui  aura  fait  tolérer  ainsi  un  petit  nombre  de  pièces  plus 
importaiitt^,  car  on  ne  sauroit  expliquer  autrement  l'impression  de  choses 
aussi  misérable».  Viollkt-le-Dcc.  Bibliothèque  poétique. 

S6â.  CAGASAN(iA  Reistrosuyssolansqnettorum.  Pa^isiis, 
1588;  pet.  in-12 60— »> 

Voir  VAnalevtti-Iitblion  de  cotte  livrai^n,  page  691. 


702  HIÎIXETIN   OU   bibmopiiim:. 

365.  (Iale.ndrier  de  Philadelphie  en  Pensylvanie  ipar 
Barbeu-Dubourg).  Philadelphie,  '1770;  pet.  in-12,  d. 
rel.,  V.  f.  {Kœhler) » — » 

Jacques  Barbeu-Dubourg,  médecin  et  botaniste,  né  à  Mayenne  le  13  fé- 
vrier 1709,  mourut  à  Paris  le  Ih  déct^nlm;  1779.  II  publia  plusieurs  ou- 
vrages de  botanique  ut  do  médecine.  Dan»  les  deniiôres  années  de  sa  vie,  il 
fut  très-lié  avec  Franklin.  C'est  par  suite  de  cette  liaison  ([w  Bai-beu-Du- 
bourg  devint,  eu  1773,  l'éditeur  des  Œuvres  de  Franklin^  trad.  en  franr;in9 
par  L'Ecuy,  et  qu'il  composa  quelquiîs  opuscules,  t*'ls  que  le  Petit  Code  de 
la  raison  humaine  ci  1(»  Calendrier  de  Philadelphie.  ('.«;s  deux  ouvrages  sont 
assez  rares  en  Francf,  parce  <\\w  la  plupart  des  e^<".nplpiiv'H  furent  des- 
tinés aux  États-Unis. 

Le  Calendrier  de  Philadelphie  est  un  recueil  d«'  préceptes  moraux  et 
religieux,  adaptés  à  chaque  jour  do  l'année.  Ces  préc<?i)tes  sont  f)ueIqncfoîs 
d'une  grande  hardiesse,  et  souvent  sont  dirigés  contre  l'Église  romaine  ei 
contre  les  moines.  Mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  l'auteur  écrivoit  pour 
les  (juakei-s  de  la  Peusylvanio.  L'introduction  renferme  de  curieux  détaib 
sur  rétablissemenl  de  Guillaume  Penn  en  Amérique,  et  sur  la  révolntioo 
qui  rendit  indépendants  les  États-Unis.  On  y  trouve  plusieurs  chants  sati- 
riques contre  les  généraux  et  les  ministres  de  l'Angleterre,  ainsi  qu*un 
fragment  d'une  tragi-comédie,  intitulée  :  Albion,  ou  l'humiliation  méritée, 

306.  Cantico  reprehensibile  de  sier  Alessio  de  i  disconzi 
a  Selin  imperator  de  Turchi.  ln-4,  de  2  ff.  mar.  v.  fil. 
tr.  d.  (Bauzomiet) 60  ~  » 

IMèce  très-ran;  et  tr^s-sinj;ulirre,  qui  a  dû  pai-oîtro  à  Venise*  vers  1572. 
C'est  un  petit  poëme  à  l'occasion  diî  labatailh?  de  lA-pauii'.  Ce  qu'il  y  a  de 
curieux,  c'est  <|ue  les  vers  de  ce  jx'tit  [)Oéme  sont  moitié  en  latin,  moitié  on 
patois  vénitirn.  Voici  le  commencement  du  Cantico  :  «  Indigne  induperator 
sier  Selin.  —  Dedecus  magnum  de  to  niisier  Pare.  — Cùni  rcepisti  à  regnar, 
dime  mô,  quare.  —  Pacem  iurasti  per  ess»'r  sassin?  —  Frangent!  fidem,  no 
sastu  meschin,  etc.  *>  —  Nous  ne  connoissons  pas  un  autre  exemple  de  ce 
singulier  mélange.  Cette  pièce  a  dû  toujours  être  si  rare  que  l'i^iteur  du 
Trofeo^  >olume  dans  lequel  on  a  reproduit  toutes  les  com|)ositioos  publiées 
à  l'occasion  de  la  bataille  de  Lépante,  ne  l'a  pas  connue  et  ne  l'a  pas  in- 
sérée dans  son  recueil. 

367.  Nie.  Clenardi  epistolae,  quorum  posterior  iam  pri- 
mùm  in  lucem  prodit.  Antverpiœf  ex  officvia  Christ. 
PlantinU  1666;  in-8,  maroq.  citr.  fil.  Ir.  dorée  (Dtw- 
seuil) 65 — n 

Très-belle  reliure;  superbe  exemplaire. 


fai.Li/riN  nu  niBUOPiiiLE.  703 

368.  DtLoiniii.  I.a  muse  nouvelle  ou  les  agréables  diver- 
tissements du  Parnasse,  par  T.  de  Lorme,  Lyon,  1665  ; 
pet.  in-I2,  litre  gr.,  portr.,  mar.  r.  {anc.  reL)    28—» 

Voici  un  auteur  inconnu,  qui,  dan»  la  crainte,  dit-il,  qu'on  imprimât  ses 
Ter»  à  son  insu,  les  fait  imprimer  lui-mOnie,  quoiqu'ils  aient  été  composés 
au  collège  depuis  quinze  jusqu'à  dix-neuf  ans,  rt  presque  tous  inpromptu, 
Dclorme  réclame,  en  conséquetice,  l'indulgnnce  du  lecteur,  «  ne  s'étant 
jamais  appliqué  absolumejit  à  co  gcni^e  d'écrire,  et  le  barreau  ne  lui  permet- 
tant pas  do  visiter  souvent  la  double  moutugnc.  »  l\  craigDoit  probable- 
ment aussi  que  l'on  ne  publiât  son  portiait,  car  il  s'est  également  hâté  de 
le  faire  graver  avec  soin  vi  d'en  illustrer  son  ivcueil. 

J'en  cn)is  du  n»ste  et  ti»  s-\olontici"s  l'assertion  de  Delorme,  qu'il  a  eom- 
pos»'  des  vers  au  collège,  car  ce  sont  do  véritables  vers  d'écoliers  :  élégies, 
satires,  sonnets,  énigmes,  épigrammes,  et  quatrc-viiip;ts  madrigaux!  tout 
cela  écrit  avec  une  sorte  d'outrecuidance  qui  sent  tout  à  fait  le  jeune 
homme.  Viollet  le  Duc,  bibl.  poétique. 

S69.  DiALor.us  quo  multa  exponuntur  qua?  lutheranis  et 
bugonotis  gallis  acciderunt  (aut.  Nicol.  Barnaud).  — 
Oragniœ,  Adamus  de  Monte,  1573;  1  vol.  pet.  in-8, 
mar.  v.,  tr.  dor 60 — » 

«  Édition  originale  asi.e/.  rare  do  la  rt;Iaiion  du  massacre  delà  Saint-Bar- 
thélémy et  des  événements  qui  l'ont  suivi,  attribuée  par  Adrien  Baillet  à 
Théodore  de  Bî'ze,  mais  plutôt  de  Nicolas  Barnaud.  Il  en  parut,  dans  la 
même  année,  une  traduction  intitulée  .  Dialotjue  des  choses  advenues  aux 
hUhériens  et  huguenots  de  France.  iJaste,  /Ô7.>,  in-S.  L'année  suivante,  on 
ajouta  une  seconde  partie  latine  à  la  réimpi*ession  de  la  première,  sous  le 
titre  :  IHaloiji  ah  Eusebio  Philadetpho,  cosmopolita,  in  Gallorum  et  cœle- 
rarum  nationum  gratiam  compositt.  Kdimburgi^  i57-i^  inS;  et  l'on  eut 
presque  en  mém<>  tem|)s  la  traduction  fran(;oise  du  tout,  augmentée  de 
quelques  pièces  préliminaires,  »iuis  le  nouveau  titre  de  Réveille-matin  des 
François  et  de  leurs  roisins...  Edimbourg ^  ^574,  in-S.  On  se  gardera  bien 
de  confondre,  mais  on  mariera  cet  ouvrnge  avec  un  autre  Réveil  de  mômo 
date  et  format  :  Le  vrai  ResveUle-matin  des  Calvinistes  et  Publicain»,  par 
SoHrin  :  L'un  est  tout  noir,  l'autre  est  tout  blanc... 

C.  Leber. 

On  lit  dans  la  Bibliothèque  histonque.  do  P.  Marchand  :  «  Nicolas  Bar- 
naud, écrivain  peu  connu  de  la  tin  du  wr  siècle  et  du  commencement  du 
ivii*,  naquit  à  Crest  en  Daupliiné,  d'une  famille  noble.  On  ne  connott  ni  la 
date  de  sa  uaissani:e,  ni  celle  de  sa  mort  ;  on  sait  seulement  qu'il  voyagea 
en  Espagne  vers  1559,  fiu'il  étoit  h  BAle  vers  1575,  qu*il  s'étoit  établi  à 
Leide,  vers  1599;  et  à  Tergou  vn  1601.  Barnaud  était  médecin,  ou  plutôt 
alchimiste  ;  car  pres(|ue  tous  si^  écrits  roulent  sur  la  philosophie  hermé- 
tique. On  lui  attribua  le  fameux  livre  tie  Tribus  impostoribm.  Peu  après  la 


70A  HULLETl.N    DU    BIBLIOPHILE. 

saint  Baiiliélcmy,  et  lorsque  l(>s  esprits  étoient  encore  extrêmement  irrités 
de  cette  affreuse  journée,  il  composa  uu  livre  fort  violent  contre  ses  princi- 
paux instigateurs,  et  ne  manqua  pas  de  les  y  bien  dépeindre,  et  peut-être 
même  outre  mesure;  car  on  prétend  qu'il  fut  désavoué  par  ses  confrères. 
On  ajoute  de  plus,  que  Lafin,  beau-frère  de  Beauvais-la-Nocle,  Payant  ren- 
contré h  Bàlc,  dans  la  rue  FromantiOre,  le  diûtia  personnellement  de  son 
ndiscrétion.  L*ouvrage  pour  lequel  Barnaud  fut  ainsi  désavoué  et  châtié, 
est  intitulé  :  le  Réveil-matin  des  François  et  de  leurs  voisins.  » 

P.  Marchand  n'indique  «luc  la  socoudo  édition  franroise  de  l'ouvrage  de 
Barnaud.  S'il  avoit  connu  l'édition  originale  :  Dinlogus,  etc...^  il  auruit  cité 
la  date  de  l'avis  au  lecteur  :  Hasileœ,  die  7  mcnsis  quinti  ab  infausto  et  fu- 
nesto  die  proditionis.  Ceci  prouve  qu<»  rc  livre  a  été  achevé  le  7  jan- 
vier 1575,  et  (lu'à  cette  époque  l'auteur  habitoit  déjà  la  ville  de  Bâle.  Il 
auroit  encore  rappelé  le  vers  numéral  qui  teiniine  le  volume  : 
BarthoLoMuBVs  fL(^t,  qVLa  gaLLIGVs  oCCVbat  atl^s. 

370.  Directoire  uniforme,  ou  journal  commun  des  offi- 
ciers subalternes  de  chaque  couvent  des  religieux  cor- 
deliers  réformés  de  France  ;  mis  en  lumière.  Tan  1668. 
Paris,  1668  ;  1  vol.  pet.  in-12,  vél 24—» 

Ce  livre  renferme  des  détails  curieux  sur  les  règles  de  conduite  imposées 
aux  officiers  subalternes  des  cordeliers,  ainsi  qu'aux  simples  religieux,  soit 
au  dedans,  soit  au  dehors  de  leurs  couvents.  Ou  peut  lire  h  ce  sujet  les 
chapitres  du  Sacristain,  des  Quêteurs^  du  Serviteur  des  liâtes^  des  Lettre9 
missives^  etc..  Mais  cet  ouvrage  n'est  pa-^  seulement  utile  pour  l'histoirr 
des  ordres  monastiques  ;  il  intéresse  encore  les  bibliophiles.  En  effet,  le 
l«?r  chapitre  de  la  2»  partio  est  intitulé  :  du  Bibliothécaire ^  et  se  compose 
des  paragraphes  suivants  :  De  la  disposition  d'une  bibliothèqae.  — De  l'ordre 
des  livres.  —  Des  catalogues  des  litres.  —  De  la  distribution  des  livres.  — 
De  l'achat  et  choix  des  livres.  —  Du  soin  et  de  Ventretien  d'une  hiblitt 
thèque.  Malgré  les  progrès  introduits  depuis  le  xvii«  siècle  dans  l'organi- 
sation des  bibliothèques  et  dans  le  classement  d«.»s  livres,  on  s'apercevra 
que  les  moines  de  cette  époque  n'étoient  point  étrangers  à  la  science  biblio- 
graphique, et  que  l'ordre  indiqué  en  1CC8  pour  la  classification  des  volumes, 
se  rapproche  beaucoup  de  l'ordre  adopté  de  nos  jours. 

Nous  transcrirons  deux  articles  extraits  du  paragraphe  ayant  pour  titre  : 
Du  soin  et  de  Ventretien  d'une  bibliothèque. 

«t  Quand  le  bibliothécaire  tirera  quelque  livre  hors  de  sa  place,  il  arres- 
tera  les  autres  avec  des  baguettes  arrondies,  qui  soient  do  deux  ou  trois 
ligues  plus  longues  que  l'espace  d'entre  les  tablettes  d'où  il  tire  le  livre.  » 

Cette  précaution  nous  paroit  être  de  bon  goût;  car  il  n'est  rien  de  plus 
.désagréable  à  la  vue  que  des  tablettes  incomplètes,  sur  l(»squelles  des  vo- 
umes  mal  assujettis  so  renversent  les  uns  sur  les  autres. 

«  Le  bibliothécaire  aura  grand  soin  de  tenir  toujours  la  bibliothèque  bien 
rangée,  et  les  livres  en  lear  place,  sans  les  laisser  traîner  autrement.  Il 


BULLETIN    DU    BIBLIOPHILE.  705 

prendra  bien  gard»  de  no  les  laisser  ganter  ny  pourrir,  ny  ronger  par  les 
ver»  ou  par  les  souris.  Pour  en  destoumer  les  vers,  il  enduira  le  devant  do 
la  rouverturo  des  livres  avec  de  la  colle  de  farine,  dans  laquelle  il  trem- 
pera de  la  coloquinte  devant  que  de  la  faire  cuire.  Pour  les  souris,  il  mettra 
do  petiu  plats  pleins  d*eau  en  divers  endroits  de  la  bibliothèque;  car 
pourvcu  qu'elles  trouvent  à.boii"e,  elles  ne  s'attacheront  ny  au  papier  ny  au 
parchemin.  » 

Voilà  des  moyens  bien  faciles  pour  préserver  les  livres  des  ver»  et  des 
v)uris.  \ous  en  recommandons  IVssai  aux  bibliothécaires.  S*ils  sont  réelle- 
ment efîicaces,  ils  serviront  fi  prévenir  des  pertes  souvent  irréparables,  sur- 
tout lorsqu'il  s'apit  de  manuscrits. 

Nous  signalerons  encore  un  chapitre  consacré  à  la  disposition,  à  l'inven. 
taire  et  à  la  conservation  des  Archives. 

371.  Enchibidion  piariim  precationum,  cum  passionali, 

ut  vocant,  quibus  accessit  iiovum  Calendarium , 

Wuittembergiœ,  1543  ;  1  vol.   in-8,  v.  ant.,  tr.  dor.  et 
ciselée,  fig.  s.  b 68 — » 

L'éditeur  de  cet  ouvrage  luthérien  dit,  dans  la  Pn^face  :  «  Parmi  les  livres 
qtii,  pard(»s  promesses  d'indnljjciices,  des  titres  pompeux  et  de  nombreuses 
gravures,  peuvent  exciter  la  curiosité  et  tromper  un  lecteur  inexpérimenté, 
je  citerai  si>i5rialement  Vllortithts  animœ  et  le  Paradisus  animœ.  La  cor- 
rection de  ces  livres  entraîneroit  un  trop  long  travail;  il  vaut  mieux  les 
supprimer.  11  en  est  de  mCrnc  des  Libri  passionales,  où  l'on  trouve  tant  de 
choses  évidemment  inspin^es  par  l'Esprit  malin.  »  V Enckiridion  est  donc 
la  contre-partie  de  Vtlortulus  animœ.  C'est  un  recueil  de  paraphrases  et  do 
prières  empruntées  aux  plus  célèbres  luthériens,  tels  que  Luther,  Mclan- 
rhtoo,  Fredcr,  etc. 

Les  pièces  liminaires  sont:  1.  Calendarium  novum  continens motum  solis 
verum  ex  novis  tabulis  supputatum  proprie  ad  an.  xliii;... —  3.  Tabula 
magnitudinis  dierum  atque  noctium,...  toti  Europœ  inservienê; —  3.  Ta- 
Ma  regionum,  continens  insignium  locorum  Europœ  altitudinê»  polares; 
ft.  De  usu  calendarii.  Cette  œuvre  remarquable,  qui  occupe  78  feuillets, 
est  de  Érasme  Reinhold,  savant  professeur  de  mathématiques  à  Wittemberg, 
mort  en  1 553. 

Le  Passionalis  luthérien  se  compose  de  51  gravures  sur  bois,  avec  un 
texte  explicatif  imprimé  en  regard.  Les  dernières  pièces  du  volume  sont  un 
Catéchisme  hétérodoxe  et  des  Litanies  corrigées.  {Voy.  Hortulus  anime.) 

372.  Etbennes  des  Esprits  forts  (par  Diderot).  Londres^ 
1757;  1  volume  petit  in-16,  mar.  r,,  fil.,  tr.  dor.  {anc. 
rel.) 18— 


» 


h»  Pensées  philosophiques  parurent  en  J746.  Il  n'y  a  que  <J2  Pensées, 
dont  la  plupart  sont  assez  courtes;  mais  quelques-uoes  sont  hardies.  Ce- 


706  BULLETIN    DU    IIIULIOPHILL. 

pendant,  l'uutcur  sf^mblo  cncoi-c  liésitcr  :  s'il  fait  des  objections  contre  lo 
christianismr,  il  blùinc  r^.ux  qui  attaquent  la  religion.  Il  distingue  troi» 
sortes  d*athécs  :  les  irais,  1rs  sccpliqucs,  et  ceux  qui  voudraient  qu'il  n'y 
eût  point  de  Dieu,  qui  font  semblant  d'en  être  persuadés,  qui  vivent  comme 
s'ils  Vèloient  :  ce  sont  les  fanfarons  du  parti.  Did(^rot  les  déteste,  parée 
qu'ils  sont  faux.  Il  plaint  les  vrais  athi'es;  toute  consolation  lui  semble 
morte  pour  eux.  Il  prie  Dieu  pour  les  sceptiques:  Us  manquent  de  lumières» 
Ces  Pens(.^cs  furent  condamni^es  au  feu  par  un  arKl  du  parlement  de  Paris, 
le  7  juillet  17ii6.  Cette  condamnation  excita  la  curiosit*'?,  et  les  Pensées  fu- 
rent réimprimées  en  1757,  sous  le  titre  de  Ktrennes  des  esprits  forts:  mais 
cette  édition  a  un  double  titn»,  et  Ir  fsccond  est  le  mèmi'  que  relui  do  l'é- 
dition de  176G:  Pensées  philosophiques,  avec  l'épij^raplie  :  Piscis  hir  non 
est  omnium..,  Ij'EpiIre  dédicatoire  aux  esprits  forts  e:st  ai^nùc Philopisle,  et 
le  texte  est  oncore  intitulé  :  Pensées  philosophiques,  avec  a»tte  nouyellc 
épigraphe:  Qiiis  leijet  hœr?  et  c^t  avis  de»  l'autcjir  :  J  écris  de  Dieu,  je 
compte  sur  peu  de  lecteuis,  et  n  aspire  qu'à  quelques  suffrages.  Si  ces  Pen- 
sées  ne  plaisent  à  personne,  elles  pourront  n  être  que  mauvaises:  mais  je 
les  tiens  pour  détestables,  .vi  elles  plaisent  à  tout  le  monde.  \ji>  Pensées 
sont  suivies  d'une  Épître  philosoi)liique  (en  vers)  à  un  philosophe,  et  d*une 
Table  des  matières.  N'oublions  pas  lii-  sipinah'r  une  jolie  gravure  allégori- 
que, placée  entre  les  deux  titres,  (iette  réimproNsion  d'un  livre  condamné 
au  feu,  est  fort  rare. 

373.  Fénelox.  Les  Avîuitiircs  ile  IVIéniaque  ;  à  Paris» 
chez  la  veuve  de  Claude  Bavbin,  au  Palais,  sur  le  second 
penon  de  la  Sainte-Chapelle^  m.dc.xcix;  Avec  privilège 
du  Roy.  In-12  de  î2Iâ  pages,  ayant  chacune  20  lignes 
(le  texte  et  la  dernière  13  lignes  et  demie. . . .     30 — » 

Ce  volume  n'a  ni  faux  titre,  ni  pièces  préliminairi's;  mais  il  porte  un  titre 
courant  ainsi  conçu  :  les  Avantures  de  Télémaque,  et  le  titre  est  compris 
dans  les  21.'t  pages. 

Éditiouiinconnuc  de  ce  célèbre  fragment  du  Télémaque,  dont  l'iniprcsbion 
fut  arrêtée  par  ordre  du  Roi.  On  voit  (lu'elle  diffère  d'une  autre  édition  d«s 
214  pages  citée  dans  le  Manuel  de  M.  Urunet  (tom.  h>  additions,  p.  810), 
puisque  la  sienne  n'a  pas  de  titre  courant,  r{ue  les  pages  ont  22  lignes,  et 
que  le  titre  n'est  pas  compris  dans  les  216  pages. 

Il  est  probable  que  Texemplairc  décrit  par  M.  Bnmct  est  le  même  qui  a 
été  annoncé  par  M.  B.  (Bourdillon),  dans  lo  Feuilleton  du  Journal  de  la 
Librairie  du  25  mai  IShh-,  et  qu'on  a  vu  exposé  chez  M.  II.  Labitte,  libraire, 
quai  Malaquais. 

Ce  fut  la  note  de  M.  Bourdillon  qui  motiva  les  observations  publiées  en 
1844,  par  l'abbé  Caron,  dans  les  8  pages  d'additions  et  corrections  de  ses 
Recherches  bibliographiques  sur  le  Télémaque. 

M.  Caron  no  pense  pas  que  l'édition  de  214  pagi>s  soit  antérieure  à  celle 
du  même  fragment  en  208  pages,  que  l'on  a  regardée  jusqu'ici  comme  la 


nULLETlN  DU  BIBUOPHILË.  707 

preinièru.  il  n'a  peut-^tre  pas  tort  ;  uiais  les  raisons  qu*il  donne  pour  Justi- 
fier son  opinion  ne  semblent  pas  tout  à  fait  convaincantes  et  présentent 
même  quelques  inexactitudes. 

Il  accuse  M.  BourdiUoii  d'avoir  dit  que  Tédition  de  208  pages  ne  contient 
pas  de  privilt'g:c,  tandis  que  ce  dernier  ne  vouloit  parler  que  de  Fédition  do 
314  pages,  en  faisant  observer  que  ce  document  «seroit  venu  à  la  fin  du 
«  volume  ou  de  l'ouvrage,  si  Timprcssion  n'en  eût  pas  été  arrêtée  subit»- 
«  ment;  •  ce  qui  tend  simplement  à  di^montrer  que  Tabsence  du  privilège 
ne  prouve  rien  contre  la  priorité  de  cette  édition.  Quant  aux  fautes  gro«- 
sières  qui  dûpan^nt  l'édition  de  208  pages,  elles  seroient  loin  d'appuyer 
son  authenticité,  comnio  on  Ta  souvent  prétendu;  et  le  feuillet  des  fautei  à 
corriger  militeroit  encore  inoins  en  sa  faveur,  car  on  sait  très-bien  qu*un 
Errata  ne  s'imprime  jamais  (juc  Iors(iue  l'ouvrage  est  terminé. 

On  a  dit  que  l'exemplait-c  exposé  chez  M.  Labitte  paroissoit  d'une  im- 
pression plus  modenie  que  celle  des  208  pages.  Cette  remarque  ne  peut 
s'appliquer  à  notn'  t^ition  de  214  pages,  qui  a  bien  certainement  été  impri- 
mée avec  les  caract^res  dont  Barbin  s'étoit  ser\'i  plusieurs  fois  pour  des  ou- 
vrages antérieurs  à  notre  fragment,  et  notamment  pour  les  œuvres  diveneê 
dm  r  I).  Il***  (Hesnault),  1670,  in-12,  et  pour  la  Montre  de  Bonnecorse, 
1671,  2  part,  in-12. 

Notre  exemplaire  est  donc  plus  ancien  (|ue  celui  des  214  pages  décrit 
par  MM.  Brunet  et  Bourdillon ,  et  il  nous  parolt  mériter  la  qualité  d'édi- 
tion inconnue  que  nous  lui  avons  donnOe  au  commencement  de  la  présente 
note. 

E.  Castaigne,  Bibliothécaire. 

37à.  Fond  (le)  du  Sac,  ou  restant  des  babioles  de  M.  X., 
membre  éveillé  de  l'académie  des  Dormans  (Félix  No- 
garet).  Venise  [Paris,  Cazin),  1780;  2  tom.  en  1  vol. 
pet.  in-12,  fig.  ,d.  rel.  mar.  vert 28 — » 

Ce  recueil  de  pièces  fugitives  en  prose  et  en  vers,  est  orné  de  neuf  jolies 
gravures  sur  acier,  et  d'un  portrait-caricature  de  l'auteur.  C'est  un  char- 
mant petit  volume,  dans  lequel  on  remarque  des  vers  facilement  tournés, 
et  des  analyses  critiques  de  VOrigine  île  l'Eventail,  par  Gray,  de  la  Syphilis, 
de  Frasrator,  des  deux  Imitations  du  temple  de  Gnide,  par  Colardeau  et 
Léonard ,  etc. 

Quelques  pièces  un  peu  libn>s  et  des  pensées  assez  hardies  engagèrent 
sans  doute  Nogarct  à  garder  l'anonyme  ;  mais  il  laisse  deviner  son  nom 
lorsqu'il  dit,  dans  la  Préface  :  «  n  y  a  des  lecteurs  qui  ne  savent  point  lire, 
«  aux  yeux  de  qui  un  o  accouplé  avec  un  u  est  la  même  chose  que  si  Vo 
«  étoit  tout  seul  :  ceux-là  m'attribuent  des  choses  qui  ne  sont  point  de  moi, 
«  Dieu  merci.  —  J'ai  en  aversion  les  u  joints  avec  les  o.  Cette  diphtongue 
«  OU-OU  ou  n'est  bonne  qu'à  effaroucher  :  je  n'en  veux  point.  •  On  com- 
prend aisément  que  Nogarct  se  plaint  de  ce  qu'on  lui  attribue  certains 
ouvrages  de  Nougaret,  écrivain  du  même  genre  et  de  la  même  époque. 


708  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

375.  Formulaire  (le),  ou  la  manière  d'instruire  les  en- 
fans  en  la  chrestienté,  fait  en  manière  de  dialogue,  où 
le  ministre  interrogue,  et  l'enfant  respond,  s.  1.,  1561  ; 
in-16,  cart 45  —» 

Trks-rare. —  Ce  petit  ouvrage,  imprimé  en  caractères  cun>if8,  n'est  autre 
cliose  qu'un  catéchisme  protestant.  L'auteur  lui  a  donné  le  titre  de  Formulaire, 
afin,  sans  doute,  qu'il  ne  fût  pas  confondu  avec  les  livres  catholiques  du  même 
genre.  Cependant,  on  lit  au  bas  du  dernier  feuillet  :  Fin  du  catéchisme. 
Cette  instruction  comprend  les  articles  de  la  foi,  insérés  au  Symbole,  les 
dix  Commandements,  l'Oraison  et  spécialement  l'Oraison  dominicale,  la  pa- 
role de  Dieu,  et  ennn  les  Sacrements  réduits  à  deux  :  le  Baptême  et  la 
Sainte  C6ne. 

376.  Gryphii  [And,)  mumiœ  Wratislavienses.  Wratii' 
laviœ,  1662  ;  pet.  in-12,  fig.,  vél 18—» 

\ndré  Gryph ,  poGte  allemand ,  naquit  à  Glogau ,  en  Silésic,  le  2  octobre 
1616.  Il  voyagea  successivement  en  Hollande,  en  Angleterre,  en  France  et 
en  Italie,  où  il  contracta  une  étroite  amitié  avec  les  savants  les  plus  distin- 
gués. En  1647,  il  fut  nommé  syndic  des  Ëtats  de  la  principauté  de  Glogau; 
il  mourut  le  16  juillet  166/j. 

(iOtte  dissertation  fut  compos»^.  à  l'occasion  d'une  momie  égyptienne 
conser\'é<î  à  Breslau,  et  (examinée  dans  tous  ses  détails  par  A.  Gryph,  en 
1656.  On  voit,  p.  41,  une  curieuse  gravure  sur  cuivre,  représentant  cette 
momie. 

Ce  petit  volume  est  assez  rare  ;  je  ne  l'ai  pas  vu  figurer  parmi  les  ouvrages 
de  Gryph. 

377.  HoRTCLUs  ANIME,  cum  aliis  quamplurimis  orationi- 
bus  pristine  impressioni  superadditis.  [Impemis  probi 
viri  Joannis  Koberger  civis  Nuremberg.  Impressus  :  finem 
optatum  8(n*iitti$  est  Lugduni  arte  et  industria  Joan.  Clan 
chalcographi.  an.  1517);  1  vol.  in-8,  goth.,  mar.  noir, 
tr.  dor.,  fig.  s.  bois 70 — « 

Rare  et  curieux.  —  VHortulus  animœ  fut  imprimé  pour  la  première  fois 
à  Strasbourg,  GuilL  Schaffner,  1498,  in-8,  fig.  La  seconde  édition  paraît 
Atre  celle  de  Strasbourg ,  Griininger,  1500.  On  lit  dans  le  Manuel  du  libraire  : 
«  VHortulus  anim'z  est  un  livre  ascétique  qui  a  été  souvent  réimprimé  an 
commencement  du  xvi*  siècle,  et  dont,  à  cause  des  figures  en  bois  qtii  le 
décorent,  on  recherche  encore  assez  les  exemplaires  bien  conservés.  H  y  eo 
a  une  traduction  allemande  impr.  pour  la  première  fois  à  Stra^nmrgs  che% 
Gruninger,  en  1503,  in-8,  avec  57  fig.  gravées  sur  bois.  » 


BULLETIN  DU  BIBLIOPIILE.  709 

Selon  Pi-os|)or  Marchand,  ce  livm  est  chargé  de  figures  impertinentes.  Il 
rite  comme  ridicule  celle  qui  reprtVnte  David  considérant  Bethsabée  dans 
le  bain,  et  frapp*?  d'un  trait  décoché  par  Cupidon;  il  cite  comme  indécente, 
rello  qui  représente  S**  Ursule  exposée  nue  aux  regards  d'un  cavalier.  Les 
ligures  de  ri'dition  do  Strasbourg  ne  sont  point  reproduites  dans  Tédition 
de  l^yde,  1317.  Cependant,  on  y  trouve  encore  des  gravures  assez' singu- 
lières, tell&s  c|ue  la  S»*"  Trinité  (f.  83),  la  Tentation  de  S.  Antoine  (f.  122), 
S.  Bernard  ix'cevant  dans  l'œil  un  jet  du  lait  de  la  S*»*  Vierge,  S*''  Gertrude 
obsédée  par  des  diablotins  ï|ui  grimpent  le  long  de  sa  quenouille  (f.  135). 
S**  Ursule  est  complètement  et  richement  vêtue  ;  mais  sa  pudeur  doit  être 
bien  effarouchée  par  la  tenue  hardie  des  deux  Satires  qu'on  voit  dans  l'en- 
cadrement de  cette  gravure  (f.  139). 

Ce  livre,  imprimé  en  beaux  caractères  gothiques,  rouges  et  nbirs,  est 
parfaitement  conservé.  Toutes  les  pages  sont  encadrées.  Les  80  gravures 
sur  bois  qu'il  renferme  sont  généralement  bonne»,  et  souvent  remarquables 
par  la  finesse  de  la  pointe,  la  beauté  des  portraits  et  l'élégance  des  cos- 
tumes. 

Le  cah'ndrier  placé  en  tête  du  volume  est  accompagné  de  préceptes  astro- 
logiques, médicaux  et  agricoles,  rédigés  en  vers  latins.  Il  est  suivi  d'une 
table  des  signes,  dos  lettres  dominicales,  des  nombres  d'or,  et  des  fêtes 
mobiles  pour  cent  ans,  ainsi  que  de  quelques  notions  astronomiques,  expli- 
quées d'une  manièn;  fort  singulière. 

Sur  le  dernier  feuillet  du  livre,  on  voit  la  marque  de  l'imprimeur. 

378.  La  Motte.  Fables  de  M.  de  La  Motte,  de  l'Académie 
franroise.  Paris,  au  café  dÉlie^  1723;  1  vol.  petit 
in-8 10— 

Ce  titre  indique  très-imparfaitement  ce  que  renferme  le  volume.  En  effet, 
outre  les  fables  de  La  Motte,  on  y  trouve  ces  mêmes  fables  refaites  en  vers 
françois  par  Gacon,  le  poëte  sans  fard.  Ce  sont  des  satires  violentes  diri- 
gées contre  La  Motte.  Au  surplus ,  le  plan  de  l'ouvrage  est  nettement  ex- 
pliqué dans  une  phrase  de  la  prétendue  Apologie  de  M.  Houdarl  de  La 
Motte,  par  l'abbé  de  Pons,  critique  mêlée  de  prose  et  de  vers,  composée  par 
Gacon  et  imprimée  en  tête  du  volume  :  «  Mais  le  comble  de  la  malice  de 
Gacon  est  d'avoir  mis  et  traduit  en  vers  françois  les  fables  de  M.  de  La 
Motte,  disant  pour  ses  raisons  que  le  privilège  qui  défend  de  les  mettre  en 
latin,  en  grec  et  en  hébreu,  n'a  point  défendu  de  les  mettre  en  langue 
françoisc.  »>  On  trouve  encore  à  la  fin  du  volume  trois  lettres  satiriques  mê- 
lées de  prose  et  de  vers. 

H  nous  paroît  démontré  qu'il  n'y  a  eu  qu'une  édition  de  ce  livre,  et  qu*afin 
de  le  vendre  plus  facilement,  le  libraire  a  substitué  au  titre  primitif:  Les 
Fables  de  Houdart  de  La  Motte ,  trad.  en  vers  par  le  P.  S.  F.  Asînus  ad  Ly- 
mm,  et  se  vend  nu  café  du  mont  Parnasse,  s.  d.,  celui-ci  :  Fables  de  M.  de 
La  Mottey  de  VAcad.  franc.  Paris,  au  café  d'Elie,  47Î3.  On  peut  remarquer 
qtie  ce  dernier  titre  diffère  complètement  du  texte  par  le  papier  et  les  ca- 
ractères. 


710  BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE. 

François  Gacon,  ité  à  Lyon  en  1667,  étoit  prieur  de  Bâillon ,  près  Beau» 
montHsur-Oise,  lorsquMl  mourut  le  15  novembre  1725.  Peu  d*écrivaiiiB  eô- 
lèbrcs  ont  échappé  aux  critiques  et  aux  invectives  de  Gacon.  Les  rédactenrs 
de  la  Biographie  universelle  ont  jugé  très-«évèrement  ce  poCte  satirique  : 
«  Nous  avons  eu ,  disent-ils ,  de  plus  mauvais  petites  que  Gacon  ;  nous  n*en 
avons  pas  eu  do  plus  méprisés.  Son  nom  est  devenu  une  injure.  Ce  n'est 
point  pour  avoir  composé  des  satires ,  ce  n*est  pas  mCme  pour  avoir  fait 
souvent  de  méchants  vers,  qu*il  s*est  déshonoré  :  tous  les  genres  de  satire 
ne  sont  pas  blâmables;  mais  lorsqu*une  basse  méchanceté  dirige  la  plume 
du  satirique  ;  lorsquMl  attaque  sans  sujet  et  sans  pudeur  les  hommes  les 
plus  vertueux ,  les  talents  les  plus  distingués  ;  lorsque  enfin  il  a  l'air  de 
spéculer,  pour  vivre,  sur  le  scandale  et  la  calomnie,  eût-il  d^ailleurs  un  es- 
prit supérieur,  il  ne  peut  espérer  d'échapper  au  juste  mépris  de  ses  conci- 
toyens. » 

379.  Le  livre  de  plusieurs  pièces.  Patis,  Amould  LAn- 
gelier^  15AS,  in-16,  mar.  citron,  fil.  tr.  dor.  {Bau^ 
zonnet  ) 150 — n 

Exemplaire  de  Courtanvaux  et  de  Meoii  de  l'édition  la  plus  complète. 

Ce  recueil,  qui  est  très-rare,  contient  :  Discours  du  voyage  de  Constadti- 
noplc,  par  de  La  Borderie. — La  fable  du  Faulx  cuider.~La  Saulsoye.— Dé- 
ploration  de  Vénus  sur  la  mort  du  bel  Adonis.  —  Chansons.  —  Le  proeès 
d'Ajax  et  d'LMixes  pour  les  armes  d'Achille,  translaté  en  langue  tençdse 
par  Jacques  Colin,  abbé  de  Saint-Ambroise.  — Conformité  de  TaniourM 
navigage.  —  La  Mort  et  la  Résurrection  d'Amour,  le  Blason  des  cbereni  et 
autres  compositions,  le  tout  en  vers. 

380.  Livre  (le)  de  prières  et  oraisons.  S.  1.,  par  Jean 
Bonne-foyy  1558;  — l'Instruction  des  escoliers.  S.  L 
n.  d.  ;  en  1  vol.  pet.  in-12 ,  cart 28 — » 

Ce  recueil  do  prières,  à  l'usage  des  protestants  pour  toutes  les  droon- 
stances  de  la  vie ,  pourroit  ùtre  facilement  confondu  avec  les  Uvres  de 
prières  catholiques,  surtout  après  avoir  lu  le  second  titre  :  Dévotes  orttt- 
sons  très-utiles  pour  former  les  consciences  et  mœurs  des  fidèles.  Toutes  ees 
prières  sont  composées  asseï  habilement  pour  que  le  sens  hétérodoxe  échappe 
à  ceux  qui  les  liront  supcrlicicUemeut. 

On  a  relié  dans  le  même  volume  l'Instruction  des  Ecoliers,  Ce  petit  ou- 
vrage est  divisé  en  deux  parties.  La  première,  écrite  en  vers  françois,  m» 
fermc  les  devoirs  d'un  écolier  envers  Dieu  et  envers  ses  maîtres,  des  exhor- 
tations au  travail  et  des  préceptes  de  conduite.  La  seconde  partie ,  mêlée 
de  prost"  et  de  ve»,  contient  les  prières  à  Tusage  do  l'école  protestante  de 
Lausanne.  L'Instruction  des  Ecoliers  est  suivie  du  Jftroir  de  la  Jeunesse , 
par  Mathurin  Cordier,  traduit  en  vers  frant.*tns,  et  enfin  d'uu  petit  Discoure 
(poétique)  sur  les  cotNmatidemcnts. 


BULLEim   DU   BIBUOPHILE.  7il 

S81.  LucEMBOURG  (Piètre  de).  Le  voyage  spirituel  du 
pèlerin  de  saincte  mère  l'Eglise  romidne.  Monseigneur 
s^nct  Pierre  de  Lucembourg  iadis  illustrissime  cardi- 
nal, autbeur.  Auquel  est  insérée  une  epistre  liminaire, 
descouvrant  aucunes  fallaces  et  faussetés  des  hérésiar- 
ques; et  vers  la  fin  dudict  voyage  est  comprinse  la  vie 
du  glorieux  sainct  Pierre  de  Lucembourg.  Avignon^ 
1562;  1  vol.  pet.  in-8,  v 36—» 

Tùs-RARB.  —  Le  Voyage  spirituel  a  été  traduit  du  latin  par  Pierre  de 
Sure,  d'une  famille  noble  du  Lyonnois,  religieux  célestin  à  Avignon.  Il  avoit 
été  traduit  antérieurement  sous  le  titre  de  le  Chemin  de  pénitence,  lequel 
chemin  a  trois  journées  de  long,  Paris^  s.  d.,  in-4°,  Goth.  Ces  deux  traduo 
tioas  sont  aussi  rares  l'une  que  l'autre  ;  mais  celle  de  P.  de  Sure  offre  plus 
d'intérêt.  En  effet,  il  ne  s'est  point  borné  à  reproduire  en  françois  le  Voyage 
mjTstique  du  cardinal  Pierre  de  Luxembourg  :  il  a  Joint  à  cet  ouvrage  plu- 
sieurs pièces  en  vers  et  en  prose. 

La  première  est  un(^  épi  ire  de  cent  soixante  vers  françois  adres8<';e  au 
ckrestien  catholique  ;  la  seconde  est  une  épitre  dédicatoire  à  Laurent  d'Ar- 
pi^oo,  baron  de  Rochefort,  datée  d'Avignon,  le  15  août  1561.  Cette  épitre 
en  prose,  de  soixante-seize  pages,  est  dirigée  contre  les  luthériens  et  les  cal- 
vinistes; elle  renferme  beaucoup  d'érudition.  L'auteur  cite  à  tout  propos  les 
Grecs  et  les  Romains  ;  mais  les  expressions  dont  il  fait  usage  nous  parois- 
tent  aujourd'hui  assez  singulières.  En  voici  un  exemple  :  «  Si  me  souviens 
de  Mennon,  puissant  seigneur  et  colonel  de  l'armée  démesurée  que  Darius 
dressa  contre  Alexandre,  qui,  ouyant  à  sa  présence  ung  soldard  mal  parler 
dadict  Alexandre,  luy  donna  subit  d'une  halbarde  sur  le  cr&ne  si  gratieU' 
sèment  qu'il  l'estendit  mort.  •  n  faut  lire  dans  cette  épitre  le  récit  curieux 
d*an  miracle  opéré  par  saint  Pierre  de  Luxembourg,  qui  ressuscita  un  enfant 
tombé  du  haut  d'une  tour,  et  tellement  brisé  de  sa  chute  que  son  père  l'em- 
porta dans  un  sac.  Cette  première  partie  du  volume  est  terminée  par  neuf 
stances  de  onze  vers  chacune,  sur  la  Vénération  des  Saincts,  Le  Voyaye  spi- 
rituel commence  au  quarante-quatrième  feuillet.  Vient  ensuite  une  Oraison 
médiocre  déclarant  en  brie  fia  vie  de  S.  Pierre  de  Lucembourg  prononcée 
par  ung  jeune  escalier.  Cette  Oraison  est  suivie  du  Concile  des  Muses.  C'est 
une  étrange  idée,  même  de  la  part  d'un  moine,  d'avoir  fait  parler  les  Muses 
contre  Luther  et  Calvin.  Le  poète  entre  ainsi  en  matière  : 

Au  Chastelet  des  paciflcques 

Je  trouvay  les  Muses  encloses, 

Gringotans  à  leurs  voix  celicques 

Vne  diversité  de  choses, 

Dond  en  cueillant  certaines  roses 

La  première  se  print  à  dire. 

Et  moy  (si  escouter  tu  l'ouses) 

Subit  par  bel  ordre  l'escrire. 


712  BULLETIN    DL    BIBUOPHILË. 

Voici  les  derniers  vers  prononcés  par  Galliope  : 

Que  ne  tiens-tu,  Cuhin  faulx  et  menteur, 
L'ordre  que  Dieu,  nostr<;  l-gislatour, 
A  son  Église  ofTrc  pour  héritage? 
Tu  tomberas  dans  l'infernal  cstaigo, 
Et  seras  dict  à  jamais  novateur, 
Ung  fol  bien  fol. 

La  dernière  pUiCQ  du  volume  est  intitulée  :  Pour  ung  de  nouveau  con- 
verti, 

382.  Martyr  Vermile  {Pierre).  Saintes  prières  recueillies 
des  psaumes  de  David  par  le  docteur  Pierre  Martyr 
Vermile  Florentin;  trad.  de  lat.  en  franc.  LaBochelU, 
P.  HaultiUf  1581;  i  vol.  in-16,  mar.  v.,  fil.,  tr,  dor. 
{anc.  rel) 28—» 

llAiiK.  —  Piorre  Martyr  Vormilio,  célèbre  théologien  du  wi*  siècle,  niquit 
à  Florence  le  8  sei)tcmbi'e  1500,  et  mourut  à  Zurich  le  12  novembre  1562. 
A  seize  ans  il  entra  chez  les  chanoines  réguliers  do  Saint-Augustin.  Sei 
nombreux  ouvrages  lui  acquii-ent  uno  grande  réputation  et  lui  frayèrent  la 
route  des  dignités  monasti(iues.  Mais  Pierre  Martyr  étoit  l'un  des  amis  de 
Bcm.  Ochin  ;  il  penchoit  vers  les  nouvelles  doctnnes;  do  plus,  il  avoit  été 
chargé  des  fonctions  de  visiteur  général ,  et  il  les  avoit  remplies  avec  beau- 
coup de  sévériti'.  Kn  1542,  ses  ennemis  l'accus«»rent,  et  voulurent  le  forcer 
à  comparoltre  d(?vant  le  chapitre  général  de  son  ordre,  assemblé  à  Gêne*. 
Pierre  Martyr,  craignant  les  suites  do  cette  affain*,  se  réfugia  en  Suisse,  et 
embrassa  ouvertcnn-nt  la  religion  calviniste.  Il  passa  ensuite  en  Angleterre 
avec  Ochin,  et  aida  le  fameu\  Craninicr  dans  la  réforme  de  rÉgiiso  angli- 
cane. Lorsque  la  i-eine  Marie,  monta  sur  le  ti-one,  P.  Martyr  rcwint  en  Suiase. 
n  professa  la  théologie  dans  plusieurs  villes,  et  en  dernier  lieu  à  Zurich,  où 
il  mourut. 

ApK^s  la  mort  de  P.  Martyr,  si>s  manuscrits  furt^nt  recueillis  par  Josias 
Slmler,  l'un  de  ses  élèves,  qui  publia  les  Preces  ex  psalmit  Davidit 
dtsumptœ.  Zurich,  1^66,  in-IG,  Cet  ouvrage  fut  traduit  en  anglois,  puis  en 
françois,  sous  le  titre  d(î  Prières  chrétiennes.  Lyon,  m-/tf.  Est-ce  la  mOme 
traduction  qui  a  été  imprimée  à  la  Hochelle  avec  un  tkrc  dilTéreutt  Nous 
l'ignorons  complètement.  Au  surplus,  nous  ne  connoissons  |)oint  la  daU* 
de  l'édition  de  Lyon,  qui  pourroit  ôtre  postérieure  à  la  nôtre. 

Les  Saintes  Prières  ^  publiées  à  la  Uoch(^ll<\  sont  accompagnées  de  trois 
pièces  de  poésie  calviniste  :  1<»  Prières  ijénéraies ,  composi'-es  de  deux  cent 
dix  vers;  2"  Complainte  chrcstienne  adressée  à  Dieu,  sur  lu  de/fcnce  de 
son  Eglise.  On  trouve  dans  ce  petit  ivoénie,  divisé  en  trois  chnnts,  dt»s  allu- 
sions aux  Guise*,  ùlu  Ligue  fonni'e  en  1570,  ot  même  au  siège  de  la  Rochelle 
en  1573;  3°  une  Paraphrase  de  l'Oraison  dominicale.  On  lit  au  bas  du  der- 
nior  fouiller  :  Servir  à  Dieu^  c'est  Régner,  e«  au-dessous  les  initiales  Y.  R. 


BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE.  713 

£n  supposant  que  cette  sentence  renferme  une  allufiion  au  nom  du  traduc- 
teur ou  à  celui  du  poCte,  on  pourroit  en  conclure  qu*il  ae  noumoit  Yve», 
ou  plutôt  Ysaac  Régnier. 


PUBLICATIONS    NOUVELLES 


388.  Dialogue  de  Thoinelte  et  d'Alizon,  pièce  inédite  en 
patois  lorrain  du  xvii*  siècle  publiée  et  annotée  par 
H.  Albert  de  La  Fizelière.  Paiis,  1856;  in-12  de  82  p. 
broché 5—» 

On  voit  tant  d'excellents  espriîs  rechercher  aujourd'hui  les  anciens  nio- 
Duments  du  langage  écrit  de  nos  pères,  ()u'on  doit  s'estimer  heureux  de 
pouvoir  ofTrir  un  nouvel  aliment  à  leurs  investigations.  Telle  est  l'opinion 
de  notre  collaborateur,  M.  Albert  de  La  Fizelière;  aussi  vient-il  de  publier 
avec  tout  le  soin  qu'on  peut  mettre  h.  un  bon  livre,  un  curieux  manuscrit 
du  x\ii*  sil'cle,  en  patois  de  la  Lorraine. 

Il  y  a  Joint  un  Glossaire  et  a  dirigé  l'impression  de  ce  petit  trésor  biblio- 
graphique, de  manière  à  le  rendre  digne  de  l'attention  des  linguistes  et  des 
bibliophiles. 

Le  Dialogue  de  Thoinettc  et  d'Alizon  provient  d'ailleurs  d'une  source 
tout  à  fait  estimable,  et  l'origine  de  ce  document  précieux  doit  encore  en 
augmenter  l'intérêt  aux  yeux  dos  lecteurs  qui  connoissènt  l'histoire  litté- 
raire de  Metz  et  de  la  I^orrainc.  Il  avoit  été  trouvé  jadis  dans  les  papiers 
du  célèbn>  Paul  Ferry,  et  avoit  passé  do  là  dans  la  bibliothèque  bien  connue 
du  conseiller  Ferry  de  Talange. 

Ce  petit  opuscule,  tiré  seulement  à  65  exemph  sur  papier  vergé,  et  à  10 
aur  papier  de  chine  et  sur  papier  vélin,  est  à  la  fois  un  document  précieux 
pour  la  langue,  et  une  rareté  bibliographique. 

384.  Notes  et  documents  pour  servir  à  l'histoire  de  Join- 
ville,  par  M.  J.  Feriel,  in-8  de  80  pages  avec  portrait, 
sceaux  et  fac-similé 2 — 25 

Dès  1835,  M.  J.  Feriel  a  publié  une  histoire  de  Joinville,  mais  cet  ou- 
vrage n'étoit  pas  sans  défaut.  I/es  notes  sur  Joinville  avoient  été  réunies 


714  BULLETIN    nu   BIBUOPHILE. 

avec  plus  de  zèle  que  do  patiente  observation  ;  en  outre,  il  renfermoit  des 
fautes  typographiques  beaucoup  trop  nombreuses  pour  Thonneur  d'une 
presse  parisienne.  Aussi,  de  1838  à  18A1,  M.  Fericl,  visiteur  et  explorateur 
assidu  des  archives  départementales,  nourrissoit-il  le  projet  de  donner  sur 
Joinville  des  détails  plus  exacts  et  plus  complets.  La  réalisation  de  ce  pro- 
jet, indéfiniment  ajourné  par  le  temps  et  los  événements  vient  d*ètre  enfin 
mise  à  exécution.  On  trouve  dans  les  Notes  et  documents  de  curieux  dé- 
tails :  les  hôpitaux,  les  couvents,  l'église  paroissiale,  la  maison  de  plaisance 
des  ducs  de  Guise  y  sont  Tobjet  d'autant  de  descriptions  où  l'attrait  de  la 
forme  se  joint  au  mérite  du  fond.  Des  pièces  caractérisant  les  mœurs  locales 
viennent  k  chaque  instant  interrompre  la  narration.  Cet  opusi'ule  se  ter- 
mine par  redit  d'érection  de  Joinville  en  princ4)auté,  sous  le  roi  Henri  II, 
et  par  un  procès-verbal  énonçant  les  richesses  c|ue  possédoit,  en  1790,  l'é- 
glise seigneuriale  détruite  en  1793. 

On  y  a  joint  le  |>orti-ait  inédit  d'Antoinette  de  Bourbon,  duchesse  de 
(iuise,  une  planche  d<^  médailles  et  de  sceaux  également  inédits,  dont  les 
originaux  sont  rares  ot  presque  introuvables,  et  enKn  le  fw-similt  de  la 
signature  des  dur^c  Guis4\  soigneurs  do  Joinville.  M.  Hector  Guiot,  pro- 
fesseur de  dessin  au  lycée  de  Chaumont,  est  l'auteur  de  rps  planches, 
illustrations  utiles  dont  on  ne  sauroii  tn»p  louer  ri\éc'iTiiin  et  l'oppor- 
tunité. 

Pensez-vous  que  ces  notes  et  diX'uments,  ces  des>ii:N  inrt-i'C'isent  l«»  vul 
pays  Haut-Maniais?  Non,  l'histoire  générale  y  trouveroi;  :iu>si  son  profit; 
mais  Thistoin*  p'néralo  est  exilusive  et  ne  va  pas  ii'-vz  rJ:  ';cJier  se*  élé- 
ments dans  les  livres  de  MM.  le>  'iavants  de  provinro.  Klle  a  tort  ;  c'est  là 
qu'elle  peut  trouver  bien  des  petits  faits  expliquant  de  grandes  chuses,  ou 
tout  au  moins  les  détail>  qui  animeront  >on  rrcit. 

J.  Carwndft, 


ERRATUM  DE  LA  PRÉCÉDEXTE  LIVRAISON. 

Page  620,  au  lieu  de:  itùS,  Heliodonui..,.^  lise/:  tin.  Xarrrationes 
fimaforùp Ki  fr.  am  lieu  de:  570  fr. 


BULLETIN 


DU 


BIBLIOPHILE 

> 

REVUE    MENSUELLE 
PUBLIÉE  PAR  J.    TECHENER 

A  TEC     LE    C0NC00R8 

Di  MM.  L.  Babbibr,  conservateur-administrateur  à  la  bibliothèque  du 
Loam;  BoiTCAD  d'ÀMBLY ;  Ap.  Briquet;  G.  Brunbt;  Ensèbe  Castai- 
«KB,  bibliothécaire  à  Angoulôme  ;  J.  Chenu  ;  V.  Goosin,  de  TAcadé- 
mie  françoLsc;  Cuviluer-Fleury ;  Dbsbarreaux-Bernard,  bibliophile; 
A.  DmAux;  A.  Ernoup,  bibliophile;  Ferdinand-Deiii s,  conservateur  à  la 
bibliothèque  Sainte  -  Geneviève  ;  J.  de  Gaillon  ;  Alfred  Giraud  ; 
GmANGiKR  DE  La  MARINIERE ,  bibliophile  ;  P.  Lacroix  (Bibuophile  Jacob)  ; 
J.  Lamoobeui  ;  G.  Lbber  ;  Leroux  de  Lincy  ;  P.  deMalden  ;  de  MoNMERQui  ; 
Fb. Morand;  Pauun  Paris,  de  Tlnstitut;  Louis  Paris;  D'  J.  F.  Payen; 
Philarètb  Chaslbs,  conservateur  à  la  bibliothèque  Mazarine  ;  J.  Pichon, 
président  de  la  Société  des  bibliophiles  franco  is;  Seroe  Poltoratzei; 
Rathery,  bibliothécaire  au  Louvre;  Rouard  ;  S.  de  Sacy,  de  rAcadémie 

»  françoise  ;  Sainte-Beuve,  de  l'Académie  françoise  ;  Ch.  Weiss  ;  Yem eniz, 
de  la  Société  des  bibliophiles  françois  ;  etc.,  etc., 

contenant  des  notices  bibliographiques,  philologiques,  histo- 
riques, littéraires,  et  le  catalogue  raisonné  des  livres  de 
l'Éditeur. 

MAI   ET  JUIN. 


DOUZIÈME  SÉRIE 


A  PARIS 

J.  TECHENER,  LIBRAIRE 

RUE  DE  L'ARBRK  SEC,  52,  PRÈS  DE  LA  COLONNADE  DU  LOUVRE. 

1856. 

— 


J 


Sommaire  du  n"*  de  mai  et  juin  de  la  douzième  série  du 

Bulletin  du  bibliophile. 


DES  ACCUSATIONS  DE  PLAGIAT  LITTÉRAIRE,  par 
François  Morand 717 

NOTICE  BIOGRAPHIQUE  ET  LITTÉRAIRE  SUR 
JEAN  DOURLËT,  poète  dieppois,  par  le  vicomte  de 
Gailloû 739 

LA  SOCIÉTÉ  DES  BIBLIOPHILES  ANGLOIS,  par 
M.  Cuvillier-FIeury 757 

BIBLIOTHÈQUES  PUBLIQUES  DES  DÉPARTE- 
MENTS        763 

NOTICE  HISTORIQUE  SUR  LES  MANUSCRITS  DB 
LA  BIBLIOTHÈQUE  DE  TROYES,  par  M.  Harmand, 
bibliothécaire 76ft 

LES  LIVRES  QUI  NE  SE  VENDENT  PAS.  —  Essais 
divers,  lettres  et  pefisèes  de  J/"*  de  Tracy,  par  A. 
Teulet 772 

ANALECTA-BIBLION.  —  Histoire  du  ifrieuré  du  Mont- 
aux^Malades-ïès-RoucHy  par  Paulin  Paris 775 

REVUE  DE  PUBLICATIONS  NOUVELLES 784 


DES  ACCUSATIONS 


PLAGIAT   LITTÉRAIRE 


n  a  été  composé  un  assez  grand  nombre  de  traités  spéciaux 
le  plagiat  et  les  plagiaires.  On  a  donné  à  leurs  auteurs  la 
qnaUflcation  de  plagiaristes.  Je  n'en  connois  aucun,  et  je  com- 
mence par  le  déclarer,  pour  que  Ton  n'attende  pas  de  ce  qui  va 
suivre  un  travail  d'érudition.  Ces  ouvrages  sont  rares  :  ils  me 
manquent  dans  le  lieu  que  j'habite,  et  je  n'ai  ni  le  loisir  de  les 
rechercher,  ni  le  temps  de  les  consulter  là  où  je  pourrois  les 
tnmver.  Je  me  borne  dès  lors,  pour  le  moment,  à  savoir  qu'ib 
existent;  et  d'ailleurs  ils  ne  me  sont  pas  nécessaires  pour  ce 
que  j'ai  à  dire.  Les  plus  simples  lectures  et  un  peu  de  raison- 
nement m'y  suffiront. 

Je  me  place,  pour  parler  du  plagiat,  sous  un  point  de  vue 
négatif.  Non  pas  que  je  veuille  révoquer  absolument  en  doute 
qu'il  y  ait  eu  des  écrivains  qui  se  sont  furtivement  approprié 
les  travaux  des  autres,  soit  au  total,  soit  en  partie.  Je  n'ai  rien 
à  opposer  à  la  dénonciation  de  plagiat,  lorsqu'elle  porte  sur 
des  faits  avérés  et  probants,  dans  une  aussi  grande  étendue  que 
tout  un  corps  d'ouvrage.  Ainsi,  quand  Jean  Thomasini  est  in- 
culpé d'avoir  publié,  sous  son  nom,  des  Éloges  des  hommes  t7- 
lustres  composés  par  Jean  Rhode,  si  l'on  établit  que  Jean 
Rhode  est  réellement  l'auteur  de  ces  Éloges,  Thomasini  est  sans 
doute  un  plagiaire.  Le  point  important  est  que  la  preuve  en 
soit  acquise,  et  que,  pour  arriver  à  celte  preuve,  il  y  ait  eu, 
comme  en  toute  poursuite  régulière  un  délit,  une  instruction 
du  procès.  Ici,  par  exemple,  on  n*a  que  des  allégations  : 


718  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

c  est  Colomiès  qui  rapporte  ceci  :  «  M.  Vossius  m'a  dit  que 
Jelian  Rliodius  disait  hautemeiil,  à  Padoiie,  qu'il  avoit  fait  les 
Éloges  des  hommes  illustres  que  Thomasinus  a  publiez  sous 
SOI)  nom.  »  Voilà  donc  un  propos  qui  passe  par  trois  bouches 
au  moins.  A  combien  de  questions  ne  donne-t>il  pas  lieu  ?  Et 
d'abord  Rhode  Ta-t-il  tenu?  S'il  Ta  tenu,  lui  a-t-il  donné  toute 
la  portée  qu'il  a  dans  le  passage  de  Colomiès?  De  qui  Vossius 
Fa-t-il  recueilli?  De  Rhode  lui-môme  ou  d'un  intermédiaire? 
Je  suppose  (pie  ce  soit  de  Rhode;  mais  Ta-t-il  rapporté  dans  les 
termes  de  Rhode  et  avec  le  sens  qu'il  y  attachoit?  Et  Colomiès 
(Ml  le  tirant  de  Vossius  Ta-t-il  exactement  reproduit?  Tous  ces 
))oints  sont  h  examiner.  Le  premier,  de  qui  dépendent  ceux  qui 
suivent,  devroit  ôtre  résolu  nt'palivement  selon  quelques  biogra- 
phes. Il  est  plus  que  probable,  dit  M.  Weiss,  que  jamais  Rhode 
n'a  rcvendiqu(^  les  Éloges.  Sur  quoi  se  fonde  cette  probabilité? 
M.  VVoiss  n(^  le  dit  pas;  mais  elle  me  paroît  être  dans  ses  mo- 
lifs  une  conséquence  de  ce  qu'il  ne  croit  pas  que  Rhode  soit 
r auteur  des  Éloges,  Or,  son  unique  raison  de  ne  pas  attri- 
buer les  Éloges  à  Rhode,  c'est  qu'il  y  est  cité  plusieurs  toi^ 
avec  honneur.  Je  ne  me  charge  pas  de  la  cause  de  Rhode;  ce- 
pendant si  j'avois  à  revendiquer  pour  lui  l'ouvrage  qu'on  lui 
dispute,  et  (jue  je  n'eusse  à  combattre  que  la  raison  invoquée 
])ar  M.  Woiss,  j'y  puiserois  justement  toute  la  force  d'une  opi- 
nion opposée  h  la  sienne;  car  je  dirois  que  les  citations  ho- 
norables d(»nt  Rhode  est  l'objet  dans  les  Éloges,  y  ont  pu 
iHvo  semées  par  Thomasini  précisément  pour  mieux  déguiser 
son  larcin. 

Mais,  déjà,  Nicéron  avoit  entrepris  de  maintenir  Thomasini 
dans  la  propriété  des  Éloges,  u  Quelques-uns,  dit-il  à  Fartide 
de  Rhodius,  prétendent,  sur  l'autorité  de  Colomiès^  que  Rho- 
dius  étoil  l'auteur  des  Kh^es  qui  portent  le  nom  de  Jacques- 
Philippe  Thomasini  ;  oVst  une  imagination  sans  fondement.  Il 
peut  avoir  fourni  quelques  faits  à  Thomasini  et  revu  son  ou- 
vrage ;  c'est  apjKirennnent  toute  la  part  qu'il  y  a  eue.  » 

Nicéron  paroil  présumer  que  l'autorité  de  Colomiès  étoit  la 


BULLETIN   DU    BIBLIOPHILE.  719 

seule  que  Ton  put  invoquer  contre  Thomasîni,  et  sur  laquelle  on 
eût  à  se  fonder,  en  remontant  à  l'origine  des  bruits  de  plagiat 
dans  cette  afTaire.  Mais  Golomiès  qui  recueilloit  ses  Particularités 
en  1665,  pour  ne  les  publier  qu'en  1668,  n'étoit  pas  le  premier 
qui  en  eût  écrit.  On  cite  des  correspondances  du  temps  dans 
lesquelles  on  s'en  entretenoit  :  une  lettre  de  Reinesius,  une 
autre  de  Gaspar  Hoffmann  à  George  Richter,  dont  les  lettres 
choisies  avoient  été  publiées  avec  celles  de  ses  amis,  en  1662,  a 
Nuremberg.  Hoffmann  va  jusqu'à  envelopper  tous  les  écrits  de 
Thomasini  dans  l'accusation  de  plagiat,  pour  les  restituer  à 
Rhode.  Il  avoit  professé  la  médecine  à  l'université  d'Altorf, 
jusqu'à  sa  mort,  arrivée  en  1648,  et  je  remarque  que  Reinesius 
et  Rhode  étoient  aussi  médecins.  On  pourroit  croire  que  l'hon- 
neur de  la  Faculté  se  trouvoit  engagé  à  couvrir  un  de  ses 
membres,  si  un  autre  médecin,  Thomas  Barlholin,  n'étoit  sur- 
venu pour  défendre  Thomasini.  Gette  défense  se  lit  dans  la 
seconde  de  ses  dissertations  De  legcndis  libris  :  «  Reverendi 
Thomasini  mânes  lœdunt,  qui  operum  variorum  famam,  cum 
Rodio  nostro  partiuntur.  Limam  subinde  illis,  a  Rhodio  adhi- 
bitam  non  ignoramus  ;  et  si  forsan  loca  auctorum  desiderarentur, 
pro  amicitia,  qunc  utrique  intercessit,  maxima,  sicut  inter  doc- 
tes ûeri  solet,  communicata,  utriusque  amicus  bona  fide  testari 
debeo.  Nec  aliud  hujus  modestia  et  sueta  longo  usu  scribendi 
penna  suadet.  »  G' est  en  ces  termes  que  dépose  Bartholin,  l'ami 
de  Rhode  et  de  Thomasini,  comme  il  le  dit  lui-même;  et  j'ajoute 
qu'il  étoit  devenu  propriétaire  des  manuscrits  de  Rhode,  qui 
n'eussent  pas  manqué  de  laisser  des  traces  de  l'ouvrage  des 
Éloges,  si  Rhode  l'avoit  effectivement  composé. 

Je  n'irai  pas  plus  loin  sur  ce  point  qui  soulèveroit  bien  d'au- 
tres questions;  car  je  ne  me  suis  pas  proposé  d'y  rien  décider, 
bien  que  j'y  aie  une  opinion.  Je  ne  l'ai  présenté  que  comme  un 
exemple  des  complications  qui  se  rencontrent  dans  les  accusa- 
tions de  plagiat  d'ouvrages,  des  nécessités  de  les  prouver,  et  des 
difficultés  d'arriver  à  cette  preuve.  C'est  tout  un  procès  crimi- 
nel et  toute  une  instruction  qu'il  y  faut.  J'appellerai  les  plagiats 


720  BULLETIN  DU    BIBLIOPHILE. 

de  cette  étendue,  plagiats  en  gros,  pour  les  distinguer  des  pla- 
giats en  détail,  dont  je  vais  m' occuper,  encore  plus  délicats  à 
peser  dans  la  balance  des  tribunaux  littéraires,  et  d'une  aature 
qui  peut  être  infiniment  subtile.  Dans  Tune  comme  dans  Fautre 
catégorie  de  plagiat,  et  plus  certainement  dans  la  première,  à 
moins  que  le  plagiaire  ne  soit  pris  sur  le  fait  et  en  flagrant 
délit,  il  y  aura  toujours  raison  de  douter,  s'il  n'y  a  pas  raison 
d'absoudre.  Pourquoi  cela?  parce  que  le  plagiat  est  moins  com- 
mun qu'on  ne  se  Timagine,  et  qu'il  y  a  toujours  eu  plus  deCaoi 
accusateurs  que  de  plagiaires  véritables. 

Si  Martial  n'est  pas  le  premier  qui  ait  prononcé  dans  sa 
langue  le  mot  de  plagiat,  du  moins  nous  fait-il  connottre,  eo 
l'employant,  le  sens  tout  allégorique  qu'il  eut  à  l'époque  où 
l'on  convint  d'en  faire  l'application  aux  larrons  de  la  litté- 
rature. 

Il  s'en  sert  dans  cette  épigramme,  la  cinquante-troisiëiiie  de 
son  livre  P'  : 

Gommendo  tibi,  Quinctiane,  nostros, 
Nostros  dicere  si  tamen  Uhellos 
Possim,  quos  récitât  tuus  poeta. 
Si  de  servitio  gravi  queruntur, 
Assertor  venias,  satisque  prœstes, 
Et,  cum  se  dominum  vocabit  ille, 
Dicas  esse  meos,  manuque  misses. 
Hoc  si  terque  quaterque  clamitaris; 
Impones  plagiario  pudorem. 

Martial  reproche  au  plagiaire  de  s'approprier  des  ouvrages, 
libellas,  ou  autrement  de  pratiquer  le  plagiat  en  gros.  Pendant 
très- longtemps,  en  effet,  on  n'a  frappé  de  réprobation,  sous  le 
nom  de  plagiat,  que  le  fait  de  s'attribuer  les  ouvrages  d'autniû 
Calepin,  Vossius,  Ménage,  Furetière,  Facciolati ,  dans  leurs 
dictionnaires,  s'accordent  à  définir  le  plagiaire,  celui  qui  vole, 
prend,  pille  les  livres,  les  ouvrages  des  autres.  Mais  le  senti- 


BDUETllf  DU  BIBUOPHOE.  721 

ment  de  la  propriété  chez  les  auteurs,  et  plus  persounellement 
chez  les  poêles,  est  devenu  plus  vif.  On  ne  s'est  plus  borné  à 
crier  au  voleur  pour  un  mouton  que  le  lion  emportoit,  et  Ton 
prétendit  atteindre  jusqu'au  fait  de  ce  pauvre  animal,  qui  fait  si 
ingénument  sa  confession  dans  Les  animaux  malades  de  la  peste  : 

(c  Je  tondis  de  ce  pré  la  largeur  de  ma  langue.  » 

En  d'autres  termes  on  a  fait  un  plagiaire  de  celui  qui  pilloit 
dans  les  ouvrages  d' autrui.  C'est  la  définition  que  le  dictionnaire 
de  l'Académie  françoise  donne  du  plagiaire,  et  il  ne  faut  pas  s'en 
étonner  ;  les  poètes,  qui  ont  peuplé  l'Académie,  ont  fait  la  loi 
pooreuju 

Aux  termes  de  cette  législation,  pas  un  auteur  n'est  demeuré 
sûr  de  n'être  pas  inquiété  dans  ses  œuvres.  Les  législateurs 
eux-mêmes  y  ont  été  pris. 

Il  y  a  cependant,  je  le  répète,  bien  moins  de  plagiaires  qu'on 
ne  pense,  si  Ton  considère  qu'il  ne  sauroit  y  avoir  réellement 
plagiat  qu'autant  qu'un  écrivain  a  la  conscience  que,  ce  qu'il 
fait  entrer  dans  son  œuvre,  comme  venant  de  soi,  il  le  prend 
dans  tel  ouvrage  où  il  se  souvient  de  l'avoir  lu,  ou  à  tel  auteur 
qn'il  sait  le  lui  avoir  récité.  Hors  de  là,  il  y  a  simplement  ren- 
contre de  la  même  idée,  soit  par  l'imagination»  soit  par  la  mé- 
moire. 

Quant  à  l'imagination,  pourquoi  l'idée  d'une  situation  dra- 
matique, par  exemple,  ne  se  présenteroit-elle  pas  la  même  dans 
plusieurs  cerveaux,  lorsque  le  fait  d'où  elle  dérive  peut-être, 
peut  se  répéter  dans  l'ordre  physique  ?  Y  auroit-il,  dans  les  coin* 
binaisons  de  la  pensée,  des  rapports,  des  images  que  deux  es* 
prits  ne  sauroient  concevoir  à  l'insu  l'un  de  l'autre,  ou  se  re- 
présenter l'un  après  l'autre  et  en  divers  temps?  Ou  bien  appar- 
tiendroit-il  à  ces  rapports  et  à  ces  images  de  ne  pouvoir  être 
trouvés  qu'une  fois?  Je  suis  bien  loin  de  le  penser. 

On  a  porté  les  accusations  de  plagiat  jusqu'aux  derniers  ter- 
mes de  la  puérilité  et  du  ridicule,  grâce  à  la  vanité  d'auteur  sans 


722  BULLETIN  DU  BIBUOPHILE. 

laquelle  il  ircùt  jamais  été  parlé  de  plagiaires.  J'accuse  à  mon 
tour,  et  sans  restriction,  les  dénonciateurs  du  plagiat  de  ne  ra- 
voir érigé  en  délit  littéraire  que  par  complaisance  envers  un 
sentiment  d' amour-propre  personnel  fort  indifférent  à  l'intérêt 
public,  puisqu'en  déftnitif  le  plagiaire  ne  dérobe  au  public  que 
pour  donner  au  public;  les  œuvres  de  l'esprit,  dès  l'instant  où 
elles  paroissent  au  jour,  devenant  intellectuellement  la  pro- 
priété commune. 

A  la  suite  des  auteurs  qui  ont  réclamé  pour  eux-mêmes,  par 
orgueil,  sont  venus  les  critiques  de  profession  qui  ont  réclamé 
pour  les  auteurs,  par  vengeance,  par  jalousie,  et  rarement  sans 
malignité.  Aussi  les  accusations  de  plagiat  ne  sont-elles  pas  or- 
dinairement rétrospectives,  et  l'on  peut  remarquer  que  presque 
toujours  elles  ont  été  lancées  instantanément  sur  l'heure  même 
d'un  succès  que  l'envie  vouloit  combattre  ou  contre-balancer. 

Lorsque  VAristomène  de  Marmontei  parut,  la  critique  nota 
dans  cette  tragédie,  comme  pris  dans  divers  auteurs  connus, 
des  vers  que  Marmontei,  disoit-on,  ne  s'étoit  presque  point 
donné  la  peine  de  changer.  On  le  lui  imputa  à  déshonneur. 
Il  ne  se  faisoit  point  scrupule  de  s'enrichir  du  bien  d'autnii  : 
on  lui  eût  pardonné  ces  petits  larcins,  s'il  avoit  été  réduit  à 
l'indigence;  mais  il  étoit  honteux  à  un  poète  tel  que  lui,  si 
riche  de  son  propre  fonds,  de  s'approprier  celui  des  autres. 
La  critique  faisoit  entendre  tout  cela  ! 

On  peut  répondre  d'abord  qu'il  n'y  a  pas  d'exception,  eo 
morale,  pour  la  justification  des  voleurs,  et  que,  fût-on  indigent, 
on  a  aussi  peu  le  droit  de  prendre  le  bien  d'autrui  que  si  l'on 
étoit  riche.  Mais,  ensuite,  Marmontei  s'est-il  bien  réellement 
approprié  le  fonds  des  autres?  Voici  comment  la  critique  a 
essayé  de  le  prouver  : 

Elle  cite  ces  vers  d'Aristomène  : 

«  Je  ne  veux  que  le  voir,  l'embrasser  et  mourir.  » 

«  Vous  aviez  intérêt  de  garder  le  silence.  » 

«  Mon  amant  est  à  moi  ;  que  m'importe  le  reste  !  » 


BULLETIN  DU  BIBUOPHILE.  72S 

Et  elle  d    :  le  premier  vers  est  dans  Polyeucte  : 
a  Je  ne  veux  que  le  voir,  soupirer  et  mourir;  » 

le  second  dans  le  Comte  d'Essex  : 

«  Et  j'ai  quelqu'intérét  à  garder  le  silence;  » 

le  troisième  dans  Sémiramis  : 

a  L'amour  parle,  il  suffit;  que  m'importe  le  reste!  » 

C'est  là  ce  qu'on  nomme  des  larcins  qui  font  honte?  Mais, 
en  vérité,  si  l'on  ne  pouvoit  exprimer  par  la  parole  des  senti- 
ments si  simples,  sans  commettre  un  plagiat,  il  faudroit  renon- 
cer à  rien  dire,  dans  la  crainte  de  passer  pour  un  voleur.  On 
fait  un  reproche  à  Marmontel  d'avoir  dérobé  le  bien  des  deux 
Corneille  et  de  Voltaire!  Est-on.  sûr,  au  moins,  que  ce  soit  le 
bien  de  ces  trois  portes,  et  que  d'autres  n'eussent  pas  dit  mille 
fois  avant  eux  ce  qu'ils  ont  mis  dans  la  bouche  de  leurs  person- 
nages? Le  sentiment  commun  dicte  de  semblables  discours  et 
dans  le  même  ordre  d'idées,  depuis  le  commencement  du  monde, 
à  des  milliers  d'individus,  dans  une  infinité  de  rencontres  et 
d'événements.  Mais  l'on  devient  plagiaire  dès  que  l'on  y  ajoute 
une  rime  !  De  telles  accusations  ne  doivent  exciter  que  la  pitié. 
Je  les  trouve  dans  les  Observations  sur  la  littérature  moderne, 
de  l'abbé  de  La  Porte  (tome  V%  pages  29  et  suivantes),  où  il 
est  encore  rapporté  que  le  nombre  des  vers  pillés  de  côté  et 
d'autre  par  Marmontel,  pour  son  Aristomene,  s'élève  à  plus  de 
huit  cents  !  Je  demande  si  quelque  auteur  que  ce  fût,  à  moins 
d'y  être  condamné  sous  des  peines  sévères,  consentiroit  jamais 
à  écrire  une  pièce  de  théâtre  où  il  dût  faire  entrer  huit  cents 
vers  pillés  de  toutes  parts  et  rassemblés  à  cette  unique  fin? 
Quand  on  m'aura  prouvé  qu'il  peut  exister,  même  dans  les  plus 
bas  degrés,  des  poètes  doués  de  cette  patience,  je  prendrai  la 
peine  d'examiner  jusqu'à  quel  point  Marmontel  en  a  mérité  le 
reproche. 

La  mémoire  et  l'imagination  sont  certainement  deux  facultés 


7SA  BUUBTIN  0D  BIBLIOraiLE* 

très-distinctes  :  en  général  on  ne  sanroit  les  confondre.  Mais  il 
faut  se  tenir  à  leurs  sources  pour  les  reconnaître;  car  dans  leur 
cours  elles  tendent  toujours  à  se  réunir,  et  elles  y  réussissent 
ordinairement  si  bien  qu'on  n'en  peut  plus  faire  la  différence. 
L'homme  qui  se  souvient,  sans  le  savoir,  croit  qu'il-  imagine. 
Godeau  avoit  composé  et  publié,  depuis  quinze  ans,  ces  vers 
d'une  ode  à  Louis  XIII  : 

«  Mais  leur  gloire  t&uche  par  terre. 
Et  comme  elle  a  l'éclat  du  verre. 
Elle  en  a  la  fragilité..»,  » 

lorsque  Corneille  écrivit  ceux-ci,  dans  Polyeucte  : 

0  Toute  votre  félicité» 
Sujette  h  l'instabilité, 
En  moins  de  rien  tanibe  par  terre^ 
Et  comme  elle  a  l'éclat  du  verre, 
Elle  en  a  la  fragilité,  n 

Cependant  Corneille  croyoit  bien  avoir  tiré  les  siens  de  son 
propre  fonds.  Ménage  assure  l'avoir  souvent  entendu  dire  qu'il 
les  avoit  faits ,  sans  savoir  qu'ils  fussent  de  Godeau.  Qui  sei*a 
maître  de  décider  si  Corneille  imaginoit,  ou  se  souvenoit  à  son 
insu?  Et  dans  quels  innombrables  exemples  n'y  auroit-il  pas 
lieu  de  poser  la  même  question? 

Je  lis  dans  YAndromaque  de  Racine,  acte  I,  scène  i  : 

c(  Oui,  puisque  je  retrouve  un  ami  si  fidèle, 
Ma  fortune  va  prendre  une  face  nouvelle;  » 

et  dans  VAndronic^  de  Campistron,  acte  III,  scène  iv  : 

(c  Enfin,  dans  un  instant  ma  fortune  cruelle 
Va  prendre j  par  la  fuite,  une  face  nouvelle:  n 

—  dans  Les  fausses  infidélités j  de  Barthe  : 

«  L'Amour  me  les  ravit ,  l'Hym/en  me  les  rendra,  » 


BULLBTiN  DU  BIBUOPHUJB.  726 

et  dans  La  fiancée ,  de  Scribe  : 

«  L'Amour  nous  les  enlève , 
L'Hymen  nous  les  rendra,  » 

—  dans  Vert"  Vert ,  de  Gresset  : 

(c  Enfin,  avant  de  paroitre  au  parloir^ 
On  doit  m  moins  deux  coups  d'ceti  au  miroir.  » 

et  dans  Le  domino  noir  y  de  Scribe  : 

((  Même  avant  d'entrer  au  parloir^ 
On  jette  un  coup  d'œil  au  miroir,  n 

—  dans  Vert'Vert encore: 

c(  Il  partageoit  dans  ce  paisible  lieu 
Tous  les  sirops  dont  le  cher  père  en  Dieu, 
GrAoe  aux  bienfaits  des  nonnettes  sucrées^ 
Réconfortait  ses  entrailles  sacrées,  » 

et  dans  Les  Visitandines^  de  Picard: 

a  Et  le  pauvre  homme  ainsi  reçoit  de  chaque  sœur 
De  quoi  reconforter  ses  entrailles  sacrées  1 
Ah  I  de  ces  nonnettes  sucrées 

Je  voudrois  être  directeur.  » 

-^  dans  La  Fontaine,  épilogue  du  liv.  VI  des  Fables  : 

(c  Bornons  ici  notre  carrière. 
Les  longs  omragts  me  font  peur, 
Loia  d'épuiser  une  matière 

On  n'en  doit  prendre  que  la  fleur.  » 

dans  ce  même  Vert-Vert^  que  je  surprends  à  son  tour  : 

tt  Les  Muses  sont  des  abeilles  volages, 
Leur  goût  voltige,  il  fuit  les  longs  ouvrages^ 
Et,  ne  prenant  que  la  fleur  d'uQ  sujet, 
Vole  bientôt  sur  un  nouvel  objet  « 


726  BULLETn«   DU   BIBLIOPHILE. 

—  dans  Georges  Dandin,àe  Molière  (la  scène  est  enlre  Georges 
Dandin  et  Angélique,  sa  femme)  : 

ANGÉLIQUE. 

((  Je  vous  déclare  que  mon  dessein  n'est  pas  de  m'enterrer 
toute  vive  dans  un  mari.  » 

et  dans  L'École  des  vieillards  y  de  Casimir  Delavigne  (la  scène 
est  entre  Danville  et  Hortense,  sa  femme): 

HORTENSE. 

«  Et  vous  ne  pourrez  pas  m' enterrer  toute  vive , 
Dans  Fennuyeux  souper  d'un  si  triste  convive,  n 

—  dans  l'un  des  opuscules  de  Saint- Real,  DonCarlos,  je  crois  : 
<(  On  n'arrive  au  crime   que  par  degré,  de  même  qu'à  la 

vertu,  » 

et  dans  je  ne  me  rappelle  plus  quel  poète  tragique  : 

«  Ainsi  que  la  vertu  le  crime  a  ses  degrés,  » 

Je  serois  intarissable  si  je  voulois  citer  tout  ce  que  j'ai 
recueilli  d'exemples  où,  comme  dans  ceux-ci,  l'on  peut  voiries 
mêmes  idées  se  produire  sous  deux  plumes  différentes  à  ce 
point  de  ressemblance  qu'elles  offrent  le  même  tour  d'expres- 
sion et  le  même  langage.  La  similitude  et  les  rapports  ne  se 
trouvent  que  pour  la  pensée  dans  le  rapprochement  suivant  ; 
mais  ils  n'en  sont  pas  moins  d'une  identité  remarquable. 

Je  lis  dans  V Étourdi  y  de  Molière  (la  scène  est  entre  Lélie  et 
Mascarille«  son  valet)  : 

LÉLIE. 

((  Je  sais  que  ton  esprit,  en  intrigues  fertile. 
N'a  jamais  rien  trouvé  qui  lui  fût  difficile; 
Qu'on  te  peut  appeler  le  roi  des  serviteurs. 
Et  qu'en  toute  la  terre.... 


BULLETIN  DU  BIBUOPHIU.  727 

MASGARILLE. 

«  Hé!  trêve  de  douceurs; 
Quand  nous  faisons  besoin ,  nous  autres  misérables, 
Nous  sommes  les  chéris  et  les  incomparables  ; 
Et,  dans  un  autre  temps,  dès  le  moindre  courroux, 
Nous  sommes  les  coquins  qu'il  faut  rouer  de  coups.  » 

et  dans  Le  barbier  de  Sévillcy  de  Beaumarchais  (  la  scène  est 
entre  le  comte  Almaviva  et  Figaro,  son  valet): 

LE  COMTE. 

«  Eh  !  Figaro,  mon  ami,  tu  seras  mon  angCj  mon  libérateur, 
mon  Dieu  tutélaire. 

FIGARO. 

a  Peste  !  comme  Tutilité  vous  a  bientôt  rapproché  les  dis- 
lances I  Parlez-moi  des  gens  passionnés  !  » 

Eh  bien  !  maintenant,  croit-on  que,  pour  trouver  ce  qu'ils 
font  dire  à  leurs  personnages,  les  cadets  ou  les  modernes 
que  je  viens  de  citer  aient  eu  besoin  de  copier  leurs  aînés; 
qu*ils  aient  eu  Tœil  collé  Campistron  sur  Racine,  Beaumar- 
chais sur  Molière;  et  que,  si  la  police  qui  recherche  les 
plagiaires  se  fût  placée,  à  point  nommé,  derrière  Scribe  et 
Picard  quand  ils  composoient  chacun  leur  opéra,  elle  les  eût 
surpris  les  mains  dans  les  poches  de  Gresset?  Si  Ton  avoit  cette 
opinion  pour  si  peu,  à  quelles  condamnations  ne  devroient  pas 
s'attendre  et  l'auteur  de  Zampa^  qui  se  rencontre  ainsi  avec 
l'auteur  de  La  Parisienne,  Dancourt  : 


{La  Parisienne ,  1691) 

LISETTE. 

Ah!  double  chien ^  je  te  re- 
trouve à  la  fin  9  après  t'avoir 
cherché  si  longtemps  ! 

l'olive. 
On  ne  peut  éviter  son  malheur. 
CVst  ma  femme. 


(Zampa,  1831). 

RiTTA.— Juste  ciel! 
Daniel.— Ah!  grands  dieux  ! 
RiTTA.— Qu'ai-je  vu! 
Dajniel. — C'est  ma  femme  ; 
Par  Notre  Dame^ 
Cest  avoir  du  malheur  ! 


728  BULLBTIll  DD  BIBUOPHILB* 

Et  ce  même  Beaumarchais  qui,  dans  son  Mariage  de  Figaro^ 
a  de  telles  ressemblances,  et  aussi  consécutives,  avec  Dufireaay , 
l'auteur  de  La  noce  interrompue^  représentée  en  1699  T 


(La  noce  interrompue,  ) 

Scène  m. 
NANETTE. 

Madame  la  comtesse  ne  m'aime 
plus  tant,  depuis  que  son  mari 
m'aime.. .  Depuis  que  M.  le  comte 
a  tant  d'envie  d'être  seid  avec 
moi,  je  crains  toujours  de  m'y 
trouver. 

Scène  x. 
LE  COMTE. 

Adrien,  ne  sais- tu  point  com- 
ment ma  femme  a  pu  deviner 
mon  dessein  ? 

ADRIEN. 

Elle  aura  lu  dans  vos  yeux 
que  vous  vouliez  faire  Nanette 
concierge^  et  <{ue.... 

Scène  xi. 
LE  COUTE. 

N'en  doutez  pas,  Lucas  Je  vous 
fais  mon  fermier. 

Scène  dfrnièro. 
LE  COMTE. 

Je  suis  trompé. 

LA  COMTESSE. 

Console-toi,  si  on  t'enlève,  Na- 
nette, tu  retrouveras  en  moi  une 
consolation  légitime. 


{Le  mariage  de  Figaro,) 

Acte  I,  MlDA  I. 

U  y  a,  mon  ami ,  que  M.  le 
comte  Almaviva  veut  rentrer  au 
château;  mais  non  pas  diei  sa 
femme ,  c'est  siu*  la  tienne,  en- 
tends-tu, qu'il  a  jeté  ses  vues.... 
Apprends  qu'il  la  destine  (la  dot) 
à  obtenir  de  moi,  secrètement , 
certain  quart  d'heure  seul  à 
seule. 

Acte  I,  scène  vni. 

LE  COMTE  à  Suzanne, 
Le  roi  m'a  nommé  son  am- 
bassadeur. J'emmène  avec  moi 
FigarOj  et  comme  le  devoûrd'une 
femme  est  de  suivre  son  mari. .. 

Acte  III,  scène  v. 

HGARO  aa  comte. 

Votre  Excellence  m'a  gratifié 
de  la  conciergerie  du  château. 

Acte  V,  scène  dernier. 
LE  COMTE. 

J'ai  voulu  ruser  avec  eux;  ils 
m'out  joué  comme  un  enfant. 

LA  COMTESSE,  cn  rtoML 
Ne  le  regrettez  pas^  monsieur 
le  comte. 


La  sphère  des  comparaisons,  comme  on  le  voit,  se  trouve  ici 
agrandie.  Ce  ne  sont  plus  seulement  des  rapprochements  de 
mots  ou  de  pensées  d'un  seul  jet.  C'est  une  suite  de  sitiiitioiif 
et  d'idées,  qui  se  combinent  et  s'ajustent  pour  former  un  en- 
semble et  une  harmonie.  Le  court  tableau  de  situations  de  ce 
genre  que  je  viens  d'offrir  me  paroit  en  faire  ressortir 


BULLETIN   DU  BIBUOPHILE.  729 

•ensiblement  le  parallèle  dans  les  deux  pièces  ;  cependaot  on 
en  jugeroit  mieux  en  lisant  ces  pièces,  et  j'y  renvoie. 

Le  mariage  de  Figaro  me  fournira  encore  un  sujet  de  com- 
paraison. Il  s*agit  des  scènes  iv  à  xix  du  second  acte,  auxquelles 
je  renvoie  également;  car  elles  seroient  d'une  trop  grande 
étendue  pour  pouvoir  être  mises  ici ,  en  regard  de  l'extrait  d'un 
ouvrage  qui  n'est  plus  cette  fois  une  composition  dramatique  ; 
je  veux  parler  de  V Histoire  des  amours  de  Henri  IV,  laquelle 
est  moins  commune  à  rencontrer  que  les  œuvres  de  Beaumar- 
chais; et,  pour  cette  raison,  je  donne  l'extrait  dont  il  s'agit  ^  et 
qui  comprend  les  pages  28  à  32  de  cette  histoire,  dans  l'édi- 
tion de  Leyde,  166ft. 

^-  «  Madame  Gabrielle  continuoit  à  aymer  Bellegarde,  dont 
le  roy  avoit  quelque  soubçon,  mais  à  la  moindre  caresse  qu'elle 
iuy  faisoit,  il  condamnoit  ses  pensées  comme  criminelles  et  s'en 
repentoit.  Il  arriva  un  petit  accident  qui  faillit  à  Iuy  en  ap- 
prendre davantage,  ce  fut  qu'estant  en  Tune  de  ses  maisons 
pour  quelque  entreprise  qu'il  avoit  de  ce  costé-là,  et  estant  allé 
à  trois  à  quatre  lieues  pour  cet  elTet,  madame  Gabrielle  estoit 
doneurée  au  lit,  disant  qu'elle  se  trou  voit  mal,  et  Bellegarde 
avoit  feint  d'aller  à  Mantes,  qui  n'cstoit  pas  fort  éloigné  ;  sitost 
que  le  roy  fut  party,  Arpbure,  la  plus  confidente  des  femmes  de 
madame  Gabrielle  et  en  qui  elle  se  confioit  de  tout,  fit  entrer 
Bellegarde  dans  un  petit  cabinet  dont  elle  seule  avoit  la  clef»  et 
après  que  sa  maltresse  se  fut  défaite  de  tout  ce  qui  estoit  dans 
sa  chambre ,  son  amant  y  fût  receu.  Gomme  ils  étoient  ensemble* 
le  roy,  qui  n'avoit  pas  trouvé  ce  qu'il  avoit  esté  chercher,  revint 
plus  tost  que  l'on  croyoit,  et  pensa  trouver  ce  qu'il  ne  cherchoit 
pas.  Tout  ce  que  Ton  pût  faire,  ce  fut  que  Bellegarde  entra  dans  le 
ddnnetd'Arphure»  dont  la  porte  se  trouvoit  au  chevet  du  lit  de 
ondame  Gabrielle,  et  où  il  y  avoit  une  fenestre  qui  avoit  vene  mn 
un  jardin.  Aussi  tost  que  le  roy  fut  entré,  il  demanda  Arphure  pom 
avoir  des  confitures  qu'elle  gardoit  dans  ce  cabinet.  Madami 
Gabrielle  dit  qu'elle  n'y  estoit  pas,  el  qu'elle  hiy  avoit  demanda 
coDgéd'aUervisiterquelquespareDsqu'eUeatoiCàlavSle.  -^  9 


7S0  .  BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE. 

est-ce  (dit  le  roy)  que  je  veux  manger  des  confiture^.  Que  si 
Arphure  ne  se  trouve,  que  quelqu'un  vienne  ouvrir  cette  porte, 
ou  qu'on  la  rompe.»  Luy-mesme  commença  à  donner  des  coups 
de  pieds.  Dieu  sçait  en  quelles  allarmes  étoient  ces  deux  per- 
sonnes si  proches  d'estre  découvertes.  Madame  Gabrielle  fei- 
gnoit  un  extrême  mal  de  teste,  se  plaignoit  que  ce  bruit  Tin- 
commodoit  fort ,  ^ais  pour  cette  fois  le  roy  fut  sourd ,  et  conti- 
nuoit  à  vouloir  rompre  cette  porte.  Beliegarde  voyant  qu'il  n'y 
avoit  pas  d'autre  remède,  se  jeta  par  la  fenestre,  et  fût  si  heu- 
reux qu'il  se  fit  fort  peu  de  mal ,  bien  que  la  fenestre  fut  assez 
haute.  Et  aussitost  Arphure,  qui  s'estoit  seulement  cachée  pour 
n'ouvrir  point  cette  porte,  entra  bien  eschauffée,  s'excusant  sur 

ce  qu'elle  ne  pensoit  pas  qu'on  deût  avoir  affaire  d'elle 

Madame  Gabrielle  voyant  qu'elle  n'estoit  point  découverte , 
reprocha  au  roy  mille  fois  cette  façon  d'agir  :  «  Je  voy  bien  (luy 
dit-elle)  que  vous  me  voulez  traitter  comme  les  autres  que  vous 
avez  aymées>  et  que  vostre  hun^r  changeante  v^t  chercher 
quelque  sujet  pour  rompre  avec  moy. ..»  Et  là-dessus  les  larmes 
ne  manquèrent  pas ,  ce  qui  mit  le  roy  en  tel  désordre,  qu'il 
luy  demanda  mille  fois  pardon,  qu'il  confessa  d'avoir  trop 
failly....  » 

Beaumarchais  avoit-il  lu  V Histoire  des  amours  de  Henri  IV? 
Avoit-il  besoin  de  la  lire  pour  se  représenter  le  sujet  des 
dix-neuf  premières  scènes  de  son  second  acte,  et  pour  le  mettre 
en  scène?  Voyons.  Le  comte  Almaviva  est  parti  pour  la  chasse, 
comme  Henri  IV  pour  ses  amours.  La  comtesse  s'enferme 
avec  le  petit  page,  comme  Gabrielle  avec  Beliegarde ,  le  page 
ayant  été  introduit  par  Suzanne  comme  Beliegarde  par  Arphure. 
Le  comte  revient  sur  ses  pas  comme  Henry  IV,  et  dans  la 
même  situation  d'esprit.  Chérubin  se  cache  dans  un  cabinet 
<M>mme  Beliegarde.  Le  comte  et  Henri  IV  veulent  l'un  comme 
'autre  enfoncer  la  porte  de  ce  cabinet  pour  y  découvrir  un 
ornant  en  flagrant  délit.  Chérubin  et  Beliegarde  se  sauvent  cha- 
4un  en  sautant  par  une  fenêtre  assez  haute,  et  quand  la  porte 
du  cabinet  s'ouvre»  te  comte  n'y  trouve  que  Suzanne,  comme 


BULLETIN   DD   BIBLIOPHILE.  731 

Henri  IV  n'y  trouve  qu'Arphure.  Pendant  les  assauts  que  don- 
nent le  comte  et  Henri  IV  à  la  porte  du  cabinet  mystérieux, 
la  comtesse  et  Gabrielle  sont  pareillement  dans  les  plus  vives 
angoisses  sur  ce  qui  va  se  passer;  toutes  deux  elles  sont  tirées 
dn  danger  par  Tbabileté  d'une  camériste,  et  au  dénoûment, 
lorsqu'elles  se  voient  sauvées,  elles  prennent  à  leur  tour  l'oflen- 
aive  envers  ce  pauvre  comte  et  ce  bon  roi  Henri,  qui  s'excu- 
sent de  leur  mieux,  l'oreille  basse,  et  réussissent  à  peine  à  ob- 
tenir pardon. 

Voilà  en  substance  les  circonstances  et  la  marche  de  l'événe-. 
Bsent,  dans  l'histoire  et  dans  la  comédie.  Je  ne  saurois  les  ré- 
duire à  une  plus  simple  expression.  L'histoire  paroissoit  en  1663, 
et  la  comédie  se  jouoit  en  178&.  Jamais  question  de  plagiat 
n'a  trouvé  à  se  poser  sur  son  plus  véritable  terrain.  J'en 
trouverai  cependant  encore  une  autre  :  mais  en  attendant,  vidons 
celle-ci. 

Si  j'étois  un  ennemi  ou  un  rival  de  Beaumarchais,  ayant  un 
intérêt  quelconque  à  rabaisser  son  talent;  ou  bien  si  je  faisois 
tOQt  simplement  de  la  critique  à  l'étroit,  je  m'en  tiendrois  aux 
apparences  et  je  croirois  au  plagiat  :  etj'auroispour  crier  avec 
moi  les  gens  qui  n'y  regardent  pas  de  près.  Ou  bien  je  pour- 
rois  être  moins  bref  et  argimienter  quelque  peu,  en  insinuant 
que  si  l'on  est  parfois  disposé  à  douter  de  la  culpabilité  d'un 
.  homme  à  qui  on  repsoche  une  première  faute,  on  n'en  doute  plus 
lorsqu'il  est  en  récidive,  et  jefortifierois  l'un  par  l'autre,  comme 
antant  d'exemples  de  plagiats,  et  le  passage  du  Mariage  en  regard 
de  celui  de  La  noce  interrompue^  et  le  deuxième  acte  du  même 
Mariage  en  regard  de  l'épisode  historique,  et  jusqu'à  la  compa- 
raison de  quelques  lignes  du  Barbier  avec  une  citation  de  L't'- 
taurdi;  au  moyen  dequoijemontrerois  eu  saillie,  dans  laphré- 
oologie  de  l'esprit  de  Beaumarchais,  la  partie  la  plus  délictive 
de  Facquisivité  littéraire.  Qui  se  refuseroit  alors  à  croire  qu'on 
n'a  pas  chez  soi  tant  d'objets  qui  ressemblent  à  d'autres,  sans 
les  avoir  volés?  La  plupart  des  auteurs  condamnés  comme  pla- 
giaires n'ont  pas  vu  instruire  autrement  leur  procès. 

51 


b 


732  BULLETIN  DU  BIBUOPHILE. 

Cependant  (pourroit  répondre  quelqu'un  qui  entreprêUdrott 
de  raisonner  dans  l'espèce,  n'eùt-il  lu  que  la  Gazette  des  IVi- 
bunaux)  les  infortunes  de  la  vie  conjugale  ont  leurs  archives»  et 
les  conversations  dites  criminelles  datent  de  loin.  Dans  VïàM^ 
toire  des  sociétés  réglées  par  le  mariage,  on  ne  dénombreroii 
pas  facilement  tout  ce  qu'il  s'est  trouvé  d'épouses  avec  lem 
amants  surprises  par  le  retour  imprévu  d'un  mari  parti  pour  la 
chasse  ou  autrement;  plus  d'un  amant  en  pareil  cas  s'est  trouvé 
heureux  de  s'enfermer  dans  un  cabinet  et  de  s'enfuir  par  la  fe« 
nétre,  faisant  disparoître  avec  soi  le  corps  du  délit  ;  et  U  n'a 
pas  manqué  de  Suzannes  et  d'Arphures  pour  se  montrer  eii-< 
suite  &  propos  et  donner  le  cliange  à  un  mari  au  plus  graad 
avantage  de  leurs  maîtresses.  Tout  cela  est  dans  la  nature  qui 
n'a  pas  épuisé  toutes  ses  ressources  en  produisant  le  premier.  ••• 
adultère. ...  sous  le  toitconjugal,  et  personne  ne  s'est  jamais  avisé 
de  dire  que  le  second  n'ait  été  qu'un  plagiat  du  premier.  Potir- 
quoi  donc  contesterions-nous  à  Beaumarchais  l'originalité  du  fond 
dans  les  scènes  du  second  acte?  Elle  ne  lui  est  pas  plus  dispu- 
table  que  celle  de  la  forme  dans  cette  gracieuse  et  spirituelle 
situation,  l'une  des  mieux  conduites  et  des  plus  attachantes 
qui  aient  été  mises  au  théâtre. 

Et  au  surplus  Beaumarchais  n'est  plus  là  pour  nous  dire  s'il 
avoit  lu  V Histoire  des  aniours  de  Henri  IV;  point  qu'il  fauditrit 
prouver  avant  tout. 

Mais  l'auteur  de  Notre-Dame  de  Paris  est  encore  de  ce 
monde,  et,  au  moins,  on  peut  avoir  sa  confession,  s'il  veut  te 
aire. 

Je  remonte  un  peu  haut.  Peu  d'hommes  se  rappellent 
sans  doute,  sauf  les  parties  intéressées,  l'explosion  qui  se  fit 
en  1833,  dans  le  Jourmi/  des  débats^  contre  Alexandre  DumaSi 

Il  fut  accusé  de  plagiat  !  Non  pas  d'un  ou  deux  plagiats, 
mais  d'un  exercice  en  grand  de  piraterie  littéraire  qui 
composoit  tout  le  fond  de  son  talent.  Il  copioit  ses  drames,  il 
copioit  son  style.  Son  livre  de  Gaule  et  France  n'a  jamais  été 
un  bon  livre.  Je  voudrois  bien  n'en  point  parler.  On  pouvoit 


BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE.  733 

D'en  rien  dire  Jl  ne  lui  profitoit  en  quoi  que  ce  fût  d'être  né 
d'un  plagiat.  On  l'en  accusa  comme  le  reste.  Le  coup  partit 
avec  toute  la  violence  possible. 

J'ai  dit  que  l'explosion  avoit  eu  lieu  dans  le  Journal  des  dè^ 
hats.  On  choisit  pour  mettre  le  feu  à  la  batterie  un  jeune  écri*- 
vain  qui  s'annonçoit  dans  ce  début  sous  la  simple  initiale  G. , 
avec  beaucoup  de  verve  et  de  coloris,  et  que  l'on  connut  bientôt 
pour  être  M.  Granier  de  Cassagnac.  Peu  lui  importoit  sans 
doute  de  s'engager  témérairement,  et  au  bout  du  compte  dé 
n'avoir  pas  raison  dans  une  mauvaise  cause,  s'il  se  montroit 
capable  d'en  soutenir  une  bonne  au  besoin.  Je  n'ai  plus  sous  les 
yeux  le  feuilleton  du  Journal  des  débats^  où  M.  Granier  de 
Cassagnac  fit  ainsi  sa  première  campagne.  Mais  je  vois  encore  le 
journaliste  passer  en  revue  les  œuvres  d'A.  Dumas,  et  nous 
montrer  Schiller  qui  lui  réclame  une  scène,  Walter  Scott  un 
chapitre,  Augustin  Thierry  et  Châteaubriant  une  phrase,  et  Victor 
Hugo  un  mot.  Le  drame  Henri  II!  et  sa  cour  s'y  trouva  le  plus 
particulièrement  dénoncé.  Il  étoit  pris  d'une  aventure  de  Ma- 
dame Monsoreau,  dans  Anquetil;  et  l'intrigue  du  Mouchoir 
constituoit  un  larcin  fait  au  Fiesque  de  Schiller.  Comment  toutes 
ces  allégations  se  soutenoient-elles  ?  de  la  même  manière 
qu'elles  se  prouvent  presque  toujours  en  pareil  cas  :  par  la  sim- 
ple affirmation  d'une  critique  sans  doctrine,  qui,  entre  deux 
points  offrant  quelques  rapports,  ne  sait  ou  ne  veut  pas  distin- 
guer d'où  procèdent  ces  rapports,  où  ils  cessent,  ce  qu'ils  de- 
viennent en  se  quittant,  quelles  nuances  les  différencient,  quel 
esprit  particulier  les  anime,  enfin  s'ils  touchent  au  même  but, 
el  aux  yeux  de  laquelle  tout  est  confusion  d'un  seul  et  même 
objet. 

Les  révélations  de  la  presse  périodique  répandirent  sur  la 
portée  des  attaques  dirigées  contre  A.  Dumas,  un  jour  suffisant 
pour  ne  pas  laisser  complètement  &  l'ombre  de  M.  Granier  de 
Cassagnac  l'adversaire  plus  réel  qui  se  tenoit  derrière  dans 
l'insomnie  de  Thémistocic.  Les  succès  dramatiques  de  l'auteur 
i*Antony  n'avoient  cependant  point  fait  pâlir  l'astre  de  Notre- 


73A  BULLETIN    DU   BIBLIOPHILE. 

Dame  de  Paris^  qui  ne  8era  jamais  éclipsé.  Aucun  livre  de 
l'époque  n'avoit  été  plus  lu  ni  plus  en  vo^e.  Sa  renommée  s'ac^ 
croissoit  de  jour  en  jour.  Entre  les  scènes  et  les  tableaux  de  ce 
beau  livre,  quelle  popularité  n'est  pas  restée  à  l'épisode  de  La 
cour  des  miracles,  dans  le  chapitre  vi  du  II*  livre ,  La  cruche 
cassée? 

On  se  rappelle  cet  épisode. 

Gringoire,  après  la  dispersion  de  la  procession  du  pape  des 
ous  par  Claude  Frollo^  sur  la  place  de  Grève,  transi  de  froid, 
de  l'humeur  d'un  poète  dont  la  pièce  vient  de  tomber,  et  n'ayant 
pas  soupe,  cherche  un  gîte  pour  la  nuit  qui  est  déjà  venue.  Cette 
nuit  est  sombre;  il  se  perd  dans  les  rues,  toutes  au  plus  noires, 
jusqu'à  ce  qu'enfin  une  longue  ruelle  lui  offre  un  point  lumi- 
neux vers  lequel  il  se  dirige.  Chemin  faisant  il  passe  près  d'un 
cul-de-jatte.  Ce  cul-de-jatte  lui  adresse  ces  mots  :  La  buaim 
manda  y  signorl  la  huona  manda  ! 

Gringoire  passe  outre,  sans  savoir,  plus  que  moi,  ce  que  cela 
veut  dire,  et  rejoint  un  second  individu,  boiteux  et  manchot, 
qui  lui  crie  aux  oreilles  :  Scnor  caballerOy  para  comprar  wn 
pedazo  de  pan  ! 

Il  double  le  pas,  mais  un  aveugle  lui  barre  le  chemin  en  lui 
disant  :  Facitote  caritatem!  Gringoire  comprend  cette  fois  et 
poursuit  sa  route.  Alors  l'aveugle  se  met  à  allonger  le  pas,  et 
Gringoire  à  courir.  «  L'aveugle  courut,  le  boiteux  courut,  le 
cul-de-jalte  courut.  »  L'idée  vient  à  Gringoire  d'essayer  de  re- 
tourner sur  ses  pas.  Il  est  trop  tard Enfin  il  atteint  l'extré- 
mité de  la  rue.  Elle  débouche  sur  une  place  immense Grin- 
goire s'y  jette,  espérant  échapper,  par  la  vitesse  de  ses  jambes, 
aux  trois  spectres  informes  qui  s'étoient  cramponés  à  lui. 

«  —  Onde  vas,  hombre!  cria  le  perclus,  jetant  là  ses  bé- 
quilles et  courant  après  lui  avec  les  deux  meilleures  jambes  qui 
eussent  jamais  tracé  un  pas  géométrique  sur  le  pavé  de  Paris. 

«  —  Cependant  le  cul-de-jalle,'deboul  sur  ses  pieds,  coiffoit 
Gringoire  de  sa  lourde  jatte  ferrée,  et  l'aveugle  le  regardoit  en 
face  avec  des  yeux  Hamboyants. 


BULLETIN    DU   BIBUOPHILE.  73b 

t  —  OÙ  suis-je?  dit  le  poêle  terrifié. 

ce  —  Dans  la  Cour  des  miracles » 

Là-dessus,  on  mène  Gringoire  au  roi  de  Tendroit,  Glopin- 
Trouillefou,  qui  est  assis  sur  un  tonneau,  en  guise  de  trône. 
Cet  aimable  souverain  le  condamne  à  être  pendu,  parce  qu'il 
est  entré  dans  le  royciume  d'Argot,  sans  être  argolier.  Gringoire, 
qui  tient  à  n'être  pas  pendu,  fait  observer  qu'il  est  argotier  de- 
puis longtemps,  parce  qu'il  est  poète,  et  demande  à  être  reçu 
truand.  On  lui  impose,  à  ce  titre,  l'épreuve  de  fouiller  le  man- 
nequin, et  il  y  échoue;  ce  qui  le  ramène  à  être  pendu;  mais  il 
échappe  une  seconde  fois  à  la  corde,  par  le  bénéûce  de  la  loi 
bohémienne,  qui  veut  qu'on  ne  pende  pas  un  homme  sans  de- 
mander s'il  y  a  une  femme  qui  en  veut.  A  cett«  espèce  d'encan 
il  ne  tente  aucune  des  truandes  de  la  Gour  des  miracles,  pas 
même  la  plus  repoussante;  cependant,  à  la  fin,  une  voix  dit  :  Je 
le  prends,  c'est  la  voix  à' Esmeralda.  On  apporte  une  cruche 
d'argile.  Esmeralda  la  présente  à  Gringoire,  et  lui  dit  de  la  je- 
ter à  terre.  La  cruche  se  brise  en  quatre  morceaux.  Le  poêle  et 
la  bohémienne  sont  unis  pour  quatre  ans. 

Tel  est  l'épisode. 

Depuis  l'apparition  de  Notre-Dame  de  Paris,  en  1831,  ce 
souvenir  de  la  situation  de  Gringoire,  dans  la  Gour  des  mira- 
cles, m'est  constamment  resté  ;  il  m'a  fallu  néanmoins  le  railral- 
chir  à  sa  source  pour  l'esquisse  que  je  viens  de  donner.  Il  se 
raviva  surtout  à  la  lecture  que  je  ûs  d'une  ancienne  pièce  en 
trois  actes,  juste  au  moment  où  M.  Alex.  Dumas  se  trouvoit  ac- 
cusé de  plagiat.  Gette  pièce  a  pour  titre  :  Arlequin ,  roi  de  Se- 
rendit,  et  pour  auteur  Lesage,  qui  s'est  immortalisé  par  le 
roman  de  Gil  Blas.  Représentée  en  1713,  elle  a  été  imprimée  en 
1721,  dans  le  recueil  du  Théâtre  de  la  Foire.  J'en  extrairai 
textuellement  la  scène  première  du  premier  acte. 

a  Le  théâtre  représente  une  solitude  où  l'on  voit  des  rochers 
escarpés.  Arlequin  a  fait  naufrage  sur  la  côte.  Il  s'avance  dans 
l'Ile  de  Serendib,  s'assied  à  terre  et  compte  son  argent.  Tandis 
qu'il  est  dans  cette  occupation,  il  arrive  un  homme  qui  a  uo 


786  RUIXETIN  DU  BIBUOPHltE, 

emplAtre  sur  Tœil  et  une  carabine  sur  Vépaule.  Cet  homme 
pose  sou  turban  à  terre,  fait  signe  à  Arlequin  de  jeter  de  l'ar- 
gent dedans,  et  le  couche  en  joue  en  criant  :  Gtiaff,  Gnaff.  Ar- 
lequin, effrayé,  jette  plusieurs  pièces  dans  le  turban.  Le  volear 
se  retire,  et  dans  le  moment  il  en  parait  un  autre  qui  a  le  bras 
gauche  en  écharpe,  une  jambe  de  bois  et  un  large  coutelas  aa 
côté.  Celui-ci  met,  comme  Tautre,  son  turban  à  terre,  et  teaant 
son  coutelas  fait  signe  à  Arlequin  d'y  jeter  de  Targent,  en  lui 
disant  :  Gniff',  Gnxff.  11  obéit,  et  le  voleur  s'en  va.  Arlequin, 
après  cela,  pose  sa  bourse  à  terre  derrière  lui  ;  mais  un  troi- 
sième brigand,  en  cul-de.-jalte,  et  portant  un  pistolet  à  la  cein- 
ture, paroit  et  s'empare  subtilement  de  la  bourse.  Arlequin  se 
lève  pour  la  lui  ôter.  Le  cul-de-jatte  lui  présente  le  bout  de  son 
pistolet,  en  criant  :  Gnoff,  Gnoff,  On  voit  alors  revenir  les  deux 
premiers  voleurs  qui  se  défont,  l'un  de  son  emplâtre,  l'autre  de 
sa  jambe  de  bois;  le  troisième  sort  de  sa  jatte,  et  tous  se  met- 
tent à  danser  autour  d'Arlequin.  Dans  le  même  temps,  il  paroit 
une  charrette  tirée  par  un  âne  et  conduite  par  un  sauvage,  qui 
tient  â  la  main  une  grosse  massue.  11  y  a  dans  la  charrette  une 
table,  deux  bancs,  un  pi(klestal,  des  peaux  de  bouc  et  un  ton- 
neau. Pendant  qu'au  fond  du  th('u\tre  quelques  voleurs  s'occu- 
pent à  décharger  la  charrette,  trois  autres  dansent  avec  trois 
femmes  de  leur  compagnie.  Après  la  danse,  les  trois  voleurs 
qui  ont  volé  Arlequin  dressent  une  table  et  y  placent  des  pro- 
visions, le  tonneau  au  milieu.  Tous  se  mettent  à  boire  et  à 
manger.  Arlequin  veut  cajoler  une  des  femme^s  qui  est  auprès 
de  lui,  mais  le  cul-de-jatte  lui  présente  le  bout  de  son  pistolet 
Le  repas  fmi,  toiLs  les  voleurs  s'en  vont,  à  l'exception  des  trois 
premiers,  qui  décident  enln;  eux  du  sort  d* Arlequin  et  veulent 
le  faire  mourir.  11  va  être  frappé  d'un  coup  de  coutelas;  mais 
il  demande  grâce  à  genoux,  (»l  alors  ou  arrête  de  l'enfermer 
dans  le  tonneau,  pour  le  laisser  en  pâture  aux  loups  du  désert. 
Après  quoi  les  voleurs  s'en  vont.  Dans  son  tonneau.  Arlequin 
est  flairé  par  un  loup,  dont  il  saisit  la  queue  en  passant  la  main 
par  le  trou  de  la  bonde.  Le  loup,  qui  a  peur,  veut  entraîner  le 


■y 


BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE.  787 

tonneau  ;  mais  sa  queue  reste  entre  les  mains  d'Arlequin,  et  le 
tonneau  se  partage  en  deux.  Le  loup  se  sauve  d'un  côté  et  Ar- 
lequin de  l'autre,  n 

A  cela  près  que  Gringoire  ne  possède  pas  un  sou,  n'est-il  pas 
dans  la  même  situation  qu'Arlequin  ?  N'est-ce  pas  le  même  fil 
aventureux  qui  le  conduit  aux  mains  des  trois  mendiants?  Et 
quel  ra{^rt  de  conformité,  exact  jusqu'au  nombre,  entre  les 
trois  voleurs  de  la  pièce  et  les  trois  brigands  du  roman,  égale- 
ment fardés  de  plaies  et  d'infirmités,  sortant  des  deux  parts  de 
leur  jatte  et  recouvrant  soudainement  l'usage  de  leurs  mem- 
bres I  Pour  peu  que  Ton  force  les  rapprochements,  leur  argot 
respectif  n'est-il  pas  empreint  d'une  égale  étrangetéî  Gringoire 
n'est-il  pas  d'abord  condamné  à  mourir^  comme  Arlequin  ;  et, 
du  supplice  de  son  tonneau,  Arlequin  n'appeloit-il  pas  Gringoire 
à  fouiller  le  mannequin?  6i  la  diversité  des  actes  les  sépare,  ne 
se  retrouvent**ils  pas  à  la  bizarrerie  des  moyens?  C'est  là  ce 
que  ne  manqueroit  pas  de  prétendre,  pour  vouloir  convaincre 
Notre-Dame  de  Paris  de  plagiat,  une  critique  qui  se  tiendroit  à 
la  surface  des  choses  et  à  leurs  apparences.  Mais  que  l'on  com- 
pare à  l'informe  et  grossière  ébauche  d'Arleqmn,  la  belle  or- 
donnance du  tableau  de  V.  Hugo,  dans  cette  scène  si  animée  et 
ai  pittoresque  de  la  Cour  des  miracles,  et  quelle  critique  se 
sentira  la  force  de  dire  —  à  la  bouffonne  majesté  de  Glopin 
Trouillefou  :  a  Je  t'ai  vue  quelque  part;  »  —  à  l'originale  fi- 
gure de  ce  Gringoire^  toujours  philosophant,  pédant  jusque 
sous  la  potence  :  «  Tu  as  échoué  un  jour  sur  les  sables  de  Se- 
rendib?» 

Cependant  il  y  a  similitude  entre  les  deux  parties,  il  seroit 
puéril  de  le  nier  ;  mais  cette  similitude  est-elle  un  efiét  du  ha- 
sard de  l'imagination  dans  deux  esprits  différents?  Cette  question 
me  ramène  à  celle  de  savoir  si  Victor  Hugo,  lorsqu'il  a  com- 
posé Notre-Dame  de  Paris,  avoit  lu  ou  connoissoit  la  pièce  de 
Lesage.  Je  déclare  pour  mon  compte  que,  l'eût-il  connue,  on  de- 
vroit  en  bonne  justice  lui  faire  la  même  part  qu'à  Molière, 
lorsqu'il  disoit  reprendre  son  bien  chez  les  autres.  Mais  s'il  ne 


738  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

l*a  pas  connue,  la  question  de  plagiat  n'est-elle  pas  tranchée  pour 
toujours?  Une  déclaration  de  M.  V.  Hugo,  sur  cet  article,  an- 
roit  donc  une  grande  importance.  Elle  n'ôtera  rien  à  sa  gloire 
d'avoir  écrit  Notre-Dame  de  Paris,  dans  quelque  sens  que  la 
vérité  la  lui  dicte  ;  et  elle  peut  résoudre  par  le  fait  un  point  très- 
intéressant  de  psychologie. 

Lorsque  l'on  aura  ainsi  acquis  la  certitude  qu'il  peut  se  for- 
mer dans  plusieurs  cerveaux,  spontanément  et  originellement, 
des  combinaisons  d'idées  identiques,  avec  le  même  ensemble, 
la  même  suite  et  les  mêmes  détails  qu'elles  se  montrent  dans  les 
compositions  que  je  viens  de  comparer,  il  deviendra  impossible 
de  laisser  subsister  toutes  ces  cellules  où  l'on  enferme  de  pré- 
tendus plagiaires,  et  de  poser  des  limites  à  la  faculté  d'ima- 
giner. 

A  plus  forte  raison  permettra-t-on  à  deux  poètes  de  compa- 
rer à  une  orange  ce  qui  est  jaune,  sans  que  l'on  accorde  uo 
mérite  d'invention  à  celui  qui  a  fait  la  comparaison  le  premier; 
car  on  a  été  jusque-là. 

Tout  est  dit,  a  dit  lui-même  La  Bruyère  en  commençant  un 
ivre.  Et  il  n'en  a  pas  moins  ,fait  ce  livre  qui  a  sa  place  dans 
les  chefs-d'œuvre  de  la  littérature  française. 

C'est  qu'en  effet,  si  tout  est  dit,  tout  peut  se  redire.  Tout 
doit  même  être  redit,  pour  être  entendu  de  tous,  dans  les  révo- 
lutions des  âges  et  les  successions  des  siècles. 

L'important  d'une  vérité  qui  doit  éclairer  l'esprit  public,  d'une 
idée  qui  doit  l'agrandir,  d'une  pensée  ingénieuse  qui  peut  l'or- 
ner, n'est  pas  que  cette  vérité,  cette  idée,  cette  pensée  édo- 
sent  dans  un  cerveau  privilégié,  mais  qu'elles  se  propagent  et 
multiplient.  Si  le  premier  épi  sorti  de  terre  avoit  eu  la  préten- 
tion et  eût  obtenu  d'être  le  seul  épi,  nous  n'aurions  pas  de 
moissons. 

François  Morand. 

Boulogne-sur-Mer. 


BULLETIN  DO  UBUOPHILE.  7S9 

NOTICE 

BIOGRAPHIQUE  ET  LITTÉRAIRE 

SUA 

JEAN  DOUBLET 

DIEPPOIS. 


La  critique,  de  nos  jours ,  est  animée  à  l'égard  du  passé  des 
intentions  les  plus  chevaleresques  :  nous  nous  servons  à  des- 
sein de  ce  mot,  en  allant  au-devant  de  la  comparaison  qu'il 
amène.  Les  paladins  des  anciens  romans  n'étoient  point  en  ef- 
fet plus  en  quête  de  princesses  malheureuses  à  délivrer  que  la 
critique  ne  Test  de  pauvres  Muses  à  tirer  de  la  prison  d'oubli 
où  les  retient  enfermées  quelque  négromant  ennemi  de  leur 
gloire.  Cette  Muse,  cette  princesse  une  fois  trouvée,  la  critique 
rhabille,  la  pare  de  son  mieux,  et  la  présente  au  public,  comme 
feroit  l'heureux  don  Quichotte  sa  Dulcinée,  s'il  la  rencontroit 
enfin.  Que  la  critique  joue  en  ceci  un  peu  le  rôle  de  don  Qui- 
chotte, rien  de  mieux  ;  seulement  le  public,  pour  rendre  l'allu- 
sion plus  complète,  est  souvent  de  l'humeur  de  Sancho  Pança, 
et  trouve  que  celle  à  qui  nous  faisons  enfiler  des  perles  épluche 
tout  au  plus  des  pois  ou  des  haricots.  «  Tu  te  trompes,  ami  San- 
cho; je  t'assure  qu'elle  devoit  enfiler  des  perles,  en  vraie  prin- 
cesse qu'elle  est  ;  un  enchanteur  t'aura  abusé  aussi.  »  Et  Sancho 
de  hocher  la  tétc  à  cette  explication,  et  de  sourire  à  l'idée  de 
cette  princesse  qu'il  sait  bien  n'être  qu'une  paysanne. 

Paysanne  ou  princesse,  la  Muse  que  je  vous  présente,  lecteurs, 
est  bien  ignorée.  Qui  a  connu  Jean  Doublet?  personne,  pas 
même  l'abbé  Goujet,  qui  l'omet  dans  sa  Bibliothèque  française. 
Quelques  lignes  lui  sont  accordées  dans  le  Manuel  du  libraire^ 


7i0  BULLETIN  DU  BIBUOPHILE. 

et  il  y  est  dit  que  ses  œuvres  ne  sont  pas  sans  mérite.  C'est  peut* 
être  le  seul  éloge  qu'il  ait  reçu  ;  heureux  encore  qu'il  l'ait  reça! 
Son  volume  est  si  rare  qu'il  eût  pu  être  ignoré  même  de  l'auteur 
du  Manuel,  Qu'où  feuillette  tous  les  catalogues  de  vente  de  li- 
vres, on  ne  le  trouvera  dans  aucun.  Bnfin,  moi-même  je  ne  croi- 
rois  pas  à  l'existence  de  Jean  Doublet,  si  je  n'avois  fait  connois- 
sance  avec  lui  cet  hiver  en  allant  plusieurs  fois  le  voir  à  la 
bibliothèque  de  V Arsenal ,  où  il  réside  dans  une  belle  et  bonne 
reliure  de  maroquin  rouge.  De  ces  visites  en  ce  quartier  éloigné 
je  me  fais  un  mérite  auprès  du  poc^te,  et  prétends  qu'il  doit  m*en 
savoir  gré.  Je  n'ose,  par  modestie,  afficher  la  même  prétention 
à  l'égard  de  mes  lecteurs  :  on  est  hardi  avec  les  morts,  mais 
avec  les  vivants  il  faut  des  précautions.  Toujours  est-il  que  Je 
l'ai  touché,  le  rare  volume,  que  je  l'ai  lu  d'un  bout  à  l'autre 
avec  soin  et  à  plusieurs  reprises.  Peu  à  peu  j'étois  si  bien  accour 
tumé  à  ces  visites  dont  j'essaye  de  tirer  quelque  gloire,  que,  mes 
notes  prises,  mon  travail  terminé,  j'en  étois  k  regretter  de  n'a- 
voir plus  à  revenir  dans  cette  bibliothèque  si  tranquille,  si  éloi- 
gnée des  bruits  de  Paris,  et  dont  le  nom  guerrier  se  prête  aune 
explication  symbolique,  puisque  une  bibliothèque  est  véritable- 
ment un  arsenal  pour  l'esprit  humain,  et  comme  le  magasin 
des  armes  qui  servent  à  combattre  l'ignorance.  Si,  chemin  fai- 
sant et  près  d'arriver,  je  rencontrois  l'ombre  de  Sully  qui  me 
parloit  d'artillerie  et  de  canons  à  fabriquer  (des  canons,  mon- 
sieur le  grand-maitre,  hélas!  oui,  il  est  toujours  question  de 
canons  en  ce  monde ,  et  ils  font  plus  de  bruit  que  jamais) ,  à 
peine  entré  dans  ce  sanctuaire  où  leur  bonne  étoile  a  conduit 
nos  vieux  poètes ,  une  autre  ombre ,  avec  laquelle  j'étois  plus 
familier  et  plus  à  mon  aise,  m'accueilloit,  celle  de  Nodier,  qui  me 
montroit  du  doigt  les  volumes  sur  les  rayons,  et  dont  il  me  sem- 
bloit  que  le  sourire  m'encourageoit  et  ajoutoit  à  ma  besi^ne, 
déjà  agréable  par  elle-même,  un  agrément  de  plus. 

Mais  je  m'écarte  de  mon  but,  ou  plutôt  je  tarde  bien  ày  anv 
ver.  Tout  à  Theure  j'ai  été,  je  ne  sais  par  quel  chemin,  cher- 
cher jusque  dans  la  Manche  don  Quichotte  et  son  écuyer  San- 


BUUETIN  DU  BIBUOPHILE.  7&i 

eho  Pança  ;  je  crois  que  ma  plume  faisoit  comme  eux,  et,  &  leur 
exemple,  cherchoit  les  aventures.  «  Quand  une  plume  a  la  bride 
8ur  le  cou,  disoit  M"'  de  Sévigné,  il  faut  la  laisser  aller.  »  Voici 
maintenant  que  j'évoque  et  le  grand  Sully  et  le  bon  Nodier,  sous 
prétexte  de  ce  quartier  de  l'Arsenal,  qui  ici  n'est  point  en  cause. 
C'est  Ui,  à  proprement  parler,  faire  l'école  buissonnière.  Mais 
quoi!  l'école  buissonnière?  ce  sont  les  écoliers  qui  la  font;  et 
moi,  en  ce  moment  où  j'écris  dans  le  Bulletin  ce  très-docte  ar- 
ticle, suis-je  un  écolier,  je  vous  prie?  Non  certes,  mais,  au 
contraire,  un  professeur.  Les  écoliers,  c'est  vous,  lecteurs. . . 
Mais  la  suite  de  ma  comparaison  m'embarrasse  et  m'amèneroit 
k  blesser  encore  votre  amour-propre,  que  je  veux  ménager  avant 
tout  Ma  comparaison  a  tort,  ou  plutôt  j'ai  eu  tort  de  la  com- 
mencer; je  n'ai,  pour  me  tirer  de  peine ,  qu'à  faire  comme  cet 
avocat  de  l'épigramme  de  Martial  qui,  ayant  à  parler  d'une  chè- 
vre, se  perdoit  en  toute  sorte  de  digression,  et  que  l'on  força 
d'ep  venir  enfui  à  sa  chèvre.  Ma  chèvre ,  à  moi ,  c'est  Jean 
Doublet, 

Jean  Doublet  !  le  nom  est  prosaïque  et  bourgeois.  C'est  en 
effet  à  la  bourgeoisie  dieppoise  qu'appartenoit  notre  poète,  qui 
o'avoit  de  parchemins  que  sur  le  Parnasse. 

Si  tu  n'ois  point  un  long  ordre  de  titres 
Quand  on  m'appelle,  et  n'ay  qu'un  petit  nom, 

Si  tu  vois  peintes  en  mes  vitres 

Des  armes  de  peu  de  renom, 
Phœbus  pourtant  et  ses  neuf  doctes  filles 
De  raoy  font  compte 

Haitf^  qu'on  ne  s'y  trompe  pas,  cette  bourgeoisie  de  Dieppe  étoit 
accoutumée  à  produire  des  héros,  de  hardis  marins,  célèbres 
par  leurs  combats  contre  les  Espagnols  et  les  Flamands.  Dou- 
blet parle  au  commencement  de  son  livre  de  ses  cousins  morts 
et  de  son  frère  brûlé  (sans  doute  au  milieu  de  la  mer).  Ces  ex- 
ploits à  chanter  le  séduiroient,  s'il  ne  trouvoit  la  tâche  au-des- 
sus de  ses  forces  et  ne  la  laisaoit  à  ton  oncle  Hifant.  Cet  onde 


7A2  BULLETIN   OU  BIBLIOPHILE. 

Mifant ,  c'étoit  l*oracle  de  la  famille,  et  qui ,  lui  aussi ,^parloit, 
comme  doivent  parler  tous  les  oracles,  en  vers.  G'étoit  le  Gaton 
de  Dieppe;  c'en  étoit  aussi  le  Platon,  au  dire  de  son  neveu,  et 
la  même  aventure  lui  étoit  arrivée  qu'au  philosophe  grec  :  des 
abeilles  étoient  venues  se  poser  sur  ses  lèvres  en  présage  du 
miel  de  ses  discours.  Mifant  avoit  même  un  avantage  sur  Platon  : 
Platon  ne  s' étoit  pas  tout  de  suite  élevé  à  la  contemplation  deDien 
et  des  choses  éternelles;  mais  lui,  Mifant,  avoit  tout  d'abord  con- 
sacré sa  nmse  aux  sujets  pieux,  et  Rouen  gardoit  dans  ses  ar- 
chives dos  pièces  de  vers  où,  jeune  encore,  il  avoit  célébré  les 
louanges  de  la  Vierge.  Quelquefois,  mais  toujours  saintement, 

amusoit  ses  concitoyens  par  des  comédies,  des  mystères  pro- 
bablement  ;  les  paroles  étoient  de  lui,  et  un  musicien  de  la  ville, 
Mathieu  Fournier,  y  entremêloit  ses  douces  mélodies.  Telle  avoit 
été,  selon  une  gracieuse  image  de  Doublet,  V herbe  nouvelle  et 
tendre,  le  vert  printemps  des  productions  de  son  oncle.  Mais 
cette  sagesse  avunculaire  ne  faisoit  que  mieux  ressortir  la  folie 
du  neveu,  l'un  ayant  échoué  à  tous  les  écueils  que  l'autre 
avoit  évités.  Lui,  Doublet,  que  sa  jeunesse  emporte,  ne  rime 
qu'épigrammes  et  chansons  d'amour,  et  il  ose ,  à  la  barbe  de 
son  oncle,  hasarder  cette  réflexion^  que  ce  n'est  pas  là  un  bien 
grand  crime ,  telle  imperfection  ne  méritant  pas  moins  être  ex- 
cusée en  un  jeune  homme  que  la  verdeur  et  surté  en  un  fruit  non 
mûr. 

Du  Bellay,  qui,  dans  son  illustration  de  la  langue  françoise, 
trace  aux  poètes  le  programme  qu'ils  auront  à  remplir,  semble 
avoir  indiqué  à  Doublet  sa  part,  quand  il  dit  :  Distille  d!'un  style 
coulant  ces  lamentables  élégies,  à  V exemple  d*un  Ovide,  d^wn 
Tibulle ,  d'un  Properce.  C'est  ce  qu'a  fait  notre  poète ,  sinon 
dans  le  style  coulant  que  demande  Du  Bellay,  au  moins  avec  une 
certaine  facilité  et  avec  une  certaine  élégance  dans  les  bons  en- 
droits. C'est  par  un  souvenir  d'Anacréon  qu'il  débute;  lui  aussi, 
l'esprit  rempli  de  projets  d'iliades  et  d'odyssées,  alloit  chanter 
sur  un  mode  grave  la  victoire  de  ses  demi-brûlés  dieppogs,  et 
faire  emboucher  la  trompette  à  sa  Muse  : 


BULLETIN   DU  B1BU0PHILK.  7&S 

Tout  alloit  bien  :  Amour  s'en  prît  à  rire, 
Et  de  mes  vers,  qu'égaux  il  vil  marcher. 
Leur  coupant  un  pied  sans  mot  dire, 
Toute  une  moitié  fit  clocher. 

Ailleurs,  il  parle  et  s'applaudit  de  cette  nouvelle  composition 
de  vers  inégaux,  qu'il  croit  propres  à  rendre  l'effet  des  distiques 
latins.  Quoi  d'étonnant,  puisque  c'est  l'Amour  lui-même  qui  leur 
a  coupé  un  pied,  que  ses  quatrains  aient  quelque  grâce  à  botter? 
n  n'en  feint  pas  moins  l'air  dépité  et  mécontent,  toujours  pour 
imiter  Anacréon  : 

Qui  t'a  donné,  faux  garçon  plein  de  ruses. 
Tant  de  pouvoir  sur  ce  qui  n'est  point  tien  ? 
Nous  et  nos  vers  sommes  aux  Muses  ; 
Petit  larron,  tu  n'y  as  rien. 

Le  petit  larron  y  a  tout ,  au  contraire ,  excepté  dans  ceux  de 
l'oncle  Mifant;  que  l'oncle  Mifant  chante  donc  les  héros  de 
Dieppe  : 

Cestui  pourra  chanter  vos  faits  d'armes , 
Guerriers  dieppoys,  si  que  nul  autre  mieux, 

Et  tandis  ce  Triant  de  larmes 

8e  baignera  dessous  mes  yeux. 

Ce  friant  de  lannes  exprime  avec  une  nuance  heureuse  la 
pensée  de  Virgile,  que  l'Amour  ne  peut  se  rassasier  de  pleurs. 

Puisqu'il  ressuscite  Ovide,  Tibulle,  Properce,  il  faut  que  Dou- 
blet ait  comme  eux  une  maîtresse ,  un  nom  de  femme  à  pro- 
mettre ù  l'immortalité.  Nous  ne  le  trouvons  pas  heureux  dans  le 
choix  qu'il  fait  du  nom  de  Sibille ,  qui  sent  son  antiquité»  et 
n'offre  à  l'esprit  aucune  idée  agréable.  Le  nom ,  du  reste ,  ne 
fait  rien  à  la  chose  ;  la  réalité  des  amours  de  notre  poète  n'en 
perce  pas  moins  sous  le  voile  de  l'imitation  classique,  et  celte 


7AA  BULLBTIIf  DD  BIBLIOPHILE. 

maîtresse,  quel  qu'ait  été  son  vrai  nom,  a  bien  réeliement  vécu 
à  Dieppe  au  temps  où  il  la  chantoit  ;  il  nous  en  a,  dans  ses  élé- 
gies, donné  toute  l'histoire.  D'abord,  jeune  fille,  nous  la  voyons 
bientôt,  cédant  aux  désirs  de  ses  parents  éblouis  d'avarice^  épou- 
ser un  vieillard,  un  homme  qui  vivoit  de  procès,  un  chicanoux 
dont  les  doigts,  quoique  percliis  de  goutte,  savoient  tirer  l'ar- 
gent de  la  bourse  des  plaideurs.  11  y  avoit  mieux  que  deâ  raisoni 
poétiques  contre  ce  mariage,  et  le  plus  étroit  bon  sens  eût  parlé 
sur  ce  sujet,  comme  l'imagination  de  notre  poète.  «  Gomment, 
disoit-il ,  comment  unir  à  un  stérile  hiver  le  printemt>d  d'une 
verte  jeunesse?  Qu'importe  que  ce  vieillard  soit  riche? 

S'il  est  rente  de  deux  ou  trois  fois  mille» 
Si  son  argent  un  peu  haut  l'éleva. 
Si,  en  longue  housse  par  la  ville 

Sur  un  âne  écourté  s'en  va , 
Si  n'est-ce  assez  k  une  vierge  gaie...  » 

Unie  à  son  vieillard ,  la  vierge  perdit  peut^tre  un  peu  de  fla 
galté,  mais  comprit  ses  nouveaux  devoirs  et  résolut  d'y  Mre 
fidèle.  Cette  résolution,  le  poète,  de  son  côté,  se  proposa  de  la 
respecter;  mais  l'Amour,  qui  se  croyoit  des  droits  sur  son  cœur 
et  sur  sa  nme  aussi ,  lui  inspira  bientôt  d'autres  pensées,  pen- 
sées que  Sibille  n'écouta  point  : 

Et  cependant,  toujours  sage  et  accorle, 
Kt  clairvoyante,  et  constante  toujours, 

Sibille,  sur  ces  raisons  forte^ 

D'Amour  se  moque  tous  les  jours. 

Elle  ne  lui  retiroit  point  son  cœur  qu'elle  lui  avoit  donné  depuis 
longtemps  ;  mais  la  crainte  de  Dieu  et  la  sainteté  des  liens  con- 
tractés par  elle  étoient  toujours  devant  ses  yeux,  et  cela  ne  fai- 
soit  point  les  affaires  de  son  amant.  Ce  dernier  la  prëchoit  à  ce 
sujet,  et,  non  content  d'appeler  à  son  aide  la  morale  amoureuse 


BULLETIN   DU  BIBUOPHILE*  7A6 

d*Ovide,  il  etnpiétoit  sur  Lucrèce  et  tmnchoit  de  Tesprit  fort, 
déclarant  que  ce  qu'on  racontoit  des  enfers,  et  de  Badamante, 
et  de  Tisipbone,  n'étoit  que  fables  qui  n'effrayoient  personne, 

Que  quelques  enfants  bien  petits. 

Et  TAmour  étoit  trop  éveillé,  trop  avisé  pour  être  de  ces  en- 
fants-là«  Belle  promesse  qu'en  son  âge  tendre  elle  avoit  faite 
sous  le  latin  d'un  vicaire  étolé!  Gela  Tengageoit-il  à  rien?  pou- 
voilrelle  baiser  ce  rechigné  visage 

Qui  de  sa  vie  un  souris  ne  songea? 

Hélas  !  il  ne  sourioit  pas  même  en  songe,  le  vieux  mari.  Songer 
un  souris I  expression  charmante,  pleine  de  naïveté,  et  dont 
j'imagine  que  La  Fontaine ,  s'il  Teût  rencontrée,  eût  fait  ce  que 
Molière  faisoit  de  son  bien  qu'il  reprenoit  où  il  le  trouvoit.  Mais, 
tandis  que  nous  montrons  à  La  Fontaine  son  bien  chez  Jean  Dou<* 
blet,  celui-ci,  insensible  à  cet  honneur,  tant  il  est  préoccupé 
de  sa  passion ,  continue  ses  tentatives  de  séduction  auprès  de 
Sibille,  qu'il  suppose  effrayée  par  le  souvenir  de  la  mésaven- 
ture de  Vénus  et  de  Mars.  Vénus,  en  effet,  eût  tout  gâté  avec  ce 
filet  où  elle  se  laisse  si  heureusement  surprendre,  si,  pour  éviter 
semblables  accidents  en  son  empire,  elle  n'eût  inspiré  à  ses  sujets 
un  esprit  inventif  capable  de  tromper  la  surveillance  des  jaloux. 
De  là  ce  langage  muet ,  ces  signes  par  lesquels  on  se  comprend 
sans  se  parler  ;  de  là  les  échelles  de  soie,  les  semelles  de  feutre, 
sans  oublier  le  g&teau  jeté  au  chien  pour  étouffer  ses  abois  : 
toutes  inventions  de  Vénus ,  qui  ne  veut  point  que  Vulcain  la 
surprenne  une  seconde  fois  : 

Bref,  jusqu'au  lit  elle-même  nous  meine 
Dans  la  ruelle,  cl  de  sa  propre  main 
Tient  le  soupir  de  notre  haleine, 
Tant  que  s'endorme  le  vilain. 


7A6  BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE. 

A  ce  discours  erotique  et  presque  impertinent  dans  sa  fami- 
liarité, Sibille  oppose  le  langage  de  la  vertu  et  de  la  religion; 
aussi  le  poète  nous  avoue  qu'il  en  fut  repasmé  tout  coi  : 

J'avois  tout  dit  :  Tunique  à  mes  yeux  belle 
Avec  deux  mots  me  repasma  tout  coi  : 

«  Je  t'aime  plus  que  moi,  dit-elle; 

Mais  Dieu  seul  plus  que  loi  et  moi.  » 

Le  contraste,  en  effet,  ne  pouvoit  être  plus  grand.  Le  plaidoyer 
de  Doublet  ne  sort  pas  du  ton  du  badinage  et  de  la  galanterie 
erotique,  et  a  bien  Tair  d'être  prononcé  devant  une  cour  d'amour 
dont  les  juges  seroient  Anacréon,  Ovide,  Tibulle,  Guillaume  de 
Lorris,  Martial  d'Auvergne,  ce  dernier  prêt  à  enregistrer  un 
nouvel  arrêt  sur  ses  tablettes.  La  réponse  de  Sibille  a  un  carac^ 
tcre  tel  qu'on  pourroit  se  croire  transporté  devant  un  autre  tri- 
bunal ,  et  ressemble  au  refus  que  feroit  une  héroïne  chrétienne 
de  sacrifier  aux  idoles.  C'est  en  effet  un  acte  d'idol&trie  que  lui 
demandoit  Doublet.  Nous  ne  prétendons  pas  toutefois  dire  cela 
sérieusement,  et  ne  voulons  pas  qu'on  croie  que  nous  écrivons 
les  acles  du  martyre  de  Sibille. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ce  caractère  chrétien  relève  un  peu  le  fond 
classique  et  païen  des  élégies  de  notre  poète.  Cette  beauté»  qui 
lui  fit  oublier  Dieu,  alors  qu'elle  eût  dû  lui  servir  d'échelle  pour 
monter  h  la  source  du  beau,  lui  parloit  souvent  dansée  sens  re- 
ligieux, et  l'exhortoit  à  se  tourner  vers  les  choses  divines;  mais 
lui  n'avoit  d'inclination  que  pour  la  terre,  tant  la  jeunesse  ren- 
doitson  esprit  farouche  (l'âge  féroce  d'Amaury  le  voluptueux). 
Plus  tard  cependant  il  rentra  en  lui-même,  et,  changeant  en  so- 
lide amitié  son  fol  amour,  il  voua  au  feu  la  plume  et  le  papier 
qui  lui  avoient  servi  à  écrire  ses  chansons  criminelles.  Cet  auto- 
da-fé  ne  fut  exécuté  que  dans  ses  vers,  sans  quoi  nous  n'aurions 
pas  cl  nous  occuper  ici  de  son  livre. 

La  belle  réponse  et  la  scène  dramatique  que  nous  avons  ra- 
contées n'ont  point  terminé  les  amours  de  Doublet  et  de  Sibille  : 


BULLETIN  DU  BIBUOPHILE.  7&7 

achevons-en  l^histoire.  Ce  vilain ,  qu'il  ne  s'agissoit  que  d'en- 
dormir, fit  mieux  :  il  mourut.  Toutefois,  nos  amoureux  ne  s'é- 
pousèrent pas  ;  rheure  de  la  sagesse  étoit-elle  venue,  même  pour 
Doublet?  N'étoient-ils  plus  assez  jeunes  tous  deux  pour  renouer 
les  doux  sentiments  de  leur  jeunesse  ?  Ces  sentiments  se  renouè- 
rent bien,  mais  adoucis,  pour  ne  pas  dire  aiïoiblis  et  sur  un  autre 
ton.  Après  la  mort  de  son  mari,  Sibille,  qu'il  avoit  transplantée 
à  Rouen,  où  le  fîxoient  ses  fonctions  judiciaires,  revint  à  Dieppe, 
bravant  les  bruits  que  la  médisance  faisoit  courir  sur  les  motifs 
de  ce  retour.  Qu'elle  voulût  se  rapprocher  de  son  ami,  cela  étoit 
bien  naturel  ;  mais  d'autres  raisons  lui  conseilloient  ce  parti  ; 
ces  raisons ,  le  po<^te  les  énumère  dans  une  pièce  de  vers  qu'il 
lui  adresse  pour  l'exhorter  à  persévérer  dans  son  projet  de  quit- 
ter Rouen.  G'étoit  son  pays  natal  que  Dieppe ,  le  lieu  où  repo- 
soient  les  cendres  de  son  époux,  où  sa  mère  et  ses  sœurs  dor- 
moient  sous  tombes  honorables.  Puis,  comment  ne  pas  préférer 
à  l'air  brumeux  de  Rouen  l'air  vif  des  bords  de  la  mer,  et  cette 
température  qui  rend  inutiles  les  médecins  auxquels  tout  Rouen 
est  voué?  Doublet  insiste  sur  cet  air  vif  de  Dieppe  auquel  il  at- 
tribue une  grande  influence  sur  le  naturel  et  les  dispositions  des 
habitants  : 

Aussi  pour  vrai,  un  air  tiède  et  mollace 
N'eût  rien  valu  pour  engendrer  des  cœurs 

Qui  fussent  sur  l'onde  fallace 

De  tout  autre  peuple  vainqueurs. 

Ni  tant  d'esprits  que  Pallas  y  avoue  : 
Deux  Mifants  morts  et  deux  morts  Parmentiers, 

Et  deux  que  vivants  moins  je  loue  : 

Terrien  et  ce  Mifant  tiers. 

Ce  Mifant,  troisième  du  nom,  c'est  l'oncle  que  nous  savons.  Les 
vers  que  nous  citons  sont  un  peu  barbares,  mais  ils  peuvent  in- 
téresser le  patriotisme  dieppois.  Malheureusement,  le  patrio- 
tisme dieppois  ne  lit  peut-être  pas  le  Bulletin  du  bibliophile. 

52 


7A8  BULLETIN  DU  BIBLIOPHUE. 

Voici  donc  Sibille  revenue  dans  sa  ville  natale  et  notre  ro- 
man fini,  mais  sans  mariage.  Cette  conclusion,  que  nous  regret- 
tons de  n'avoir  pas  à  mentionner,  étoit  si  naturelle,  que  si  elle 
n'eut  pas  lieu,  il  en  fut  au  moins  question.  Gela  résulte  d'une 
élégie  dans  laquelle  Doublet  introduit  auprès  de  Sibille  veuve 
une  certaine  vieille  qui  joue  le  rôle  et  tient  le  langage  de  h 
Macette  de  Régnier.  Cette  vieille ,  qui  n'avait  plus  rien  à  faire 
en  ce  monde  pour  son  propre  compte ,  s*entremettoit  de  ma- 
riages: 

Mais  cependant  pour  sa  proie  elle  guette 
Si  quelque  riche  est  à  pourvoir  encor, 
Ou  si  quelque  veuve  est  jeunette, 

Car  pécher  y  vout  cliaîne  d'or. 
Ayant  ouï,  par  les  bruits  de  la  ville, 
Qui,  peu  à  peu  doublant,  courent  toujours, 

Que  le  mari  d'une  Sibille 

Bien  riche  avoit  fini  ses  jours, 
A  elle  vint,  el  me  sembla  sa  langue 
Pour  beaucoup  nuire  Olre  diserle  assez, 

Car  j'ouïs  toute  la  harangue 

Entre  dcMix  huis  sur  moi  poussés. 

Tandis  que  Doublet  est  entre  ses  deux  huis,  écoutons  avec  lui 
ce  que  va  dire  la  vieille.  Après  quelques  mots  de  consolation, 
peu  nécessaires  peut-Olre,  au  sujet  de  la  perle  que  Sibille  a  faite, 
elle  en  arrive  à  lui  proposer  de  rcmi)lacer  le  défunt.  Dieu,  qui 
la  prive  d'un  mari  qui,  h  vrai  dire,  étoit  un  peu  Agé,  saura  la 
pourvoir  mieux.  Klle  on  sait  un,...  luiiis  c'est  trop  se  presser... 
Après  tout,  pourquoi  ne  pas  profiter  de  l'occasion?  Celui  qui 
la  désire  est  riche.  Du  reste,  à  défaut  de  celui-là  il  y  QO  a 
d'autres  : 

J'en  sais  encor  :  les  voulez-vous  d'espée. 
Ou  financiers  ?  à  Rouen  ou  Paris  7 


BULLETIN   DU  BIBLIOPHILE.  749 

Élisez  pour  n'eslre  trompée  ; 

Je  vous  baille  au  choix  cent  maris. 

Mais,  tout  en  lui  donnant  des  maris  h  choisir,  la  vieille  prétend 
guider  son  choix  : 

Épouses-moi  quelqu'assuré  riche  homme 
D'un  haut  état;  si  pouves,  honoré, 

Tel  que  celui  que  je  ne  nomme  ; 

Mais  premier  vous  Tai  figuré. 

Au  choix  d'un  riche  mari  bien  des  avantages  sont  attachés  : 

Après  sa  mort  vos  douaires  augmentent... 

C'est  toujours  ii  cela  que  regarde  la  vieille,  qui  n*a  qu'une  pas- 
sion, celle  de  l'argent.  On  lui  a  dit  qu'il  s'agissoit  pour  Sibille 
de  quelque  jeune  homme  sans  nom  et  sans  fortune  ;  mais  elle  ne 
veut  pas  croire  à  ce  sujet  les  langues  médisantes  : 

Pour  toute  chose  un  po6te  assez  habile, 
Enfant  de  Dieppe  aux  rives  de  la  mer, 

Si  fol  d'une  élude  inutile. 

Qu'autre  chose  ne  veut  aimer. 

Mais  quand  ce  seroit  Clément  Marol  lui-même  ou  Ronsard,  qu 
se  dit  Pindare  gaulois  (la  vieille  connotl  la  littérature  ae  son 
temps)  : 

D'eux  ni  de  lui  qu'aurez-vous  autre  chose 
Qu'une  ballade,  un  rondeau?  voilà  tout. 

Mais  mieux  vaut  un  écu  en  prose 

Que  mille  rimes  sans  un  sou. 

Aufl6i  de  ces  gens^là  il  ne  faut  faire  ni  son  ami  ni  son  époux  ; 


750  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

le  douaire  de  leur  femme  ne  se  prend  que  sur  le  Parnasse,  el 
rhypolhè(jue  n'en  vaut  rien.  Voire  mari,  et  la  vieille  d'ajouter: 
Dieu  veuille  avoir  son  âme  !  votre  mari  passoit  pour  aimer  l'ar- 
gent ,  mais  il  vous  laisse  du  bien,  ce  qui  vous  est  en  mescheftm 
bonheur;  puis  il  étoit  extrait  de  noblesse;  l'autre ,  le  po^te,  n'a 
ni  titres  ni  écus.  Je  ne  sais  à  tout  ce  discours  quelle  grimace 
fait  notre  Doublet  derrière  la  porte  ;  je  crois  qu'il  lui  est  difficfle 
de  se  contenir  plus  longtemps;  aussi  est-ce  fort  à  propos  qae 
la  venue  d'une  voisine  le  tire  de  sa  cachette,  et  lui  permet 
d'exhaler  son  indignation  contre  la  vieille  dans  ce  quatrain  qui 
termine  la  pièce  : 

Dieu  pour  loyer  te  doint,  vieille  damnée, 
Sans  feu,  sans  vin  le  reste  de  tes  jours, 

Rien  qu'yver  par  toute  l'année, 

Et  gosier  altéré  toujours  ! 

C'est  dans  les  mêmes  termes  que  Régnier  prend  congé  de  Ha- 
cette.  Nos  deux  poètes  suivent  ici  la  trace  d'Ovide  dans  son 
élégie  contre  la  vieille  Dypsas,  la  Macctte  de  son  temps.  Je  me 
suis  aperçu  i\  temps  de  cette  imitation  commune,  sans  quoi  j'ai- 
lois,  selon  mon  zèle  de  critique  chevalier,  et  dans  l'intérêt  de  la 
Muse  qui  est  ma  dame,  faire  honneur  à  Doublet  de  la  satire  de 
Régnier.  C'est  pour  le  coup  que  Sancho  se  fût  moqué  de  don 
Quichotte  ! 

Mais  peut-être  on  se  lasse  de  toujours  rencontrer  Ovide  sous 
Doublet,  qui  a  bien  sa  personnalité  propre,  sa  personnalité  nor- 
mande et  dieppoise.  Il  paye  la  dîme  à  son  curé  bien  exacte- 
ment. . .  ;  son  calendrier  n'est  point  celui  des  fastes  de  Rome,  mais 
celui  des  fêtes  catholiques  dont  il  n'est  basse  ni  haute  qu'il  ne 
chôme  ;  le  patron  de  son  village,  qui  n'est  qu'un  saint  des  plus 
grosses  façons,  un  saint  de  bois  mal  taillé,  reçoit  tous  les  ans  sur 
son  autel,  avec  înaint  feu  de  cire,  l'olTrande  de  ses  bons  fruits» 
et  (lu  prime  épi  il  lui  fait  un  chapeau  mi-jaune  mi-vert.  Aussi 
u-ImI  laconûance  qu'en  remplissant  ainsi  ses  devoirs  de  parois- 


BULLETIN  OU  BIBUOPHILE.  761 

sien  il  attirera  sur  lui  la  bénédiction  d'en  haut,  et  qu'il  verra 
les  purs  froments  tassés  jusqu'aux  tuiles  dans  sa  grange,  et  que 
ses  celliers  seront  pleins  de  cidre  et  même  de  vin,  car  il  a  une 
vigne  en  son  climat  de  Normandie,  une  vigne  dont  lui-même  a 
planté  et  aligné  les  ceps;  c'est  lui  qui  nous  donne  ces  détails 
dans  une  pièce  de  vers  où  il  raconte  ses  occupations  champê- 
tres. Cette  pièce,  qui  n'est  pas  une  des  moins  agréables  du  vo- 
lume, débute  à  la  façon  d'Horace.  Qu'un  autre,  pour  attraper  des 
bénéfices,  suive  la  mule  des  prélats  cramoisis,  lui  n'a  point  cette 
ambition,  et  ne  voudroit  point  sacrifier  sa  chère  ^  sa  toute  cCor 
Uherté  à  une  oisive  prébende.  Il  a  un  petit  patrimoine  qui  lui 
suffit,  hoc  erat  in  votis;  ce  patrimoine ,  il  le  cultive  lui-même, 
bobus  exercet  suis ,  car  ce  n'est  pas  seulement  sa  poésie,  mais 
sa  vie  qui  imite  Horace  :  s'agit-il  de  se  mettre  à  la  besogne,  il  ne 
fait  point  le  délicat  : 

Le  long  louchet  ou  la  courte  faucille 
Entre  mes  mains  ne  me  fait  honte  lors, 

Ni  ce  lou  velu  qui  m'habille. 

Ni  les  souliers  sales  et  ords; 
De  la  charrue  aucune  fois  peut-être 
Les  mancherons  moi-même  guiderai. 


Toutefois ,  ce  n'est  que  pour  son  plaisir  que  notre  poète  met 
ainsi  la  main  à  la  besogne,  et  ces  travaux  rustiques  ne  sont  pour 
lui  qu'une  diversion  aux  occupations  de  l'esprit.  Au  besoin ,  ce 
patrimoine  le  nourriroit  sans  qu'il  eût  à  s'en  mêler;  l'argent 
lui  viendroit  pendant  qu'il  dormiroit,  et  il  n'auroil  qu'à  le  comp- 
ter à  son  réveil  : 

En  paix  je  tiens  de  juste  patrimoine 
Non  loin  borné,  un  peu  de  fonds  normand , 
Qui  sans  rien  faire,  comme  un  moine, 
Me  nourrit,  si  je  veux,  dormant. 


752  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

Sans  anibilion  à  la  ville ,  dont  il  nr  recherclKî  poinl  les  hauts 
emplois,  les  {grandes  fonctions,  Jean  Doublet,  aux  champs,  ne 
court  point  après  le  gain;  ce  qu'il  demande,  c'est  que  le  loup 
épargne  son  petit  troupeau,  et  que  les  voleurs  se  détournent  de 
sa  maison  ;  aussi  bien  n'y  feroient-ils  pas  grand  profit.  Ce  que 
lui  produit  son  fonds  normand  suffit  à  sa  consommation,  et  rien 
de  plus  : 

Pour  le  marché  mes  besles  je  n'engraisse, 
Je  ne  bats  point  pour  la  halle  mes  blés. 

Et  même,  si  l'abondance  versoit  chez  lui  sa  corne  pleine,  à 
peine  les  provisions  de  son  fruitier  iroient-elles  jusqu'aux  nou- 
veaux fruits.  L'auteur  termine  cette  élégie,  qui  est  plutôt  une 
idylle,  en  se  déclarant  content  de  la  médiocrité  de  sa  vie;  il 
peut  l'être  aussi  de  sa  muse,  (jui  l'a  heureusement  inspiré. 

N'avoil-il  point  raison  de  préférer  aux  grands  et  lucratifs  em- 
plois le  doux  métier  des  vers?  Et  cependant  ce  doux  métier,  on 
le  lui  reprochoit  comme  un  vice  d'esprit  fainéant,  et  de  ce  côté 
aussi  on  l'attaqnoit  auprès  de  Sibille.  «  Hé  quoi!  s'écrie-t-il , 

Veulent-ils  point  qu'à  mes  côtés  je  mette 
D'art  milanoise  espée  et  dague  aussi. 

Et  sur  ma  teste  une  phunelte 

Pour  estre  bien  pUis  noble  ainsi? 
J'aurois  du  roy  les  gages  d'un  gendarme 
Au  rang  vaillant  de  ces  hardis  jureurs. 

Qui  ne  donnèrent  onq  alarmes 

Qu'aux  poules  des  bons  laboureurs.  » 

Non,  non,  il  continuera  h  cultiver  la  muse  pour  l'amour  de  Si- 
bille  et  aussi  pour  l'amour  de  la  muse  elle-même.  Ceux  qui  le 
blâment  ne  poursuivent  que  des  choses  périssables;  l'objet  de 
ses  désirs  est  immortel,  et  l'œuvre  des  poëtes  dure  au  delà  du 
tombeau  : 


BCUETIN  DU  BIBLIOPHILE.  753 

Tant  qu'aurn  France  une  chreslienne  leste, 
Tant  y  vivront  les  psalraes  de  Gahors, 

Et  no6l  n'y  sera  plus  feste, 

Quand  Denisot  en  sera  hors. 

Puisque  décidénjent  nous  avons  oubli*^  Ovide,  et  que  nous 
cherchons  surtout  dans  les  vers  de  Doublet  la  couleur  locale,  la 
couleur  normande,  mentionnons  la  pièce  on  il  invite  tous  les 
portes  de  France  à  concourir  pour  le  prix  de  TAssomption  à 
Dieppe,  en  l'annexe  1556.  Les  prix  de  quatre,  leur  nombre  ordi- 
naire, avoient  éié  portés  à  six.  l  ne  trôve  de  cinq  ans  venoit 
d'être  conclue,  et  les  jeunes  Dieppois,  qui  n'avolenl  plus  à  com- 
battre  l'Espagnol  ni  le  Flamand,  se  tournoient  vers  les  jeux  lit- 
téraires ;  puis  il  s'agissoil  pour  la  ville  d'un  souvenir  patriotique, 
d'une  commémoration  de  •sa  délivrance  par  Louis  XI,  alors  dau- 
phin, après  un  siège  de  neuf  mois  qu'en  avoit  faitTalboL  Cette 
délivrance,  qui  eut  lieu  le  1/|  août,  fut  attribuée  ti  rinlervenlion 
de  la  Vierge.  Il  y  avoit  là-dessus  toute  une  légende  embellie  et 
grossie  d'année  en  année,  et  qui,  après  avoir  inspiré  des  ballades 
légères,  de  doux  rondeaux,  pouvoit  être  le  sujet  de  dircéennes 
odes  et  de  tuscans  sonnets.  Ainsi  parle  notre  pocMc  en  un  lan- 
gage où  l'on  sent  l'adepte  de  Ronsard  et  le  propagateur  de  la 
révolution  poétique  inaugurée  sous  Henri  IL 

Les  détails  personnels  n'abondent  pas  assez  dans  les  poésies 
de  Jean  Doublet  pour  que  nousen  omettions  un.  Une  de  ses  élégies 
Dous  apprend  qu'il  fut  député  par  sa  ville  auprès  du  roi.  Il  ne 
dit  pas  quel  étoit  l'objet  de  sa  mission ,  et  est  plus  occupé  de 
nous  décrire  les  jardins  de  Fontainebleau,  qui  ne  lui  font  pas 
oublier  cependant  sa  cliènî  maîtresse.  Tout  ce  qu'il  voit  la  lui 
rappelle,  et  la  salamandre  de  François  I*',  dont  il  s'approprie 
le  symbole,  et  la  statue  de  bronze  de  Cléopâtre  piquée  au  bras 
par  un  aspic,  comme  lui  l'est  au  cœur  par  l'Amour,  mais  sur- 
tout ces  Sibilles 

Peintes  partout  pour  leur  divin  renom , 
et  qui  lui  rappellent  celle  qu'il  a  laissée  à  Dieppe. 


75A  BULLETIN   DU  BIBLIOPHILE. 

C'est  peut-ôtre  en  revenant  de  quelque  mission  de  ce  genre 
et  encore  en  train  de  parler  aux  princes  et  aux  seigneurs,  qu'il 
s'arrêta  devant  le  château  de  Gaillon ,  où  étoit  de  retour  de 
Rome  le  cardinal  de  Bourbon,  à  qui  il  fait  un  peu  hyperbolique- 
ment  sa  cour,  le  comparant  au  soleil ,  comparaison  dont  les 
poètes  ont  usé  et  abusé.  Que  le  cardinal  de  Bourbon  soit  le  so- 
leil, la  preuve  en  est  qu'il  a  suffi  de  son  absence  pour  faire  geler 
les  vignes  cette  année.  Mais  voici  qu'à  son  retour,  en  ce  mois  de 
septembre  1555,  partout  le  raisin  mûrit,  nouvelle  preuve  delà 
justesse  de  la  comparaison  : 

Gaillon,  Louviers  et  Duroule  les  costes, 
Aïant  senti  ce  soleil  revenu, 
Ja  dcsja  présentent  aux  hostes 
Le  raisin  tout  noir  devenu. 

A  ce  même  prélat  et  dans  la  même  élégie,  le  poète  exprime  d'une 
façon  assez  gentille  les  sentiments  de  la  Normandie  quand  les 
conclaves  l'appellent  à  Rome.  Cette  Normandie  est  alors  coinme 
une  mère  inquiète  de  son  fils  absent,  et  qui  sur  le  rivage  inter- 
roge les  mariniers ,  sans  oublier  les  cierges  qu'elle  voue  et  fait 
brûler  dans  les  églises. 

Terminons  cette  revue  de  Jean  Doublet  en  mentionnant  une 
de  ses  plus  gracieuses  élégies.  C'est  une  antique  comparaison 
que  celle  que  l'on  a  faite  des  poètes  à  la  cigale  :  comme  elle,  ils 
chantent  en  clTet,  et,  comme  elle,  arrivent  sans  prévoyance,  sans 
soin  de  l'avenir,  à  l'hiver,  c'est-à-dire  à  leur  dernière  saison  : 

La  cigale  ayant  chanté 

Tout  l'été. 
Se  trouva  fort  dépourvue 
Quand  la  bise  fut  venue. 

Jean  Doublet ,  nous  l'avons  vu ,  avoit  de  quoi  braver  l'hiver, 
grâce  à  ce  petit  fonds  normand  et  à  cette  vigne  dont  il  nous  a 


BULLETIN   OU  BIBUOPHILE.  755 

parlé  ;  il  oe  s'en  compare  pas  moins  à  la  chanteuse  des  prés. 
0  Toi,  dit-il  à  un  médecin,  son  ami,  à  qui  son  élégie  est-adressée, 
toi,  tu  t'immortalises  en  prolongeant  la  vie  humaine;  nous,  ché- 
lifs,  qui  ne  nous  plaisons  qu'aux  sons  de  cette  lyre  dont  Apollon 
nous  tient  affolés,  nous  ressemblons 

A  la  chanteresse  cigale 
Qui  r  hiver  dur  ne  prévoit  pas. 

a  Sous  le  doux  ciel  qui  rousoîant  Tabreuve, 
Elle,  sans  soin,  criquète  jour  et  nuit. 

Tout  autant  que  la  saison  brève 

D'un  clair  esté  sur  elle  luit.  » 

Mais  voici  qu'aux  beaux  jours  succèdent  les  frimats  et  la  neige  : 

La  malprovide,  alors  être  abusée. 
Tard  s'aperçoit,  tard  accuse  ses  chants  : 

Plus  ne  lui  tombe  la  rousée. 
Plus  rien  ne  se  recouvre  aux  champs. 
De  faim  donc  meurt,  et  avec  elle  à  l'heure 
Mène  en  mourant  son  importun  cri-cri. 

Hélas!  s'il  faut  qu'ainsi  je  meure, 

Au  moins  vive  ce  que  j'écri. 

Que  le  souhait  du  poète  s'accomplisse  !  Nous  ne  sommes  pas 
de  ceux  qui  ont  la  puissance  de  tirer  les  morts  du  sépulcre  de 
l'oubli  ;  nous  n'en  sommes  pas  moins  heureux  d'avoir  pour  un 
moment  rendu  sa  voix  à  la  pauvre  cigale  de  la  falaise  dieppoise  ; 
et  espérons,  lecteurs,  que  son  cri-cri  ne  vous  aura  pas  paru 
importun. 

Souvenons-nous,  pour  apprécier  le  mérite  de  Doublet,  qu'il 
est  l'émule  plutôt  que  l'imitateur  des  poètes  du  règne  de  Henri  H, 
et  que  ses  élégies  parurent  en  1559.  Ce  recueil  d'élégies  n'est 
point  son  seul  ouvrage  :  on  a  aussi  de  lui  une  traduction  des 


756  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

Mémoires  do  Xénophon ,  imprimée  chez  Denys  Duval  en  1582, 
traduction  écrite  d'un  style  qui,  pour  la  fluidité,  se  rapproche 
de  celui  d'Aniyot,  le  grand  maître  du  genre.  Ce  rapprochement, 
que  des  citations  justifieroient,  seroit  un  nouveau  titre  pour 
notre  Dieppois. 

Nous  ne  savons  quand  est  mort  Jean  Doublet,  mais  il  vivoit 
encore  en  1582,  et  datoii  du  7  septembre  de  cette  année  Tépltre 
liminaire  de  sa  traduction  de  Xénophon,  adressée  à  Charles  de 
Bourbon,  archevêque  à  Rouen. 

Vicomte  de  Gaillon. 


BULLETIN  DU  BIBLIOPHILIE. 


767 


VARIÉTÉS 

SOCIÉTÉ  DES  BIBLIOPHILES  ANGLOIS(i). 

La  Société  des  bibliophiles  de  Londres  (Philobiblon  Society) 
publie  depuis  deux  ans  un  recueil  de  mélanges  qui  mérite, 
même  de  ce  côté -ci  du  détroit,  d'attirer  Tattention  des  érudits 
el  des  lettrés.  Quelques-unes  des  pièces  de  ce  recueil  sont 
d*ailleurs  écrites  en  françois.  Elles  sont  en  général  d'un  choix 
excellent  et  d'une  variété  agréable.  Bibliographie,  histoire, 
philologie,  mémoires,  curiosités  typographiques,  recherches 
originales  et  documents  inédits,  rien  n'y  manque.  La  Société 
est  composée  de  trente-cinq  membres,  sous  le  patronage  du 
prince  Albert  (2).  Elle  a  d'abondantes  ressources.  Son  recueil 
annuel  est  un  fort   beau  volume  que  sa  magniûcence  seule 


(1)  Cet  article  a  été  publi<^  dans  le  Journal  dex  débats  du  23  juin. 
(3)  Voici  la  liste  dos  membreb  de  la  société  des  Philobiblon^  1855-56  : 

H.  R.  H.  Prince  Albert,  patron. 


KiUki.E  (H.  R«  H.  Thn  Duke  of). 
BorriBLD  (Boriah)  F.  R.  8. 
Chi^iey  (Edward). 
Caoasi.eY  (James). 
CiKi^iix.iiAM  (Peter). 
CiRZOïM  (The  Hon.  RoJwrt). 
Delamerk  (The  Lord). 
Dblbpikrri  (Octave). 
DcFFKiiiN  (The  Lord). 
Eastlakb  (Sir  Charle«)  P.  R.  A. 
Ellesmerf.  (Earl  of). 
FoRo  (Richard).  % 

Foi  (Lieuu  gênerai  Charle«  R.) 
GiPFORO  (Earl  of)  M.  P. 
GofifORD  (Earl  of)  K.  P. 
(iRFY  (Ralph  W.)  M.  P. 
Hawii.to\  (The  Duke  of). 
Hawtrey  (Rev.  Edward  G.)  D.  D. 
HiGGixs  (Matthew  J.) 


H01.FORD  (Robert  8.)  M.  P. 
Laboicherr  (RightHon.Henry)M.P. 
LoNGMAN  (Thomas). 
MiLMAx    (The    Very    Rev.    II.    H.) 

Dean  of  St*Paur». 
MiLNES  (Richard  Monckton)  M.  P. 
MiRRAY  (John). 
Perry  (Sir  Thomas  E.)  M.  P. 
Powis  (Earl  of). 
Raï  (Henry  B.; 
Shirlry  (Evelyn  P.)  M.  P. 
SiMEON  (Sir  John),  Rart. 
Sseyd  (Rev.   Walter). 
Stirlim.  (William)  M.  P. 
Stonor  (The  Hon.  Thomas  E.) 
\k\    de    Weyer    (His    Excellency 

Mons.  S.) 
Wellesley  (Rev.  Henry)  D.  0. 


758  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

feroit  rechercher.  Il  n'est  tiré  qu'à  un  petit  nombre  dVxem- 
plaireS;  mais  sa  rareté  est  le  moindre  de  ses  mérites. 

Le  volume  publié  en  1856  (1)  contient  une  quinzaine  de 
pièces  dont  quelques-unes  sont  de  simples  recherches  d'érudi- 
tion bibliographique,  telles  que  le  Catalogue  des  livres  de  Ai- 
chard  de  Gravcsend,  évèque  de  Londres^  1303,  par  M.  Hilman, 
le  savant  doyen  de  Saint-Paul  ;  —  l'analyse  d'un  manuscrit 
grec  du  xr  siècle,  illustrée  d'un  curieux  fac-similé j  par 
M.  Walter  Sneyd,  —  et  une  dissertation  sur  la  première  Bible 
en  langue  anglaise,  par  M.  Beriah  Botûeld. 

La  plupart  des  autres  pièces  du  recueil  se  rapportent  à  l'his- 
toire et  à  la  biographie.  Dans  ce  nombre  on  remarque  une  série 
de  documents  relatifs  à  Gharles-Quint,  donnés  par  H.  William 
Stirling,  secrétaire  de  la  Société.  Cet  intéressant  travail  se 
rattache  aux  deux  années  qui  précédèrent  la  retraite  de  l'em- 
pereur (1555-1556)  ;  il  est  tiré  presque  entièrement  des  dépê- 
ches de  Frédéric  Badoér,  ambassadeur  de  Venise  à  la  cour  de 


(1)    Contents  of  Misceilanies  of  the  Pliilobiblon  Socithj^  1S55-56. 

(Vol.  II«).  Fort  vol.  in-80. 

Rev.  Walter  Sncyd Some  account  of  a  rare  Greek  MS. 

Dr  Milmau Catalogue  of  the  books  of  Richard  de 

Gravesendy  bishof  ofUmdon^  1303. 

B.  Botfield Bibliotheca  Membranacea   Britamùoa, 

H.  R.  H.  The  Duke  of  Aumale. . .    Notes  et  docunientM  relatifs  à  Jean^  roi 

de  France. 
W.  Stirling Notices   of  the  Emperor   Charles  V. 

1555-1556.  From  the  Dcspatches  of 

Federigo  Badoer. 
Ë.  Cheney Notices  of  Sansovimo:  l'Hisioria  dieam 

Orsiniy  Venet  :  i565. 

J.  Miuray Unpublish^  lettersofLaurentt  Sterne, 

W.  Stirling A  few  tpanish  proverbs  about  Friars* 

O.  Dclepierre De  la  littérature  Macaronique^  et  de 

quelques  raretés  bibliographigue*  de 

ce  genre, 
R.  M.  Milncs Boswelliana. 

And  a  few  more  contributions,  of  whidi  thcrc  aro  iu  ail  15  ,  from  12  of 
the  Mcmbers. 


BULLETIN   DU   DIBUOPHILE.  759 

Bruxelles.  M.  William  Stirling,  membre  du  parlement  d* Angle- 
terre, n*est  pas  seulement  un  des  plus  riches  bibliophiles  qui 
soient  au  monde  ;  c'est  un  érudit  très-sérieux,  un  «  chercheur  » 
Irès-fm,  trës-habile  et  très-heureux.  Il  s'est  fait  de  Charles- 
Quint  une  sorte  de  spécialité  dont  il  a  tiré  parti  avec  beaucoup 
d'esprit  et  un  grand  succès.  Son  livre  sur  la  retraite  {Cloister 
life)  du  célèbre  empereur  peut  se  lire  encore  après  celui  de 
M.  Amédée  Pichot,  et  même  après  l'ouvrage  supérieur  qu'a 
publié  M.  Mignet.  Son  point  de  vue  est  différent.  M.  Stirling 
est  auteur  aussi  d'une  charmante  étude  sur  Vélasquez. — Un  autre 
membre  du  parlement,  l'aimable  M.  Monckton  Milnes,  orateur 
spirituel,  poète  fécond,  politique  entreprenant,  a  fourni  à  la  So- 
ciété, sous  le  titre  de  Boswelliana,  toute  une  série  d'anecdotes, 
de  maximes  et  de  facéties  fort  amusantes.  —  M.  Robert  Gurzon, 
connu  par  ses  voyages  en  Orient,  possesseur  érudit  de  manu- 
scrits grecs  admirables,  a  donné  une  Histoire  de  Moïse^  écrite 
sur  place  pour  ainsi  dire  avec  beaucoup  de  verve  et  de  couleur. 
—  xM.  Henry  Belward  Ray  a  tiré  des  papiers  de  sir  Robert  Eyre, 
chief-jtistice  en  1735,  la  chronique  secrète  de  cette  querelle 
domastique  qui  mit  quelque  temps  aux  prises  le  roi  George  P' 
et  son  fils  le  prince  de  Galles,  au  sujet  de  l'éducation  des  en- 
fants de  ce  dernier.  —  M.  John  Murray ,  le  célèbre  éditeur,  a 
publié  des  «  Lettres  inédites  de  Sterne.  »  —  M.  Edward  Cheney  a 
donné  des  extraits  d'une  histoire  de  la  famille   Orsini,  par 
Francesco  Sansovino  (Venise,  1565,  deux  vol.  in-folio).  Un  des 
héros  de  cette  famille  est  un  Napoléon  Orsini,  né  en  1!(20, 
mort  en  U80,  qui  commanda  tour  à  tour  les  troupes  du  roi  de 
Naples  et  celles  du  pape  pendant  près  de  trente  ans.  C'étoit  un 
maître  homme,  aussi  hardi  que   rusé,  négociateur  habile  et 
guerrier  redoutable,  et  dont  M.  Cheney  nous  fait  connoître, 
d'après  son  biographe,  la  politique  et  la  stratégie  :  «  Défense 
«  légitime  ou  besoin  d'agrandissement,  gloire  ou  vengeance, 
((  la  guerre  est  naturelle  à  l'homme.  Si  vous  faites  la  guerre, 
((  portez-la  du  premier  élan  sur  le  sol  ennemi,...  etc.,  etc.  » 
lip  nom  de  Napoléon  étoit  donc  illustre  et  a  cher  aux  oreilles 


760  BULLETIN    DU   BIBLIOPHILE. 

italiennes  •  dès  le  xv^  siècle ,  comme  récrit  Thistorien  de 
la  famille  Orsini.  Il  cite  à  ce  propos  quelques  vers  dédiés  au 
iVapoléon  de  1/|50,  et  qu'on  pourroit  croire,  si  on  ne  regardoit 
à  la  date,  adressés  au  vainqueur  de  Rivoli  et  de  Marengo  (1) 
Mais  qui  songeoit  aujourd'hui  au  héros  de  Sansovino  ?  M.  Boni!- 
lel  lui-même  sembloit  avoir  oublié  son  nom  ;  les  pkilobiblan 
de  Londres  nous  Font  rendu.... 

TA  pstrintérét  de  ce  recueil.  Nous  n'avons  voulu  en  donner 
aujourd'hui  qu'un  apcîrçu  très-sommaire,  et  nous  sommes  loin 
d'avoir  pu  citer  toutes  les  pièces  fournies  par  des  Ânglois,  et 
qui  mériteroicnt  une  mention,  telles,  par  exemple,  que  ces  pe- 
tits Poèmes  inédits  de  Daniel,  publiés  par  sir  John  Simeon. 
Parmi  les  morceaux  envoyés  par  des  étrangers,  membres  de  la 
Société,  on  a  beaucoup  remarqué  l'année  dernière  un  charmant 
et  sérieux  essai  signé  d'un  nom  illustre  dans  la  politique, 
M.  Sylvain  Van  de  AVeyer,  ministre  de  B<»lgique.  Cette  pièce 
a  été  publiée  sous  \q  litre  de  Lettres  sur  les  Anglais  qui  ont 
écrit  en  français.  Il  y  auroil  aussi  une  intéressante  histoire  à 
raconter  «  des  François  qui  ont  écrit  en  Angleterre.  »  M.  Van 
de  W(»yer,  qui  est  vraiment  un  François,  tout  au  moins  par  ses 
ouvrages,  y  occuperoit,  à  quelque  distance  de  Saint-Évremond, 
une  place  très-honorable.  N'oublions  pas,  parmi  ces  derniers, 
M.  Octave  DelepicTre,  qui,  dans  le  premier  volume  des  3/<^- 
Janijes,  a  publié  sous  le  titre  d(»  u  Doute  historique  n  de  curieux 
mais  éniKniali(|ues  renseignements  sur  Jeanne  d'Arc,  et  qui, 
cette  anné<',  a  donné  ii  la  Société  une  dissertation  tout  entière 
sur  \ti  littérature  viacaronique ,  appuyée»  de  citations  nombreuses 
et  éclairée  par  les  plus  savantes  recherches.  N'oublions  pas 
non  plus  un  autre  François,  M.  le  duc  d'Aumale,  un  des  con- 
tribuables (contributor)  les  f)lus  assidus  du  Philobiblon. 

(1)  Viri  immortale,  n  ijrun  Napoleoue, 
Poi  fhe  Vopere  tne  sono  immortali. 

Tu  pmlre  de'  noltUiti 

Tu  dee  duiujuc,  non  pur  Ifelhna,  e  Marie, 
Ma  il  sonuno  Giove,  ne*  futuri  tempi, 
Corsenmr  immortal;  dunque  immortali 
Vivi,  6  Napoléon,  padre  delV  armi! 


BULLETIN  ntJ   BIBLIOPHaE.  761 

L'année  dernière,  M.  le  duc  d'Aumale  avoit  donné  deux 
pièces  au  volume  des  Mélanges,  la  première  sous  le  titre  de 
Notes  sur  deux  petites  bibliothèques  françaises  du  A^**  siècle, 
La  seconde  étoit  une  Lettre  inédite  de  Guillaume  III  (26 
octobre  1688).  C'est  encore  à  Thisloire,  objet  spécial  de  ses 
études,  que  le  jeune  prince  a  emprunté,  cette  année,  le  sujet 
de  la  communication  qu'il  a  faite  aux  bibliophiles  de  Londres  ; 
et  ce  sujet  doit  plaire,  on  France  et  en  Angleterre,  non-seule- 
ment aux  érudits  curieux  de  raretés  bibliographiques,  mais  à 
tous  ceux  qui  s'intéressent  à  leur  histoire  nationale.  Le  travail 
de  M.  le  duc  d'Aumale  a  pour  titre  :  Notes  et  documents  relatifs 
à  Jean,  roi  de  France,  et  à  sa  captivité  en  Angleterre  (190  pages 
in-8*).  La  captivité  du  roi  Jean  est  un  fait  bien  connu,  mais 
auquel  se  rattachent  beaucoup  de  détails  qui  le  sont  moins  et 
qui  méritent  de  l'être;  et  par  exemple,  la  Société  de  Thistoire 
de  Francea  publié  (en  1851),  dans  le  volume  relatif  aux  Comptes 
de  V argenterie  {\)  de  nos  rois  au  quatorzième  siècle ,  une  pièce 
d'an  intérêt  hors  ligne  :  c'est  un  a  Journal  dé  la  dépense  du 
roi  Jean  »  pendant  la  dernière  année  de  sa  captivité,  du  1'' juil- 
let 1359  au  8  juillet  1360,  jour  de  son  débarquement  à  Calais. 
Ce  journal  abonde  «  en  détails  curieux  ;  tout  y  a  sa  place,  non- 
ff  seulement  les  meubles  et  l'habillement,  mais  encore  les  ob- 
t  jets  de  consommation,  les  provisions  de  bouche,  les  épices, 
«  les  vins,  les  chevaux;  enfin,  ou  y  trouve  aussi  quelques  ren- 
«  seignements  d'un  ordre  plus  élevé  et  qui  complètent  les  ré- 
a  cits  des  chroniques  contemporaines.  En  résumé,  c'est  un 
o  document  également  important  pour  l'histoire  de  la  vie  pri- 
a  vée,  pour  celle  des  personnes  et  des  affaires  publiques  dans 
«  les  deux  pays....  (2)  » 

Ce  compte  du  roi  Jean  devoit,  suivant  la  remarque  de  M.  Douet 
d'Arcq  (3),  «  être  précédé  de  deux  autres  »>  qu'on  croyoit  per- 

(1)  "  L'argentier  était  un  offlcier  chargé  de  tout  ce  qui  regardait  l'ha- 
bUlemcDt  et  les  meubles  de  toute  nat^ire  fournis  au  roi  et  à  sa  maison.  » 
{Note»  et  diH-mnem,  pag.  3.) 

(2)  Soie» et doiutnenis,  pag.  k» 

(3)  Dans  VavertiMement  des  Comptes  de  l'argenterie. 


762  BULLETIN   DU  BIBLIOPHILE. 

(lus.  M.  le  duc  d'Aumale  les  a  retrouvés  dans  les  archives  delà 
maison  de  Gondé,  et  il  a  comblé  presque  entièrement  la  lacune 
signalée  par  M.  Douet  d*Arcq.  Les  pièces  qu'il  a  publiées  dans 
le  recueil  des  Philobiblon  se  rapportent,  les  unes  aux  dépenses 
du  roi  Jean  en  Angleterre,  les  autres  au  comptable  chargé  de 
l'administration  de  ses  fmances  pendant  sa  captivité,  le  chape- 
lain Denys  de  CoUors.  Cette  seconde  série  comprend,  entre 
autres  documents  :  1^  les  lettres  du  roi  Jean  pour  approuver 
les  comptes  de  son  chapelain  ;  2''  un  inventaire  des  joyaux  de 
la  reine  Jeanne  ;  S»  une  expédition  certifiée  le  6  juin  136/i  par 
Jean  Bernier,  garde  de  la  prévôté  de  Paris,  d'ime  lettre  par 
laquelle  le  roi  Charles  V  donne  k  Denys  de  CoUors  décharge 
des  bijoux  à  lui  confiés  par  le  feu  roi,  etc.,  etc.  Tel  est  l'en- 
semble des  pièces  tout  ci  fait  inédites  et  fort  curieuses  donl 
M.  le  duc  d'Aumale  s'est  fait  l'éditeur  pour  la  Société  des  bi- 
bliophiles anglois ,  et  qu'il  a  fait  précéder  d'une  Notice  sur 
le  roi  Jean  qui  leur  sert  d*introduction  (1).  Ce  travail  lui- 
même  n'est  que  l'accessoire  et  le  prélude  d'une  œuvre  beaucoup 
plus  importante  du  même  auteur^  sur  une  époque  plus  rappro- 
chée do  notre  histoire.  Un  des  compagnons  de  la  captivité  du  roi 
de  France,  le  chapelain  Gaccs  de  La  Buigne,employoitson  exil 
à  composer  un  poi^me  sur  la  chasse.  Le  duc  d'Aumale  consacre 
le  sien  à  étudier  et  à  écrire  l'histoire.  Ce  n'est  donc  pas  sans 
raison  que  la  Société  des  bibliophiles  de  Londres  Ta  choisi, 
cette  année,  pour  son  président,  honorant  ainsi  l'érudit  sérieux 
dans  le  prince  exilé. 

Guvillier-Fleurt. 


(1)  Le  Bulletin  du  Bibliophile  espôre  pouvoir  reproduire  entièrement 
ros  pi^ccs  ot  cette  notice  dans  aun  prochain  numéro.  —  Le  Journal  dei 
Débats  n*en  avoit  donné  quo  des  extraits  h  la  suite  de  son  article. 


BULLETIN   DU    BIBUOPHILE.  7(53 


BIBUOTHÈQUES  PUBLIQUES  DES  DÉPABTEMENTS. 


Le  3  août  iSki ,  uoe  ordonnance  royale  rendue  sur  le  rap- 
port de  M.  Villemain,  ministre  de  rinstruction  publique, 
prescrivit  la  rédaction  ^t  la  publication  d'un  catalogue  général 
des  manuscrits  contenus  dans  les  bibliothèques  publiques  des 
départements.  Une  commission  nommée  par  le  ministre  fut 
chargée  d'assurer  les  travaux  relatifs  à  la  confection  de  ce  ca- 
talogue général ,  et  cette  commission  fut  composée  de  : 

MH.  Le  Clerc,  membre  de   Tlnstitut,  président    de    la 
commission  ; 
Hase,  membre  de  Tlnstitut; 
Reinaud ,  membre  de  l'Institut  ; 
Libri ,  membre  de  l'Institut  ; 
Danton,  chef  du  secrétariat  au  ministère  de  l'instruction 

0 

publique. 

Les  travaux  de  rédaction  et  d'impression  ont  retardé  pendant 
plusieurs  années  la  publication  du  premier  volume,  qui  ne  parut 
qu'en  1849  (1).  Ce  volume  comprend  :  Manuscrits  de  la  biblio- 
thèque du  séminaire  d'Autun,  par  M.  Libri. —  Manuscrits  de  la 
bibliothèque  de  iMon ,  par  M.  Félix  Ravaisson.  —  Le  catalogue 
des  manuscrits  des  deux  bibliothèques  de  la  ville  et  de  laFaculté 
de  médecine  de  Montpellier,  rédigé  par  M.  Libri  avec  le  con- 
cours des  conservateurs  de  ces  bibliothèques,  MM.  RIanc  et 
KQhnhoItz; — celui  des  Manuscrits  d'Alby^  rédigé  par  M.  Libri 

(1)  Catalogue  ficénéral  des  manusrrits  des  bibliothèques  publique»  dea 
départements,  publié  sous  les  auspices  du  ministre  de  rinstruction  publi- 
que. Parii,  imprimerie  nationale^  1849;  un  vol.  in-4®  de  vu  et  901  pages, 
format  et  complément  de  la  Collection  de»  docutnenls  inédits  twr  V Histoire 
de  France, 

53 


76A  BULLETIN   DU  BIBUOPHILB* 

et  revu  par  M.  P.  Ravaisson,  ainsi  que  les  deux  précédents;  — 
enfin  un  appendice  composé  d'ouvrages  ou  morceaux  inédits  tirés 
de  divers  manuscrits  de  la  bibliothèque  de  la  ville  de  LaoD  et  de 
celle  de  la  Faculté  de  Montpellier.  Les  notices  des  mantiscrits 
grecs  qui  se  trouvent  dans  la  bibliothèque  de  la  Faculté  de 
médecine  de  Montpellier  sont  entièrement  dues  à  M.  Hase;  les 
notices  et  traductions  des  manuscrits  orientaux  de  la  même 
bibliothèque,  à  M.  Beinaud  ;  le  commentaire  d'un  manuscrit 
latin  coté  (r63 ,  de  la  bibliothèque  de  Laon,  à  M.  Victor  Le 
Clerc.  Les  tables  qui  terminent  ce  premier  volume  ont  été  faitei 
par  M.  Taranne. 

Nous  allons  maintenant  parler  delà  publication,  faite  en  1865| 
du  deuxième  volume  du  Catalogue  général  des  bibliothèqun 
départeirientalcs  de  la  France.  II  est  rempli  tout  entier  par  U 
notice  des  manuscrits  de  la  bibliothèque  de  Troyes,  compre- 
nant 2,427  numéros. 

Cet  important  travail^  dû  au  savant  conservateur  actuel  de  la 
bibliothèque  de  Troyes,  M.  ilarmand ,  imprimé  dans  le  même 
format  que  le  premier  volume,  composé  de  \xvii  et  1170  pages, 
est  précédé  d'un  Avertissetnenr  que  nous  avons  pensé  devoir 
vivement  intéresser  les  lecteurs  du  Bulletin  du  bibliophile; 
nous  le  reproduisons  textuellement  : 


NOTICE  HISTORIQUE 

SCR  LB8 

MANUSCRITS  DE  LA  BIBLIOTHÈQliK  DE  TROYES. 

En  1651,  le  docteur  Jacques  Hennequin,  de  Troyes,  qui, 
pendant  un  demi-siècle,  professa  en  Sorbonne  avec  une  grande 
distinction,  fit  présent  de  sa  bibliothèque,  sous  le  titre  de  Bi- 
bliothèque  de  Troijes,  au  couvent  des  frères  mineurs,  à  condi- 
tion qu  elle  seroit  ouverte  trois  jours  par  semaine  à  tous 


BULLETIN    DU    BIBLIOPHILE.  765 

fut  désireroieni  y  entrer  y  depuis  midy  jusques  à  soleil  couchant. 
Les  religieux,  établis  conservaleurs  responsables,  dévoient 
fournir  pour  bibliothécaire  un  profès  de  leur  maison  et  il  leur 
étoit  assuré,  en  conséquence,  une  rente  annuelle  de  i!iOO  livres. 
La  bibliothèque  ainsi  fondée  par  Jacques  Hennequin,  et  où 
l'on  comptoit  12,000  volumes  imprimés,  n*avoil  qu'un  petitnom- 
bre  de  manuscrits,  et  ces  manuscrits  avoient  peu  de  valeur: 
eeiix  qu'elle  possède  aujourd'hui  proviennent  des  couvents  de 
la  ville  et  du  département  qui  ont  été  supprimés  par  la  révolu- 
tion françoise. 

L'abbaye  de  Clairvaux,  cette  fille  illustre  de  Giteaux,  fondée 
par  saint  Bernard,  l'an  1115,  en  a  fourni  le  plus  grand  nombre. 
1,736  volumes  manuscrits  composoient,  en  1/|72,  ce  qu'on  ap- 
peloit  dans  le  langage  du  temps,  la  librairie  de  la  maison 
(voir  le  n"  521  du  présent  catalogue).  Depuis  cette  époque  jus- 
qu'à la  fin  du  xviii^  siècle,  les  dons  reçus  et  les  acquisitions 
faites  avoient  porté  ce  nombre  à  environ  1,800.  Une  notable 
portion  de  ces  manuscrits,  exécutée  au  xii*  siècle,  dans  l'abbaye 
mtoe,  constitue  une  série  à  part  et  comme  un  groupe  particu- 
lier qui  représente  bien  la  physionomie  primitive  de  ce  grand 
monastère  de  Clairvaux. 

Mais  cette  première  collection  s'accrut  tout  d'un  coup  de 
plus  de  moitié  par  l'achat  que  l'avant-dernier  abbé,  François 
Le  Blois,  fit,  en  1781,  de  la  bibliothèque  du  président  Bouhier, 
de  Dijon. 

Cette  bibliothèque  fameuse  avoit  été  formée  par  neuf  géné- 
rations d'hommes  passionnés  pour  les  livres  et  dont  les  noms 
sont  tellement  mêlés  à  l'histoire  de  ceux-ci,  qu'il  est  convena- 
ble d'en  dire  quelques  mots. 

Depuis  Louis  XII  jusqu'à  Louis  XV,  sept  personnages  du  nom 
de  Bouhier  se  succèdent  dans  les  charges  du  parlement  de 
Bourgogne.  Le  second  de  ces  sept  était  l'ami  intime  de  Cujas, 
et  son  fils  fut  l'élève  de  ce  grand  maître.  Héritier  des  livres  des 
trois  qui  l'avoient  précédé,  Etienne  possédoit  déjà  une  biblio- 
thèque remarquable  pour  son  temps.  A  sa  mort,  en  1611,  elle 


766  BULLETIN    DU    BIBLIOPHILE. 

fut  partagée  entre  ses  enfants.  Jean,  son  fils  atné,  travailla  avec 
ardeur  à  combler  les  lacunes  qui  furent  la  conséquence  de  ce 
partage;  il  acheta,  en  1662,  toute  la  partie  de  théologie  de  b 
belle  bibliothèque  rassemblée  par  les  soins  de  deux  évêques  de 
Chalon-sur-Saône,  Pontus  et  Gyrus  de  Thiard  de  Bissy,  dont  le 
premier,  ami  de  Ronsard  et  son  émule,  compte  parmi  les  astres 
de  la  pléiade.  Son  neveu,  à  qui  il  résigna  son  évêché,  reçut  en 
même  temps  sa  bibliothèque  qu'il  ne  cessa  d'enrichir  jusqu'il 
sa  mort. 

Aux  livres  imprimés,  ce  cinquième  Bouhier  réunit  un  grand 
nombre  de  manuscrits.  Il  les  rechercha  avec  une  infatigable 
activité,  en  acheta  aux  couvents,  en  fit  copier  de  tontes  parts, 
et  copia  lui-même  plus  de  cinquante  gros  volumes.  En  1671,  il 
légua  par  son  testament,  à  son  fils  aîné.  Bénigne  Bouhier,  sa 
bibliothèque  tout  entière  avec  son  cabinet  de  médailles,  far 
prcciput ,  et  à  la  charge  de  substitution  et  fidéieamtnis  envers 
ses  autres  enfants  masles,  aûn  que  ce  double  trésor  demeurât 
intact  dans  la  maison.  Et  pour  tenir  lieu  à  leur  mère  de  la  moi- 
tié qu'elle  y  pouvoit  prétendre,  une  somme  de  20,000  livres  à 
prélever  par  elle  sur  les  propres  du  défunt,  dut  être  consentie 
par  Bénigne  Bouhier,  par  son  frère  et  par  le  tuteur  de  ses  au- 
tres enfants  mineurs. 

A  la  mort  de  ce  sixième  Bouhier^  sa  bibliothèque  passa  dans 
les  mains  de  Jean  son  fils,  le  dernier  et  le  plus  illustre  de  la 
famille.  Conseiller  au  parlement  de  Bourgogne  à  vingt  et  un 
ans,  et,  à  trente  et  un,  présidente  mortier^ ce  magistrat  s'étoit 
acquis  une  si  grande  réputation  comme  savant  et  comme  litté- 
rateur, que  FAcadémie  frauçoise  Tadmit  dans  son  sein,  à  Funa- 
nimité  des  suffrages,  le  IG  juin  1727,  quoiqu'il  résid&t  à  Dijon  : 
honorable  exception,  car  les  règlements  exigeoient  résidence  à 
Paris;  ce  qui  fit  dire  à  Voltaire,  héritier  du  fauteuil  de  Bouhier 
à  la  même  académie  :  a  Ce  serait  violer  l'esprit  d'une  loi  que  de 
n'en  pas  transgresser  la  lettre  en  faveur  des  grands  hommes,  n 

En  de  telles  mains,  la  bibliothèque  des  Bouhier  reçut  encore 
des  accroissements  considérables,  et  ne  tarda  pas  à  compter 


BULLETIN    DU   BIBLIOPHILE.  767 

35,000  volumes  imprimés,  ofTranl,  dans  tous  les  genres  ,  les 
ouvrages  les  meilleurs,  les  plus  beaux  et  les  plus  rares,  tous 
bien  reliés ,  portant  tous  sur  les  plais  de  leur  couverture  en 
veau  fauve  le  bœuf  d'or  qui  rappelle  le  nom  du  maître. 

Deux  mille  manuscrits  choisis,  et  dont  plusieurs  étoient  du 
plus  grand  prix,  complétoient  cette  magnifique  collection  que 
le  P.  Louis  Jacob,  dans  son  Traité  des  plus  belles  bibliothèques, 
désignoit  déjà  plus  de  cent  ans  auparavant  comme  la  plus 
somptueuse  du  duché  de  Bourgogne. 

A  la  mort  de  Bouhier,  qui  ne  laissoit  pas  de  fils,  elle  devint, 
par  droit  de  succession,  la  propriété  de  son  gendre,  Ghartraire 
de  Bourbonne,  président  à  mortier  au  même  parlement,  qui  en 
prit  le  plus  grand  soin  et  continua  de  l'augmenter  comme  Tat- 
testent  et  ses  notes  sur  les  acquisitions  à  faire  et  les  nombreux 
articles  ajoutés  de  sa  main  au  catalogue  que  Bouhier  avoit  ré- 
digé et  écrit  lui-même. 

Le  fils  de  M.  de  Bourbonne,  président  au  même  parlement, 
hérita  non-seulement  de  la  bibliothèque  de  son  père,  mais  aussi 
de  son  zèle  à  enrichir  ce  précieux  dépôt.  Malheureusement  il 
n*eut  pas  de  fils  à  qui  il  pût  inspirer  ces  nobles  goûts.  Le  comte 
d'Avaux,  son  gendre,  militaire  plein  d'honneur,  mais  plus  ha- 
bile à  manier  l'épée  que  les  livres,  apprécia  peu  un  trésor  qui 
n'étoit  point  à  son  usage  et  témoigna  le  désir  de  s'en  défaire. 

Quoique  la  somme  de  300,000  livres  qu'il  en  demandoit  fût 
fort  au-dessous  de  la  valeur  réelle,  néanmoins  cette  valeur 
même  rendoit  la  vente  difficile  ;  car  les  riches  ne  sont  pas  tou- 
jours assez  amateurs,  ni  les  amateurs  assez  riches.  On  attendit 
donc  d'abord,  mais  on  finit  par  se  lasser  d'attendre;  et,  lorsque 
Claîrvaux  offrit  comptant  135,000  livres,  ce  prix  fut  immédiate- 
ment accepté.  Dijon  vit  bientôt  avec  douleur  s'éloigner  de  ses 
mors  ce  monument  qui  l'honoroit. 

Le  fonds  le  plus  considérable  après  celui  de  Glairvaux,  est  le 
fonds  du  collège  de  l'Oratoire  de  Troyes,  formé  d'une  partie  des 
manuscrits  des  doctes  Pithou.  François,  le  plus  jeune  des  deux 
frères,  avoit  laissé  à  la  ville,  par  son  testament,  non-seulement 


768  nULLETIN   DU    BIBUOPHILE. 

sa  maison  pour  qiril  y  fût  dressé  un  collège  pour  enseigner  la 
jeunesse ,  sans  être  employé  ailleurs  et  sans  que  les  jésuitet  y 
fussent  aucunement  reçus,  mais  il  avoit  aussi  légué  audit  collège 
toute  sa  bibliothèque  et  tous  les  livî'es  qui  se  trouveraient  en  sa 
maison.  Or,  la  partie  la  plus  précieuse  de  cette  collection  se 
composoil  d'un  assez  grand  nombre  d'excellents  manuscrits,  la 
plupart  d'une  haute  antiquité.  C'est  de  là  que  vient,  entre  au- 
tres, le  plus  ancien  que  nous  possédions  (n»  50i!i) ,  le  traité  de 
saint  Grégoire  le  Grand ,  De  cura  pastorali ,  en  lettres  OQ- 
ciales,  de  la  lin  du  vi''  siècle  ou  du  commencement  du  vu*. 

En  1630,  les  Pères  de  TOratoire  furent  mis  en  possession  du 
collège  et  de  la  bibliothèque.  Grosley,  dans  la  Vie  des  Pithou^ 
raconte  qu'un  des  supérieurs  de  ces  bons  Pères,  n  voyant  ces 
maimscrits  mutilés,  dégradés,  sans  couvertures,  épars  sur  les 
rayons,  les  fit  rassembler  eu  difTérents  volumes,  sans  égard  aux 
matières,  mais  seulement  aux  dilîérentes  grandeurs.  Il  en  en- 
tassa dans  chaque  volume  la  plus  grande  quantité  qu'il  fut  pos- 
sible ;  et,  pour  économiser  encore  sur  le  nombre  des  volumes, 
il  ût  traiter  plusieurs  manuscrits  qui  se  trouvoient  pins  grands 
que  ceux  qu'on  leur  donnoit  pour  compagnie  comme  Busiris 
traitoit  ses  hôtes,  c'est-à-dire  en  faisant  couper  dans  le  vif  tout 
ce  qui  débordoil.  » 

C'est  dans  cet  état  qu  ils  sont  entrés  dans  notre  bibliothèque, 
et  l'ancien  vêlement  de  parchemin  terne  qui  les  recouvre  en- 
core aujourd'hui  les  fait  reconnoître  au  premier  coup  d'œil. 

Celte  collection  des  Pères  de  l'Oratoire  s'accrut,  dans  la  pre- 
mière moitié  du  xviir  siècle,  de  deux  collections  particulières 
qui  ne  manquoient  pas  d'une  certaine  importance.  L'une  leur 
avoit  été  léguée  par  Charles  Herluison,  secrétaire  de  Tévéché 
de  Troyes ,  sous  l'épiscopat  de  Denis-François  Bouthilier  de 
Chavigny,  et  Fautre  par  liemy  Breyer,  docteur  en  théologie  de 
la  Faculté  de  Paris,  et  chanoine  de  l'église  de  Troyes.  Celle-ci 
renfermoit  plusieurs  manuscrits.  A  côté  de  ces  manuscrits  du 
moyen  âge,  TOraloire  avoit  recueilli  avec  soin  et  mis  en  réserve 
quelques  centaines  de  volumes,  liasses  et  cai'tons  appartenant 


BULLETIN   DU   BIBUOPHILE.  709 

à  la  seconde  moitié  du  xvii*  siècle  et  aux  deux  premiers  tien 
dn  xvui*.  Ces  manuscrits,  émanés  de  Port-Royal  et  des  amis 
de  cette  célèbre  maison  >  entre  lesquels  se  distinguoient  les 
Pères  de  TOratoire ,  contiennent  un  grand  nombre  de  lettres 
autographes,  de  mémoires,  de  discussions,  de  travaux  sur  la 
Bible,  etc.,  qui  peuvent  fournir  de  nombreux  documents  et  une 
foule  de  détails  particuliers  pour  l'histoire  du  jansénisme. 

Nous  aurons  complété  Ténumération  sommaire  de  nos  ma* 
nuscrits  si  nous  ajoutons  aux  fonds  précédents  le  contingent 
d'une  centaine  de  volumes  environ,  provenant  des  huit  maisons 
religieuses  qui  suivent  : 

1*  L'abbaye  de  Montier-la- Celle,  fondée,  en  650,  par  saint 
Probert ,  dans  un  terrain  marécageux  près  de  Troyes  ; 

2*  L'abbaye  de  Montier-Ramey  (monasterium  Arremarense), 
établie,  en  837,  par  le  prêtre  Arrémare  on  Adrémare,  à  quatre 
lîeoes  de  Troyes,  vers  Test  ; 

3<>  L'abbaye  royale  de  Saint-Loup,  fondée  à  Troyes  même, 
eo  888  ou  892  ; 

&o  L'abbaye  de  Larivour  (Ripatorium),  fille  de  Clairvaux, 
fondée  en  1139,  à  trois  lieues  à  l'est  de  Troyes  ; 

5*  Le  couvent  des  Jacobins,  établi,  en  1232,  dans  la  ville 
même; 

6*  L'église  collégiale  et  royale  de  Saint-Étienne,  fondée,  en 
1157,  par  le  comte  de  Champagne  Henri  le  Libéral,  qui  l'atta- 
cha à  son  palais,  dont  elle  devint  comme  la  sainte  chapelle  ; 

7*  La  cathédrale  ; 

8*  L'évéché. 

Tous  ces  livres,  soit  manuscrits,  soit  imprimés,  réunis  dans 
un  dépôt  commun ,  étoient  propriété  de  la  nation.  Un  arrêté 
dn  gouvernement,  du  8  pluviôse  an  xi  (28  janvier  1803), 
mentionné  dans  un  des  registres  des  délibérations  du  conseil 
municipal,  sous  la  date  du  16  vendémiaire  an  xiii  (8  octobre 
1806),  folio  35  du  registre,  «  mit  la  bibliothèque  de  FÉcole 
centrale  (c'est  le  nom  que  portoit  alors  ce  dépôt)  à  la  dispo- 


770  BULLETIN    DU   BIBLIOPHILE. 

sition  et  sous  la  surveillance  de  la  municipalilé ,  »  laquelle, 
en  retour,  s'engageoit  à  nommer  et  à  payer  le  conservateur  de 
la  bibliothèque.  Cependant,  dès  le  H  thermidor  an  ix  (2  août 
1801),  une  mission  avoit  été  confiée  au  citoyen  Chardon-la- 
Rochette,  avec  des  instructions  générales  lui  prescrivant  : 
c  lo  d'examiner  le  nombre  de  volumes  que  renferment  les  dé- 
pôts littéraires  de  chaque  département;  2°  de  faire  le  relevé 
des  manuscrits  précieux  des  éditions  du  xv«  siècle,  des  livres 
rares  et  de  ceux  qui  sont  enrichis  de  notes  de  savants,  etc.  ; 
3"  d'envoyer  successivement  au  ministre  les  notes  prises  dans 
chaque  département,  notes  qui  serviront,  quand  le  travail  sur 
tous  les  départements  sera  terminé,  pour  dresser  le  catalogue 
général  des  richesses  de  la  république ,  et  en  faire  une  juste 
répartition.  » 

Cet  examen  minutieux  de  tous  les  dépôts  de  livres^  confié  à 
un  seul  homme,  étoit  une  œuvre  de  longue  durée  ;  aussi,  quoi- 
que l'opération  eut  été  commencée  en  1801,  ce  ne  fut  qu'ai  h 
fin  de  février  180/»  que  le  commissaire  du  gouvernement  vint 
à  Troyes.  On  lui  avoit  adjoint  le  docteur  Prunelle,  professeur 
à  la  Faculté  de  médecine  de  Montpellier.  Leur  travail  dura 
trois  mois.  Le  docteur  Prunelle  mit  en  réserve  2,575  ouvrages 
imprimés  et  328  volumes  manuscrits,  et  Chardon-la-Rochette, 
2kk  volumes  imprimés  de  jurisprudence  et  H7  volumes  ma- 
nuscrits, plus  25  cartons  et  une  liasse  dont  le  contenu  est  dé- 
taillé ci-après. 

Tous  ces  volumes,  manuscrits  et  imprimés,  les  cartons  et  la 
liasse,  à  l'exception  des  2kk  volumes  de  jurisprudence,  spécia- 
lement réservés  pour  la  bibliothèque  particulière  du  conseil 
d'État,  dévoient  être  déposés  à  la  bibliothèque  nationale,  comme 
le  prouvent  les  deux  listes  qui  suivent,  en  vertu  probablement 
de  dernières  instructions  plus  précises  que  celles  de  1801. 
Mais,  par  suite  de  nouvelles  considérations,  323  manuscrits 
furent  attribués  à  la  bibliothèque  de  l'école  de  médecine  de 
Montpellier.  Ils  font  maintenant  partie  des  5^2  articles  dont 
se  compose  le  catalogue  des  manuscrits  de  cette  école.  On  les 


BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE.  771 

reconnaîtra  parfaitement  à  leur  provenance  dans  le  premier 
volume  du  catalogue  général  des  manuscrits  des  bibliothèques 
départementales. 

Si  à  ces  distractions  nous  ajoutons  les  23  cartulaires  que 
Fadministration  centrale  du  département  avoit  déjà  envoyés  à 
la  bibliothèque  nationale,  en  1799,  sur  la  demande  de  Fran- 
çois de  Neufchâteau,  alors  ministre  de  l'intérieur,  nous  aurons 
la  somme  des  pertes  qu*a  éprouvées  notre  collection  de  manu- 
scrits. Toutefois  ce  qui  reste  est  encore  d'une  grande  valeur,  et 
le  catalogue  qui  suit  prouvera  que  cette  collection,  telle  qu'elle 
est,  peut  être  regardée  comme  une  des  plus  considérables  de 
France. 

Je  pourrois  étendre  davantage  cette  note  en  signalant  un 
certain  nombre  de  manuscrits  précieux  à  divers  titres,  mais 
Je  pense  que  l'attention  des  savants  n'a  pas  besoin  d'être  exci- 
tée et  moins  d'être  dirigée  encore  :  je  renvoie  donc  simple- 
ment aux  détails  du  catalogue  pour  éviter  un  double  emploi. 
Mais  ce  que  je  ne  puis  passer  sous  silence ,  c'est  la  recon- 
naissance que  je  dois  à  la  commission  chargée  de  surveiller 
l'impression  des  catalogues  des  manuscrits,  pour  m' avoir  con- 
stamment aidé  de  son  obligeance  et  de  ses  lumières ,  et  m'a- 
voir  indiqué  une  foule  de  rectifications,  d'additions  et  de  sup- 
pressions. 

M.  Taranne  qui,  de  plus,  a  bien  voulu  m'épargner,  en  s'en 
chargeant  lui-même,  le  difficile  travail  des  tables  qui  terminent 
le  volume,  est  prié  d'en  agréer  ici  mes  sincères  remerclments. 

HARMAND, 
Conservateur  de  la  bibliothèque  de  Troyes. 


772  BOUETn  DU  BDUOPHIU. 


LES  LIVRES  QUI  NE  SE  VENDENT  PAS. 


Essais  divers,  lettres  et  pensées  de  madame  de  Tracy. 
Paris,  4852-4856  ;  trois  voL  in.l2. 

Cette  publication  est  particulière  et  n*a  pas  été  faite  dans  on 
but  de  spéculation,  car  elle  ne  se  vend  pas,  et  aucun  exem- 
plaire n'est  rois  dans  le  commerce.  C'est  à  ce  titre  que  nous 
réimprimons  dans  le  Bulletin  Y  avertissement  de  Téditear. 

M"*  de  Tracy  a  voulu  laisser  un  souvenir  à  ses  nombreu 
amis  :  ce  recueil,  publié  pour  eux,  n'a  pas  d'autre  prétention  ; 
il  est  donc  à  l'abri  de  toute  critique  littéraire,  et  une  prélieu^e 
est  en  quelque  sorte  inutile.  Cependant,  chargé,  par  une  dispo- 
sition formelle  du  testament  de  M""'  de  Tracy,  d'exécuter  un 
travail  qu'une  mort  prématurée  l'a  empêchée  d'accomplir  elle- 
même,  j'ai  besoin  d'expliquer  en  peu  de  mots  comment  je  oie 
suis  acquitté  de  la  tâche  sacrée  qui  m'étoit  confiée. 

M"*«  de  Tracy  avoit  su  se  créer  des  ressources  inépoisables 
contre  l'ennui,  ce  terrible  fléau  des  femmes  du  monde.  Toal  le 
temps  qu'elle  ne  consacroit  pas  à  la  musique  ou  à  la  peinture , 
elle  l'employoit  à  des  études  sérieuses  sur  la  littérature  et  la 
philosophie,  et  prenoit  soin  de  consigner  par  écrit  le  résultat 
de  ses  lectures  :  c'est  une  habitude  qu'elle  avoit  contractée  de 
bonne  heure  et  qu'elle  a  pratiquée  toute  sa  vie.  Elle  a  donc 
laissé  de  nombreux  manuscrits  qu'elle  avoit  intention  de  résu* 
mer  pour  en  extraire  un  ou  deux  volumes  destinés  à  ses  in- 
times. Malheureusement,  la  mort  est  venue  la  surprendre,  et  je 
me  suis  trouvé  chargé  de  faire  ce  qu'elle  auroit  fait  infiniment 


mnXBTIIf   DU  BIBLIOPHILE.  778 

mieux  que  moi.  M"**  de  Tracy  u'avoit  pas  désigné  d'une  ma- 
nière spéciale  ceux  de  ses  écrits  qu'elle  désiroit  livrer  à  l'im- 
pression ;  il  falloit  nécessairement  choisir  :  c'est  ce  que  j'ai  fait, 
après  avoir  lu  avec  l'attention  la  plus  scrupuleuse  et  en  m'ar- 
rètant  à  Tidée  de  donner  un  spécimen  des  divers  genres  de  tra- 
vaux auxquels  M"**  de  Tracy  s'étoit  livrée.  Tel  est  le  plan  qui  a 
présidé  à  la  composition  de  ces  trois  volumes. 

Le  premier  commence  par  le  récit  d'un  voyage  que  M"*  de 
Tracy,  qui  se  nommoit  alors  M"*  Sarah  New  ton ,  fit  à  Plom- 
bières, en  1808,  sous  Tégide  de  M"**  de  Coigny.  Lorsqu'elle 
écrivit  ce  charmant  opuscule,  plein  de  gaieté.  M"»*  de  Tracy 
n'avoit  pas  encore  dix-huit  ans.  —  Vient  ensuite ,  dans  ce 
même  volume ,  la  traduction  ou  plutôt  l'imitation  de  deux  ro- 
mans anglois,  »  de  ces  romans  à  peine  connus  en  France,  et 
qui  cependant  sont  tout  à  fait  dignes  de  l'être.  »  Enfin ,  le  vo- 
lume se  termine  par  la  notice  sur  M.  Destutt  de  Tracy.  Cette 
notice,  qui  avoit  déjà  été  publiée  séparément  en  18i!i7,  est  con- 
nue de  tous  les  amis  de  la  famille,  et  ils  savent  tous  qu'elle  ren- 
ferme des  particularités  intéressantes  sur  la  vie,  le  caractère  et 
les  ouvrages  de  l'illustre  auteur  de  V Idéologie, 

M"^  de  Tracy  étoit  née  dans  la  religion  anglicane  ;  mais  éle- 
vée en  France ,  attirée  de  bonne  heure  par  les  pompes  et  la 
grandeur  de  l'Église  romaine,  elle  étoit  catholique  de  cœur  dès 
sa  plus  tendre  jeunesse.  Toutefois,  elle  ne  voulut  embrasser  le 
catholicisme  que  par  suite  d'une  conviction  profonde,  réfléchie, 
et,  pour  atteindre  à  ce  but,  elle  se  livra  à  la  lecture  et  à  l'étude 
des  écrivains  sacrés;  mais  cette  étude,  qu'elle  s'étoit  imposée 
primitivement  comme  un  devoir,  devint  bientôt  pour  elle  une 
véritable  passion.  Elle  eut  le  courage  de  se  mettre  en  état  de 
lire  les  Pères  de  l'Église  latine  dans  les  textes  originaux,  et, 
après  les  avoir  étudiés  pour  elle-même,  elle  fut  prise  d'un  vif 
désir  de  familiariser  les  gens  du  monde  avec  des  écrivains  qui 
renferment  une  foule  de  beautés  du  premier  ordre,  et  que  ce- 
pendant ils  connoissent  à  peine  de  nom.  G'étoit  là  se  donner 
une  grande  tÂche.  H<*'  de  Tracy  y  a  consacré  les  dernières  an« 


77&  BULLETIN   DU   BIBUOPHILE. 

nées  de  sa  vie  avec  une  ardeur,  une  persévérance  dont  il  est  à 
peine  possible  de  se  faire  une  idée.  Ce  qu'elle  a  écrit  sur  les 
Pères  de  T  Église  formeroit  la  valeur  de  plusieurs  volumes 
in-folio.  Au  milieu  de  tant  de  travaux  qui  malheureusement  n'é- 
toient  qu'ébauchés  pour  la  plupart,  nous  avons  choisi  les  quatre 
notices  qui  forment  notre  second  volume.  Nous  recommandons 
à  Fattcntion  de  nos  lecteurs  Tétude  sur  saint  Athanase  et  sur- 
tout l'étude  sur  Tertullien ,  qui  nous  semblent  renfermer  des 
appréciations  et  plusieurs  passages  qu'on  ne  s'attendroit  guère 
à  voir  sortir  de  la  plume  légère  d'une  femme  du  monde. 

Les  matières  contenues  dans  le  troisième  volume  sont  beau- 
coup moins  sérieuses ,  mais  peut-être  plairont-elles  davantage 
aux  lecteurs  à  qui  ces  volumes  sont  destinés.  Ce  sont  principa- 
lement des  extraits  du  journal  dans  lequel  M"**  de  Tracy  avoit 
l'habitude  de  consigner  ses  impressions  de  tous  les  instants. 
C'est  là  que  les  personnes  auxquelles  sa  mémoire  est  restée 
chère  la  retrouveront  avec  toute  la  sensibilité  de  son  cœur,  avec 
toute  l'originalité  et  tout  l'imprévu  de  son  esprit.  £lle  parle  Ut 
à  cœur  ouvert  ;  elle  dit  tout  ce  qu'elle  pense  d'elle  et  des  autres. 
Ses  amis  y  rencontreront  à  chaque  page  le  témoignage  non  sus- 
pect des  bons  sentiments  qu'elle  leur  portoit,  et  pas  un,  j*en 
suis  sûr,  ne  lui  gardera  rancune  pour  quelques  innocentes  épi- 
grammes  qu'il  eût  été  fAchcux  de  supprimer.  —  M""'  de  Tracy 
a,  pendant  toute  sa  vie,  entretenu  avec  ses  amis  une  active  cor- 
respondance ;  presque  toutes  ses  lettres  ont  été  religieusement 
conservées,  et  on  pourroit  en  composer  plusieurs  volumes.  Mais 
il  n'est  pas  toujours  facile  de  publier  des  lettres  qui  tiennent 
souvent  aux  détails  de  la  vie  intime  autant  de  la  personne  qui 
les  reçoit  que  de  celle  qui  les  écrit.  Peut-être  ferons-nous  plus 
tard  cette  publication.  Nous  nous  sommes  borné,  quant  à  pré- 
sent, à  donner  comme  spécimen  les  lettres  écrites  par  M"*  de 
Tracy  à  trois  de  ses  amis.  Parmi  ces  lettres,  les  unes  prouvent 
combien  M*"*  de  Tracy  avoit  pris  au  sérieux  ses  études  sur  les 
Pères  de  l'Église;  les  autres  nous  révèlent  ses  opinions  politi- 
ques. 11  m'a  semblé  qu'il  n'y  avoit  aucun  inconvénient  à  les  pu- 


BUIXETIN  DU  BIBLIOPHILE.  775 

blier,  et  qu'on  pouvoit  avouer  hautement  les  vives  sympathies, 
le  dévouement  éclairé  de  M"»*  de  Tracy  pour  une  famille  qui 
n'est  plus  sur  le  trône ,  mais  qui  n'en  a  pas  moins  donné  à  la 
France  dix-huit  années  de  bonheur  et  de  liberté. 

A.  T. 


ANALECTA  BIBLION. 

Histoire  du  prieuré  du  Mont-aux-Malades-lès-Rouen, 
et  correspondance  du  prieur  de  ce  monastère  avec 
saint  Thomas  de  Cantorbery,  1120-1820,  par  l'abbé 
P.  Langlois,  directeur  de  la  maîtrise  de  la  métropole 
de  Rouen;  membre  de  l'académie  de  Rouen,  etc.; 
Rouen  j  1851.  —  Essai  historique  sur  le  chapitre  de 
Rouen,  pendant  la  révolution,  par  M.  Tabbé  P. 
Langlois,  chanoine  honoraire;  1789-1802;  Rouen^ 
1855. 

On  lit  avec  un  vif  intérêt  ces  deux  volumes  d'un  prêtre  sa- 
vant, judicieux  et  très-homme  de  bien,  qui,  prenant  pour  lui 
toute  la  peine,  a  rassemblé  les  anciens  témoignages  et  les  a 
coordonnés  dans  le  silence  du  cabinet,  pour  en  dégager,  avec 
une  sûreté  parfaite,  Télément  historique.  Cet  auteur,  il  est  aisé 
de  le  voir,  chérit  tendrement  les  touchants  souvenirs  qu'il  nous 
a  si  bien  retracés,  et  l'on  ne  doute  pas  qu'il  n'eût  assurément 
suivi  l'exemple  de  ses  prédécesseurs,  s'il  eût  été  chanoine  de 
Rouen  ou  moine  du  Mont-aux-Malades,  quand  la  première  ré- 
volution françoise  vint  demander  aux  prêtres  un  serment  que 
répudioit  leur  conscience  et  leur  foi.  «  Le  coeur,  »  diiexcellem- 


770  BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE. 

ment  H.  l'abbé  Langlois,  c  le  cœur  m'a  fait  historien.  J'ai 
c(  longtemps  habité  les  cellules  et  marché  sur  les  tombes  des 
«  religieux  du  Mont-aux-iMalades  ;  j'ai  joué,  tout  enfant,  sous 
«  leiu-s  ombrages  antiques,  et,  prêtre,  je  me  suis  assis  à  leurs 
«  places,  dans  le  chœur  de  leur  église.  De  là,  mon  zèle  à  re- 
<(  chercher  leurs  traces  et  leurs  noms  dans  les  siècles  passés, 
((  pour  leur  épargner,  autant  qu'il  est  en  moi,  l'injure  d'uni 
«  éternel  oubli.  » 

Parlons  d'abord  de  {'Histoire  du  prieuré  du  Motit-^tix-Ma" 
lade-lèS'Rouen.  Elle  est  divisée  en  seize  chapitres.  Les  douze 
premiers  contiennent  les  annales  de  la  maison  depuis  sa  fonda- 
tion vers  1120,  jusqu'il  l'expulsion  de  ses  trois  derniers  moines 
en  1791.  M.  Langlois  va  même  plus  loin  :  il  nous  dit  comment, 
en  1792,  l'accusateur  public  du  tribunal  de  Rouen,  le  citoyen 
Sacquepié,  se  fit  adjuger  la  maison  claustrale  et  ses  dépen- 
dances, et  comment  l'abbé  Helluy,  supérieur  du  séminaire  de 
Rouen,  la  racheta  le  13  août  1810  de  madame  veuve  Sacque- 
pié. C'est  aujourd'hui  le  petit  séminaire  du  diocèse  de  Rouen. 
Mais  par  malheur,  en  retrouvant  l'abri  de  la  religion  à  laquelle 
elle  avoit  dû  sa  fondation  et  toutes  ses  annales,  la  maison  du 
Mont-aux-Maladcs  perdit  son  caractère.  Pour  l'approprier  à  sa 
destination  nouvelle,  il  fallut  sacrifier  des  bâtiments,  des  mu- 
railles, tout  ce  qui  conservoit  l'empreinte  des  anciens  jours. 
M.  l'abbé  Langlois  dira  cela  mieux  que  nous  :  u  Le  prieuré  du 
((  Mont-aux-Malades  n'a  plus  ce  qu'il  y  avoit  de  monumental  et 
c(  d'antique  dans  sa  physionomie;  les  cellules  des  anciens 
n  chanoines  réguliers  se  sont  perdues  dans  des  constructions 
(c  modernes,  les  vieux  murs  sont  maintenant  recrépis  et  far- 
«  dés.  Un  cénobite  octogénaire  qui  les  avoit  longtemps  habi- 
((  tés^  les  revit  il  y  a  quelques  années,  en  183&,  et  les  recon- 
«  nut  à  peine.  Nous  n'oublierons  jamais  l'apparition  inattendue 
u  de  cet  homme  d'un  autre  âge,  et  nous  croyons  voir  encore 
0  ses  traits  doux  et  majestueux.  G'étoit  dom  le  Lorrain,  qui, 
«  après  quarante  ans  d'absence,  venoit  voir,  une  dernière  fois, 
tt  le  monastère  d'où  la  tempête  révolutionnaire  l'avoit  arraché. 


BULLETIN  DU  BIBUOPRILE.  777 

«  Il  parcourut  lentement  sa  chère  solitude  ;  il  put  célébrer  le 
«  saint  sacrifice  dans  son  ancienne  église.  Il  revit  avec  atten- 
«  drissement  cette  cellule  où  il  avoit  longtemps  goûté  les  dé- 
fi lices  de  la  prière  et  de  l'étude,  et  où,  par  hasard,  nul  chan- 
0  gement  n'avoit  encore  été  fait.  Après  quelques  jours  passés 
«  dans  ces  lieux,  le  vieillard  s'éloigna  pour  jamais,  en  bénis- 
«  tant  Dieu  qui  avoit  rendu  à  T  Église  la  maison  qu'elle  avoit 
«  possédée  pendant  tant  de  siècles...  Dom  le  Lorrain  mourut 
«  à  Vitry-le-François  d'une  mort  sainte,  le  jour  de  la  Féte- 
«  Dieu  de  Tannée  1840,  dans  la  quatre-vingt  huitième  année 
«  de  sa  vie.  u 

Il  étoit  assurément  impossible  de  mieux  finir  un  récit,  qui 
d'ailleurs  ne  cesse  d'être  attachant,  instructif  et  sincère.  Le 
monde,  dit-on,  est  fait  comme  notre  famille  :  l'histoire  d'un 
hospice  consacré  au  soulagement  des  misères  humaines,  servi 
par  des  hommes  généralement  vertueux,  mais  qui  tous  ne  fu- 
rent pas  à  l'abri  des  passions  humaines,  ofllVe  au  talent  d'un 
historien  l'occasion  de  pages  aussi  instructives,  et  de  tableaux 
aussi  variés  que  les  annales  politiques  d'une  ville,  ou  même 
d'une  province  entière.  M.  l'abbé  Langlois  a  su  profiter  d'un 
grand  nombre  de  documents  inédits  de  tous  genres;  chartes 
des  anciens  ducs  de  Normandie,  rois  d'Angleterre  et  rois  de 
France;  décrets  des  archevêques  de  Rouen,  bulles  des  papes; 
procès-verbaux  des  visiteurs  du  prieuré.  La  correspondance 
de  saint  Thomas  de  Gantorbery  avec  les  religieux  du  Mont- 
inx-Halades,  a  surtout  captivé  son  attention  ;  M.  Langlois  l'a  ti- 
rée de  la  poussière  des  manuscrits  et  de  nombreux  recueils 
peu  consultés  dans  lesquels  elle  étoit  éparpillée.  Grâce  à  tant 
de  nouveaux  matériaux,  l'histoire  de  la  résistance  de  l'arche- 
vêque de  Gantorbery,  de  son  voyage  en  France  et  de  sa  mort, 
est  éclairée  d'une  nouvelle  lumière.  Regrettons  seulement 
que  notre  historien  n'ait  pu  connoltre  le  beau  poème  qu'un 
trouvère  contemporain,  Garnier  de  Pont-Sainte-Maxence,  avoit 
lEdt  en  l'honneur  de  saint  Thomas,  poème  dont  M.  Victor  Leclerc 
vient  de  donner  une  excellente  analyse  dans  le  tome  XXIII* 


778  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

de  V Histoire  littéraire  de  la  France,  qui  parott  en  ce  moment. 
Là,  se  montre  mieux  encore  l'influence  et  le  crédit  de  l'abbé 
iNicolas,  le  célèbre  prieur  du  Mont-aux-Malades,  son  dévoue- 
ment pour  Tarchevéque,  et  la  communauté  de  leurs  senti- 
ments et  de  leurs  efforts  contre  les  violences  du  pouvoir  tem- 
porel. On  sait  que,  toujours  combattues  avec  moins  d'ensemble 
et  de  succès,  ces  violences  dévoient  aboutir  au  grand  schisme 
de  l'Église  anglicane,  si  contraire  à  la  véritable  liberté  des  peu- 
ples, si  bien  accueilli  cependant  par  le  sentiment  populaire  ; 
car  on  a  souvent  remarqué  que  le  peuple  a  toujours  été  du 
parti  de  celui  qui  le  gruge.  C'est  une  si  belle  chose  que  la  vio- . 
lence  ! 

Le  chapitre  le  plus  important  du  livre  de  M.  l'abbé  Langlois 
est  celui  qu'il  a  consacré  à  l'histoire  de  la  lèpre  et  des  maladre- 
ries  en  France.  L'hospice  du  iMont-aux-Malades  ne  fut  guère, 
en  eflfet ,  depuis  sa  fondation  jusqu'à  sa  réforme  à  la  fin  do 
xvir  siècle,  qu'une  léproserie.  Rien  de  plus  sobre,  de  plus  atta- 
chant et  de  plus  complet  que  ce  mémoire  historique  et  vérita- 
blement digne  d'un  recueil  tel  que  celui  de  l'Académie  des 
inscriptions.  On  y  voit  l'origine  et  la  décadence  de  l'horriblemal, 
les  moyens  employés  pour  en  arrêter  ou  du  moins  en  circonscrire 
les  ravages,  le  règlement  des  asiles  consacrés  aux  malheureux 
qu'il  atleignoit;  les  désordres  inséparables  de  ces  réunions 
de  pestiférés,  dont  les  populations  s'exagéroient  encore  la  fu- 
neste influence.  Je  regrette  seulement  que  M.  l'abbé  Langlois 
ait  accepté  sans  commentaires  le  récit  des  historiens  contem- 
porains qui  accusent  les  lépreux  de  toutes  les  parties  de  la 
France  «  d'avoir  formé  le  complot  monstrueux  d'empoisonner 
((  toutes  les  eaux  du  royaume,  afin  de  communiquer  à  tous  leur 
<(  maladie,  et  ne  plus  être  regardés  comme  infâmes  »  (page  103). 
Hélas!  le  seul  crime  de  ces  malheureux  étoil  d'avoir  trop  sou- 
vent essayé  de  toucher  aux  fontaines  et  aux  eaux  courantes  qui 
leur  prometloient  un  soulagement  passager.  Dans  leur  isole- 
ment, comment  auroient-ils  pu  former  une  conspiration  pa* 
n^ilhf  ?  Que  plus  d'une  fois,  dans  un  cas  d'extrême  pénurie. 


BULLETIN  DU  BIBU0PH1U.  779 

les  princes  et  les  grands  vassaux  aient  aOecté  d*accuser  les  juifs 
de  tels  projets,  on  le  conçoit;  Tescarcelle  des  juifs  étoit  trop 
gonflée,  leurs  livres  trop  remplis  de  litres  dont  on  redoutoit 
Téobéance  :  mais  les  ladres,  que  pouvoit-on  attendre  de  leur 
dépouille  ?  Aussi  la  première  pensée  du  complot  fut-elle  mise 
sur  le  compte  des  juifs,  et  les  juifs  payèrent  surtout  pour  les 
victimes  du  mal  saint  Ladre.  En  vérité,  quand  on  voit  avec 
quel  manque  d*égards  on  traitoit  autrefois  les  juifs,  on  est  assez 
naturellement  conduit  à  comprendre  qu'ils  ne  soient  pas  aujour- 
d'hui trop  fâchés  de  prendre  leur  revanche. 

L'ancienne  église  collégiale  de  Saint-Thomas  le  Martyr, 
construite  par  ordre  de  Henry  II,  en  Tannée  117/i,  est  la  pre- 
mière de  toutes  celles  qui  furent  placées  sous  Tinvocation  de 
l'archevêque  de  Cantorbery.  Ce  que  le  temps  et  surtout  la  révo- 
Itttion  en  ont  épargné  est  aujourd'hui  l'église  paroissiale  du 
lIont-aux-Malades,  à  Rouen.  Mais,  dit  avec  un  juste  et  touchant 
regret  M.  Tabbé  Langlois,  «  depuis  que  la  paroisse  a  remplacé 
«  la  collégiale,  vous  y  cherchez  en  vain  quelque  souvenir  de 
(I  ton  illustre  patron.  C'est  cependant  la  première  qui,  dans  nos 
«  contrées,  ait  été  élevée  à  la  gloire  du  martyr  des  libertés  de 
«  l'Église.  Un  roi  victorieux  et  repentant,  qui  lui  atlribuoil  ses 
«  triomphes  inespérés,  l'avoit  bâtie  et  dédiée  sous  le  nom  de 
«  Saint-Thomas.  Pendant  plus  de  six  siècles,  le  peuple  fidèle  y 
tt  vénéra  ses  reliques,  y  célébra  sa  fête  :  aujourd'hui  il  n'y  reste 
m  pas  un  vestige  de  son  culte,  pas  un  autel,  pas  une  image,  pas 
«  une  inscription  qui  rappelle  au  moins  son  nom  dans  ces  lieux 
a  qu'il  affectionnoit,  qu'il  honora  de  ses  lettres,  qu'il  enrichit 
«  de  ses  aumônes  quand  il  fut  dans  l'opulence,  et  d'où  lui  vin- 
o  Fent  tant  de  consolations,  lorsqu'il  connut  le  malheur  et  la 
(4  pauvreté.  »  Des  regrets  si  bien  exprimés  font  honneur  au 
cœur  et  à  la  sincérité  de  l'historien,  et  Ton  ne  peut  s'empêcher 
de  faire  avec  lui  des  vœux  pour  qu'un  autel,  un  sanctuaire 
soient  au  moins  réunis  sous  l'invocation  de  saint  Thomas  Bec- 
quet,  dans  une  église  fondée  jadis  en  son  honneur  par  le  prince 
qui  venoit  do  lui  donner  une  place  au  milieu  des  martyrs. 

5f 


780  BULLETIN   DU   BIBUOPHILE. 

Les  deux  chapitres  xiii  et  xiv  nous  offrent,  le  premier  This- 
toire  littéraire  de  Tancien  prieuré;  l'autre,  le  tableau  des 
mœurs  et  Torganisation  de  cette  maison  hospitalière.  Le  Ment- 
aux-Malades possédoit  une  riche  bibliothèque,  et  compta  des 
supérieurs  et  des  religieux  savants,  habiles  et  recommandables 
par  leurs  ouvrages.  Au  premier  rang  se  place^  ûnsi  que  nous 
Tavons  déjti  remarqué,  Tabbé  Nicolas,  cet  ami,  ce  conseiller  de 
saint  Thomas  Recquet.  M.  Langlois  nous  a  conservé  plusieurs  de 
ses  lettresqui  le  montrent  comme  un  latiniste  exercé,  comme  on 
théologien  sévère,  comme  un  homme  de  sens  profond  et  d'ex- 
cellent jugement.  Dans  les  temps  modernes,  les  chanoines  régih 
lîers  du  Mont-aux-Malades  prirent  part  plus  d'une  fois  à  ces 
concours  pieusement  liltéraires  qui,  sous  le  nom  de  Puy  des  Pâli' 
nods,  appcloit  à  Rouen,  chaque  année,  les  poètes  et  les  musi- 
ciens de  toutes  nos  provinces,  dans  Tespoir  d'y  recevoir  des  cou- 
ronnes. Il  y  eut  pour  présider  ces  assemblées  qui  préludoient  à 
nos  académies,  plusieurs  princes  choisis  dans  leur  maison.  En 
1520,  sous  le  principat  de  maître  Guillaume  d'Attigny,  prieur  de 
Saint-Thomas  le  Martyr,  le  Puy  des  Palinods  fit  représenter  une 
moralité  à  quatre  personnages,  intitulée  le  Triomphe  des  Nor* 
mands.  Plus  tard,  en  1036,  les  prix  de  la  confrérie  étoient  dis- 
putés et  souvent  gagnés  par  Antoine  Corneille,  humble  religieux 
du  Mont-aux-Malades,  dont  les  triomphes  n'avoient  pas  le 
retentissement  et  nous  devons  ajouter  l'importance  de  ceux  de 
son  frère,  le  grand  Corneille  :  toutefois,  les  vers  que  cite 
M.  l'abbé  Langlois  ne  sont  pas  k  mépriser,  et  justifient  parfai- 
tement les  lauriers  dont  le  prince  du  Puy  de  Rouen  couronna 
le  modeste  front  du  bon  religieux.  On  lit  encore  avec  plaisir, 
dans  notre  volume,  une  excellente  notice  sur  la  vie  et  les  ou- 
vrages de  François  Rertaud  de  Freauville,  prieur  du  Mont-aux- 
Maladcs,  frère  de  madame  de  Molleville.  C'est  lui  qui,  si  l'on  en 
croit  quelques  contemporains  malveillants,  avoit  mérité  le 
surnom  de  Bertaud  l'Incommode,  Il  avoit  du  savoir  et  de  la 
facilité  ;  il  faisoit  des  vers,  jouoit  du  luth  et  chantoit  même 
d'une  façon  remarquable,  bien  que  sa  voix  n'égalât  pas  Tagré- 


BULLETIN  DU  BIBUOPHILE.  781 

ment,  la  douceur  et  la  pureté  de  celle  du  célèbre  Bertaud^  son 
homonyme.  M.  Fabbé  Langlois,  qui  n*a  rien  ignoré,  cite,  à  ce 
propos,  des  pages  entières  de  Talleroant  des  Beaux  ;  et  je  dois 
reconnottre  que  le  dernier  éditeur  des  Historiettes  eût  tiré 
grand  proût  des  recherches  de  M.  Tabbé  Langlois,  sUl  les  eût 
plus  tôt  connues.  Mais  il  ne  s*étoit  pas  avisé  d'aller  chercher, 
dans  Y  Histoire  du  prieuré  du  Mont^aux- Malades^  de  nouvelles 
lumières  à  Tappui  de  son  Commentaire. 

On  trouve  encore  ici  de  bonnes  notices  sur  la  vie  et  les  ou- 
vrages de  dom  Lelarge,  de  Tabbé  Talbert  et  du  savant  astronome 
dom  Pingre,  mort  en  mai  1796,  un  des  premiers  membres  de 
rinstitut  de  France.  Pingre,  qui  avoit  courageusement  refusé 
de  prêter  le  serment  constitutionnel,  fut  le  seul  homme  illustre 
de  cette  maison  du  Mont-aux-Malades  qui  mourut  en  dehors  des 
saitiments  d'un  vrai  chrétien.  A  force  d'étudier  les  étoiles  et  les 
mondes  célestes,  il  fmit,  comme  Lalande,  par  ne  plus  rien  voir 
au  delà  des  cieux.  «L'ancien  martyr  de  la  vérité,»  dit  M.  l'abbé 
Langlois,  u  le  liturgiste  scrupuleux  qui  avoit  corrigé  les  offices 
a  romains  en  usage  dans  sa  congrégation ,  expira  en  citant  des 
«  passages  du  poète  épicurien  de  Tibur  : 

Rxacto  contentus  tcmporc  vitas 
Ccdat,  uti  conviva  satur » 

Je  n'ai  pas  le  temps  de  m' arrêter  sur  les  derniers  chapitres 
de  cet  excellent  livre,  qu'on  peut  avec  raison  regarder  comme 
nn  modèle  d'histoire  particulière.  Je  laisse  de  côté  le  curieux 
tableau  des  mœurs  anciennes,  la  description  archéologique  des 
bâtiments  et  des  pierres  tumulaires,  des  inscriptions,  des  reli- 
ques de  l'abbaye  ;  la  chronologie  raisonnée  des  prieurs,  enfin 
les  pièces  justificatives.  Mais  je  vais  consacrer  les  dernièn*s  lignes 
dont  on  me  laisse  la  disposition  à  l'examen  du  second  ouvrage 
de  M.  l'abbé  Langlois,  V Essai  historique  sur  le  chapitre  de  Rouen 
pendant  la  révolution,  f/cst  la  relation  vraie,  touchante  et  dou- 
loureuse de  toutes  les  épreuves  auxquelles  ces  dignes  et  coura- 
geux prêtres  furent  soumis  dans  les  premiers  jours  de  nos  longues 


782  BUUETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

discordes  civiles.  Ici  je  ne  puis  m'emp^cher  de  citer  quelques 
passages  de  la  lettre  qu*unc  personne  non  moins  recommandabte 
par  l*éIévatioD  de  son  esprit  que  par  la  grandeur  de  son  nooi, 
vouloil  bien  in'écrire,ii  y  a  quelques  jours,  à  propos  de  cet  ou- 
vrage :  <(  Rien  de  touchant,  monsieur,  comme  le  simple  récit  de 
«  tant  de  souiïrances  et  de  sublimes  misères.  On  croit  lire  une 
((  suite  du  Martyrologe.  Ces  héros  chrétiens,  victimes  de  la  fm, 
((  supportant  les  privations,  les  traitements  les  plus  horribles^ 
(f  pour  ne  pas  renier  leur  croyance,  sont  à  la  hauteur  des  pre- 
«  miers  chrétiens  torturés  par  les  idolâtres,  et  tons  leurs 
((  noms  doivent  assurément  être  religieusement  conservés  dans 
«  les  annales  de  chacun  des  pays  auxquels  ils  appartiennent. 
«  Dès  mon  enfance,  j*ai  entendu  prononcer  leurs  noms  avec 
('  respect  ;  j'ai  pu  voir  dans  leur  vénérable  vieillesse  quelques- 
((  uns  de  ces  précieux  débris  ;  et  je  comprends  l'empressement 
«  avec  lequel  nous  recueillons  aujourd'hui  tout  ce  qui  noos 
«  parle  d'eux.  Plusieurs  appartiennent  à  des  familles  qui  ne 
«  sont  pas  éteintes  ;  et  quel  plus  beau  titre  de  noblesse  que  de 
«  compter  parmi  ses  ancêtres  des  saints  et  des  martyrs  I  C'est 
((  donc  un  utile  enseignement  pour  l'histoire  que  ces  pages  de 
c(  M.  Langlois,  écrites  avec  tant  de  sincérité,  un  respect  si 
<(  religieux,  une  modération  si  grande.  Et  dans  notre  France, 
c  si  riche  en  dévouements  héroïques  et  en  sublimes  sacrifices^ 
(t  combien  il  seroit  h  désirer  qu'il  pût  se  rencontrer  de  nom- 
<(  breux  écVivains  pour  réunir,  quand  il  en  est  temps  encore, 
n  tant  de  documents  d'un  intérêt  incomparable  !  Mais  ne  pen- 
«  sez-vous  pas,  monsieur,  qu'il  faudroit  se  hâter?  I..es  derniers 
«  chaînons  qui  nous  rattachent  au  passé  sont  bien  près  de  se 
u  rompre  ;  et  bientôt  on  ne  retrouvera  plus  la  trace  des  pas  de 
«  ceux  qui  ont  hiissé  de  si  grands  exemples.  » 

Que  pourrois-je  ajouter  à  ces  excellentes  paroles?  Rien  assu- 
rément, sinon  que  VEssai  historique  sur  le  chapitre  de  Rouen 
est  divisé  en  quatre  articles.  Dans  le  premier,  M.  Langlois 
nous  fait  connoilrelo  nom  de  tous  les  chanoines  qui  assistèrent 
à  la  dissolution  de  leur  rompagnie  en  1790,  et  nous  raconte 


DULLëTIN   du   OIOLIOPHILE.  7S3 

les  attaques,  les  résistances,  les  délibérations,  les  conférences, 
ea  00  mot,  tous  les  événements  qui  précédèrent  cette  dissolu- 
tion. Nous  revivons  au  milieu  des  scènes  émouvantes  de  1789 
et  1790.  Ici  c*est  le  premier  discours  du  neveu  du  vénérable 
cardinal  de  La  Rochefoucault,  archevêque  de  Rouen ,  le  jeune 
abbé  de  Pradt^  qui,  dit  M.  Tabbé  Langlois,  u  alloit  débuter  dans 
«  la  législature  ù  côté  de  Cazalès  et  de  Maury,  pour  unir  entre 
«  Foy  et  Benjamin  Constant,  après  avoir  été  le  docile  agent  de 
m  la  politique  impériale.  »  Là,  c'est  la  dernière  et  courageuse 
protestation  des  chanoines,  adressée  aux  bourgeois  de  Rouen, 
chargés  de  Texécution  du  fatal  décret  de  l'assemblée  natio- 
nale. Inutiles  efforts  !  le  28  décembre,  les  portes  de  la  cathé- 
drale de  Rouen  demeurèrent  fermées  au  chapitre  métropoli- 
taiO|  et  les  chanoines,  expulsés  de  leurs  sièges,  durent  se 
borner  à  des  protestations  mentales,  jusqu'au  moment  où  Ton 
devoit  leur  interdire  jusqu'au  droit  de  se  taire  et  de  laisser 
passer  tranquillement  l'oppression,  sans  faire  chorus  avec  les 
oppresseurs. 

Nous  suivons,  dans  les  trois  autres  chapitres,  ces  vénérables 
chanoines  dans  toutes  les  épreuves  auxquelles  les  exposoit  leur 
foi  robuste,  leur  résistance,  et  surtout  la  fureur  de  tous  ceux  qui 
Yoyoient,  dans  la  fermeté  des  vrais  ûdèles,  la  condamnation  de 
leurs  excès,  de  leurs  opinions  ridicules  ou,  pour  le  moins,  de  leur 
foiblesse.  Le  chapitre,  par  l'organe  de  l'un  de  ses  chanoines  les 
plus  habiles,  l'abbé  Baston,  entretient  le  mouvement  de  polé- 
mique nécessaire  à  tous  ceux  qui,  victimes  de  la  violence,  sentent 
le  besoin  de  ramener  les  indécis,  et  de  démasquer  les  instru- 
ments de  sottes  ou  mauvaises  passions.  L'évèque  constitutionnel 
de  Rouen,  Beaulieu,  eut  beau  s'entourer  d'une  cohorte  de 
lévites  assermentés  comme  lui,  le  sentiment  chrétien  répugna 
toujours  à  ces  ministres  de  l'Église  que  le  chef  de  l'Église 
désavouoit.  Mais  quand  les  grands  orages  furent  passés ,  quand 
le  clergé  constitutionnel,  pressé  comme  il  l'étoit  par  l'opinion 
publique,  en  vint  à  douter,  à  rougir  de  lui-même,  il  fallut 
éviter  un  autre  danger,  celui  de  l'intolérance  à  l'égard  de  tous 


78&  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

• 

ceux  qui  avoient  obéi  aux  puissances  de  la  terre  :  les  vieux 
débris  du  chapitre  de  Rouen  donnèrent  encore,  à  1* époque  du 
concordat,  Texcinpie  de  la  modération  et  de  la  charité  ;  oubli 
du  passé,  respect  au  saint-siége  qui,  sagement,  faisoit  de  rin- 
dulgence  une  loi,  telles  furent  les  règles  dont  il  ne  se  départit  pas. 
On  aime  à  suivre,  avec  M.  Langlois,  chacun  de  ces  dignes 
confesseurs,  dans  les  dernières  années  de  leur  pèlerinage.  La 
tranquillité  de  conscience  est  la  meilleure  garantie  d'une  longue 
vie  ;  au  moins  voyons-nous,  en  dépit  des  plus  rudes  épreuves, 
le  plus  grand  nombre  des  chanoines  de  Rouen  mourir  octogé- 
naires. Leur  historien,  tout  en  traçant  avec  chaleur  le  tableau 
de  leur  vertu  et  de  leur  noble  résistance,  a  su  jeter  avec  art 
quelques  ombres  dans  la  perspective  ;  il  nous  montre  cet  abbé 
Baston,  longtemps  sur  la  brèche,  payer  enfin  le  tribut  à  la  foi- 
blesse  humaine,  et,  fatigué  de  dix  années  de  luttes,  se  montrer 
un  des  plus  ardents  apôtres  de  Tobéissance  passive,  quand  re- 
commencèrent les  luttes  de  TÉglise  avec  le  souverain  de  la 
France.  Il  n*oubIie  pas  Vaumônier  du  dieu  Mars^  le  célèbre 
abbé  de  Pradt,  qui  n'avoil  assurément  pas  appris,  au  milieu  des 
chanoines  de  la  cathédrale  de  Rouen,  à  sacrifier  les  principes 
de  la  conscience  aux  convenances  d*un  jour,  à  la  volonté  d*un 
homme,  cet  homme  fùt-il  le  maitrc  du  monde.  iM.  de  Pradt  étoit, 
avons-nous  dit,  le  neveu  du  vénérable  cardinal  de  La  Rochefou- 
cault,  mort  dans  Témigration  peu  de  jours  avant  la  signature  du 
concordat,  et  dont  M.  Langlois  nous  racontera  bientôt  la  vie. 
C'est  là,  du  moins,  ce  qu'il  nous  promet,  et  ce  travail  sera  sans 
doute  le  couronnement  de  rexcellent  Essai  historique  sur  fe 
chcpitrc  de  Rouen,  dont  nous  venons  de  parler. 

Paulin  Paius. 


0 
r 


BULLETIN  DU   BIBUOPHILE.  785 

REVUE 

DB 

PUBLICATIONS    NOUVELLES 


—  Les  actes  et  gestes  merveilleux  de  la  cité  de  Genève  ^  par 
Anthoine  Franiment,  mis  en  lumière  par  Gustave  Revilliod; 
Genève,  Jules-Guill.  Fick,  1854;  1  vol.  in-8  de  500  pag., por- 
trait et  vignettes.  Antoine  Fromment,  natif  du  Dauphiné ,  et 
compatriote  de  Farel,  prit  une  part  active  à  rétablissement 
de  la  réforme  à  Genève,  et  aux  guerres  que  cette  ville  soutint 
IK>ur  conserver  son  indépendance  et  sa  nouvelle  religion.  Lors- 
que la  paix  fut  établie,  Fromment  recueillit  les  matériaux  né- 
cessaires pour  écrire  Thistoire  de  cette  époque,  et  après  avoir 
achevé  ce  travail ,  il  le  fit  imprimer.  Mais  le  conseil  de  Genève 
y  découvrit  des  passages  qui  ne  lui  convinrent  pas,  et  supprima 
Tédition  entière.  Aucun  exemplaire  n'a  échappé  à  cette  des- 
truction. M.  Revilliod  a  publié  Tœuvre  de  Fromment  sur  le 
manuscrit  autographe  déposé  aux  archives  de  Genève,  et  il  y  a 
ajouté  les  Extraits  des  registres  publics  de  Genève^  d'après 
Floumois,  depuis  1532  jusqu'en  1536.  Cet  ouvrage  est  indis- 
pensable à  tous  ceux  qui  voudront  écrire  ou  connoître  l'histoire 
de  la  ville  de  Genève ,  et  celle  de  la  réforme  calviniste.  Les 
portraits  et  les  nombreuses  vignettes  dont  ce  livre  est  orné,  ont 
été  dessinés  par  M.  Gandon,  et  les  majuscules  historiées  sont 
celles  qu'employoit  Badius ,  le  célèbre  typographe,  beau-frère 
de  Robert  Ëstienne.  Ge  volume,  imprimé  en  beaux  caractères, 
sur  papier  chamois,  coûte  10  fr.  à  Genève. 

—  Notice  littéraire  et  biographique  sur  le  comte  Théodore 
Hostopchine  (1765-1826),  par  S.  Polstoratzki,  1854,  brochure  de 
6k  pag.  Rostopcliine,  rendu  célèbre  par  l'incendié  de  Moscou 
en  1812,  catastrophe  terrible,  qif  il  désavoua  plus  tard,  on  ne 
sait  pourquoi,  et  qu'il  chercha  vainement  à  attribuer  aux  Fran- 
çois, est  l'auteur  de  plusieurs  ouvrages  en  russe  et  en  franrois. 


780  BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE. 

M.  Polstoratzki  cite  un  païuphlet  intitulé  :  lUflexions  à  haute 
voix  sur  le  Perron  rouge,  1807;  Les  faux  bruits,  comédie 
représentée  en  1808;  des  proclamations  et  des  lettres  publiée» 
en  russe  et  en  françois;  !.a  vérité  sur  l'incendie  de  Moscou, 
1823.  On  a  dit  de  cette  brochure  que  la  Vérité  de  Rostopchine 
n'avoit  servi  qu'à  obscurcir  la  vérité.  Un  quatrain  inédit,  en 
vers  françois ,  et  enfin  ses  Mémoires  écrits  en  dix  minutes.  Ce 
dernier  opuscule,  écrit  en  françois,  est  fort  original.  Il  est 
reproduit  en  entier  dans  celte  notice  »  d'après  le  manuscrit  de 
Tauteur, 

La  famille  du  comte  Théodore  Rostopchine  a  fourni  d'autres 
écrivains  distingués.  Sa  femme,  la  comtesse  Catherine,  a  publié 
en  françois,  sous  le  voile  de  Tanonyme,  plusieurs  ouvrages  reli- 
gieux ;  son  fils,  le  comte  André,  né  en  1813,  a  composé  en 
françois  une  Histoire  universelle,  imprim.  à  Moscou,  18^3*4&; 
2  vol.  in-8.  Enfin,  la  comtesse  Eudoxie,  femme  du  comte 
André,  est  un  auteur  et  un  poète  russe,  dont  les  productions 
sont  fort  estimées;  elle  a  écrit,  en  outre,  de  charmantes  poésies 
en  françois. 

—  Notice  historique  sur  le  scel  communal,  les  armoiries  et  les 
cachets  municipaux  de  la  ville  de  Dunkerque,  par  J.  J.  Garlier. 
Dunkerque^  1855;  in-8,  fig.  Cette  brochure  de  72  pages,  est 
extraite  des  Mémoiirs  de  la  Société  dunkerquoise  pour  VencoU" 
ragement  des  sciences ,  des  lettres  et  des  arts.  Elle  reproduit  les 
sceaux  de  la  ville  de  Dunkcrque,  depuis  1226  jusqu'à  nos  jours. 
M.  Carlier  a  rattaché  à  cette  notice,  une  curieuse  dissertation 
sur  les  sceaux  des  communes  au  moyen  «Ige^et  quelques  détails 
intéressants  sur  les  armoiries.  On  y  trouve  encore  le  récit  des 
principaux  événements  de  Thistoire  de  Dunkerque,  qui  ont 
donné  lieu  aux  modifications  successives  du  sceau  de  la  com- 
mune. Dix  empreintes  dcscels  et  de  contre-scels,  dessinées  pv 
M.  Arth.  Forgeais ,  ont  été  gravées  dans  le  texte  par  M.  Tb. 
Hildebrand. 


V 


BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE 

ET 

CATALOGUE   DE   UVRES   RARES   ET  CURIEUX   DE  LITTÉRATURE, 

D* HISTOIRE,    ETC.,   QUI   SE   TROUVENT   EN    VENTE 

A   LA   UBRÀIRIE   DE   J.    TECHENER* 

MAI  et  JUIN  —  1856. 


385.  Articuli  orthodoxam  religionem  sanctamque  fi- 
dem  nostram  respicientes,  à  S.  theol.  profess.  Lova- 
niensis  univers,  editi,  etc.. —  Les  articles  concernant 
la  vraie  religion  et  saincte  foy  catholique,  composez 
par  les  doct.  en  théol.  de  l'univers,  de  Louvain,  et  mé- 
ritoirement  confermez  par  la  très  sacrée  Maj.  Impé- 
riale... Lovaniiy  1645;  in-4"  de  12  ff.,  v 28—» 

KàMM  rr  ccRiBcx.  —  Charles-Quint,  voyant  à  son  très-grand  regret  et  des- 
pimdr  que  malgré  la  sévérité  de  ses  édits,  les  hérésies  et  mauldictes  secte  s 
meotrej  ne  sont  extainctes  :  ains  que  publiquement  et  occultement  se  e«- 
pmrdent  et  entretiennent  de  plus  en  plus,  mande  aux  docteurs  de  Louvain, 
de  rédiger  aucuns  articles  resolutifi  des  poincti  que  au  faict  de  nostre  foy 
et  religion  lesdicts  hérétiques  mettent  en  dispute  et  controtferse.  Dont  la  te- 
nemt  ientuit.  La  doctrine  catholique,  exposée  en  32  articles  par  les  théolo- 
giens de  Louvain,  est  suivie  d*un  édit  de  Charles-Quint,  daté  de  Bruxelles, 
le  14  mars  1566  (1565).  Nous  en  citerons  les  premières  phrases  : 

P^rquoy  et  que  iceuU  articles  estons  veui  et  visite%  en  nostre  conseil 
S4NII  esté  trouve%  bons  et  catholiques,  nous  avons  iceulx,  en  tant  que  en  nous 
e$i^  auctorisé  et  auctorisons  :  requérons  et  admonestons  tous  evesques  et 
prélats  d^ église  de  quelque  qualité  et  condition  qu'ils  soient ^  et  comme  pro- 
tecteur et  conservateur  de  nostre  saincte  foy,  leur  mandons  qu'ils  agent  à 
em9oger  à  leurs  vicaires,,.,  copie  auctenticqut  desdicti  articles,  affin  de  les 
distribuer  à  tous  les  cureik  et  par  tous  les  monastères  mendions  et  non 
mendions....  pour  les  prescher  ouvertement  et  clerement  en  leurs  urmons^ 
Lesquels  evesques  et  clergé,  tant  exempt*  que  non  exempt%,  se  debvront  ran^ 
ger  selon  iceulx^...  et  feront  procéder  contre  les  transgresseurs...  en  les 
aistm    punir  exemplairement. 

55 


788  BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE. 

L'histoire  des  pays  catholiqaes  nous  offre  peu  d'exemples  d'un  icmfe- 
rain  qui  ait  osé  s'immiscer  d'une  manière  aussi  absolue  dans  les  aflairea 
ccclt'^siastiques,  en  faisant  examiner  par  son  conseil  des  articles  de  foi  i^ 
ligicuse ,  les  approuvant  de  sa  propre  autorité,  et  les  imposant  au  ctefigé 
comme  rbgle  de  conduite,  sons  peine  de  chfttiment  exemplaire. 

386.  Basiui  magni  de  instituendâ  studiorum  ratione,  gr. 
lat.,  cum  annotât.  Justini  Gobleri.  —  Joan,  Pici  Hirao- 
dule  opuscula  :  De  homine  ;  De  Ghristo  et  mundo  ;  De 
vita  christianâ;  Commentaria  inPsal.  XV.  — Rodolphus 
Agricola,  De  formando  studio.  —  Erasini  Roterd.  ratio 
colligendi  exempla.,— Pliil.  Melanchtonis  Delociscom- 
munibus  ratio.  —  Petrus  Fladrunus,  Locorum  com- 
munium  index.  BasUcœ^  Henricus  PetruSy  1537;  1  vol. 
in-8,  mar.  v. ,  fil.,  tr.  dor 36 — • 

Très-rare.  — Basile  le  Grand,  archcvOquo  de  Gésaréc,  saint  Père  grec  du 
rv>  siècle,  a  laissé  plusieurs  ouvrages.  Il  écrivit  son  livre  De  instiiuendâ 
studiorum  raiione,  pour  recommander  k  ses  neveux  la  lecture  des  anciens 
poC'teset  des  anciens  rhéteurs.  Léon  Arétin  avoit  déjà  traduit  cet  opuscule 
en  latin.  Justin  G  obier,  jurisconsulte  allemand,  mort  à  Francfort  en  1567, 
le  traduisit  de  nouveau  ;  mais  il  joignit  à  sa  traduction  le  texte  grec  et  des 
commentaires  assez  étendus.  L'épîtro  dédicatoirc  de  J.  Goblcnr  est  datée 
de  Trêves,  septembre  1537.  Cette  œuvre  ne  formoit  qu'un  tome  de  124  pa- 
ges. Afin  de  lui  donner  une  ampleur  sufllsante,  Timprimeur  ijouta  quatre 
opuscules  de  J.  de  la  Mîrandole,  sur  la  morale  et  sur  les  règles  d'une  TÎe 
cbrétienne  ;  une  lettn»  sur  la  métliode  d'étudier,  par  le  célèbre  Rodolphe 
Agricola,  Tua  des  restaurateurs  des  sciences  et  des  lettres  en  Europe,  an 
XV*  siècle  ;  et  enfin,  trois  petits  traités  du  môme  genre  écrits  par  Érasme, 
par  Melanchton  et  par  Pierre  Fladrun.  Ce  dernier  auteur  est  presque  in- 
connu. Né  à  Walkilch,  en  Brisgaw ,  il  étudia  à  Fribourg,  devint  un  hlr 
bile  pbilologuc  et  professa  à  Roubaix,  où  il  mourut  jeune  le  18  octotre 
1526. 

Ce  recueil  est  très-r/ire,  et  il  acquiert  une  ccrtaijio  importance  par  la 
réunion  de  ces  (>])usculos,  fort  peu  communs,  composés  par  des  savants 
dont  les  ouvrages  sont  toujours  rcdiercliés. 

387.  Belleforest.  La  chasse  d'amour,  avec  les  fables  de 
Narcisse  et  Cerbère,  ausquclles  sont  ajoustés  divers 
sonetz,  par  F.  de  Belleforest,  Coinmingeois.  Parût 
Viuc.  Sertenas,  1561;  in-8,  mar.  r.  lil.,  tr.  d.  {Thomp' 
son) 75—» 


BULLETIN  DU  BIBUOPHILB.  789 

Tftfcs-RARE.  —  SuPERBB  BXB1IPLAIRB.  —  Fraoçoîs  de  Belleforest,  né  à  Sar- 
XAn,  dans  le  pays  de  Coromingcs,  en  novembre  1530,  mourut  à  Paris  le 
!•'  janvier  1583.  Il  s'exerça,  sans  beaucoup  de  succès,  dans  tous  les  genres 
d'écrire.  Son  Histoire  des  neuf  rois  qui  portèrent  le  nom  de  Charles,  lui 
▼alut  le  titre  d'historiographe  de  France.  Ami  de  Ronsard,  de  Baîf  et  de 
Daverdier,  il  voulut  se  livrer  à  la  poésie,  mais  il  se  lassa  bientôt  de  com- 
poier  des  vers  qu'on  lisoit  peu.  On  ne  sera  point  étonné  de  cette  indiffé- 
rence pour  les  oeuvres  poétiques  de  Belleforeit,  lorsqu'on  aura  lu  quelques- 
ans  de  ses  vers.  Voici  la  dernière  stancc  de  La  chasse  d'amour  : 

Chasse  d'amour,  qui  jadis  me  sacras 

A  dcu\  archers,  à  deux  hautes  puissances  : 

Or  consacrée  icy  par  moy  seras 

A  deux  bcautez,  et  à  deux  excellances. 

Pbœbus,  Amour  ont  causé  les  essances 

Par  qui  je  vis,  et  par  qui  tu  vivras  : 

Tu  auras  nom,  essence,  et  vol,  et  csles, 

Du  nom,  du  taint,  de  deux  chastes  pucelles. 

Beileforeat  avoit  dédié  son  livre  à  mesdemoiselles  Marguerite  et  Marie  de 
Goieblanche.  Parmi  les  nombreuses  pièces  qui  suivent  La  chasse  d'amour 
nous  citerons  seulement  les  quatre  premiers  vers  d'un  sonnet  : 

Phebus,  Cupidon,  Mar»,  son  ray,  son  feu,  son  branc, 
Pour  luire,  pour  bruslcr,  pour  du  tout  me  deffaire 
Qiassent  et  rendent  vains,  et  sans  estre  vont  faire 
Mes  f redons,  mes  désirs,  et  ma  vie,  et  mon  sang. 

Vallusion  aux  affaires  du  temps,  sur  la  fable  de  Cerbère,  chien  portier 
€  enfer,  osté  de  son  règne  par  Hercule^  renferme  des  idées  assez  heureuses 
qui  auroient  mérité  d'être  mises  en  œuvre  par  un  meilleur  poëte. 

388.  —  La  pastorale  amoureuse,  contenant  plusieurs 
discours  non  moins  proufitables  que  récréatifs,  avec 
des  descriptions  de  paisages  (en  vers),  par  F,  de  Belle - 
forest,  Commingeois.  Paris,  J.HulpeaUy  1569;  pet.  in-8, 
réglé,  mar.  r.,  tr.  d.  (Duru) 75—» 

Tais-RARB.  —  Fort  bel  exemplaire.  —  Voici  lo  début  do  la  Pastorale 
amoureuse  : 

Au  plus  froid  de  rh3rver,  comme  espris  tout  en  fen 
Les  Nymphes  de  ce  mont  tant  nuit  que  jour  m'ont  feu 
Arresté  sur  le  bord  pierreux  d'une  fontaine, 
Contemplant  le  surgeon  clerluisant  de  sa  veine, 
Laquelle  en  plein  hiver  ressent  le  feu  en  soy, 
Kt  en  l'ardeur  brillant  d'enté  a  ne  sçay  quoy 


700  BULLETIN  DU  BIBUOPHILE. 

Qui  non  moins  Tenfroidist  que  si  de  glace  esprise 
La  terre  se  vestoit  d*une  gelée  grise 
Herissonnant  le  tout  des  horreurs  de  l'hiver. 

La  Pattorale  amoureuse  est  dédiée  à  Loys  de  Toumon,  leîgnear  d*Ar^ 
lan  ;  cette  dédicace  est  suivie  d'une  pièce  de  vers  adressée  à  Claude  de  Tu- 
renne,  dame  de  Toumon,  par  Jean  Willemin,  Bourguignon,  précepteur  du 
seigneur  d'Arlan.  On  trouve  à  la  fin  du  volume  un  ionnet  à  M.  d'Arian, 
composé  par  Jacques  Moysson,  et  une  pièce  en  vers  latins  de  Claude  Sel- 
lier de  Langres.  Cet  opuscule  de  Cl.  Sellier  renferme  un  tableau  sommaire 
des  dévastations  commises  pendant  les  guerres  civiles. 

389.  —  Discours  sur  Theur  des  présages  advenus  de 
nostre  temps,  signifiantz  la  félicité  du  règne  de  nostre 
Roy  Charles  neufiesme  très-chrestien  ;  par  F.  de  Bel- 
leforest,  Comingeois.  PariSy  1572;  pet.  în-8. .     S6 — n 

Très-rare.  —  Bellerorest  vivoit  du  produit  de  sa  plume,  aussi  arUil  pu* 
blié  plus  de  cinquante  ouvrages  tant  en  prose  qu'on  vers.  Ses  écrits  histo- 
riques ne  sont  que  des  compilations  ;  nous  avons  vu  que  ses  poésies,  pres- 
que toujours  composées  à  la  li&to,  sont  loin  d'être  des  chefs-d'œuvre.  El 
cependant  nous  préférons  ses  vers  les  plus  mauvais  à  son  Diâcoun  tur  rktur 
des  présages^  car  ce  discours  est  ime  apologie  des  massacres  de  la  Saint* 
Bartliélemy,  écrite  au  mois  do  novembre  1 572,  et  dédiée  à  René  de  Voyer, 
vicomte  de  Paumy,  bailly  ot  gouverneur  du  pays  de  Touraine.  L'aateor 
passe  on  n^vue  les  signes  miraculeux  qui  ont  présagé  les  divers  événemenU 
du  règne  du  bienheureux  Charles  neuvième.  «  S'il  y  eut  onques  saison  en 
<  laquelle  Dieu  ayo  donné  quelque  démonstration  de  sa  volonté  par  les 
>  signes  extérieurs,  ça  esté  de  nostre  temps  et  du  règne  de  ce  bienkeU' 
«  reux  Cliarlcs  neuflesme,  que  les  marques  en  ont  apparu,  et  que  soadaio 
«  au  signe  l'effaict  a  esté  adjousté.  » 

Belleforest  cite  le  débordement  de  la  Seine  et  l'apparition  d'une  armée 
dans  les  nuages  en  1562  ;  la  famine  et  la  peste  qui  désolèrent  la  France,  de 
1562  à  1565  ;  la  rigueur  de  l'hiver  en  1566,  la  violence  dos  orages  pendant 
l'été  de  1567,  la  tempête  qui  éclata  sur  Paris,  lorsciu'ou  démolit  la  croia 
de  Gastino,  l'aubépine  qui  fleurit  le  jour  de  la  Saint-Barthélemy,  etc.  •  Un 
«  jour  de  feste  d'apostre  escorché  et  crucifié,  a  f*sté  celuy  qui  a  ruiné  les 
«  ennemys  de  la  croix,  les  tyrans  et  meurtriers  des  gents  d'Église....  Ce 
«  sainct  et  glorieux  fils  de  celuy  qui  tient  les  eaux  en  suspens.....  a  faict 
«  tonner  l'ire  de  Dieu  sur  la  teste  de  Coligny  et  de  ses  complices,  et  rBn- 
«  plissant  le  roy  et  les  princes  de  l>ons  désirs,  et  renforçant  le  ccsor  de  sa 
«  noblesse,  et  la  main  du  peuple,  a  rendu  la  paix  à  ses  si^tz...  • 

A  cette  apologie  en  prose,  Belleforest  a  ajouté  un  Cantique  de  ra^ottlè' 
sance,  pour  la  clarté  rendue  à  l'Église  et  royaume  de  France,  Noos  en  ci- 
terons quelques  vers  : 


BULLETIN   DU  BIBLIOPHILE.  791 

Mais  (ô  Diea  !  )  ta  as  faict  que  la  main  glorieuse 
De  noslre  roy  heureux,  que  sa  main  bienheureuse 
A  occis  tout  à  fait  lo  serpent  renaissant. 
Et  la  force  duquel  alloit  en  accroissant. 
As  faict  que  nostre  roy  étestant  comme  gerbes 
Les  sommets  arrogants  des  lyons  plus  superbes, 
A  l'aigle  mise  à  bas  que  Coligny  portoit. 
Et  ruyné  le  nom  qui  de  tant  se  hauçoit. 

Le  Yolume  est  terminé  par  un  sonnet  de  Jacques  Moysson,  et  deux  sofi- 
mêU  de  Belleforest,  adressés  au  roi  et  à  la  France. 

390.  BoEMUS.  Liber  heroicus  de  musicœ  laadibus;  Car- 
men sapphicum  de  laude  et  situ  Ulmœ,  civitatis  imper. 
Sueviae  ;  cum  multis  aliis  carminibus  (auth.  Jo.  Boemo 
Aubensi,  Tbeutonicorum  ordinis  praesbitero) .  (Augustœ 
Vindelic..,  J.  Miller j  1515)  ;  pet.  in-A»,  vél. .. .     35—» 

Rarb.  —  Jean  Boêm,  prûtre  de  l'ordre  teutonique,  étoit  né  à  Aub  (Fran- 
conie) ,  dans  le  xv*  siècle  ;  il  résidoit  à  Ulm,  en  1515.  Ces  renseigne- 
ments  sont  extraits  do  son  liTre,  et  ce  sont  les  seuls  que  nous  ayons  pu 
déeoavrir.  Plusieurs  de  ses  poésies  portent  cette  souscription  :  J.  B.  A. 
(ioan.  Boemus  Aubensis),  theutonieus  dominus  non  latinus.  L'auteur  a 
èédié  son  Éloge  poétique  de  la  musique  à  son  compatriote,  J.  Zehender, 
cnré  à  Aub.  D'après  cette  dédicace,  Zehender  étoit  non-seulement  un  in- 
itnmientiste  distingué,  mais  encore  un  excellent  compositeur. 

BoCm  fait  l'éloge  des  cantilènes  de  Zehender,  et  surtout  d'une  hymne  à 
lahit  Sébastien,  qu'il  avoit  composée  pendant  que  la  peste  désoloit  l'Aile- 
magne.  La  description  de  la  ville  d'Ulm,  au  commencement  du  xvi*  siècle, 
flrt  fort  curieuse.  Ce  petit  poème  en  vers  saphiques  est  suivi  de  poésies 
sacrées,  de  conseils  à  la  Jeunesse  et  de  quelques  épigranunes.  Nous  avons 
remarqué  un  sixain  {hexastichon)  en  l'honneur  de  J.  Buchner,  organiste 
et  JoDOur  de  guitare. 

391.  Capelloni.  Les  divers  discours  de  Laurent  Capel- 
loni,  sur  plusieurs  exemples  etaccideos  meslez,  suivis» 
et  advenuz  (trad.  d'ital.  en  franc.,  par  P.  de  Lari- 
vey).  Troyes^  J.  Le  Noble  y  1595  ;  1  vol.  in-12.     » — » 

TaÈ»-aARB.  —  Laurent  Capelloni  dit  dans  la  préface ,  qu'il  composa  ses 
Diêdoun  en  vingt  Jours ,  à  l'époque  des  vendanges ,  dans  une  maison  de 
campagne  qu'il  possédoit  au  village  de  Busset ,  situé  entre  Gènes  et  Novi, 
etqn*il  mit  la  dernière  main  à  son  ouvrage,  après  son  retour  à  Gènes, 
pendant  les  longues  soirées  de  l'hiver.  Tels  sont  les  seuls  renseignements 


792  BULLETIN   DU  BIBUOPHILE. 

quu  nous  ayons  pu  décuuvrir  sur  Capelloni.  Quant  au  volumo,  il  ii*cst  pu 
moins  inconnu  qu(;  l'auteur;  cependant,  lie  viste  peu  do  livres  aussi  curicoi 
hur  les  guerres  d'Italie,  du  temps  de  Charles  YIII,  de  François  I^'  et  de 
Henri  IL  L'auteur  raconte  les  hauts  faits  des  plus  célcbres  capitaines  fhuH 
çois  et  italiens ,  ainsi  que  les  épisodes  les  plus  remarquables  des  gaerreB 
et  des  dissensions  qui  agitèrent  l'Italie,  depuis  ili9h  jusquVn  1550.  Il  est 
probable  <iuo  Ca|)elloni  avoit  été  témoin  de  la  plupart  des  événements  qu*il 
rapporte,  puisqu'il  a  pu  les  écrire  do  mémoire.  Nous  avons  remarqué  des 
détails  intéressants  sur  la  mort  do  Henri  II,  en  1559.  On  ne  trouve  qu'on 
seul  fait  postérieur  à  cette  date,  la  mort  du  sultan  Soliman  pendant  la 
guerre  do  Hongrie,  en  1306.  Les  Discours  de  Capelloni  sont  indispcDsablcft 
à  tous  ceux  qui  voudront  écrire  l'histoire  de  France  ou  l'histoire  d'Italie, 
pendant  la  première  moitié  du  xvi«  siècle.  Nous  ferons  observer  que  les 
dates  des  événements  relatés  dans  ce  volume,  sont  toujours  inscrites  sur  les 
marges. 

Cet  ouvrage  a  été  traduit  en  françois  par  le  célèbre  champenois  P.  de 
Larivcy,  l'auteur  des  Comédies  facétieuses^  et  fort  bien  imprimé  à  TVoyet, 
par  Jean  Le  Noble.  Le  livre  de  Capelloni  a  été  décrit  avec  soin,  et  la  mai^ 
que  singulière  do  l'imprimeur  a  été  reproduite  dans  le  Bulletin  du  hiblith 
phile  (année  18/i7,  p.  ft/'i). 

892.  Chef-d'œuvres  {sic)  politiques  et  littéraires  de  la  fin 
du  x\iu*  siècle,  ou  choix  des  productions  les  plus 
piquantes...  S.n.,  1788;  3.  vol  in-8,  br.  non  ro- 
gnés  24—» 

On  auroit  peine  à  retrouver  dans  les  journaux  du  temps,  ou  bien  en 
éditions  originales,  les  pièces  curieuses  rassemblées  dans  ce  recueil;  on  y 
remarque  :  Détails  historiques  sur  Paris,  Le  Uuc€  des  femmes  entretenweif 
Les  vestes  à  la  mode,  etc. 

393.  CoMiTis  Bellocassii  (Stephani)  Sylvula  carminam, 
cum  nonnullis  epitaphiis  Marci  Laurini  et  Joh.  Lodov. 
Vivis.  Brtigis,  typis  Roberti  Gualteri  etErasmiVerreeetg 
sociorum  typographorum  (in  fine  :)  veneunt  in  Burgo 
Shnoni  Vander  Mueleriy  prope  fores  D.  Donatiom^  15AA  • 
pet.  iii-8%  V.  m 45— n 

Très-bel  exemplaire  d*un  livre  rare.  —  Etienne  Cornes,  chanoine  de 
s. -Donatien  à  Bruges,  naquit  à  Cass^îl  (  Flandre  occidentale) ,  dans  le 
xv«  siècle,  et  mourut  à  Bruges  vers  1543.  Il  avoit  pris  le  surnom  de  BelUh 
Cassius,  de  Cassel ,  sa  patrie,  et  d'un  village  voisin  nouuné  Belle.  Il  exerça 
pendant  vingt-ciuatre  ans  l'emploi  de  secrétain;  du  cliapitre  do  S.-Donatien. 
Le  chanoine  Antoine  Scoohovius,  publia  les  vers  latins  de  non  coUègae  et 


BULLETIN   DU  BIBUOPfllLB.  703 

y  Ajouta  les  épitaphe»  écrites  par  divep»  poCtes,  en  IMionneur  de  Marc 
Lauriniu  et  de  Jean-Louis  Vivî^s,  également  clianoines  de  S.  Donatien.  Ce 
recueil  de  poésies  latines  appartient  complètement  à  la  Flandre  :  auteurs, 
éditeur,  imprimeur,  tous  sont  Flamands.  On  trouve  sur  le  dernier  feuillet 
Im  armes  de  la  ville  do  Bruges,  et  sur  le  titre  la  marque  fort  curieuse  do 
l'imprimeur. 

Nous  n'avons  point  osé  traduire  le  nom  de  Comes  par  Comte  ou  Le  Comte; 
car  il  nous  paroi t  probable  que  le  niot  Comes  est  la  traduction  latine  d*un 
nom  allemand. 

Void  répitaphc  et  le  testament  d*Étienne  Comes  écrits  par  lui-même  : 

Epitapiuom. 

Hoc  Jacoo  in  tumulo,  priùs  at  quàm  munore  vite 
Exuor,  in  veto  hoc  promero  carmcn  erat. 

Hue  veni,  hîc  vixi,  pcrcgrin»  fabula  vitas, 
Nunc  acta  est,  rcdeo  vita  ubi  perpes  crit. 

Cygneo  sic  more  mei  sum  funeris  ipae 
Cantator,  longum,  qui  legis  ista ,  vale. 

Testaue^tcm. 

Cœlo  animam,  do  corpus  humo,  do  cœtera  mundo, 
Ut  capiat  partem  quilibet  Inde  suam. 


soi.  Constitutions  de   Tabbaye  de  Notre*Dame  de  la 
Trappe.  Paris,  1671  ;  pet.  in-12,  v.  br C2— » 

L'ordre  de  CIteaux  fut  réformé  à  Tabbaye  de  la  Trappe,  en  1662,  par 
Armand-Jean  Le  Boutliillier  do  Rancé.  Les  règles  établies  par  Tabbé  de 
Rancé,  étoient  tellement  sévères,  qu'elles  trouvèrent  des  détracteurs.  On 
s*eflrayoit  de  ces  austérités  qui  contrastoient  si  vivement  avec  la  vie  relâ- 
chée des  autres  monastères.  Un  silence  presque  absolu,  le  travail  des  mains 
pendant  trois  heures  par  jour,  la  prière,  la  méditation,  la  réclusion  dans  les 
cellules,  une  nourriture  peu  substantielle,  et  très-souvent  le  jeûne,  une  in- 
différence complète  pOur  la  conservation  de  la  vie,  tels  sont  les  points  prin- 
cipaux qui  servent  de  bases  aux  Constitutions  de  l'abbaye  de  la  Trappe. 
Au  surplus,  on  lit  dans  la  préface  :  «  Quiconque  voudra  demeurer  dans 
le  monastère  de  la  Trappe,  n*y  doit  apporter  que  son  Ame,  la  chair  n'a 
qoe  faire  lÀ  dedans.  Ce  n'est  pas  là  qu'il  faut  ménager  sa  santé,  ny  exami- 
ner les  diverses  qualités  des  viandes...  Les  maisons  religieuses  doivent 
Hre  des  écoles  de  pénitence.  » 

Ces  Constitutions,  imprimées  pour  la  première  fois  à  Paris,  en  1671,  ont 
toi^urs  été  rares,  et  fort  peu  connues  au  dehors  des  couvents.  On  nous 
permettra  de  citer,  pour  Tédillcation  de  nos  lecteurs,  quelques  passages 
des  chapitres  les  plus  curieux  : 

c  On  se  lèvera  à  deux  heures  pour  Matines;  il  faut  mieux  prévenir  d'une 


79&  BULLETIN   DU  BIBLIOPHILE. 

heure  que  de  retarder  d'un  quart  d*heure.  Oa  fera  l'espace  d'entre  les 
coups  fort  petit  pour  ôter  lieu  à  la  paresse. 

«  On  ne  crachera  au  chœur  que  dans  les  crachoirs,  que  Ton  tiendra  les 
plus  nets  que  Ton  pourra... 

ff  On  ne  tournera  jamais  la  tôte  dans  le  dortoir,  et  Ton  y  marchera  avec 
gravité  et  modestie,  n'y  ayant  rien  de  si  indécent  à  un  moine  que  de  mar- 
cher avec  légèreté  en  quelque  lieu  que  ce  soit. 

n  Pendant  que  Ton  ne  sera  point  au  chœur  ou  au  travail,  ceux  qui  ne 
seront  occupés  à  aucun  office  particulier,  seront  au  dortoir  et  garderont 
leurs  cellules.  Les  supérieurs  auront  soin  de  les  ouvrir  de  temps  en  temps 
pour  voir  si  les  religieux  employcnt  le  temps  utilement. 

«  Chacun,  au  retour  des  Matines,  prendra  ses  souliers... 

«  On  ne  laissera  jamais  ouvertes  les  portes  du  dortoir,  non  plus  que  les 
autres.  On  prendra  garde  de  ne  jamais  cracher  contre  les  murs  du  dortob 
ou  des  cellule 

A  On  couchera  su  r  une  paillasse  piquée,  qui  ait  tout  au  plus  nn  demj- 
pied  d'épaisscu  r;  le  traversin  sera  de  paille  longue  ;  le  bois  de  lit  aéra  fût 
d'ais  sur  des  tréteaux. 

((  On  ne  mangera  ni  trop  vite  ni  trop  lentement,  on  gardera  en  cela  one 
juste  mesure...  On  aura  toujours  la  vue  baissée,  sans  néanmoins  se  trop 
pg^cher  sur  ce  que  l'on  mange.  On  n'aura  jamais  son  couteau  en  man- 
geait, et  l'on  ne  le  portera  jamais  à  la  bouche.  On  n'avancera  Jamais  les 
bras  sur  la  table  pour  les  y  tenir  quelque  temps  plus  haut  que  le  poignet. 
On  ne  se  lavera  jamais  la  bouche  à  table.  On  ne  se  nettoiera  Jamais  les 
dents  avec  son  couteau  ou  sa  fourchette,  ou  quelque  autre  instmment  qne 
ce  soit...  On  coupera  le  pain  proprement  et  tout  uni,  sans  faire  paroltre 
aucun  choix.  On  mangera  les  choses  comme  on  les  sert,  sans  faire  inélanga 
d'un  mets  avec  un  autre,  ce  qui  n'est  qu'une  gourmandise  et  qu'une  mal- 
propreté. 

«  Aux  jeûnes  de  l'ordre,  il  n'y  aura  jamais  de  lait  à  la  coUation,  ni  de 
fromage,  ni  de  salade,  et  le  pain  s'y  donnera  dans  une  quantité  déterminée  » 
environ  quatre  onces.  Aux  jeûnes  de  l'Église,  on  ne  servira  point  de  laitage 
ni  de  beurre  au  dîner,  et  à  la  collation  on  ne  donnera  que  deux  onces  de 
pain  sans  aucun  fruit.  L'on  observera  inviolablement  et  sans  aucune  dis- 
pense, les  jeûnes  du  mercredi  et  du  vendredi  de  toute  l'année...  On  s'abs- 
tiendra do  beurre,  laitage  et  fromage,  outre  les  jours  de  Jeûne  d'ÉgUse, 
durant  tout  l'Avent  et  tous  les  vendredis  de  l'année. 

c  On  se  passera  de  vin  en  tout  temps...  On  ne  commencera  Jamais  par 
boire  aussitôt  que  l'on  est  à  table,  ce  qui  témoigneroit  trop  d'empressement 
et  d'intempérance,  et  Ton  boira  posément  et  sans  reprises,  tenant  la  tasse 
ou  le  verre  des  deux  mains.  On  ne  servira  point  de  nappes  sur  les  tables  ; 
on  n'y  mangera  que  des  racines  ou  légumes,  pois,  fèves,  lattage,  rix, 
gruaux^  bouillies;  jamais  de  poisson  ni  d'œufs;  les  salades  et  le  benne 
pour  portion.  On  n'en  donnera  jamais  que  de  deux  sortes,  auxquelles  on 
pourra  ajouter  quelque  peu  de  fruit...  On  no  fera  rien  qui  approche  de 
pâtisserie.  Les  légumes  s'apprêteront  avec  peu  de  beurre  ou  point  dn  tout, 


BULLETIN   DU  BIBUOPflILB.  795 

tl  l*on  peut;  et  Ton  n'usera  Jamais  d'aucune  épicerie...  On  ne  mangera 
point  de  pain  blanc...  On  n'entrera  Jamais  à  la  cuisine  sans  permission  : 
on  n'y  parlera  Jamais,  mais  seulement  dessous  la  porte  de  la  cuisine... 

•  On  se  chauffera  debout  (dans  le  chaufToir),  excepté  au  temps  des  con- 
férences. On  se  gardera  de  faire  paroltre  de  Tempressement  en  y  allant. 
On  ne  lira  point  auprès  du  feu.  On  s'y  tiendra  en  grand  silence,  et  en  une 
posture  honnôte  sans  retrousser  ses  habits  que  fort  peu,  sans  avancer  trop 
les  pieds  vers  le  feu  ;  et  prenant  garde  de  ne  point  incommoder  ceux  qui 
sont  proches  de  vous.  On  n'ôtera  point  ses  souliers  ni  pantoufles  pour  se 
chauffer  les  pieds,  cela  étant  contre  l'Iionnéteté. 

«  Outre  le  travail  du  Jardin  (pendant  trois  heures  au  moins  par  Jour), 
les  religieux  s'employèrent  à  tout  ce  qu'il  y  aura  à  faire  dans  le  monastère, 
sans  préjudicier  à  leurs  exercices  et  à  l'office;  ils  balayeront,  ils  laveront  les 
lessives,  cureront  les  étables  et  aideront  aux  convers  dans  leurs  ouvrages. 

«  On  ne  donnera  Jamais  aux  malades  que  du  bœuf,  du  veau  et  du  mou- 
ton, et  jamais  on  ne  leur  accordera  de  menue  viande.  On  ne  mangera  point 
de  viande,  et  l'on  n'en  mettra  point  dans  les  bouillons,  que  l'on  n  ait  enduré 
trois  ou  quatre  accès  de  fièvre...  On  ne  prendra  jamais  de  remèdes  que  par 
l'ordre  du  supérieur;  on  n'usera  jamais  de  sucre  ni  de  confitures  dans  les 
infirmeries. 

«  On  sera  exact  pour  le  silence,  et  à  l'égard  de  ceux  qui  y  manqueront, 
on  usera  des  pénitences  portées  par  la  règle  :  comme  jeûnes  au  pain  et  à 
l'eau,  disciplines,  et  particulièrement  contre  ceux  qui  parieront  haut  des 
choses  même  nécessaires...  On  ne  parlera  jamais  que  par  nécessité  et 
tout  bas. 

«  On  ne  dira  jamais  à  un  frère  une  parole  rude  qu*aussitdt  on  ne  se 
prosterne  à  ses  pieds...  Sitôt  qu'un  religieux  se  verra  repris  avec  quelque 
force  par  son  supérieur,  en  tel  lieu  et  rencontre  que  ce  soit,  il  se  doit  pros- 
terner et  demeurer  en  cet  état  jusqu'à  ce  qu'il  lui  ordonne  de  se  lever. 

«  On  ne  doit  appeler  personne  de  loin,  ni  de  la  voix,  ni  par  aucun  autre 
son.  On  regarde  conune  un  crime,  lorsqu'un  religieux  s'excuse  de  ce  dont 
on  le  reprend,  soit  qu'il  ait  commis  la  faute  dont  on  le  reprend,  ou  qu'il  ne 
l'ait  point  commise.  > 

Ap.  B. 

39A.  CoBDiEB.  De  comipti  senmonis  emendatione  libellus 
(à  Mathur.  Corderio),  cum  perbrevi  accessioue  Robert! 
Yallensis,  ab  omnibus  mendis  repurgatus.  ParisiU^ 
Joh.  Petit,  1640;  1  vol.  in-8.,  mar.  v.  tr.  dor.  (Jansi- 
niête) 65—» 

Édition  Taj»-KARE.  —  On  peut  lire  dans  le  Bulletin  du  bibliophile 
(année  1851,  pp.  501  et  suiv.)  un  article  de  M.  P.  de  Malden  sur  Mathurin 
Cordier  et  sur  son  livre  mêlé  de  latin  et  de  françois.  De  eorrupti  $ermoni$ 
emendatione.  Nous  ijouterons  cependant  à  cette  notice,  quelques  observa- 


796  BULLETIN  DU   BIBLIOPHILE. 

tinns  uouvcllc».  M.  do  Maldea  donne  lo  titre  de  la  prcmièits  «îdition  de  cet 
ouvrage,  Hob,  Eslienne^  1530;  «  titre  qu'il  conserva  dan»  les  éditions  suc- 
cessives jusqu'en  15i!il,  époque  à  laquelle  MaUiurin  Gordier  apporta  de 
notables  changements  au  t(>xte,  et  par  suite  au  titre....  L'édition  de  1541 
est  la  quatrième  citée  ])ar  M.  Brunet.  »  Les  éditions  ainsi  indiquées,  ont 
été  publiées  par  Rob.  Estienno  ;  mais,  on  n'a  point  connu  l'édition  de 
J.  Petite  15A0.  Elle  se  distingue  des  éditions  antérieures  par  un  titre  beau- 
coup moins  prolixe,  et  par  les  curieuses  additions  de  Robert  Duval ,  chih 
noine  de  Chartres,  mort  en  1567  ;  elle  n'a  point  subi  les  transformations 
de  l'édition  de  1561  ;  elle  n'est  pas  divisée  en  chapitres,  et  il  faut  encore 
chercher  çà  et  là  les  proverbes  et  les  dialogues  répandus  dans  TouTrage. 
Nous  sommes  tent<^.  de  croire  que  Rob.  Ëstiennc  a  fait  usage,  on  15&1,  dee 
additions  de  Rob.  Duval.  En  effet,  le  chapitre  50  est  intitulé  Ludus  pilm 
pabnarîœ,  et  M.  de  Maldeu  dit  à  ce  sujet  :  «  Chapiti'e  qui ,  pour  la  plut 
grande  joie  des  écoliers ,  renferme  exprimé  dans  la  langue  des  Horace  et 
des  Virgile,  le  vocabulaire  des  joueurs  do  paume.  »  Or,  dans  Tédition  de 
1540,  ce  vocahulaii'c  se  trouve  dans  l'appendice  do  Rob.  Duval,  qui  a 
donné,  en  outre,  une  curieuse  nomenclature  des  monnaies  et  des  poids  de 
l'ancienne  Rome ,  réduits  en  monnaies  et  poids  de  France,  ainsi  qu'une 
longue  liste  des  mots  impropres  et  barbares^employés  par  les  jurisconsultes, 
avec  la  traduction  en  bon  latin. 

Quoique  le  livre  de  Math.  Cordier  ait  été  plusieurs  fois  réimprima,  il  est 
toujours  rare;  c'est  le  sort  de  tous  les  livres  d'usage  confiés  à  la  jeuneMH 
qui  mord  plus  au  contettant  qu'au  contenu. 

395.  De  comipti  sermonis  emendatione  et  latine  loquen- 
di  ratione  liber  udus;  cum  indici  gallicarum  dictionum 
latine  in  hoc  libello  rcdditarum.  Lugàuni,  Seb.  GryphiuSt. 
1547;  1  vol.  in-8,  mar.  r.,  tr.  dor.  (Janséniste.)  40— • 

Superbe  exemplaire  d'une  belle  édition.  —  Séb.  Gr}'phius,  le  célèbre  im- 
primeur lyonnois,  dont  les  éditions  sont  aussi  rocommaiidables  par  la  beauté 
des  caractircs  ([ucî  par  la  correction  des  t(»,xtes,  étoit  digne  de  publier  l'ou- 
vrage de  Math.  Cordier,  tant  de  fois  déjà  rt'simprimé  par  Rob.  Etienne.  Ce 
livre,  augmcnU'^  de  moitié  depuis  l'édition  de  15^0,  n'a  pas  moins  de 
5/i/i  pages.  Les  matières  qu'il  renferme  sont  classées  en  59  chapitres,  subdi- 
visés en  paragraphes  numérotés.  Une  ample  table  des  locutions  françaises, 
rend  les  rechorclH.*»  tn\>s-facîles.  L'imprimeur  a  placé  en  t4>tc  du  volume  la 
pn^face  de  Math.  (<ordier,  datée  du  collège  de  ^evers,  décembre  15&2.  Dans 
cette  préface,  l'auteur  rappelle  que  son  ouvrage  parut  pour  la  première 
fois,  en  1530,  et  il  se  plaint  des  libraires  qui  se  sont  emparés  do  ce  livre, 
et  l'ont  telle.ment  défiguré,  qu'il  ne  peut  plus  le  rcconnoitre.  «  Ils  ont  re- 
tranché le  titre,  dit-il,  ils  ont  enlevé  mon  nom,  ils  ont  retranché  plusieurs 
passages  importants,  et  en  ont  ajouté  d'autres  tout  à  fait  inutiles.  C'est 


BULLETIN  DU   BIILIOPHILB.  707 

pourquoi  Je  me  suis  décidé  à  lo  revoir  avec  soin,  et  J'en  confie  de  nouveau 
l*iiiiprc.s»ion  à  Rob.  Estieniie.  » 

La  seconde  édition,  revue  par  l'auteur,  est  donc  de  la  fin  de  1532,  ou 
plutôt  do  1533,  et  toutes  les  éditions  anonymes  publiées  de  1530  à  1532, 
par  divers  libraires  parisiens,  ont  été  désavouées  par  Math.  Cordier. 

Dans  l'édition  de  Lyon,  1567,  le  58«  chapitre,  consacré  aux  proverbe*, 
contient  382  paragraphes.  Le  59°  chapitre,  Ludu*  pilœ  Palmariœ  (Le  jeu 
de  paume),  est  beaucoup  plus  étendu  que  l'addition  fuite  sur  lo  môme 
si^et  par  Rob.  Duval,  dans  l'édition  de  1540  :  il  se  compose  de  80  para-> 
graphes.  Math.  Cordier  n'avoit  travaillé  que  pour  les  écoliers,  et  cependant 
trois  siècles  après  la  mort  de  l'auteur,  son  livre  a  conservé  assez  d'intérêt 
pour  être  lu  avec  plaisir  par  des  amateurs,  et  même  avec  flmit  par  des  sa- 
vants. 

395  bis.  Correspondance  de  la  reine  (Marie- Antoinette) 
avec  d'illustres  personnages.  S.  n,  {Paris)  ^  1790;  in-8, 
portr.  dem.-mar 8 — » 

n  va  sans  dire  que  toutes  ces  lettres  sont  inventées  à  plaisir.  Ce  lâche 
et  atroce  libelle,  sorti  d'une  imprimerie  clandestine  et  répandu  à  profusion 
dans  le  peuple,  n'a  pas  peu  contribué  à  pervertir  Topiiiion  publique  à 
regard  de  la  malheureuse  reine.  L'auteur  est  évidemment  celui  des 
Mémoires  de  la  comtesse  de  La  Motte.  P.  L. 

396.  Drëhling.  Spéculum  apologeticum  distinctionis  ex 
naturâ  rei  formalis  in  divinis  oppositum  aliis  quibus- 
cumque  distinctionibus  methodo  theologicà  concinna- 
tum. ..  à  P.  Fr.  Vrsicino  Drëhling,  ss.  theologiae  lectores 
in  conventu  FF.  Min.  Strictoris  observ.  RecoUect. 
Rubeacensi.  S.  1.,  1737;  1  vol.  in-8.,  mar.  r.,  fil., 
compart.,  tr.  dor.  {anc.  rel.) 18 — » 

Rare.  — Cette  dispute  de  théologie  scolastique  ^^ur  une  question  fort 
ardue  et  souvent  controversée ,  a  été  soutenue  publiquement,  au  mois  de 
septembre  1736,  dans  lo  couvent  des  récoliets  de  Roubaii;  elle  forme  un 
volume  de  336  pago.s.  Il  ost  curieux  de  trouver  un  livre  de  ce  genre,  publié 
au  wiii*  siècle.  C'est  un  lointain  écho  des  disputes  animées  qui  eurent 
lieu,  dès  la  fin  du  xiii»  siècle,  entre  les  teotistes  et  les  thomUies;  car, 
c'est  encore  un  disciple  du  docteur  Subtil^  qui  défend  vivement  les  opinions 
de  son  maître  contre  les  jésuites,  les  dominicains,  et  surtout  contre  Gilbert 
de  la  Porrée,  évoque  de  Poitiers.  Le  latin  du  P.  Drëhling  est  de  la  mau- 
vaise école  des  scolastiques.  Quant  aux  raiflonnements ,  ils  nous  paroinent 


798  BULLETIN  OU  BDLIOPRILE. 

souvent  aussi  obscurs  quo  le  sujet  qu'ils  ont  la  prétention  d*éclaircir.  Noos 
soumettons  à  Tintelligence  de  nos  lecteurs  les  phrases  suivantes ,  comme 
spécimen  de  l'œuvre  des  récoUcts  do  Roubaix  :«  Si  quidem,  leste  Gidetaiio, 
«  in  Deo,  ante  actum,  intellectûs  et  à  parte  rei  sit  pluralitas  el  distinctio 
«  virtualis  ;  alias  si  non  à  parte  rei  scd  per  intellcctum  sit  pluralitas  scilicet 
«  commimicabilitas  et  incommunicabilitas,  producibilita$  et  improêneibUh' 
m  tas,  mysterium  principallssimum  nostrum  SSS.  Trinltatis  erit  fictitium; 
«  quod  ortodoxaa  aurcs  abhorrent.  » 

307.  Du  ViGNAU.  Le  secrétaire  turc,  contenant  l'art  d*ex- 
primer  ses  pensées  sans  se  voir,  sans  se  parler,  et  sans 
s'écrire,  avec  les  circonstances  d'une  aventure  turque, 
et  une  relation  très  curieuse  de  plusieurs  particula- 
rités du  Serrail  gui  n'avoient  point  encore  estes  sceuës; 
par  Du  Vignau,  écuyer,  S',  de  Joanots.  Parts,  1688, 
i  vol.  pet.  in-12 2h—n 

Livre  rare  et  curieux.  —  Louis  Du  Vignau ,  écuyer,  s'  de  Joanots,  ch^ 
valier  du  Saint-Sépulcrc,  out  pour  parrain  Louis  XIV.  Il  resta  neuf  ans  à 
Gonstantinople,  comme  secrétaire  de  l'ambassade  françoise  à  la  Porte,  et 
se  rendit  fort  habile  dans  la  c^nnoissancc  des  lan<çucs  orientales.  A  tOQ 
retour  en  France,  il  fut  nommé  secrétaire-interprète  des  escadres  du  roi. 
En  1687,  il  publia  VÉtat  présent  de  la  puissance  ottomane.  Cet  ouvrage, 
dans  lequel  l'auteur  signale  les  causes  de  la  décadence  des  Turcs,  fut  ac- 
cueilli favorablement  par  Louis  XIV  et  par  le  grand-duc  de  Toscane.  En 
1688,  parut  Le  secrétaire  turc.  Ce  livre  fait  connoltre  la  manière  de  oom- 
poscr  les  selam,  c'est-à-dire  d'entretenir  une  correspondance  active  par  le 
moyen  dos  fleurs,  des  fruits,  des  feuilles,  des  minéraux,  des  soies  de  di- 
verses couleurs,  etc.;  cette  partie  est  complétée  par  un  catalogue  des  ofafeta 
dont  on  peut  former  un  selam ,  avec  leur  signification.  On  trouve  encore, 
dans  ce  volume,  des  détails  sur  l'intérieur  et  les  usages  du  sérail:  il  parolt 
que  Du  Vignau  est  le  premier  qui  ait  pu  fournir  sur  ce  si^et  des  rensei» 
gnements  exacts.  Une  contrefaçon  de  cet  ouvrage  parut,  la  même  année  « 
sous  le  titre  de  Le  langage  muet  des  Turcs,  ou  Vart  de  faire  Vamounmu 
parler,  sans  écrire  et  sans  se  voir,  par  le  sieur  D,  L,  C.  Middelb(mrg^4B88^ 
pet.  in-iS.  Le  secrétaire  turc  de  Du  Vignau  a  donné  naissance  à  plu- 
sieurs livres  du  même  genre,  tels  que  Le  langage  des  fleurs^  etc. 

398.  Flagourt.  Histoire  de  la  grande  isle  de  Madagascar, 
composée  parle  sieur  de  Flacoiirt,  directeur  général  de 
la  compagnie  française  de  l'Orient,  et  commandant 
pour  S.  M.  dans  ladite  isle  ;  avec  une  relation  de  ce  qui 


BCLLETIIf  DU  BDUOPHUB.  709 

s'est  passé  es  années  1656, 1666,  et  1667,  non  encore 
vue  par  la  première  impression.  Trayes,  Nie.  Oudotf 
et  Parti,  Fr.  Clouziei,  1661  ;  1  vol.  in-A"",  cartes  et  fig. 
veau 24 — • 

Etienne  Bizet  de  FUcourti  né  à  Orléans,  en  1607,  fut  nommé  comman- 
dant de  Madagascar  par  la  compagnie  des  Indes,  en  166t.  U  résida  dans 
cette  lie  Jusqu'au  12  février  1615,  époque  à  laquelle  il  revint  en  France.  U 
B*étoit  embarqué  à  Dieppe,  le  20  mai  1660,  pour  retourner  à  Madagascar, 
lorsque,  le  10  juin,  son  navire  fut  attaqué  par  les  Barbaresques.  Pendant 
le  combat,  le  feu  atteignit  les  poudres  françoises  et  le  vaisseau  sauta. 
Matelots  et  passagers  périrent  tous ,  excepté  dix-sept  honunes  qui  furent 
recueillis  par  les  Turcs  et  réduits  en  esclavage. 

V Histoire  de  Madagascar^  dont  la  première  édition  parut  en  165S ,  est 
augmentée  dans  rédition  de  1661,  d*una  Relation  de  ce  qui  s* est  passé  es 
amnées  4655-4657,  Cet  ouvrage  est  divisé  en  deux  parties.  La  première 
contient  une  description  générale  de  Madagascar,  puis  des  descriptions 
particulières  de  ses  provinces,  de  ses  rivières  et  des  Iles  adjacentes.  L'au- 
teur traite  ensuite  de  la  religion,  du  langage,  des  usages  et  du  gouverne' 
ment  des  habitants,  et  enfin  il  donne  des  notices  fort  exactes  sur  les 
plantes,  les  métaux  et  les  animaux  de  ces  contrées.  La  deuxième  partie 
renferme  le  récit  des  événements  qui  ont  eu  lieu  depuis  16A2,  époque  de  la 
première  expédition  faite  par  les  François.  On  y  trouve  aussi  la  relation 
de  quelques  voyages  dans  les  lies  voisines  et  à  Mascareigne. 

C'est  de  Flacourt  qui  a  donné  à  cette  dernière  lie ,  le  nom  de  Bourbon. 
«  La  véracité  de  de  Flacourt,  Tcxactitude  de  ses  descriptions,  la  fidélité  de 
son  pinceau,  condamnent  au  silence  quiconque  n*a  pas  à  lui  opposer  six 
années  d'observations  sur  les  lieux  dont  il  parle,  et  dans  un  poste  dont  les 
relations  le  mettoicnt  à  même  de  bien  connoltre  cette  lie  sous  tous  les 
rapports.  »  C'est  ainsi  que  s'exprime  Epidariste  CoUin,  habitant  de  l'Ile  de 
France  (Annales  des  Voyages^  t.  XIV). 

On  a  ajouté  à  notre  exemplaire  six  pages  manuscrites  qui  contiennent 
des  renseignements  surlavie  et  lesouvrages  de  de  Flacourt,  et,  en  outre,  des 
détails  curieux  sur  la  première  édition  de  V Histoire  de  Madagascar ^  et  sur 
les  additions  imprimées  ou  manuscrites.  Jointes  à  l'exemplaire  de  la  biblio- 
thèque impériale.  Enfin,  sur  la  garde  de  notre  volume,  on  a  collé  une 
épreuve  de  l'article  de  Flacourt ,  rédigé  pour  la  Biographie  univerulle , 
par  M.  Eyriès,  à  qui  cet  exemplaire  a  appartenu. 

398  bis.  Efitretiens  (les)  des  Champs-Élizôes  (par  Paul 
Hay  du  Chastelet)  .—Le  coup  d' Estât  de  Louis  XllI  (par 
le  même).  {Paris) ,  1631  ;  1  vol.  in-8,  relié. . .     16—» 

Paul  Hay  du  Chaatelet,  afocat  général  aa  pariemeot  de  Bretagne,  maître 


800  BULLETIDI   DU  BIBUOPHILE. 

des  requt^tes  ot  conseiller  d'État,  naquit  en  1502,  et  mourut  le  6  avril  IttSO. 
Il  fut  l'un  des  membres  fondateurs  de  rAcadémic  françoise,  et  le  premier 
secrétaire  de  cette  Académie.  Du  Chastclet  s*étoit  concilié  Teatiiiie  de 
Richelieu  ;  et  par  roconnoissance  des  faveurs  qu'il  en  avoit  reçues,  il  fit 
souvent,  dans  ses  écrits,  Téloge  du  puissant  cardinal.  Cependant ,  magis- 
trat int(:grc,  il  osa  défendre  Chalais  et  cliercha  à  sauver  Marillac.  Soo 
Mémoire  pour  Chalais  lui  valut  une  rude  mercuriale ,  et  la  Satire  qu'il 
publia  pour  ùtrc  récusé  dans  le  procès  du  maréchal ,  lui  coûta  quelques 
jours  de  prison. 

Len  entreliens  des  Champs-Élyiées  et  Le  coup  d'Eslat  sont  deux  pièces 
importantes  pour  Thistoire  du  règne  de  Louis  XIII.  Elles  révèlent  claire- 
ment le  but  politique  dn  Ridiclieu  :  Vabaissement  deja  maison  d'Auiriehe^ 
la  destruction  des  calvinistes  comme  parti  politique^  et  Vanéantissemeni 
de  la  féodalité.  Henri  IV,  h^  hommes  d'État  et  les  capitaines  de  son  règnt 
et  de  celui  de  Louis  Xlll,  tous  morts  avant  1631,  prennent  part  aux  entre^ 
tiens  des  Champs-Elysées,  Dans  ce  cadre,  l'auteur  a  su  renfermer  un  rédt 
piquant  des  événements  qui  eurent  lieu  depuis  1G25  Jusqu'en  1631,  tant  en 
Italie  qu'en  France.  Le  coup  d'Kstat  n'est  qu'un  résumé  politique  des 
mOmes  faits.  Ces  opuscules  sont  écrits  avec  facilité  et  souvent  avec  gsieté. 
Le  caract^re  et  la  pliysiononiic  de  chaciue  interlocuteur  sont  fidèlement 
i-eproduits.  En  voici  un  e\emph^  :  «  C'estoit  sa  précipitation ,  dit  le  prési- 
«  dent  de  Venlun ,  ore  obtorio ,  (]ui  luy  faisoit  tout  entreprendre  de  sa 

«  teste Il  vouloit  prendre  st'unce  par  dessus  moy  au  parlement;  je  me 

«  serois  plus  tost  fait  tourner  la  bouche  de  l'autre  costé,  que  de  luy  avoir 
«  cédé.  » 

399.  Girard.  De  Testât  et  succez  des  aflaires  de  France, 
par  Bernard  de  Girard,  seign.  du  Haillan.  Dernière 
édit.  Paris,  Marc  Orry,  1609  ;  in-S  vél 12—» 

Bel  exemplaire.  —  Cet  ouvrage,  qu'on  ne  lit  plus  et  qu'on  ne  connolt 
guère,  est  un  des  phis  curieux  (|ui  existent  sur  l'histoinî  de  France.  L'au- 
teur a  osé  le  premier  dire  la  vérité  politique  de  la  mission  de  Jeanne  d'Arc. 

&00.  Grégoire  (Les  merveilles  de  la  mer) .  —  Gregobu 
Gyprii  eruditis.  et  eloquentiss.  Patriarchae  Constant!- 
nopol.^  Maris,  sive  universae  aquarum  naturas  laudatio* 
Grœce.  Lutetiœy  Federic.  Motel,  1697. — Latine  ex  în- 
terpret.  Fed.  Morelli  profes.  et  interpr.  regio.  iWd.,  iâ. 
—  Des  merveilles  de  la  mer  envoyées  naguëres  de 
Cypre  en  France  (trad.  du  grec  de  Grégoire  de  Cypre, 
par  Fed.  Morel,  interprète  du  roi),  ïbid.^  td.,  1596;  m 


/ 


BUIXBTIIf    DU  BIBUOPHIU.  801 

1  voL,  in-8  rel 18 — » 

Recueil  très -rare.  —  Grégoire ,  patriarche  de  GonBtantlDople,  fut  Tun 
des  écrivains  les  plus  éloquents  de  son  siècle  ;  il  naquit  vers  1240 ,  dans 
rtle  de  Chypre.  En  1283,  Andronicrélèfa  au  patriarcat  Grégoire  mourut 
eo  1280,  peu  de  temps  après  avoir  été  obligé  de  se  démettre  de  ses  fonc- 
tions. Son  Éloge  de  la  mer  fut  publié  pour  la  première  fois,  en  grec,  par 
Bonaventure  Vulcanius,  Leyd«,  1501,  in-8,  à  la  suite  de  Topuscule  d'Aris- 
tote  De  mundo, 

Frédéric  Morel,  Tun  des  plus  savants  hellénistes  de  son  siècle,  et  disciple 
da  célèbre  Cujas,  naquit  à  Paris,  en  1558.  Il  succéda  à  son  père,  Frédéric 
Morel,  en  1583,  comme  imprimeur  du  roi  ;  il  obtint,  en  1585,  par  le  crédit 
d*Amyot,  la  diaire  de  son  beau-père.  Léger  Duchesne ,  professeur  d'élo- 
quence au  Collège  royal.  Il  mourut,  doyen  des  imprimeurs  et  dos  profes- 
seurs du  roi ,  le  27  juin  1630. 

Les  caractères  grecs  dont  Fréd.  Morel  a  fait  usage  pour  Timpression  de 
Topusculc  de  Grégoire  de  Chypre,  sont  fort  beaux.  La  traduction  latine, 
dédiée  à  Michel  Sublct  d'Heudicourt,  abbé  de  Vendôme,  est  imprimée  en 
caractt'rcs  italiques  ;  et  la  traduction  françoise,  dédiée  à  Charles  de  Mont- 
morency, sieur  de  Danipvillc,  amiral  de  France,  est  imprimée  en  lettres 
rondes.  1!  est  assez  difllcilc  de  réunir  ces  trois  opuscules,  attendu  que  le 
texte  grec  et  la  traduction  latine  ont  été  publiés  séparément,  et  un  an  après 
rimpression  do  la  version  françoise. 

401.  GuYON.  Les  diverses  leçons  deLoys  Guyon,  Dolois, 
sieur  de  la  Nauche.  Lyon,  A.  Chardj  1625;  8  vol, 
in-8,  front,  grav.,  v.  éc 40—» 

Bel  exemplaire  d'un  livre  curieux  et  d'une  édition  rare.  Le  1«'  volume  a 
été  imprimé  trois  fois,  mais  les  deux  autres  ne  l'ont  été  qu'une  seule  fois. 
Le  dernier  môme,  qui  ne  se  trouve  pas  souvent ,  fut  publié  par  Q.  Malin- 
gre d'après  le  ms.  de  l'auteur,  mort  à  l'&ge  de  quatre-vingt-dh  ans. 

402.  Histoire  de  D.  Ranucio  d'Alétès,  écrite  par  lui- 
même  (par  Tabbé  Ch.  Gab.  Porée).  Venise,  chez  Fran- 
cesco  Pasquinetti,  A  la  vérité,  1736  ;  2  vol.  in-12, 
fig 10— » 

Première  édition  de  cet  ouvrage  ;  la  seconde  parut  en  1738  et  la  troi- 
aiènie  en  1758.  M.  de  Rougemont  publia  de  nouveau  cette  Histoire  en 
1820,  sous  le  titre  de  :  Raphaël  d'Aquilar  ou  les  moines  portugais.  «  n 
s'est  borné  à  changer  les  noms  des  personnages,  et  il  a  supprimé  dans 
le  d«"uxiùme  volume  une  alit^orie  rabelaisienne  qu'il  n'a  pas  èoropriso.  » 
Barbier  ilHct.  des  ation.)  dit  &  ce  si^  :  «  Si  M.  de  Rougemont  échappe 


802  BULLETIN  DU  BIBUOPHILE. 

à  Taccusation  de  plagiat,  il  le  devra  à  Téquivoque  du  mot  :  publiée.  J'a- 
vais prî^tô  ce  roman  à  Kougcmont  qui  Ta  fait  réimprimer  sous  son  nom, 
saus  mt'me  m'en  prévenir.  > 

L'abbé  Ch.-O.  Porée  est  l'auteur  de  ce  romao  allégorique,  qui  a  été  ion- 
vent  attribué  à  J'abbé  Quesnel,  de  Dieppe. 

Charlos-Gabricl  Porée,  frère  du  célùbrc  Jésuite,  Charies  Porée,  entra  dV 
bord  dans  la  congrégation  de  l'Oratoire  ;  mais  il  y  resta  peu  de  temps,  et 
vers  1712,  il  fut  placé  auprès  de  Fénclon,  en  qualité  de  bibliothécaire, 
emploi  qu'il  occupa  pendant  doux  ou  trois  ans.  Après  la  mort  de  l'archo- 
vôquc  de  Cambrai,  G.  Porée  devint  successivement  chanoine  de  Bayenx, 
curé  de  Louvigny,  et  cntin  chanoine  honoraire  du  Saint-^pulcre,  à  Caen, 
où  il  mourut  le  17  Juin  1770,  à  l'âge  de  quatre-vingt-cinq  ans.  Il  étoit  depuis 
trente  ans  l'un  des  membres  les  plus  actifs  et  les  plus  distingués  de  l'aca- 
démie de  Caen.  • 

Nous  avions  l'intention  d'analyser  VHistoire  de  D,  Ranueio  d'AÈitèt, 
mais,  apK's  avoir  lu  rexcellento  iVolire  biographique  et  littéraire  9ur  ta 
deux  Porée,  par  M.  AU^aumc,  ancien  élève  de  l'École  des  chartes,  avocat 
à  la  cour  impériale  de  Paris,  nous  préférons,  dans  l'intérêt  de  nos  lecteurs, 
transcrire  queJ(|ues  pages  de  cette  Notice.  * 

«  L'histoire  de  D.  Ranueio  d'Alétt's,  sous  la  fonne  d'un  roman,  n'est 
pas  autre  chose  qu'une  peinture  très-<'iacte  ot  très-spirituelle  des  moeun 
du  clergé.  Touf  les  vices  des  hommes^  dit  Tauteur  dans  la  préface,  doiveii/, 
comme  on  le  sait,  leur  tribut  à  la  censure  ;  et  il  n'y  a  que  le  préjugé  popu- 
laire qui  en  ait  pu  exempter  jusqu'ici  parmi  nous  ceux  qui  la  mériioienî 
peut-être  davantage^  je  veux  dire  les  moines  et  le  clergé, 

u  C'est  surtout  contre  les  moines  que  cet  ou>Tage  est  dirigé;  ils  sont 
très-bien  définis  :  ('ne  compagnie  d'hommes^  à  qui  pour  la  plupart  le  ëepiî 
et  l'etourderie  a  fait  prendre  le  parti  de  vivre  aux  dépens  des  simplei  fMi 
les  admirent. 

-  I^  roman  de  Porée  se  compose  d'une  série  de  tableaux  entre  lesquels 
il  ne  faut  pas  chercher  un  lien  bien  étroit,  mais  qui  divertissent  toujours  le 
lerteur.  Le  liccacié  Alétîs,  le  financier  Grapina,  le  patrian*lie  de  Lisbonne, 
sont  des  personnes  du  temps;  nous  reconnaissons  tout  de  suite  le  curé  de  cam- 
pagne à  j(fi/(icff/i/u;fif;ié<»  et  relevée  d'un  grand  nombre  de  rubis  baehiques^ù 
ses  yeux  bordés  du  plus  vif  incarnat^  à  ses  joues  telles  qu'on  en  donne  à  Borée, 
à  son  menton  qui  lui  descend  à  triple  étage  sur  la  poitnne;  le  financier,  à  aa 
stupidité  digne  de  Turcaret;  et  Tévùque,  à  son  orgueil.  Le  conte  du  Diakie 
malade  est  une  charmante  fantaisie  rabelaisienne  ;  la  bataille  des  lioendét 
au  sujet  du  prince  Albanius,  est  une  allégorie  très-transparente;  il  s'agit 
de  la  querelle  du  jansénisme,  de  Tappcl  au  futur  concile,  et  il  est  facile 
de  reconnoitre  Clément  XI  dans  le  prince  Albanius,  la  société  de  Jésus 
dans  doua  Inès  Loyolina,  la  constitution  Unigenitus  dans  le  tlls  issu  de 
leur  union,  le  pi-re  Le  Tellier  dans  le  vieux  druide  gaulois  TeUerio,  fai 
avait  ensorcelé  un  des  plus  grands  empires  du  monde,  à  qui  il  avoii  fmt 
adorer  des  tableaux  et  des  poupées  à  la  place  du  vrai  Dieu;  allusion  évi- 
dente à  Taffaire  des  céK'Wonies  chinoises.  L'élixir  diabolique  composé  par 


BULLETIlf  DU  BIBLIOPHILE.  808 

œ  Tieoi  drnide,  est  une  allasion  à  la  feuille  des  bénéfices,  qui  étoit  aussi 
SBsentielle  à  la  puissance  du  confesseur  du  roi  que  les  sceaux  l'étoient  au 
chancelier.  La  ?ente  des  bénéfices  dont  le  cardinal  de  Noailles  aroit  ac- 
oiaé  le  père  Le  Tellier,  n'est  pas  oubliée.  Une  autre  allégorie  plus  obscure, 
celle  de  la  guerre  des  singes  et  des  castors,  nous  semble  concerner  la  per- 
iécadon  contre  les  huguenots  et  la  réYocation  de  l'édit  de  Nantes.  Mais  ee 
chapitre  exercera  Vesprit  déplus  d'un  lecteur^  ainsi  que  le  titre  l'annonce. 
En  on  mot,  ce  roman  est  rempli  d'allusions  aux  affaires  du  temps.  On 
tRNife  même  une  allusion  au  fils  du  régent,  le  dévot,  qui  étudioit  le  syria- 
que pour  mieux  se  pénétrer  de  la  sainte  Écriture. 

«  Le  récit  est  entremêlé  d'épisodes  et  de  nouvelles  qui  amusent,  tout  en 
atteignant  le  but  de  l'auteur.  La  Maltôie  monoitique  tur  la  vendange, 
est  an  tableau  flamand  tracé  de  main  de  maître.  L'abbé  Porée  est  ar- 
tista  dans  ses  descriptions;  il  peint  ces  moines  en  uniformes  différents, 
MàB  chacun  sur  un  tonneau;  ces  danses  de  vendangeurs;  cette  discussion 
soulevée  par  un  paysan,  qui  prétend  que  celui  qui  ne  travaille  point  ne  doit 
pas  manger  ;  le  soin  avec  lequel  certains  rats  de  cave  tirent  à  pleins  seaux 
leur  dlme  de  vin,  le  sermon  d'un  religieux  monté  dans  un  des  cuviers  et 
deseendant  bien  vite  pour  courir  après  un  màftn  affamé  qui  s'étoit  emparé 
de  la  mandille  monacale  et  du  gigot  qu'elle  contenoit,  enfin  la  lutte  entre 
le  mâtin  et  son  adversaire,  la  chute  du  moine  et  le  partage  forcé  de  la 
sainte  guenille,  tout  cela  forme  une  scène  incomparable  et  digne  du  pin- 
œao  de  Goya. 

«  La  prédication  des  missionnaires  et  la  plantation  de  la  croix,  ne  sont 
pas  choses  moins  plaisantes.  Qu'on  se  figure  trois  moines  montant  en  pleine 
église  sur  une  corde  tendue,  et  l'un  d'eux,  pour  figurer  la  liberté  de  l'homme 
placé  entre  le  bien  et  mal,  se  tenant  en  équilibre,  malgré  les  secousses 
que  donnent  alternativement  à  la  corde  les  deux  autres  confrères  travestis, 
l'on  en  diable  et  l'autre  en  ange.  Jusqu'à  ce  que  le  moine  se  casse  le  nez, 
et  prouve  par  sa  chute  la  fragilité  humaine  ;  qu'on  se  figure  les  vierges  et 
les  femmes  se  disputant  l'honneur  de  lever  la  croix,  invoquant,  les  unes 
U  présence  de  la  Vierge  et  de  la  Madeleine  au  crucifiement,  les  autres 
les  droits  de  la  Vierge  au  double  titre  de  femme  et  de  vierge,  et  ceux 
de  la  Madeleine  au  simple  titre  de  fille  ;  enfin  la  discussion  finissant  par 
une  mêlée  générale  des  saintes  bacchantes. 

«  L'abbé  Porée  n'a  pas  ménagé  les  abus  qui  résultoient  du  sacré  et  du  pro- 
fane sur  les  théAtres  des  Jésuites  ;  mais  cette  satire  frappe  sur  les  collèges 
de  province,  car  il  ne  faut  pas  oublier  qu'il  s'agit  dans  tout  ce  roman  des 
miasan  de  la  province.  L'aventure  qui  le  termine  rappelle  un  opéra  fort 
conna  :  Ranucio,  déguisé  en  nonne,  se  trouve  enfermé  dans  un  couvent  de 
religieuses,  où  il  est  témoin  de  désordres  trop  fréquents  alors,  et  dont  ma- 
demoiselle de  Montpensier  parloit  déjà  dans  ses  Mémoires.  » 

M.  Alleaume  dit  :  «  Quelques  exemplaires,  suivant  Barbier,  contiennent 
une  clef  imprimée;  il  nous  a  été  impossible  de  nous  procurer  cette  clef.  » 
Noos  ne  pensons  pas  qu'il  y  ait  jamais  eu  de  clef  imprimée  ;  mais  l'exem- 
plairt  que  nous  avons  sous  les  yeux  est  accompagné  d'uo  Exiraii  de  l'Mê» 

56 


80&  BULLEHN  DU  BIBUOraOB* 

toire  de  Ranucio  ^Aléiè$^  avec  la  clef  des  noms  allégariquêi.  Gat  appndki 
manuscrit,  de  15  pagea,  se  termine  ainsi  :  «  Cette  clef  maniiiciite  etteédUi 
rend  c«t  exemplaire  asses  précieux.  L*auteiir  en  est  inoonnn.  EU*  t  M 
copiée  sur  un  exemplaire  qui  avoit  appartenu  à  M.  Gbaillou,  ancien  Mblkh 
tliécaire,  mort  à  Paris,  en  1817.  » 

Nous  regrettons  de  ne  pouvoir  offrir  aux  lecteurs  du  Bulletin  qotlqnei 
extraits  de  cette  curieuse  satire.  Qu'on  nous  permette  cependant,  an  ris- 
que d'allonger  cet  article  outre  mesure,  de  faire  au  moins  une  dttclon. 

Le  linaucier  Grapina  possède  une  bibliothèque  composée  de  M,000  fS- 
lunios.  «  Que  pensez-vous  do  cette  collection,  dit-il  à  Ranucio  T  —  Bile  <K 
magnifique,  lui  répond  celui-ci  ;  mais  Je  trouve  extraordinaire  qoo  fois 
ayez  fait  transporter  dans  un  village  un  trésor  qui  seroit  d'une  pins  granii 
utilité  à  Lisbonne.  Par  là  vous  auriez  eu  l'estime  et  la  compagnie  des  aa^ 
vants,  qui  seroient  venus  puiser  dans  ce  précieux  magasin.  —  Et  c'ait  prt* 
cisément,  reprend  Grapina,  la  raison  qui  me  l'a  fait  transporter  id.  Vm 
étois  continuellement  obsédé  à  Lisbonne  ;  nuit  et  Jour  ils  étoient  anr  wm 
livres,  ce.  qui  les  usoit  et  mu  déplaisoit  beaucoup  ;  car,  voyea-Toni,  Je  M 
ressemble  pas  à  cet  ignorant  qui  ne  jugeoit  de  la  bonté  d'un  livre  qna  par 
sa  vieillesse.  Pour  moi,  J'en  Juge  par  la  beauté  de  la  reliure,  et  dèa  qnVIi 
n'y  est  plus,  je  mets  le  livre  au  rebut.  Aussi,  suis-je  si  délicat  sur  est  arti- 
cle, que  je  n'ose  pas  les  lire  moi-môme  de  peur  de  les  gâter.  •         Ar.  BL 

A02  bis.  HuTTEN.  Ars  versificatoria  Hulderici  Huteni; 
Carmen  heroicum.  Pamm,  Rob.  Stephanus,  16S6. — Gom- 
mentarius  in  artem  versificatoriam  Huld.  Hutteni,  cum 
methodo  primarum  et  mediarum  syllabarum  atque  spede» 
rum  carminis  à  Roberto  Vallensi  Ruglensi  utcunque 
editus.  ParisiiSy  Dyon,  GayngnoU  1535.  —  Idem  com- 
mentarius,  denuô  ab  eodem  R.  Vallensi  auctus  et  re- 
cognitus  ;  praetereà  adjectum  est  compendium  de 
accentibus  et  clausulai*uni  punctis.  Paris,  Math.  Dwid, 
Ibàà;  en  1  vol.  in-8,  relié AO^hi 


Rari» — Ulrich  de  Hutten,  né  à  Stt^chclbcrg  (Franconic),  mourut  le 
août  1523,  dans  une  ilc  du  lac  de  Zurich  où  il  s'étoit  réfugié.  Il  embraaaa 
la  réforme  de  Luthor,  et  écrivit  avec  violence  contre  la  cour  do  Rome.  Son 
zèle  pour  les  nouvelle;»  doctrines  lui  attira  de  longues  peniécutions. 

Les  vers  latins  de  Hutton  sont  faciles  et  élégants.  Dans  son  An  venlll' 
ealoria^  il  a  su  vaincre  de  nombn^useft  diflicultés.  Voici  Tcxorde  du  poPte  : 
Quis  modus,  et  riua;  sint  servanda;  in  carminé  loges. 
Et  ({uo  (jii«?(iiio  suum  distendut  syllaba  tompus, 
Littcrn  qnns  vires  liabeat,  qurM{iii>  oi'diiio  mutes. 
Omnia  discutinm  paucis. 


BULLETIN    DU   ftlBLlOPHILB.  806 

Lu  A23  vers  dont  est  composée  cette  ancienne  prosodie  latine,  wt  donné 
liea  à  des  commentaires  (^rudits  qui  expliquent  et  complètent  le  poCme  de 
Hutten.  Les  commentaires  de  Robert  Duval  (Vallensis),  chanoine  de  Char- 
ins  (I),  sont  très-remarqnables;  et  deax  exemplaires  d'éditions  différentes, 
ont  été  joints  dans  ce  volume,  à  VArs  versi/icatoria.  Le  premier,  de  l'édi- 
tion de  1535,  est  dédié  à  J.  Lambert  de  Lisieux,  principal  du  collège  de 
Garais,  à  Paris.  D'après  la  date  de  cette  dédicace,  la  1>«  édition  des  Com- 
neotaires  de  R.  Duval,  auroit  été  publiée  vers  1539.  Dans  le  second  exem- 
plaire, de  l'édition  de  1544.  l'épltre  dédicatoire  a  été  supprimée.  Cette  édi- 
tion, plus  ample  que  celle  do  1535,  a  été  augmentée  d'un  Traité  sur  les 
accents  et  sur  les  signes  de  la  ponctuation.  Nous  répétons  encore  une  fois 
que  ces  livres  d'usage ,  quoique  souvent  réimprimés ,  sont  toujours  fort 


AOS.  Lucrèce.  Le  poète  Lucrèce,  latin  et  françois,  de  la 
traduct.  deM.  D.  M.  (de  Marolles).  Paris,  Touss.  Qui* 
net,  1650  ;  in-8,  front,  grav.  v.  br.  fil 12 — » 

Cette  première  édition  de  la  traduction  de  l'abbé  de  Marolles,  dédiée  à 
la  reine  de  Suède,  est  rare  et  diffère  entièrement  de  la  seconde.  Elle  a  été 
citée  plusieurs  fois  comme  renfermant  des  particularités  sur  la  traduction 
•B  vers  que  Molière  avoit  faito  ou  commencée  du  po€me  de  Lucrèce.  Mo- 
lière n'est  pas  môme  nommé  dans  ce  livre;  mais,  comme  l'abbé  de  Marolles 
•"éloit  mis  à  traduire  en  prose,  d'après  les  conseils  de  Gassendi,  11  est  pro- 
bable que  ce  tavant  philosophe  lui  avoit  communiqué  quelques  extraits  de 
la  traduction  de  son  élève,  et  l'on  trouve,  en  effet,  dans  la  Vie  de  Lucrèce, 
plusieurs  citations  en  vers  qui  ont  tout  le  caractère  du  style  de  Molière. 

P.  L. 

&0&.  —  Les  six  livres  de  Lucrèce,  de  la  nature  des  choses, 
trad.  par  Michel  de  Marolles,  abbé  de  Villeloin,  2*  édit., 
augm.  de  remarq.  nécess.  auxq.  sont  adjoutées  les  pe- 
tites nottes  lat.  de  Gifanius  et  la  vie  d'Épicure.  PariSf 
GuilL  de  Luynes,  1669;  gr.  in-8,  v.  br 6—» 

Cette  édition,  corrigée  d'après  les  avis  de  Gassendi  peu  de  jours  avant  sa 
BBort,  renferme  aussi  la  Vie  de  Lucrèce  avec  les  citations  en  vers;  mais  la 
rédaction  du  texte  est  différente.  Le  traducteur  parle,  dans  ses  notes ,  de 
Gassendi  et  de  plusieurs  savants  contemporains,  mais  point  de  Molière. 


1     Voy.  tordicr  (tftib.;,  n"  394. 


806  BULLETIN  DU   BIBUOPHILE. 

&05.  Maphei  Vegii  patriâ  Laudensis  divioarum  scriptu- 
rarum  cum  primis  peritissimi,  oratoris  item  et  poète 
celeberrimi,  Martini  pape  quinti  Datarii;  De  educa- 
tione  liberorum  et  eorum  clans  moribus  iibri  sex.  Dyi- 
logus  Veritatis  insuper  adiungitur  eiusdem  et  Philali- 
this  ad  Eustachium  fratrem.  — Eiusdem,  inter  inferion 
corpora,  scilicet  terram,  aurum  et  superiora,  prsBser- 
tim  solem...  disputatio.  Venundantur  Parrhisiis  à  Mag, 
Bertholdo  Remboldt  et  Joh.  Wateiioes,  1511  ;  en  1  vol. 
in-A»  vél &5 — ■ 

Nous  avons  déjà  parlé,  dans  le  Bulletin^  de  Maffeo  Vegio,  à  roecuta 
d*une  ancienne  édition  du  Philalethes;  nous  n'avons  donc  à  nous  oceopv 
que  du  volume  qui  fait  l'objet  de  cette  note.  Il  contient  trois  ouTragM  d0 
Vegio.  Le  premier.  De  educaiione  liberorum,  est  un  traité  complet  d'édn- 
cation  plein  d'eiccUents  avis.  Les  économistes  modernes  pourroieDt  y  pvl- 
ser  d'utiles  renseignements;  mois  ce  livre  est  trop  rare  pourqu*on  aiiaofliBi 
à  le  consulter.  L'édition  de  Milan ,  1401,  est  aussi  difficile  à  trouTer  qnt 
celle  de  Paris ,  1511.  Ce  traité  d'éducation  est  suivi  du  PhUaUlhes^  dont 
le  titre  primitif,  si  bref,  est  devenu  Dyalogus  Veritatis  et  PkUateikk  mi 
Eustachium  fratrem  incipil  féliciter.  Nous  ferons  observer  que  le  ^OMsin 
{eluddarius)  placé  à  la  fin  du  dialogue  est  plus  ample  que  celai  de  la  pn- 
mière  édition,  et  qu*il  a  subi  l'influence  du  pays  où  il  étoit  réimprimé  :  la 
plupart  des  mots  sont  expliqués  en  françois. 

On  a  relié  dans  le  même  volume  l'opuscule  de  Vegio,  intitulé  :  Inter  Têr^ 
ram^  Solem  et  Aurum  disputatio.  Cette  dissertation  philosophique  est  fort 
curieuse.  La  Terre,  le  Soleil  et  l'Or,  prenant  tour  à  tour  la  parole,  vantent 
leur  puissance  ni  leur  influence  sur  les  tHres  créés  :  ils  se  disputent  le 
mier  rang  ;  mais  c'est  à  l'Or  que  reste  la  victoire.  L'Or,  objet  étemel  de 
voitise;  l'or,  qui  enfante  les  vertus  et  les  crimes;  Tor,  dont  la  posseMÎoo 
enviée  fait  tout  sacrifier,  tout  vendre ,  même  ce  qui  ne  peut  être  adielé. 
Après  le  discours  de  l'Or,  la  Terre  garde  le  silence,  et  le  Soleil  pàliiMnt  M 
cache  dans  les  nuées. 

Ce  beau  volume,  imprimé  en  lettres  rondes,  est  parfaîtonent  conwrvé. 
La  titre  de  la  première  partie,  rouge  et  noir,  est  élégamment  encadré,  et  la 
marque  de  l'imprimeur,  B.  Rembold,  est  coloriée. 

A06.  —  De  liberorum  educatione  aurei  Iibri  sex  noviter 
rcgoniti  {sic)  Francisci  Philelphi  (Maffei  Vegii). ..,  suc- 
cincto  cum  judice,  et  brevibus  inarginariis  annotatio- 
nibus...,   Nicolai  Bonespei  (Nie.  Dupuy),  Trecensis 


BULLETIN  DU  BIBUOPHILE.  807 

Campani  cura  superadditis.  Panhlsiis,  aptid  Gaurmon- 
tioSf  1508  ;  pet.  in-A**,  v.  f.,  fil » — » 

LiTre  à  peu  près  inconnu.  On  lit  dans  la  Bibliothèque  françoise  de  Du 
Verdier,t.  I.  p.  667,  une  note  de  I^  Monnoie,  dont  nous  extrayons  ce  qui 
soit: 

«  Ce  que  nous  avons  de  Philelphe,  De  liberorum  educatione,  consiste  en 
cent  Ters  adressés  à  son  fils  Marius,  dans  lesquels  il  lui  donne  des  pré- 
cuites pour  sa  conduite.  Ces  vers  sont  au  commencement  de  la  6*  décade 
des  Satires  de  Philelphe,  qui  n'a  laissé  nul  autre  écrit  sur  cette  matière. 
Jaan  Lode,  qui  Ta  traduit  en  françois,  étant  sur  le  point  de  terminer  sa 
Tersioo,  Nicolas  Bérauld,  son  ami,  se  crut  obligé  de  l'avertir  que  Philelphe 
n'avoit  Jamais  compris,  parmi  ses  œuvres,  le  traité  De  liberorum  educa- 
tiome  ;  qu'il  prit  donc  garde ,  comme  il  y  en  avoit  un  de  Maffeus  Vegius , 
que  ce  ne  fût  peut-être  celui-là.  Cet  avis  de  fiérauld  fut  cause  que  Lode , 
dans  son  épttre  dédicatoire,  parlant  de  Topuscule  de  Philelphe,  ajouta  par 
précaution  :  Ni  verum  auctorem  titultu  mentitur  adulter,  Bérauld  cepen- 
dant M  trompoil.  Le  traité  de  Vegius  est  un  long  ouvrage  en  prose.  Le 
nom  de  l'auteur  a  toujourt  été  mi»  à  la  tête  ;  et  quand  il  n'y  auroit  pas 
été,  Lode  n' auroit  pas  traité  d'opuscule  un  volume  de  cette  taille  ;  que  si 
Philelphe,  parmi  ses  ouvrages,  n'a  pas  fait  mention  de  son  poème,  De  libe- 
rorum edueatione,  c'est  qu'il  étoit  contenu  dans  le  corps  de  ses  satires.  » 

On  lit  aussi  dans  le  Manuel  du  libraire,  article  Philelphe  :  •  Jean  Lodé, 
de  Nantes,  a  traduit  en  françois,  sous  le  titre  de  Guidon  de»  parent»^  la 
satire  de  Philelphe  intitulée  De  edueatione  liberorum,  et  cette  traduction, 
impr.  à  Pari»,  par  Gille»  de  Gourmont,  en  1513,  in-8,  est  rare.  » 

n  résulte  évidemment  de  ces  deux  notes  que  Philelphe  n'a  composé 
qu'une  satire  de  cent  vers,  sous  le  titre  De  liberorum  edueatione  :  que  lo 
traité  en  prose,  divisé  en  6  livres,  intitulé  De  liberorum  edueatione,  appar- 
tient à  Maffeo  Vegio.  C'est  donc  à  tort  que  cette  édition ,  publiée  avec  les 
notes  de  Nie  Dupuy,  de  Troyes,  est  mise  sous  le  nom  de  Philelphe.^  En 
comparant  l'édition  annoncée  dans  l'article  précédent,  avec  celle-ci,  on 
Terra  que  c'est  le  même  ouvrage  attribué  à  deux  auteurs  différents.  La 
Monnoie  n'avoit  pas  raison  de  dire  que  le  nom  de  Maffeo  Vegio  a  toujours 
été  mis  à  la  tète  de  son  livre  :  ce  volume  prouve  le  contraire. 

D  est  à  regretter  que  La  Monnoie  et  l'estimable  auteur  du  Manuel  du 
fièratre,  n'aient  point  vu  cette  édition  de  1508,  impr.  chez  les  Gourmont, 
ni  la  traduction  en  françois  de  Jean  Lode  ou  Lodé.  En  effet,  la  note  de  La 
Monnoie  auroit  été  plus  courte  et  plus  exacte;  et  il  n'auroit  pas  induit  en 
erreur  le  Manuel  du  libraire.  François  Bérauld  ne  se  trompoit  point  en 
avertissant  J.  Lodé  de  ne  pas  confondre  le  livre  de  Vegio  avec  le  poôme  de 
Philelphe.  Nous  avons  vu  le  volume  de  Lodé,  qui  est  la  traduction  com- 
plète du  traité  en  6  livres  de  Vegio,  et  non  celle  de  la  satire  en  cent  vers 
de  Philelphe.  Il  est  probable  qu'elle  a  été  faite  sur  l'édition  de  1S08,  puis- 
que le  même  imprimeur  a  publié  le  texte  et  la  traduction. 

Nicolas  Dupuy,  de  Troyes,  a  mis  au  Jour  plusieurs  ouvrages  sous  le  pseu- 


808  BULLETIN   DD   BIBLIOPHILE. 

donymo,  de  Bonaspes,  11  proiioit  pour  devise  spes  mea  Jtmn^  i*t  «o  (|iiBli1ioit 
Daiarius  Xetwdochii  diri  Jacobi  MeJeiiunenxis,  II  a  ujoiit4^  à  l'œuvre  de 
Vc^io,  une  Epitre  drdiratoire  on  vers  latins;  et  à  la  fin  du  volume,  on  Avu 
(en  vers  lat.)  aux  parents  sur  les  fruits  qu'ils  peuvent  retirer  de  la  lactare 
de  ce  traité  ;  la  Vie  de  Franc.  Philelphe  et  celle  de  Marins,  son  Al»,  extraites 
de  TritJi^e,  De  ecrlex,  scriptoribtts  ;  un  passage  de  Quintilien  De  ofiao 
discipuîorum  ;  Aurea  pro  discipulorum  preceptorihus  epistola  ;  et  enfin,  M 
Philelphi  de  liberonim  educatione  commendationem  cnrmen, 

• 

607.  Marrodei  galli  poetac  vetustissimi  Dactylotheca, 
Scholiis  Georgii  Pictorii  Villingani  doct.  medid^  nunc 
altéra  vice,  supra  priorem  editionem,  iUustrata.  — 
Item  de  lapide  Molari,  et  de  Cote  carmen,  eod.  aut. 
G.  Pictorio.  {Basikœ  per  Henricum  Petri^  1655);  în-8, 
mar.  r.,  fil.,  tr.  d.  {Bauzonnet) 00— • 

RARE.~Marbode,  éViV{U(î  de  Rennes,  né  en  Anjou  dans  le  ii*  aiëde, 
mourut  Agé  d'environ  quatre-vingt-huit  ans ,  à  Tabbaye  de  Saint-AtiUa,  It 
11  septembre  1133.  I^  plus  connu  do  ses  ouvrages  est  un  poCme  sur  let 
pierres  précieuses.  Il  a  mis  en  vers  latins  Tabrégé  d*un  traité  compoeé  en 
grec  par  Evax,  roi  des  Arabes.  Le  po^^me  de  Marbodc  fût  imprimé  pour  U 
promi(;rc  fois  avec  les  scolios  de  G.  Pictorins,  à  Paris^  Chr,  Wechêl,  1531f 
BOUS  le  titre  :  Marbodei  galli  poetœ  vetuêt.  de  lapidibus  precioêiê  enchiriéitmm 
L'épltrc  dédicatoire  est  datée,  de  Fribonrg,  1530.  Cet  ouvrage  avoit  été  dé|ià 
publié  à  Rennes^  1526 ,  parmi  les  opuscules  de  Tauteur  ;  De  gemmarum 
lapidumque  preiioMrum  formis,  naluris  aiqne  viribun  opusculunu  L*éditloa 
de  Bàle^  1555,  e.st  la  seconde  donnée  par  G.  Pictorins  :  Nunc  altéré  Wea, 
suprà  priorem  editionem ,  illustrata.  Dans  la  dédicace  datée  d'Emisbeim, 
novembre  1554,  le  scyOlia^te  rappelle  que  vingt-quatre  ans  environ  s*ëtolatt 
écoulés  depuis  la  première  édition  de  ses  commentaires,  et  qa*il  les  pubHe 
do  nouveau,  apnVs  les  avoir  corrigés  avo^  soin. 

D.  Rivet  {IlisL  litiér,  de  la  Fr. ,  u  II,  p.  335)  cherche  à  prouver  que  le 
Dactylotheca  est  faussem(>nt  attribué  à  Marbode.  «  Ce  poème,  ditpil,  estd*un 
auteur  inconnu  qui  parolt  avoir  écrit  au  milieu  du  v«  siècle.  •  Les  eonti- 
nnateurs  de  VHist.  litiér,  (t.  X,  p.  363)  ont  combattu  Topinion  do  D.  Rivet, 
et  ils  ont  restitué  le  Dactylotheca  à  Tévéquo  de  Rennes.  Cependant,  il» 
avouent  que  cette  attribution  n*est  pas  suffisamment  prouvée,  et  que  Ton 
peut  regarder  ce  poCmo  comme  une  production  douteuse  de  Marbode. 

608.  Mélanges  de  diverses  poésies,  divisés  en  quatre  li- 
vres (par  le  P.  Mauduit).  Lyany  1681;  1  vol.  m-12, 
rel • — » 


BULLBTin    DU  BIBUOPHOK.  809 

Micbel  Mauduit,  u^  à  Vire  en  10^4,  entrm  fort  Jeune  dan»  la  coagrégatioB 
dt  l'Oratoire,  et  il  professa  longtemps  les  humanités  arec  succès.  Il  mourut 
à  Paris  le  10  Janyier  1700. 

Dans  la  préface  de  son  œuvre  poétique,  le  P.  Mauduit  traite  des  dangere 
du  théâtre  et  des  poésies  galantes  ;  il  signale  le  bon  usage  qu'on  peut  faire 
de  la  poésie,  et  donne  ensuite  quelques  détails  sur  les  difficultés  que  pré- 
sente la  composition  des  Chants  royaux  et  des  Ballades,  Nous  ferons  re- 
marquer que  le  troisième  livre  des  Mélanges  de  diverses  poétiu  est  consa- 
cré à  l'immaculée  conception  de  la  saipte  Vierge ,  et  que  la  plupart  des 
pièces  qu'il  renferme  furent  couronnées  au  Puy  de  Rouen  et  à  celui  de 
Caen. 

Nom  signalerons  une  particularité  qui  rend  notre  exemplaire  asset  cu- 
rieux. En  effet,  on  y  trouve  de  nombreuses  corrections  manuscrites,  et  une 
def  des  noms  propres  indiqués  dans  le  texte  imprimé,  par  des  initiales  ou 
des  étoiles.  Il  nous  semble  que  ces  corrections  et  ces  annotations  n*ont  po 
èm  écrites  que  par  l'auteur  ;  mais  nous  n'osons  rien  affirmer,  d'autant 
plus  qu'on  nous  a  fait  observer  que  cette  écriture  ressembloit  beaucoup  à 
celle  de  Jean  Racine. 

Kom  terminerons  cette  note  en  citant  quelques  vers  d'une  éptire  du 
r.  Maadnit  t 

Et  je  no  doute  nullement 
Que  n'en  coulent  plus  doucement 
Ces  vers  dont  le  sens  et  la  rime 
Demanderoient  encore  la  lime. 


Ils  rompront  les  mots  superflus, 
£t  les  A  n'y  b&iUeront  plus. 
La  marche  des  P  et  des  R 
N'ira  plus  se  heurter  aux  pierres, 
L'H  n'osera  plus  souffler, 
L'S  cessera  de  siffler. 
Et  tu  n'entendras  plus  lee  N 
Parler  du  nex  comme  les  eane$  : 
Si  bien  que  mes  vers  à  la  fin 
Couleront  doux  comiiia  satin. 


409.  Mémoires  turcs,  par  un  auteur  turc,  de  toutes  les 
académies  mahométanes,  etc.  (Godard  d'Aucourt). 
Nouv.  édit.,  rev.  et  corr.  Amsterdam  (Paris);  1776;  2 
part,  eu  1  vol.  in-12,  dem.  mar 16 — » 

Jolies  figures  gravées  d'aprî^  JoUain,  par  Henriquez.  Bonnes  épreuves. 
VEjàire  à  nhademoiselle  Duthè,  qui  étoit  une  des  impwreê  à  la  mode,  donna 
la  vogue  à  cette  édition  ;  les  exemplaires  furent  achetée  d*abord  ptr  let 


810  BULLETIN   DU   BIBUOPHXLE. 

nombreux  amis,  pour  lui  faire  la  cour,  car  elle  se  montra  trëa^Uttée  de  U 
dédicace.  Jusqu'à  ce  qu'on  l'eût  avertie  du  persiflage;  alora  mb  galants 
reçurent  le  mot  d'ordre  de  détruire  tous  les  exemplaires  qu'on  pouTOil  en- 
core retirer  des  mains  du  public,  qui  n'eut  garde  de  les  rendre  tous. 

&10.  Mesnardière.  Les  poésies  de  Jules  de  La  Hesnar- 
dière.  PariSf  Ant.  de  SommovUle^  1666;  in-foL,  v.  f., 
ÛL,  tr.  dor.  {Niidrie) 56-^ 

Hippolyte-Jules  Pilet  de  La  Mesnardière  étoit  médecin  à  Loudun,  d*o&  il  M 
flt  connoltre  par  un  Traité  de  la  mélancolie,  composé  à  l'occasion  de  la  pos- 
session des  pénitentes  d'Urbain  Grandier.  Le  cardinal  de  Richelieu  nomaa 
La  Mesnardière  son  médecin,  le  poussa  dans  le  monde,  où  l'esprit,  la  fadUté 
d*élocution  de  La  Mesnardière  eurent  assez  de  succès  pour  lui  faire 
donner  la  médecine  et  l'engager  à  se  livrer  aux  lettres.  Il  commença 
poétique  en  prose  dont  il  ne  publia  que  le  premier  volume  ;  il  composa  deu 
tragédies,  un  chant  nuptial  pour  le  mariage  du  roi  en  1060,  et  le  gros  y/fh 
lume  que  Je  catalogue,  qu'il  prétend ,  dans  sa  préface,  n'avoir  publié  que 
pour  se  mettre  à  l'abri  du  pillage  des  éditeurs  de  recueils  qui  difgurmitd 
ses  pièces. 

Ce  volume  donc,  enrichi  d'une  gravure  faite  sur  un  dessin  de  Le  Brun,  et 
représentant  Apollon  chantant  et  faisant  danser  des  Amours,  se  oompoM 
d'une  préface  en  prose,  sorte  de  poétique  académique;  d'/nvefilûmt  en  deui 
parties ,  d* Imitatioru  profanes  aussi  en  deux  parties,  d'/mitoitofu  ioMti, 
et  de  son  discours  de  réception  à  l'Académie.  Les  inventions  sont  dea  ^pttret, 
des  galanteries,  des  madrigaux^  des  idylles,  et  un  Hymne  dis  helieê  ee»- 
noiuanees  de  la  nature^  à  M»**  la  marquise  de  Rambouillet.  Les  imitatîoiia 
sont  des  traductions  des  épigrammes  de  l'anthologie,  etc. 

Dans  tout  cela,  La  Mesnardière  fait  preuve  de  connoissances  étendnea  ai 
réelles,  et  même  de  talent,  mais  ses  ouvrages  sont  comme  empreinte  d'une 
pédanterie  et  d'une  vanité  gourmée  qui  en  rendent  la  lecture  inrapporta- 
ble.  On  y  reconnolt  le  savant,  l'académicien  ;  Jamais  l'homme,  Jamaie  aaiw 
tout  le  poète  inspiré  (Viollbt  le  Duc,  BibL  poétique). 

Bel  exemplaire  de  M.  Armand  Bertin,  d'an  volome  impriaé  avec  lue  al 
prétention. 

Ail.  Mercure  turc.  5.  n.  {Londres) ^  1781;  pet.  in-S, 
V.  éc 16 — • 

Ce  Journal  rare  se  compose  d*un  prospectus  de  tt  pages  et  de  6  numén» 
fonnani  324  autres  pages.  Ce  sont  des  lettres  politiques  et  anecdotiqoea, 
toujoun  satiriques,  écrites  de  tous  les  points  de  l'Europe,  par  un  Rinçais 
né  malin,  léfugié  à  Londres,  de  peur  de  la  Bastille,  Tbevenot  de  Morande  ou 
le  marquis  de  PeUeport  • 


BULLETU*  DU   BIBUOPHIU.  811 

Ai 2.  HoBisoTi  {a.'Barth.)  Epistolarum  centuri»  1*  et  2*. 
Dmone^  1656  ;  2  part,  en  1  vol.  in-i,  vél — » 

Recueil  RAmi  et  coiiiux.  —  Gaode-Barthélenqj  Morisot,  siear  de  Chau- 
denay  et  de  Vernat,  né  à  Dijon  le  13  ami  1503,  mourut  le  33  octobre  IMl. 
Les  deux  cents  lettres  qu'il  publia  en  1050  sont  datées  de  1030  à  1053.  La 
première  centurie  est  dédiée  à  J.  Aug.  de  Thou,  et  la  deuxième  à  Christine, 
reine  de  Suède.  A  la  fin  du  volume  on  trouTe  les  éloges  latins  de  Jacq.  Go- 
defroy,  de  Cl.  Saumaise,  de  J.  de  La  Mare,  de  P.  Le  Goux  et  de  J.  Bouchu. 
Le  président  Bouhier  possédoit  deux  autres  centuries  de  lettres  manuscrites 
originales  de  Morisot;  la  dernière  ne  contenoit  que  ringt-quatre  lettres.  Les 
savants  sont  persuadés  que  toutes  ces  lettres  n'ont  Jamais  été  envoyées  à 
lear  adresse.  Quoi  qu'il  en  soit,  ce  livre  est  fort  intéressant  ;  il  renferme  des 
détails  curieux  sur  Marie  de  Médicis ,  le  cardinal  de  Richelieu  et  Gaston 
d'Orléans,  sur  la  prise  de  la  Rochelle  et  sur  d'antres  faits  de  l'histoire  gé- 
nérale de  France.  II  fournit  encore  des  renseignements  précieux  sur  l'his- 
toire de  la  Bourgogne  et  de  la  ville  de  D^on.  Plusieurs  lettres  sont  consa- 
crées à  l'analyse}  de  gravures  et  de  libelles  dirigés  contre  Louis  XIII  et  ses 
ministres,  à  l'éloge  de  Rubens  et  de  la  peinture,  à  l'histoire  de  l'Amérique 
e(  des  guerres  entre  les  Hollandois  et  les  Portuguois  au  Pérou,  enfin  à  l'ex- 
plication de  diverses  antiquités  grecques,  romaines  ou  gauloises.  Ce  livre 
contient  en  outre  le  rédt  détaillé  de  l'histoire  tragique  d'Hélène  Gillet  et  de 
saTéhabilitation  en  1035.  Morisot  fut,  ditril,  témoin  oculaire  de  cet  horrible 
spectacle;  il  cite  textuellement  un  fragment  du  discours  prononcé  par  F^ 
vret  en  présentant  au  parlement  de  Dijon  les  lettres  de  gràœ  accordées  par 
le  roi  à  cette  malheureuse  fille.  G.  Peignot  n'a  pas  connu  les  lettres  de  Mo- 
risot 

AÏS.  NoDOT.  Relation  de  la  cour  de  Rome,  où  Ton  voit  le 
vray  caractère  de  cette  cour,  ce  qui  concerne  le 
pape,  etc.,  &vec  la  visite  des  anciens  monuments  de 
Rome,  par  Nodot,  Paris^  1701  ;  2  part,  en  un  vol.  in-12, 
plans,  V.  m 8 — • 

L'auteur,  qui  étoit  à  Rome  avec  M.  de  Lyonne,  sous  le  pontificat  de 
Clément  IX,  écrivit  cette  relation  dans  des  lettres  qu'il  adressa  à  l'ambas- 
sadeur. Ces  lettres  tombèrent  dans  les  mains  d'un  plagiaire,  qui  les  publia 
•a  Hollande,  en  1070,  sous  le  titre  d* Idées  du  conclave, 

hlh.  Œuvres  poétiques  :  Histoire  de  Daphné,  poëme 
dédié  aux  nymphes  du  Palais-Royal.  [S.  n.)  PariSf 
1771,  in-8  de  100  p.,  dem.-mar 


812  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

l)cscri]>tionH  du  bois  do  Boulogiio,  dc4  Tuileries,  du  Palait«RoyAl«  etc.,  M 
point  de  vue  des  mœui's.  LMiéroUie  du  poOmc  étoit  une  impure  qu'on  avoit 
surnomini^o  Madame  Louis  d'or^  et  qui  portoit  habituellement  une  robe 
v.crt  d*eau,  garnie  en  couleur  de  rose. 


416.  Palloy.  Recueil  de  couplets  composés  en  l'honneur 
de  Napoléon  et  des  années  françaises,  par  P.  F.  Palloy, 
et  distribuée  à  ses  frais  de  1807  à  1813;  in-8,  avec 
une  grande  pi.  pliée,  dem.-inar 15-^» 

La  France  littéraire  a  négligé  d'indiquer  ces  couplets  patriotiques,  aia> 
quels  le  nom  du  démolisseur  breveté  de  la  Baitillo  donne  un  intérM  tout 
particulier.  On  comprend  que  ces  feuilles  volantes  ne  sur?ivoicnt  paa  à  la 
circonstance  qui  les  avoit  fait  ré|)andrc  par  Palloy,  ou  plutôt  par  la  poUoe 
impériale.  On  a  réuni  à  ce  recueil  quelques  diansons  anonymes  du  mâme 
auteur,  qui  n'ont  rien  de  politique,  entre  autres  celle  du  Bal  de  Sceaux^ 
par  un  habitant  de  la  commune  de  Sceaux. 

A16.  Pic  de  la  Mirandole.  Auree  epistole  Johannis  Vld 
Mirandule  viri  omnium  mortalium  doctissimi  eloquen- 
tissimique.  {Impressum  an.  dom.  1509.  28  nov.)  ;  iii-A% 
réglé,  front,  gr.,  cait • 30—» 

Édition  rare.  Bel  exemplaire.  — Jean  Pic  de  la  Mirandole  est  tellement 
connu,  qu'il  nous  suffira  de  rappeler  que  cet  illustre  savant,  né  le  2&  février 
1463,  mourut  k  l'âge  de  trente  et  un  ans,  le  17  novembre  1494,  deux  mois 
après  Ange  Politien,  le  plus  cher  de  ses  amis. 

Plusieurs  éditions  des  Lettres  de  J.  de  la  Mirandole  ont  été  citées  par 
les  bibliographes:  Paris^  1400  et  1502,  in-4;  Venise  y  1529,  la-8,  etc.;  mais 
celle  de  1500,  sans  désignation  do  lieu,  n'est  point  indiquée.  Elle  offre 
cependant  une  particularité  qu'il  est  utile  de  signaler  aux  bibliopliilea. 

L'article  23581  du  Dict.  des  anon.  de  Barbier  est  ainsi  conçu  :  ^iirea 
epistole,,.,,  cum  duabtis  epistolis  Bapt,  Mantuani^  et  margitutriis  anntftat. 
Nie,  Bonespei  (Nie,  Dupuy)  Trecensis  accuratione  conquisitis,  Paris,  4S06^ 
in-4.  L'édition  de  1500  nous  parolt  tHre  une  réimpression  italienne  de  celle 
de  1508,  quoiqu'on  ait  omis  d'inscrire  sur  le  titre  le  nom  de  Nie  BoBie- 
pos;  en  effet,  on  y  trouve  les  notes  marginales  de  l'édition  précédente  ef 
les  deux  lettres  de  B.  Mantuan.  De  plus ,  on  lit  au-dessous  de  la  gravure 
en  bois,  dont  le  titre  est  orné  t  Peritissimi  viri  Johannis  Piti  Mlrandtsk 
optts  epistolamm  accuratissime  nuper  recognitwn  sedulaque  opéra  impret» 
sum  a  quo  omnia  menda  que  in  prima  impressione  comperiehantur  omiitiio 
nbstersa  sunt.  Cette  pturase  tendroit  à  faire  croire  que  l'éditloii  de  1500  en 


BULLBTIlf  DU  BIBUOPHILB.  818 

la  deuxième,  tandis  qun  nous  savons  qu'elle  est  «  au  moins,  la  quatrième. 
L'imprimeur  n*a-t-il  point  eu  en  vue  l'édition  de  1508,  la  première  avec 
les  notes  marquâtes  et ,  peut^ôtre,  avec  les  deux  lettres  de  B.  Mantuan  ? 
D  faadroit  donc  restituer  TéditioD  de  1509,  à  Nie.  IHipay,  de  Troyes,  et 
l'inscrire  sous  son  nom,  dans  le  Dict,  des  auteurs  anon. 

Les  lettres  de  J.  do  la  Mirandole  sont  pleines  d'érudition  ;  quelquea-unes 
ont  été  traduites  en  italien  par  Lud.  Dolce.  Ëllea  sont  suivies  d'une  prière 
à  Dieu ,  en  vers  latins  {DtpreealQria  ad  Deum),  oposcale  du  môme  auteur. 
L'éloge  de  cet  illustre  savant ,  et  les  regrets  unanimes  que  causa  sa  perte 
prématurée,  font  le  si^et  des  deux  lettres  de  B.  Mantuan^  adressées  à  Jean- 
Fraoçoîs,  comte  de  la  Concorde,  neveu  de  Jean. 


il7.  PiTH^i  (Francisci).  Glossarium  ad  libros  capitular 
rium.  pet.  in-8,  rel.  en  parch 24  —  » 

Quoique  ce  volume  n'ait  plus  de  titre,  quoiqu'il  soit  un  p<m  fatigué  par 
l'usage  et  rocouvcrt  d'une  modeste  reliure,  il  a  tenu  cependant  une  place 
honorable  daas  la  bibliotlièquc  de  Chardon  de  La  Rochette,  dont  le  nom  est 
inscrit  sur  la  gard(>  du  livre. 

Mais  aussi  cet  exemplaire  du  Glossaire  de  François  Pithou  a  été  interfolié 
par  les  soins  du  frt'rc  de  l'auteur,  Pierre  Pithou,  qui  a  écrit  sur  les  feuillets 
blancs  et  sur  les  marges  du  volume  une  foule  d'annotations,  de  corrections 
el  de  longues  additions  :  c'est  donc  un  exemplairB  prôdeux  d'un  ouvrage 
eatimé  et  assez  rare. 


418.  Rabutipi.  Commentaires  sur  le  fait  des  dernières 
guerres  en  la  Gaule  Belgique,  entre  Henri  II  et  Char- 
les V,  empereur,  dédiés  au  duc  de  Nivemois,  pair  de 
France,  par  François  de  Rabutin,  gentilhomme  de  sa 
compagnie.  Paris,  Vascoêon,  1555;  in-4«  vel...     35—» 

Volume  Imprimé  avec  un  soin  particulier  et  divisé  en  six  livres,  dont 
voici  les  intitulés  :  Du  commencement  et  origine  de  eet  guerres;  pwU  de  ee 
ftn  i'esi  faict  en  Champaignet  à  sa  première  ouverture,  l'an  mil  cinq  cens 
emspionte  et  un,-"  Le  voyage  du  roy  tres-chrettien  aux  Allemagne^  pomr 
la  restitution  de  leurs  libertei.  —  De  ce  qu*a  esté  exécuté  par  le  roy  trèê- 
ekreitien  au  Duché  de  Luxembourg,  à  son  retour  d'Allemagne  en  455$,  — 
De  ee  qui  t'est  faict  en  Lorraine^  devant  la  puissante  dté  de  Èlet%  et  pais 
de  Picardie.  '-^  De  la  prise  de  Teroenne  et  Hedin  par  V armée  die  FSmpé^ 
restr  :  puis  de  ce  qui  s^est  faict  au  pais  d* Artois  et  Cambréiie  par  oêUe  du 
Roy,  ^  De  ce  qui  s'est  faict  es  Ardennet,  Uèges,  Henautt^  Braban  et  Artoiê . 
tant  par  l'armée  du  Roy,  que  celle  de  V Empereur ,  eu  455i, 


81i  BULLETIN  DU  BIBUOPmLE. 

A19.  Raillerie  universelle  ,  dédiée  à  l'éminentissiiiie 
cardinal  de  Richelieu.  Paris^  1635;  in-8»  mar.  r.,  fil. 
comp.  tr.  dor.  {anc.  rel.  du  temps) 50- 


Ce  lirre  est  précédé  d'une  longue  épltre  en  prose  au  cardinal,  qui  ne 
apprend  rien  du  tout,  pas  même  le  nom  de  l'auteur,  qui  n'a  signé  que  par 
l'initiale  P.  Mais  le  privilège  autorise  messire  Anthoine  Picot,  bwon  dn 
Puiset,  grand  maître  des  eaux  et  forûts  de  Languedoc,  à  imprimer  sa 
raillerie  universelle,  etc.  Je  crois  ce  M.  Picot  fort  peu  célèbre,  et  aon  lim 
ne  le  fait  pas  avantageusement  connoltre;  c'est  un  recueil  de  quatre  cont 
quinxe  quatrains,  affectant  tous  la  forme  des  deux  premiers ,  que  Je  Tiii 
citer  : 

Si  les  vertus  sont  délaissées. 
Bien  qu'elles  dcvroient  nous  charmer. 
C'est  qu'estant  mal  récompensées. 
Peu  de  gens  les  veulent  aimer. 

Si  le  vice  devient  énorme 
Bn  s'attachant  aux  passions. 
C'est  que  l'habitude  se  forme 
Par  de  fréquentes  actions. 

La  plupart  de  ces  quatrains  pourroient  servir  de  supplément  à  la  eéMm 
cbanion  du  sieur  de  La  Palisse.  (Viollbt  le  Duc,  Bibl,  poéi.) 

&20.  Sgarron.  Œuvres  de  Scarron,  nouvelle  édition  aug- 
mentée de  l'histoire  de  sa  vie  et  de  ses  ouvrages,  d*un 
discours  sur  le  style  burlesque,  etc.  Amsterd.^  fFeisteùif 
1762 ;  7  vol.,  pet.  in-12,  fig.  d.  rel.  non  rogné.    70—» 

Scarron  (Paul),  né  à  Paris,  en  1610  ou  1611,  mort  en  1660,  est  trop 
connu  par  la  bizarrerie  de  son  esprit,  par  la  difformité  de  sa  taille,  par 
son  mariage  avec  Françoise  d'Aubigné ,  depuis  marquise  de  Maintenoa , 
par  sa  liaison  avec  toute  la  société  distinguée  de  son  tempe,  pour  que  Je 
répète  de  lui  ce  que  tout  le  monde  sait  ou  ce  qui  se  trouve  partoat.  C*ert 
celui  de  nos  poètes  françois  peutpétre  dont  la  biographie  est  la  plus  eom- 
plète. 

Scarron  passe  à  Juste  titre  pour  être  l'inventeur  ou  plutôt  l'introducleiir 
du  burkêque  en  France  ;  car  ce  genre  parolt  avoir  été  originaire  dltalie, 
où  Francesco  Bemi,  mort  en  1538,  avoit  composé  ses  BurUiehe  cpere. 
Caporali  et  Lalli  furent  ses  élèves,  et  peut-être  Scarron  le  fut-il  de  ceux-d 
en  publiant  son  TVpAon,  vers  1640.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  ne  manqua  pas  lui- 
même  d'imitateurs  dans  ce  genre  facile  et  peu  estimable.  Il  est  Juste  de 


BULLETIN  DD  BIBUOPHILI.  815 

dira  pourUnt  que  Scarron  est  le  seul  qui  évita  Tespèce  de  répoliion  qui  lei 
atteignit  plus  tard  ;  on  ne  peut  lui  refuser,  avec  l'originalité ,  des  pensées 
naturelles  et  m6me  naïves,  des  expressions  d'une  grâce  ingénieuse,  et  sur- 
tout une  gaieté  d'autant  plus  remarquable  qu'elle  étoit  à  l'épreufie  de  la 
maladie  et  des  douleurs  physiques  les  plus  aigute. 

On  peut  lire  avec  plaisir  vingtnrinq  ou  peut-être  cinquante  vers  du 
Tiphon  ou  du  VirgUe  travesti  ;  la  lecture  du  poôme»  de  suite,  ne  me  parolt 
pas  supportable.  Scarron  a  adressé  des  vers  à  beaucoup  de  monde,  à  ses 
amis,  à  la  reine,  où  il  règne  quelquefois,  à  travers  sa  gaieté,  un  sentiment 
de  douceur  et  de  mélancolie  qui  n'est  pas  sans  charmes.  G'étoit  un  fort 
bon. homme,  nonobstant  sa  malice,  charitable  dans  sa  propre  détresse,  et 
qui  sut  se  faire  aimer.  Prosateur  très-remarquable,  il  a  quelques  nouvelles 
pleines  de  grâce,  et  son  Roman  comique  se  lit  encore  avec  profit ,  car  c'est 
paifois  un  modèle  de  narration.      Viollbt-lb-Doc  ,  Bibliothèque  poétique . 


A21,  ToRRENTiNUS.  Orationes  familiares  et  elegantissime 
ex  omnibus  Publii  Ovidii  libris  formate.  ••  per  Herman- 
num  Torrentinum  de  studiosa  adolescentia  illisipsis 
optime  merentem.  {Impre^e  colonie  per  Martinum  de 
Werdens,  s.  a.);  pet  in-8,  demi-gotb.,  cart. .     24—» 

ÊDmoiv  TRBS-RARB.  —  Hormano  Torrentinus,  dont  le  véritable  nom  étoit 
Van  Beeck,  naquit  vers  le  milieu  du  xv«  siècle,  â  Zwol,  dans  l'Over-Yssel, 
et  mourut  vers  1520.  Il  professoit  la  rhétorique  â  Groningue,  en  1600,  et  il 
fut  regardé  par  ses  contemporains  comme  l'un  des  plus  célèbres  grammai« 
riens  de  son  temps  et  de  son  pays.  Il  se  distingua  surtout  par  la  publica- 
tion de  son  Elucidarius  carminum  et  historiarum^  premier  essai  que  l'on 
connoisse  des  Dictionnairei  hiitoriquei. 

Les  Orationes  familiares  sont  destinées  aux  écolier8.|[Get  opuscule  est 
composé  de  phrases  détachées,  en  prose  latine,  dont  on  peut  se  servir  dans 
une  conversation  familière.  La  plupart  des  mots  qui  forment  ces  phrases, 
sont  extraits  des  œuvres  d'Ovide,  et  les  plus  difficiles  sont  expliqués  par 
l'auteur.  Prosper  Marchand,  d'après  Maittaire  et  Foppens,  ne  cite  que 
l'édition  des  Orationes  familiares,  imprimée  â  Cologne,  ehe%  les  kirit,  de 
QuenteUy  1510.  La  Jolie  édition  de  Mart.  de  Werdens,  t.  d.»  n'a  point  été 
connue  par  ces  bibiiograpbes.  Au  surplus,  c'est  un  livre  d'nsage,  dont  les 
exemplaires  sont  devenus  fort  rares. 

A22.  Voyage  (le)  de  monsieur  de  Cléville.  LondreSf  1750, 
iii-12  de  150  p.,  frontisp.  grav.,  dem.-mar..     18 — » 

Ce  volume  rare,  qui  sort  évidemment  d'une  imprimerie  particulière,  et 
dont  on  exemplaire  est  décrit  dans  le  catalogue  La  Vallière  ^yon)  m  ratt»- 


816  BULLETIN  DU  RIBUOPHILB. 

die  aux  ou?rages  relatifs  à  la  cteseription  de  Paris.  C'est  un  petit  VQfege 
dans  la  capitale  en  1750.  Le  voyageur  s*imagino  qu*U  est  à  Rome  «t  ni- 
tmche  tout  ce  qu'il  voit  à  ce  qu'il  a  lu  dans  ses  auteurs  latins  (  l'idée  «t 
Jolie  et  assez  bien  exécutée.  Le  fh>ntispice  rappelle  ceux  de  Cochin.  Maie 
ce  qui  donne  à  ce  volume  un  intérêt  singulier,  c'est  un  conte  inédit  de  Le 
Fontaine  intitulé  Let  effeU  de  la  nature,  lequel  n'a  été  recueilli  dana 
aucune  édition  du  fabuliste. 

Le  xnôme  volume  contient  un  petit  roman  allégorique  t  DelpkimM.  À 
Kiamif  1751,  52  pag.,  sorti  également  d'une  imprimerie  partienlière. 

A23.  Victoire  (la)  obtenue  par  le  duc  d'AIbe  sur  le 
prince  d'Orange  et  ses  gens,  peu  après  la  réduction 
par  luy  faicte  de  la  ville  de  Malines  en  Brabant,  en 
l'obéissance  du  roy  Philippe  catholique  d'Espagne. 
Ensemble  les  noms  et  nombre  des  occis  en  ladicte  ren- 
contre,  et  des  prisonniers  :  aucuns  desquels  ont  depuis 
esté  justiciez  par  le  commandement  du  roy  d'Espagne. 
Plus,  un  bref  récit  des  triumphes  et  manificences  faictes 
au  couronnement  du  séréniss.  S'  Raoul>  fils  de  l'em- 
pereur Maximilien,  roi  des  Romains.  Paris,  GuiUaume 
de  Nyverd^  s.  a.  (1572)  ;  petit  în-8 » — » 

TRRS-aAnB.  —  Guillaume  do  Nyverd,  imprimeur  ordinaire  du  roi,  avolt 
obtenu  de  François  1«'  un  privilège  général  pour  imprimer  et  expoêtr  en 
vente  tous  et  chaacuns  /es  livres,  ou  cayers  dont  il  recouvrira  tant  les  co^ 
pies  nouvelles  que  par  cy-devant  n'auroient  esté  imprimées,  qu'autres  par 
nj-nJevant  imprimées,  qu*il  fera  reveoir,  corriger,  amender  ou  translater  de 
quelque  langue  que  ce  soit  en  vulgaire  françois,  et  de  quelque  faculté  qu'ils 
soient.  Pendant  plus  de  vingt  ans,  G.  de  Nyvei-d  exploita  ce  privilège. 
Toujours  à  l'affût  des  événements  politiques  qui  se  passaient  ftoit  en 
France,  soit  à  l'étranger,  il  s'empressoit  de  livrer  au  public  les  nouvelles 
les  plus  fraîches,  dussent-elles  ne  former  qu'une  demi-feuille  d'impreadon. 
Plus  la  plaquette  étoit  mince,  plus  le  titre  étoit  long  et  ronflant  On  peat 
Juger  du  savoir-faire  de  cet  imprimeur  du  xvi«  siècle,  en  lisant  le  titre  de 
La  victoire  obtenue  par  le  duc  d*Albe^  titre  assez  étendu  pour  convenir  à 
un  in-fol.,  et  (|ui  appartient  cependant  à  une  brochure  de  13  pages  pet. 
in-8  (non  compris  le  titre  etle  privilège],  ornée  de  larges  fleurons,  d'alinéai 
trèa-espacés,  et  Imprimée  en  [caractères  ^  d'assez  forte  dimension.  Ced 
nous  représente  les  canards  du  xvi*  siècle.  La  première  pièce  que  [ren- 
ferme cotte  brochure,  est  une  lettre  adressée  de  Bruxelles,  le  3  novem* 
bre  1572,  à  Monseigneur  Monseigneur  de  S.  A.,  et  commençant  ainsi: 
Considérant,  Monseigneur,  vostre  illustre  seigneurie  estre  désireuse  d'en* 


BULUTIN  DU  B1BU0PHILE.  817 

imérê  choêBM  nouvêUesJc  n'ay  voulu  faillir  wms  advêrtir  du  déêOMtre  ad-' 
venu  cen  jours  passe*  au  camp  du  prince  (tOrange,  et  comme,  Momei- 

Iftiêur Voilà  tout  ce  que  contient  la  première  page.  Le  titre  de  cette 

page  dant  le  sens  ett  si  habilement  suspendu  que  Ton  croit  devoir  lire  au 
bas,  Im  suite  au  prochain  numéro^  suffisoit  bien  pour  exciter  la  curiosité 
des  Parisiens  qui  certes  ont  été  et  sont  toujours  aussi  friands  de  choses 
nouvelles  que  Monseigneur  de  S.  A.  Ce  récit  de  la  déftdte  du  prince 
d'Orange  finit  à  la  7*  page.  La  relation  du  Séréniss.  S'.  Raoul,  fils  de 
l'Empereur^  est  datée  de  Vienne  en  Autriche,  le  20  septembre  1572,  et 
adressée  à  un  grand  personnage,  Monseigneur,  le  continuel  souvenir  do» 
bienfaits  que  je  reçois  journellement  de  rostre  maison,  etc....  Ainsi,  ce 
sont  des  lettres  authentiques  que  publioit  Guill.  de  Nyverd;  ce  ne  sont  point 
des  nouvelles  fabriquées  dans  son  cabinet,  ou  communiquées  par  des  cor- 
respondants souvent  peu  consciencieux.  Les  canards  qu'on  nous  sert  en- 
core chaque  Jour  n'ont  aucune  valeur.  Rs  répètent  le  lendemain  ce  que 
les  journaux  ont  annoncé  la  veille.  Les  canards  d'autrefois  étaient  fort  re- 
cherchés :  ils  tenaient  lieu  des  gazettes  qu'on  avait  oublié  d'inventer. 
Guill.  de  Nyverd  étoit  le  véritable  Journaliste  de  son  époque.  A  ce  titre, 
lea  brochuret»  qu'il  a  publiées  conserveront  toujours  une  certaine  impor- 
tance historique. 


PUBLICATIONS  NOUVELLES. 

424.  Appendice  et  tables  du  catalogue  des  estampes  histo- 
riques de  M.  L.  R.  de  L.  (Le  Roux  de  Lincy),  1856, 
in.8o 2  50 

Cette  brochure  forme  le  complément  du  catalogue  de  la  vente  faite  le  10 
novembre  1855.  Elle  comprend:  lo  des  détails  sur  plusieurs  pièces  curieu- 
ses; 2«  la  table  des  noms  d'artistes  pour  chaque  estampe  ;  3®  le  relevé  des 
prix  d'adjudication. 

425.  Le  cabinet  historique,  revue  mensuelle  publiée  sous 
la  direction  de  M.  Louis  Paris.  1856.  Juin  (6'  livraison), 
în-8*  de  3  feuilles »  — » 

Correspondance  du  Cabinet  historique.  —  Documents  pour  servir  à  l'his- 
toire des  arts,  des  lettres  et  de  l'industrie  (suite).  —  Réponse  à  M.  Paul. 
Lacroix.  —  Captivité  et  délivrance  de  François  i*'.  —  Lettres  de  Fran- 
çois I»',  Loyse  de  Savoie,  Florimond  Robcrtet  et  Wolsey,  cardinal  d'Yorrk. 
—  Corri'îipondana;  de  dom  Vaissette.  —  Lettre  du  marquis  d'Auboi».  — 
Lettre  de  LcchapelUer,  constituant. 


818  BULLETIN   DU  BIBLIOPHILE. 

A26.  Discours  sur  l'origine  des  Russiens  et  de  leur 
miraculeuse  conversion ,  par  le  cardinal  Baronius,  tra- 
duict  en  françois  par  Marc  Lescarbot,  nouvelle  édition 
revue  et  corrigée  par  le  prince  Augustin  Galitzin,  1866; 
in-16,  papier  de  Hollande i-p 

Petit  volume  imprimé  avec  soin  et  tiré  à  petit  nombre. 

427.  Fénelon.  Lettres  spirituelles  de  Fénelon*  édition 
revue  et  corrigée  par  M.  Siivestre  de  Sacy.  Paru,  1856, 
3  gros  vol.  in-16  br 18—» 

Papier   de   hollande  ,  tiré   à  cent  exemplaires  : 
15  fr.  le  volume 46—» 

Troisième  publication  de  la  Bibliothèque  spirituelle  publiée  par  M.  de 
Sacy. 

428.  Génin.  Récréations  philologiques,  ou  recueil  de 
notes  pour  servir  à  l'histoire  des  mots  de  la  langue 
française,  1856  ;  tome  !•' 5  60 

L*ouvrafce  formera  deux  volumes. 


BULLETIN 


DO 


BIBLIOPHILE 

REVUE    MENSUELLE 
PUBLIÉE  PAR  J.    TECBENEB 

ATKC    Ll   C0NC0UB8 

Db  HM.  L.  Babubr,  conservatear-administratear  à  la  bibliothèque  du 
LouTTO;  BoiTBAn  d*AMBLY  ;  Ap.  BaïQDBT;  G.  BaoHBT;  Euaèbe  Gastai- 
«K£f  bibliothécaire  à  Angoulâme  ;  J.  Chui o  ;  V.  Cousin,  de  i* Acadé- 
mie firaaçoiBe;  CoYiLUBa-FLEUBT )  DBSBAaaBAux-BEBiiAao,  bibliophile; 
A.  DiNADX;  A.  EaNODF,  bibliophile  ;  Fbrdmaiid-Dbnis,  consenrateur  à  la 
bibliothèque  Sainte -Geneviève;  J.  db  Gaillon;  Alfbbd  Gibaud; 
Gbaugibb  db  La  Maboii&bb,  bibliophile;  P.  Lacboix  (BdUophilb  Jacob); 

J.  LAMOUBEIIX  ;  G.  LbBBB  ;  LBBODX  DBLiNCT  ;  P.  DBHALDBN  ;  db  MORMBBQOi  ; 

Fb.  Moband;  Paulin  Paris,  de  Tï^titut;  Louis  Pabis  ;  D' J.  F.  Patbn; 
PBiLABàTB  Chaslbs,  consorvateor  à  la  bibliothèque  Mazarine  ;  J.  Picbon, 
président  de  la  Société  des  bibliophiles  francois  ;  Sbbqb  Poltobateki  ; 
Rathbby,  bibliothécaire  au  Louvre;  Rouard;  S.  db  Sact,  de  TAcadémie 
françoise;  Saintb-Bbuvb,  de  l'Académie  françoise;  A.  Tbolbt;Gh.  Wbiss; 
Ybhbnu,  de  la  Société  des  bibliophiles  francois  ;  etc.,  etc., 

contenant  des  notices  bibliographiques,  philologiqoesy  histo- 
riques, uttérairesy  et  le  catalogue  raisonné  des  livres  de 
l'Éditeur. 

JUILLET  ET  AOUT 


DOUZIÈME  SÉRIE 


APAftIS 
J.  TEGHENER,  LIBRAIRE 

RUE  DE  L'ARBRE  SEC,  53,  PRÈS  DE  LA  COLONNADE  DU  U>nVBE. 

1866. 


57 


Sommaire  du  n^  de  Juillet-Août  de  la  douzième  série  du 

Bulletin  du  bibliophile* 


UN  VOYAGE  SENTIMENTAL  EN  FRANCE  dans  les 
années  1787,  1788,  1789,  1790,  par  le  vicomte  de 

Gaillon 821 

DES  ÉDITIONS  ORIGINALES  DE  SHAKSPEARE.  .   .     m 
PETITES    RECHERCHES  SUR  LES   CANCI0NER03 

ET  ROMANCEROS,  par  Gustave  Brunet 8&5 

REVUE  DES  VENTES.  —  Vente  A.  Veinant.  —  Vente 
Hebbelinck    de  Lille  — •  Belward  Ray  à  Londres. 

—  Falkenstein  à  Leipzick 852 

ANALECTA  BIBLION.    —   Quadruvium  ecclesie.,  par 

Ap.  Briquet 856 

—  Discours  de  l'origine  des  Russiens^  par  le  prince  Galitzin.     861 
RÉDACTEURS  DU  BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE,  cou- 
ronnés par  r  Institut 864 

REVUE  DES  PUBLICATIONS  NOUVELLES 867 

NOUVELLES  ET  VARIÉTÉS  BIBLIOGRAPHIQUES.  .     876 
CATALOGUE 883 


UN  VOYAGE  SENTIMENTAL  EN  FRANCE 


DANS  LES  ANNÉES  1787,  1788,  1789,  1790. 


Les  bibliophiles  sont  comme  Molière,  et,  en  faisant  cette 
comparaison,  je  m'enorgueillis  et  me  rengorge  pour  mes  con- 
frères et  moi;  les  bibliophiles  sont  comme  Molière,  ils  prennent 
leur  bien  où  ils  le  trouvent,  et  ce  bien,  où  ne  le  trouvent-ils  pas? 
Tous  les  siècles,  tous  les  lieux  le  renferment  :  bibliothèques 
publiques,  bibliothèques  privées,  riches  magasins  des  libraires, 
humbles  échoppes  des  bouquinistes,  môme  ces  quais  où  lan- 
guissent tant  d'auteurs  dignes  peut-être  d'une  meilleure  desti- 
née, tout  cela  forme  le  domaine  qu'ils  explorent  et  où  ils  vont 
butinant  comme  l'abeille.  Encore  une  jolie  comparaison  dont 
me  devra  savoir  gré  la  société  des  bibliophiles  françois  !  com- 
paraison qui  ne  se  seroit  certainement  pas  présentée  à  mon  es- 
prit en  voyant  dernièrement  sur  le  quai  H.  X...  au  moment  où 
il  venoit  d'acheter  un  livre  qui  paraissoit  exciter  à  un  haut  de- 
gré sa  curiosité  et  son  plaisir.  Le  temps  étoit  brumeux  et  il 
menaçoit  de  pleuvoir,  et,  quoique  les  abeilles  ne  sortent  guère 
que  par  le  beau  temps,  M.  X...  marchoit  son  parapluie  sous  le 
bras,  et,  tout  en  marchant,  il  feuilletoit  son  bienheureux  vo- 
lume, essayant  d'en  lire  au  moins  la  préface,  essai  tant  soit  peu 
contrarié  par  son  parapluie^  qui  trouvoit  apparemment  la  cir- 
constance favorable  (les  parapluies,  même  les  parapluies  de 
bibliophiles  n*ont  aucune  idée  de  livres  et  de  littérature)  pour 
s'échapper  de  sa  prison  et  se  glisser  jusqu'à  terre.  M.  X...,  sans 


822  BULLETIN   DU  BIBUOPHILE. 

interrompre  sa  lecture,  serroit  instinctivement  le  coude  pour 
retenir  le  fugitif  :  double  besogne  qui  imprimoit  à  toute  sa  per- 
sonne une  attitude  contrainte,  gênée,  bien  capable  de  faire 
sourire  les  passants  et  de  leur  rappeler  celle  de  M.  Shandy  se 
trompant  de  main  pour  chercher  son  mouchoir  dans  sa  poche. 
J'étois  un  de  ces  passants  qui  eussent  pu  sourire,  et  je  crois 
avoir  souri,  mais  avec  un  sentiment  de  bienveillance,  et  non 
sans  faire  certain  retour  sur  moi-même.  11  me  semble  que 
M.  X...  m'a  entraîné  bien  loin  de  mon  sujet;  jamais  poète  ly- 
rique, même  quand  il  s'écrie  :  n  Où  suis-je?  où  m'égaré-je?  » 
fut-il  plus  loin  de  sa  route,  plus  perdu  que  je  ne  le  suis  en  ce 
moment  ? 

£h!  non,  je  suis  sur  ma  roule;  je  suis  sur  le  quai,  non  plus 
pour  M.  X...,  mais  pour  mon  propre  compte,  sur  le  quai  où  je 
viens  d'acheter  trois  gros  volumes  déjù  bien  vieux  et  qu'on  ne 
lit  plus,  quoiqu'ils  soient  presque  de  notre  temps.  De  ces  trois 
volumes,  j'en  ai  mis  deux  sous  mon  bras  et  je  feuillette  l'autre, 
ce  qui  vous  permet,  ô  lecteurs  déjà  disposés  à  vous  moquer  de 
votre  prochain,  de  m'attribuer  quelque  posture  ridicule  comme 
à  M.  X...  Vous  comprenez  maintenant  la  prudence  de  ce  retour 
que  je  faisois  tout  à  l'heure  sur  moi-même.  Mais  ce  n'est  pas  de 
moi  (le  moi  est  haïssable,  a  dit  Pascal),  c'est  de  mon  auteur 
que  je  veux  parler. 

Mon  auteur,  même  en  supposant  que  vous  ne  l'ayez  pas  In, 
est  assurément  de  votre  connoissance.  11  étoit  aussi  de  h 
mienne.  Déjà,  j'avois  fait  sa  rencontre  au  Pradel,  chez  notre 
vieil  ami  Olivier  de  Serres,  et  même  j'avois  alors  conçu  de  loi  la 
meilleure  opinion  à  le  voir  témoigner,  par  des  signes  quelque 
peu  excentriques,  son  enthousiasme  pour  le  père  de  notre  agri- 
culture. Maintenant,  Arthur  Young  (c'est  de  lui  qu'il  s'agit) 
est  devenu  mon  ami,  et,  en  cette  qualité,  je  vous  le  présente, 
lecteurs  du  Bulletin,  désirant  qu'il  devienne  aussi  le  vôtre,  et 
ce  préambule  un  peu  long  n'est  que  pour  vous  dire  que  j'ai  bien 
le  droit  de  ne  pas  toujours  aller  chercher  mes  personnages  dans 
le  xvr  siècle,  ni  même  parmi  les  poètes. 


BULLETIN   DU  BIBLIOPHILE.  82S 

Pourquoi  n'admettrions-nous  pas  dans  nos  rangs  les  agro- 
nomes, quand  à  leur  agriculture ,  très-estimable  du  reste,  ils 
mêlent  l'esprit,  la  gaieté,  la  bonne  humeur?  C'est  ici  le  cas  de 
notre  Anglois,  qui,  sans  perdre  de  vue  le  but  pratique  de  ses 
excursions  en  France,  applique  à  tous  les  sujets  un  esprit  ob- 
servateur, une  iroagination^originale,  si  bien  qu'ayant  à  lui  as- 
signer une  place  parmi  les  voyageurs,  je  le  mets  dans  la  ca- 
tégorie la  plus  rare  et  la  plus  aimable  et  découvre  en  lui,  sous 
le  voyageur  agricole,  un  voyageur  sentimental.  Oui,  sentimental, 
et  ce  mot  est  synonyme  de  tant  de  jolies  choses  que  j'en  suis 
presque  au  regret  de  l'avoir  prononcé,  tant  je  crains  de  ne  pas 
remplir  la  promesse  qu'il  renferme.  Mais  ce  mot,  comment  ne 
Teussé-je  pas  prononcé,  voyant  Young  débarquer  à  Calais,  à 
l'auberge  de  M.  Dessein,  non  pas  le  M.  Dessein  avec  qui  Sterne 
entra  en  marché  pour  une  désobligeante ^  mais  son  fils  proba- 
blement. Young  n'avoit  pas  de  voiture  à  acheter.  Il  faisoit  ses 
tournées  en  France,  monté  sur  une  vieille  jument,  personnage 
qui  joue  un  grand  rôle  dans  tous  les  récits  que  nous  allons 
foire,  et  sur  lequel  je  compte  pour  éveiller  l'attention  et  la 
sympathie  de  mes  lecteurs. 

Notre  voyageur,  que  rien  n'arrête  à  Calais,  et  qui  n'a  d'a- 
ventures ni  avec  un  moine,  ni  avec  une  dame  (l'aventure  avec 
une  dame  viendra  tout  à  l'heure),  arrive  à  Paris,  puis  à  Ver- 
sailles, où  il  débute  par  une  bévue  ;  assistant,  dans  la  chapelle 
du  château,  à  la  cérémonie  du  Cordon  bleu,  que  le  roi  donnoit 
au  fils  du  comte  d'Artois,  à  ce  duc  de  Berry  que  nous  avons  va 
mourir  sous  le  poignard  de  Louvel,  il  crut  que  l'enfant  étoit  le 
dauphin,  méprise  moindre  que  celle  de  prendre  le  Pirée  pour 
on  homme;  mais  une  dame  (voici  la  dame  venue  en  attendant 
le  moine),  une  dame  avec  laquelle  il  s'en  expliqua  n'eut  point 
assez  de  philosophie  pour  se  dire  qu'un  pauvre  Anglois,  non» 
vellement  débarqué  en  France^  pouvoit  ignorer  que  le  dauphin 
naissant  avec  le  Cordon  bleu,  il  n'étoit  pas  besoin  de  le  lui 
conférer,  et,  par  conséquent,  accueillit  son  propos  par  un  rire 
très-impertinent.  Si  la  dame,  en  cette  occasion,  manqua  de 


82&  BUixrrni  dd  bibuophile. 

philosophie,  notre  voyageur  pourrait  en  avoir  manqué  aussi  h 
sa  manière.  A  l'entendre  raconter  sa  mésaventure,  il  semble 
que  le  rire  dont  il  fut  l'objet  Ta  mis  de  mauvaise  homenr, 
si  bien  que,  faute  de  philosophie,  il  fait  le  philosophe  et 
s*égaye  aux  dépens  de  ces  bavettes  bleues,  de  ces  bavettes 
blanches  et  de  ces  maillots  qu'il  est  si  important  de  savoir  dis- 
tinguer. 

Bientôt,  nous  le  trouvons  loin  de  la  cour,  sur  la  route  des 
Pyrénées  et  à  Baçnères,  où  il  passe  quelques  jours  dans  la  So- 
ciété du  duc  de  La  Rochefoucauld  et  de  ses  amis,  et  alors,  quel* 
que  blessure  qu*eût  faite  à  son  amour-propre  le  rire  de  la  dame 
de  Versailles,  il  lui  fallut  convenir  quMl  n'y  avoit  rien  de  plus 
aimable  que  les  dames  de  la  haute  société  francoise.  Il  revient 
à  plusieurs  reprises  sur  ce  sujet,  à  Paris  et  k  Lianconrt,  partout 
où  l'accueille  l'hospitalité  du  noble  duc  et  de  sa  famille.  Dans 
ce  séjour  à  Bagnères,  une  seule  chose  le  dérange,  le  dîner  h 
midi,  heure  qu'il  trouve  bien  incommode,  et  l'étiquette  de  la 
toilette,  qui,  par  suite  de  la  gène  de  l'heure,  devient  gênante 
elle-même.  Il  voudrait  visiter  les  montagnes,  se  livrer  à  ses 
goûts  de  naturaliste  et  de  savant.  Mais  le  moyen,  avec  cette  né- 
cessité d'être  au  salon  en  grande  tenue  dès  midi  !  A  quoi,  s*é- 
crie-t-il  gaiement,  à  quoi  est  bon  un  homme  après  avoir  mis 
ses  bas  et  sa  culotte  de  soie,  et  lorsqu'il  a  son  chapeau  sous 
le  bras  et  la  tête  bien  poudrée?  Peut-il  botaniser,  minêra- 
liser?  A  quoi,  encore  une  fois,  est  bon  un  homme  en  cet 
état,  qu'à  causer  avec  les  dames  et  qu'à  leur  faire  la  oour? 
C'est  là,  sans  doute,  un  très-doux  et  très-agréable  emploi  da 
temps,  mais  qui  peut  trauver  sa  place  aux  heures  du  soir. 
J'aime  cette  culotte  et  ces  bas  de  soie  qu*Young  prend  à  partie. 
On  connolt  toute  la  futilité  de  nos  petits-mattres  françois  et  de 
cette  portion  de  notre  aristocratie  qui  fréqnentoit  la  cour.  La 
cause  de  cette  futilité  nous  est  ici  indiquée,  et  nous  voudrions 
voir  l'Aeadémie  des  sciences  morales  et  politiques  proposer 
cette  question  :  l)e  l'influence  de  la  culotte  et  des  bas  de  soie 
sur  la  société  en  France. 


bulletui  du  bibuoprile.  825 

Mais  Toong  a  quitté  ses  compagnons  et  ses  hôtes  de  Bagnères; 
le  voici  seul  sur  ces  majestueuses  routes  du  Languedoc  qu'il  ne 
se  lasse  pas  d'admirer  ;  en  considération  de  leur  beauté,  il  feroit 
presque  grâce  au  despotisme  qui  les  a  fait  établir;  même  à  la 
vue  du  canal  de  Riquet,  un  cri  d'admiration  lui  échappe  pour 
le  roi  Louis  XIV.  Chemin  faisant,  il  ne  manque  aucune  occa- 
sion pour  observer  Tétat  des  pays  qu'il  traverse,  les  usages  des 
habitants,  surtout  en  ce  qui  touche  sa  chère  agriculture.  Il  est 
seul,  comme  nous  l'avons  dit,  heureux^  par  conséquent,  libre 
de  toute  entrave.  Sa  culotte  et  ses  bas  de  soie  ne  Timportunent 
plus.  Ce  n'est  point  aux  dames,  aux  grands  seigneurs  qu41  fait 
sa  cour,  mais  aux  villageois,  aux  laboureurs,  s'arrêtant  à  la 
porte  des  métairies,  devant  l'aire  où  l'on  bat  le  blé.  «  En  Lan- 
guedoCf  cette  aire  n'est  la  plupart  du  temps  qu^un  endroit  sec  et 
ferme,  où  Von  fait  aller  nombre  de  chevaux  autour  d^un  centre; 
une  femme  tient  les  rênes  et  une  autre  ou  une  petite  fille  ou 
deux  fouettent  les  animaux  ;  les  hommes  fournissent  et  dtent  le 
grain,  d'autres  Vèmondcnt  en  le  jetant  en  Vair  pour  que  le  vent 
emporte  la  paille.  Tout  le  monde  est  occupé,  et  cela  avec  un  tel 
mr  de  gaieté  que  les  paysans  paroissent  aussi  contents  de  leurs 
tratKiux  que  le  fermier  de  son  grand  tas  de  blé.  »  Et  Young,  à 
cette  scène  qu'il  trouve  singulièrement  gaie  et  animée,  de  des- 
cendre de  cheval  et  de  s'approcher  de  ces  braves  gens  qui  re- 
çoivent de  bon  cœur  le  vœu  qu'il  forme  pour  que  le  prix  du 
blé,  bon  pour  le  fermier,  ne  soit  pas  cependant  trop  élevé  pour 
le  pauvre.  Représentons-nous  ce  petit  tableau,  et,  pour  le  ren- 
dre plus  agréable,  plaçons-y  dans  un  coin  la  vieille  jument,  à 
laquelle  une  gentille  paysanne  présente  quelques  brins  de  paille 
fraîche  pour  égayer  la  pauvre  bète  et  aussi  pour  payer  la  bien* 
veillance  de  l'étranger.  Nous  avons  averti  nos  lecteurs  que  la 
monture  d'Young  seroit  presque  aussi  souvent  en  scène  que  son 
cavalier  et  qu'elle  étoit  notre  héroïne  autant  que  lui-même  est 
notre  héros.  Young  notre  héros,  cela  est  bien  pompeux,  puis- 
qu'il n'est  ici  le  sujet  d'aucune  épopée,  pas  même  d'une  odys- 
sée, bien  qu'il  s'agisse  de  voyages.  Quoi  qu'il  en  soit,  Homère 


826  BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE. 

n'attachoit  pas  plus  d'importance  aux  chevaux  d'Achille  que 
nous  n'en  attachons  à  notre  jument,  ce  qui  est  beaucoup  dire. 
Les  chevaux  d'Achille  parloient,  il  est  vrai,  mais  notre  jument 
ne  parle-t-elle  pas  aussi  ?  ne  dit-elle  rien  à  notre  esprit  et  à 
notre  cœur  ?  Que  nos  lecteurs  attendent,  pour  décider  cette 
question,  à  voir  la  fin  de  notre  voyage. 

Young  n'ayant,  ainsi  que  nous  venons  de  l'avouer,  rien  de  com- 
mun avec  les  héros,  certes  il  n'y  a  point  de  comparaison  à  faire 
entre  lui  et  don  Quichotte.  Je  ne  sais  pourtant  pourquoi  sa  ju- 
ment, à  laquelle  je  reviens  toujours,  me  fait  penser  à  Rossinante 
moins  heureux  qu'elle,  et  qui  n'avoit  à  gagner  que  mauvaiscoups 
et  horions  dans  ses  courses  avec  son  maître,  toujours  en  quête 
d'aventures  périlleuses,  de  princesses  à  délivrer,  d'enchanteon 
à  combattre.  Ne  t*oiïense  pas,  malgré  la  précaution  que  je 
prends,  de  ce  rapprochement,  ô  voyageur,  et  souviens-toi  que 
je  t'ai  élevé  à  la  dignité  de  voyageur  sentimental,  ce  qui  est 
presque  aussi  beau  que  d'être  chevalier  errant.  Je  connois  ton 
grand  sens,  ta  parfaite  raison  ;  je  sais  qu'à  la  vue  d'un  moulin 
à  vent,  tu  ne  te  sens  pris  d'aucun  désir  de  le  pourfendre,  mais 
que,  alors,  tu  penses  avec  bonheur  k  ce  grain  qui,  broyé  sous 
la  roue,  va  servir  de  nourriture  h  l'homme.  Ce  n'est  pas  que,  à 
l'occasion  de  ces  voyages,  dont  le  but  étoit  si  louable,  toi  aussi  ta 
n'aies  passé  pour  avoir  en  tête  quelque  petit  grain  de  folie,  et  que 
plusieurs  de  tes  hôtes,  gens  honnêtes,  du  reste,  et  de  bon  sens, 
n'aient  été  tentés  de  penser  de  toi  ce  que  pensoient  de  don  Qui- 
chotte le  curé  et  le  barbier.  Même  l'un  d'eux  t'en  flt  Taveo, 
trouvant,  sinon  folle,  au  moins  singulière  et  excentrique  cette 
idée  de  venir  d'Angleterre  étudier  Tagriculture  en  France,  et 
jurant,  ce  en  quoi,  certes,  il  ne  se  trompoit  pas,  qu'aucun 
François  ne  parcouroit  l'Angleterre  dans  la  même  intention 
(toujours  à  cause  des  bas  et  de  la  culotte  de  soie). 

Une  grande  ressemblance  entre  don  Quichotte  et  Young,  et 
dont  ce  dernier  seroit  heureux,  c'est  que  lui  aussi,  notre  agro- 
nome, il  est  un  redresseur  de  torts.  Cette  France,  qu'il  par- 
court, est,  pour  lui,  comme  une  princesse  à  délivrer  du  som- 


BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE.  827 

meil  léthargique  que  fait  peser  sur  elle  un  enchanteur  plus 
puissant  que  Merlin,  le  despotisme.  Habitué  à  voir  en  Angle- 
terre les  heureux  effets  d'une  administration  intelligente,  c'est 
au  gouvernement  qu'il  s'en  prend  de  tout  ce  qu'il  voit  chez 
nous  de  fâcheux.  Si  le  gouvernement  a  créé  ces  belles  routes 
qu'il  admire,  c'est  par  sa  faute  qu'elles  sont  solitaires  et  que 
l'herbe  y  pousse  de  tous  côtés;  solitude  et  abandon  tels 
qu'Young,  en  ce  midi  qu'il  explore  en  ce  moment,  fait  82  lieues 
sans  rencontrer  d'autres  voitures  que  deux  cabriolets  et  trois 
misérables  vieilles  chaises  de  poste.  Aux  abords  de  Paris,  c'é- 
toit  presque  la  même  chose,  et  nul  mouvement  n'y  révéloit  le 
voisinage  d'une  grande  capitale.  Le  contraste  avec  Londres, 
sous  ce  rapport,  étoit  si  frappant  qu'on  ne  pouvoit  se  l'expli- 
quer qu'en  supposant  que  les  François  étoient  les  plus  séden- 
taires et  les  Anglois  les  plus  remuants  des  hommes. 

Le  chapitre  des  routes  nous  conduit  à  celui  [des  auberges. 
Hais  à  quoi  bon  des  auberges  là  où  il  n'y  a  pas  de  circulation? 
Aotti  celles  de  France  sont-elles  en  petit  nombre  et  surtout 
très-mauvaises.  C'est  là  un  sujet  de  plaintes  assez  ordinaire 
aux  vojrageurs,  qui  ne  manque  pas  à  notre  Anglois,  et  cela  lui 
founiit  une  nouvelle  occasion  de  louer  l'Angleterre  à  nos  dé- 
pens. «  En  Angleterre^  dans  les  villes  de  1,500  à  3,000  hahi" 
tOMts^  VOUS  trouvez  de  jolies  auberges^  des  gens  bien  mis  et  bien 
propres  qui  les  dirigent,  de  bons  meubles  et  une  honnêteté  agréa^ 
ble.  Rien  de  pareil  en  France  ;  les  auberges  y  sont  malpropres^ 
la  plupart  du  temps  n'ont  point  de  salle  à  manger  ;  on  vous  sert 
dans  un  appartement  où  il  y  a  deux^  trois  ou  quatre  lits  ;  d'hor^ 
ribles  papiers  de  plusieurs  couleurs  dans  les  chambres  ou  de 
vieilles  tapisseries  qui  sont  de  vrais  nids  à  rats  ;  point  de  son^ 
nettes  ;  il  faut  continuellement  s'égosiller  pour  appeler  la  pile^ 
f  f ,  quand  elle  parott,  elle  n'est  ni  propre  y  ni  bien  mise,  ni  jolie. 
Le  mattre  est,  en  général,  le  cuisinier ,  et,  moins  on  voit  de  ses 
opérations,  plus  on  est  dans  le  cas  d'avoir  de  Vappétit  pour 
dtner.  »  A  ce  portrait  de  nos  auberges^  il  faut  ajouter  ce 
qu'Young  dit  des  tables  d'hôtes,  où  règne  un  silence  glacial,  ce 


828  BCUETIN  DU  BIBLIOPHILE. 

qui  rétonne  beaucoup,  lui  qui,  au  coin  du  feu,  en  Angleterre, 
s*étoit,  sur  la  foi  des  voyageurs,  imaginé  que  les  François 
étoient  très  bavards.  «  A  Montpellier,  quoique  je  fusse  une  fois 
en  compagnie  de  quinze  personnes,  dont  quelques-unes  étaieni 
des  dames,  il  me  fut  impossible  d'en  rien  arracher  que  des  mo- 
nosyllabes,  »  A  Nîraes,  même  remarque  de  sa  part;  aa  dîner, 
aucun  François  n'ouvrit  la  bouche,  si  bien  que,  sans  un  Espa- 
gnol assez  communicatif,  malgré  la  gravité  de  sa  nation,  il  eftt 
coui-u  le  risque  de  perdre  Tusage  de  la  langue.  La  seule  chance 
qu'il  y  avoit  que  le  silence  fût  rompu,  c'étoit  quand  des  cheva- 
liers de  Sainl-Louis  ou  des  marchands  contoient  fleurette  à  la 
fille  qui  servoit,  et  qui,  d'ordinaire,  n'avoit  ni  bas  ni  souliers. 

Les  souliers  étoient  un  luxe  en  France,  si  nous  en  croyons 
notre  touriste,  qui,  partout,  n'a  rencontré  que  paysans  à  peine 
vêtus,  que  femmes  presque  nues,  grand  nombre  aussi  de  pau- 
vres petites  filles,  quelquefois  charmantes  sous  leurs  haillons, 
et  que  raum(>ne  qu'on  leur  faisoit  contenloit  moins  qu'elle  ne 
les  étonnoit.  Tout  ce  monde  misérable,  grand  ou  petit,  viYOit 
accoutumé  h  sa  détresse  sans  penser  à  en  sortir.  Cependant, 
quelques  pressentiments  avant-coureurs  des  grandes  commo- 
tions agitoient  le  peuple.  Voici  qu'un  jour,  en  1787,  Young, 
montant  une  montagne  h  pied  pour  soulager  sa  jument,  est 
accosté  par  une  femme  de  28  ans,  qui  paraissoit,  à  nne  cer- 
taine distance,  en  avoir  70;  elle  étoit  toute  ridée.  Cette  femme 
se  plaint  à  lui  de  la  dureté  des  temps  et  lui  tient  à  peu  près  le 
langage  du  pauvre  bûcheron  de  la  fable  à  qui  les  impôts,  la 
corvée  faisoient  d'un  malheureux  la  peinture  achevée.  Mais  la 
fin  de  sa  plainte  trahit  une  espérance  bien  significative  h  cette 
date  de  1787.  Une  rumeur  vague  étoit  venue  jusqu'à  cette  pauvre 
femme.  On  lui  avoit  dit  que  de  grands  personnages  alloient  faire 
quelque  chose  pour  soulager  les  griefs  des  pauvres.  Elle  ne  sa- 
voit  ni  qui,  ni  comment,  a  Cependant,  ajoutoit-elle,  que  Dieu 
nous  envoie  de  meilleurs  temps,  car  les  tailles  et  les  impôts  nous 
écrasent  !  )) 

Cette  misère,  dont  l'aspect  l'attriste,  Yoang  en  fait  peser  en 


BULLBTIlf  DU  BIVLTOPHILB.  820 

partie  la  responsabilité  sur  les  grands  seigneurs,  et,  malgré  ses 
liaisons  avec  quelques-uns  d'eux,  il  s'exprime  franchement  à 
cet  égard  et  accuse  leur  mauvaise  administration.  Partout,  dit- 
il,  leur  voisinage  se  révèle  par  la  quantité  de  terres  en  friche. 
«  Le  prince  de  Soubise  et  le  duc  de  Bouillon  sont  les  deux  plus 
grands  propriétaires  territoriaux  de  toute  la  France,  et  la  seule 
tmarque  que  j'aie  vue  de  leur  grandeur  sont  des  jachères^  des 
Imndei,  de  la  bruyère^  de  la  fougère.  Cherchez  le  lieu  de  leur 
résidence j  vous  le  trouverez  probablement  au  milieu  de  forêts 
Uen  peuplées  de  daims,  de  sangliers  et  de  loups,  n  A  la  suite  de 
ces  réflexions  vient  une  boutade  qui  nous  parott  presque 
cruelle  à  nous  qui  savons  la  suite  des  événements.  A  ces  grands 
seigneurs,  amis  de  la  chasse,  c'est  bien  un  autre  divertissement 
qu'Young  propose  :  il  veut  les  faire  danser  :  «  Oh  !  si  j'étais 
seulement  pendant  un  jour  législateur  de  la  France^  je  ferais 
Uen  danser  tous  ces  grands  seigneurs!  n  Pour  rendre  la  France 
heorease,  Turgot  demandoit  six  mois  de  despotisme.  Est-ce  la 
même  pensée  qu'exprime  notre  voyageur  et  se  croit-il  plus 
expéditif  et  plus  habile  que  Turgot  ? 

Mais  voici  Young  en  Béam,  et,  pour  le  reposer  des  tristes 
spectacles  qu'il  a  eus  sous  les  yeux,  s'offre  à  lui  un  gracieux 
tableau  de  bonheur.  Gomme  si  dans  cette  contrée,  berceau  de 
Hanri  IV,  la  poule  au  pot,  vraie  gasconnade  pour  le  reste  de  la 
France,  étoit  une  réalité.  Ici,  tous  les  paysans  sont  propriétai- 
res eC  vivent  à  leur  aise.  Il  remarque  et  note  au  passage  leur 
air  de  joie  que  tout  partage  autour  d'eux,  même  leur  cochon, 
qins'égaye  et  grogne  de  contentement,  et,  après  qu'il  s'est  bien 
promené,  rentre  volontiers  en  son  logis,  aussi  propre,  aussi 
bien  tenu  que  celui  de  son  maître.  Hélas!  h  peine  a-t-il  joui  de 
cette  heureuse  impression,  qu'un  tableau  d'un  autre  genre 
vient  lui  remettre  dans  l'esprit  les  funestes  effets  du  despotisme. 
Passant  près  de  Lourdes,  en  vain  il  admire  le  magnifique  colo- 
ris du  paysage,  où  le  jaune  doré  des  moissons  se  mêle  au  vert 
foncé  des  prairies;  l'aspect  du  château  l'attriste,  et  il  s'occupe 
moins  de  sa  situation  pittoresque  sur  on  rocher  que  de  sa  des- 


830  BULLETIN  DU   BIBUOPHILE. 

tination  qui  est  d'enfermer  les  prisonniers  d'État,  c'est-à-dire 
des  malheureux  qu'arrachent  k  leurs  familles  les  méflances  de 
la  tyrannie.  «  Oh  !  liberté,  liberté  !  et  cependant  c'est  ici  le  plus 
doux  des  gouvernements  des  pays  importants  de  VEurope,  le 
nôtre  excepté.  » 

De  Lourdes,  Young  revient  à  Paris,  qu'il  ne  fait  que  traverser, 
puis  h  Liancourt,  où  il  retrouve  cette  aimable  et  aristocratiqae 
compagnie,  dont  il  jouit  encore  mieux  qu'à  Bagnères,  puis  en- 
core à  Paris,  où  il  séjourne  avant  de  retourner  en  Angleterre; 
il  observe,  selon  sa  coutume,  il  étudie  toute  chose,  il  s'informe 
des  pommes  de  terre  et  fait  une  visite  à  Parmentier,  à  Dauben- 
ton  qui,  pour  avoir  écrit  sur  l'histoire  naturelle,  crojroit  poa- 
voir  faire  de  l'agriculture,  et  qu'il  traite  de  mauvais  agricul- 
teur. La  halle  aux  blés  excite  son  admiration  et  lui  parolt  sus- 
pendue en  l'air  par  la  main  des  fées  ;  pendant  qu'il  est  dans 
le  quartier,  il  dit  un  mot  des  pois,  des  fèves,  des  lentilles. 
Puisque  nous  sommes  sur  le  chapitre  des  légumes,  racontons 
comment  notre  Anglois  fut,  si  je  puis  me  servir  de  ce  terme, 
légumineusement  révolutionnaire  dans  sa  visite  à  l'abbaye  de 
Saint-Germain-des-Prés,  dont  l'abbé  est  un  de  ces  grands  sei* 
gneurs  qu'il  feroit  volontiers  danser,  si  l'on  faisoit  danser  les 
abbés.  ((  Un  abbé  de  300,000  livres  de  rente,  cela  est  trop 
fort,  et  je  perds  patience  quand  je  vois  de  pareils  revenus  ainsi 
accordés.  Quelle  belle  ferme  ne  pourroit-on  pas  établir  avec  le 
quart  de  ce  revenu  !  quels  navets  !  quels  choux  I  quelles  po: 
de  terre  !  quels  trèfles,  quels  moutons  !  quelle  laine  !  »  Ne 
ble-t-il  pas  ici  voir  Young  ameuter  et  soulever  contre  l'abbé  de 
Saint-Germain  tout  le  peuple  d'ordinaire  si  pacifique  des  jardins, 
et  y  joindre  comme  auxiliaire  les  herbes  des  champs  et  les  oi- 
seaux de  la  ferme?  Ne  diroit-on  pas  qu'il  va  livrer  l'assaut  et 
qu'il  s'y  prépare  par  l'énumération  de  ses  forces?  il  n'y  a  pas 
jusqu'à  ces  points  d'exclamation  qui  n'aient  l'air  d'une  harangue 
à  ses  soldats.  Navets  !  faites  votre  devoir  !  choux  !  marchez  en 
ordre!  haricots I  soyez  dignes  de  votre  renommée!  Même  les 
moutons,  ces  débonnaires  natures,  les  moutons  avec  leur  laine 


BULLETIN  DU  BIBUOPHILE.  881 

(lanigerumque  pecu3)j  les  voilà  pour  la  première  fois  rangés  en 
bataille  et  prêts  à  jouer  leur  rôle  dans  cette  mêlée  digne  d'in- 
spirer un  poète  burlesque,  et  où  figureroit,  comme  généralis- 
sime, notre  don  Quichotte  agricole. 

Young  a  donné  au  récit  de  son  excursion  en  France  la  forme 
d'un  journal,  ce  qui  lui  permet  d'enregistrer  les  moindres  ac^ 
cidents  de  la  route,  et  aussi  les  fantaisies  de  son  imagination. 
Le  brusque  changement  des  dates  et  des  lieux,  bien  que  dates 
et  lieux  se  succèdent  dans  l'ordre  régulier,  lui  sauve  l'embarras 
des  transitions.  Usons  un  peu  du  même  privilège,  nous  qui 
voyageons  dans  son  livre.  Entre  les  lignes  que  nous  venons 
d'écrire  et  celles  que  nous  commençons^  notre  voyageur  a  fait 
bien  des  choses;  il  est  retourné  en  Angleterre,  il  a  revu  ses 
champs  de  Bradfield^  ses  moutons,  sa  petite  fille.  Sa  vieille  ju- 
ment a  passé  un  hiver  à  goûter  le  repos  de  l'écurie  et  les  dou- 
ceurs abondantes  du  râtelier.  Les  voici  de  nouveau  en  campa- 
gne, le  cavalier  et  sa  monture.  Young,  qui  avoit,  l'année  pré- 
cédente, visité  le  midi  de  la  France,  cette  fois  (en  1788)  se  tourne 
▼ers  les  régions  de  l'ouest.  Après  avoir  traversé  la  Normandie,  vi- 
sité Rouen,  Gaen,  lesdeux  capitales  de  la  province,  etCherbourg, 
le  nouveau  port,  dont  il  trouve  les  travaux  interrompus  par  le 
ministre  firienne,  il  entre  en  Bretagne,  et  tout  à  coup  s'inscrit 
sous  sa  plume  un  nom  qui,  obscur  en  ce  temps-là,  éveille  au- 
jourd'hui l'intérêt  et  la  curiosité  :  «  Le  1"  septembre^  jusqu'à 
Cambourg  ;  le  pays  a  un  cupect  sauvage  ;  l'agriculture  n'y  est 
pas  plus  avancée  que  chez  les  Hurons;  le  peuple  est  presque 
aussi  sauvage  que  le  pays  y  et  la  ville  de  Cambourg  une  des  places 
les  plus  sales  que  Von  puisse  voir  ;  des  maisons  de  terre  sans 
vitres..,.  Cependant  il  s'y  trouve  un  château^  et  il  est  même  ha-- 
bité.  Qui  est  ce  M.  de  Cfidteaubriand^  propriétaire  de  cette  ha  - 
bitation,  qui  a  les  nerfs  assez  forts  pour  résider  au  milieu  de 
tant  d'ordure  et  de  pauvreté  ?  Au^essous  de  cet  amas  hideux  de 
misères^  est  un  beau  lac  environné  d'enclos  bien  boisés.  »  Je  suis 
certain  que,  quoi  que  dise  Young  de  la  saleté  de  ce  Combourg, 
nos  lecteurs  aiment  à  se  transporter  comme  nous,  à  cette  date 


832  BULLETIN  DU  BIBUOPHUE. 

de  1788,  dans  cette  sauvage  région,  moins  poétique  encore  par 
son  beau  lac  que  par  le  génie  naissant  qui  promène  sur  ces  rivet 
solitaires  sa  mélancolique  rêverie.  Peut-être,  dans  ces  enclos 
boisés  dont  il  parle,  Young  a-t-il  rencontré  René  déjà  tourmenté 
par  le  démon  de  son  cœur.  Quant  k  ce  M.  de  Chateaubriand, 
qui  est  l'objet  de  son  interrogation,  son  illustre  fils  nous  l'a  fiit 
connoître;  il  nous  en  a  esquissé  la  rude,  mais  noble  physiono- 
mie, et  nous  savons  que  ses  nerfs  n'étoient  pas  ceux  d'un  petit- 
maitre.  L'auteur  des  Mémoires  d' outre-tombe^  qui  nous  parie 
de  Gombourg,  ne  fait  aucune  allusion  à  ce  passage  des  voyages 
d' Young.  L'a-t-il  ignoré? 

Franchissons  une  date.  Nous  sommes  en  1789,  au  troisième 
voyage  d' Young  en  France.  Comme  don  Quichotte  faisoit  toutes 
ses  sorties  pour  Thonneur  de  la  chevalerie,  Young  fait  les 
siennes  pour  Thonneur  de  l'agriculture.  Mais  le  spectacle  que 
commence  à  offrir  notre  pays  n'a  plus  rien  de  bucolique  ni  de 
pastoral.  Les  états-généraux  s'assemblent,  et  leur  réunion  va 
marquer  une  ère  nouvelle  pour  la  France.  Raison  de  plus  pour 
Young  de  se  hâter.  Ce  Paris  où,  dès  1787,  on  pressentoit 
quelque  chose  d'extraordinaire,  est  aujourd'hui  en  grande  fer- 
mentation. La  politique  échauffe  les  esprits  dans  les  salons  et  sur 
la  place  publique.  Les  cafés  du  Palais-Royal  offrent  le  singulier 
spectacle  d'orateurs  montés  sur  des  chaises,  haranguant  ceux 
qui  les  entourent,  et,  comme  si  cet  auditoire  ne  leur  suffisait 
pas,  s' adressant  à  la  foule  du  dehors  pressée  aux  fenêtres.  Dans 
ces  harangues,  qu'encourage  l'approbation  publique,  l'outrage 
est  jetée  au  gouvernement,  dont  la  pusillanimité  étonne  notre 
Anglois,  qui,  dès  lors,  prévoit  la  chute  du  despotisme.  Dans  les 
boutiques  des  libraires,  même  mouvement  que  dans  les  cafés  ; 
chaque  minute  voit  éclorc  de  nouvelles  brochures  :  till  en  a 
paru  13  aujourd'hui^  16  hier  et  92  la  semaine  dernière.  »  Chez 
Desenne  (le  libraire  du  temps),  on  se  presse^  on  s* étouffe  à  la 
porte  du  comptoir.  Pour  faire  trêve  à  la  politique,  qui  com- 
mence à  l'ennuyer,  Young  va  au  Théâtre-François  et  assiste  ft 
la  représentation  de  la  Métromanie,  Enchanté  de  la  pièce  el 


BUIXBTIN  OU  BIBUOPHILB.  8S8 

da  jeu  des  acteurs,  il  déclare  que,  en  fait  d'art  dramatique,  la 
France  a  la  supériorité  sur  l'Angleterre;  puis  il  ajoute  en  guise 
de  réflexion  dadaïque  :  ii  J'écris  ceci  plus  gaiement  que  s' il  fallait 
accorder  à  la  France  la  palme  de  l'agriculture.  » 

Le  théâtre  nous  ramenoit  à  l'agriculture.  Mais  le  moyen  de 
penser  en  ce  moment  aux  navets  et  aux  pommes  de  terre  I 
Voici  Young  à  Versailles  ;  vient  la  scène  du  Jeu  de  paume  ;  il 
assiste  à  la  séance  de  l'Assemblée  nationale  dans  l'église  St-Louis 
et,  le  soir,  à  un  diner  au  château^  où  il  remarque  l'indifférence 
des  convives,  grands  seigneurs  qui  ne  paroissent  point  se  dou- 
ter du  gouffre  qui  va  s'ouvrir  sous  leurs  pas,  et  qui  ne  voient 
pas  la  main  de  la  révolution  écrire  sur  le  mur  de  la  salle  les 
signes  prophétiques  de  leur  ruine. 

C'est  assez  nous  arrêter  à  Paris  et  à  Versailles  ;  reprenons 
nos  excursions  en  province,  où  commence  à  pénétrer  la  con- 
tagion de  l'effervescence  parisienne.  Young,  qui  veut  parler 
agriculture,  ne  trouve  que  gentilshommes  occupés  de  politique. 
Même  à  Nangis,  Thomme  qui  le  coiffe,  tout  plein  de  projets  de 
régénération  pour  la  France,  exprime  les  sentiments  les  plus 
exaltés,  les  plus  fanatiques.  Je  le  déclare,  ce  perruquier  de 
Nangis,  quoique  ses  intentions  soient  peut-être  bonnes  au  fond, 
n'a  point  mes  sympathies  ;  je  lui  préfère  de  beaucoup  celui 
du  Voyage  sentimental,  qui,  lui  aussi,  étoit  un  homme  d'imagi- 
nation, puisque,  dans  ses  comparaisons,  il  amenoit  la  mer  là 
où  un  seau  d'eau  lui  eût  suffi.  Du  moins,  son  imagination  s'ap- 
pliquoit  à  des  sujets  innocents,  et,  en  l'écoutant  parler,  le  bon 
lorick  sourioit  avec  malice  et  douceur  sous  la  perruque  qu'il 
essayoit.  Young  a-t-il  été  indigné  des  propos  du  perruquier  de 
Nangis?  J'ai  bien  peur  que  non,  lui  qui  reproche  aux  François 
leur  indolence  politique,  et  qui,  dans  les  occasions  décisives, 
s'écrie  :  «  Que  fera  Paris  7  sans  Paris,  pas  de  révolution.  » 

En  effet,  cette  contagion  que  nous  venons  de  dire  qui  gagnoit 
les  provinces,  les  gagnoit  bien  lentement  A  Dijon,  dans  le  seul 
café  qu'eut  cette  ville,  on  ne  recevoit  pas  les  journaux,  et  les 
buveurs  se  contentoient  de  boire,  et  ne  s'inquiétoient  pas  des 


83A  BULLETIN  DU   BIBLIOPHILE. 

nouvelles.  Young  s'étonne  et  s'impatiente  de  cette  apathie.  A 
Moulins,  au  café  de  M"**  Bougan,  môme  sujet  d'impatleoce 
pour  notre  voyageur,  qui  s'en  exprime  d'une  façon  tout  origi- 
nale. Il  imagine  un  habitué  à  qui  un  jour  prend  la  fantaisie  bien 
excentrique  de  demander...  quoi?  Vous  ne  devineriez  jamais, 
lecteur...  un  éléphant!  Gai'çon,  un  éléphant?  Oui,  un  éléphant 
qu'on  lui  apporleroit  avant  ou  après  sa  demi-tasse,  et  qu'on  po- 
seroit  là  tout  simplement  entre  le  carafon  d'eau  et  le  sucrier. 
Encore  si  nous  étions  en  quelque  ville  d'Asie,  sur  les  rives  de 
l'Indus  bu  de  l'Euphrate.  Mais  à  Moulins!  Un  éléphant  à  Mou- 
lins. N'est-ce  pas  que  la  bonne  M*"'  Bougan  seroit  bien  ébanbie 
et  bien  empêchée?  Hé  bien,  en  ce  moment,  un  mois  après  la 
prise  de  la  Bastille,  M"'"  Bougan  ne  seroit  pas  plus  étonnée, 
pas  plus  empêchée,  si  quelqu'un  de  ses  abonnés  s'avisoit  de  dire 
ces  simples  mots  :  c  Garçon  !  ou  la  fille,  un  journal  ?»  «  J'allai 
au  café  de  Mme  Bougan^  le  meilleur  de  la  ville;  vingt  tables 
pour  la  compagnie:  mais  on  eût  aussitôt  obtenu  un  éléphant  qu'un 
journal.  Voici  un  trait  d'ignorance,  de  stupidité  et  de  pauvreté 
nationale  ;  dans  la  capitale  d'une  grande  province,  dans  un  mo- 
ment  comme  celui-ci^  lorsqu'une  Assemblée  nationale  fait  une 
révolution^  il  n'y  a  pas  un  journal  pour  instruire  le  peuple^  si 
Lafayette,  Mirabeau  ou  Louis  XVI  est  sur  le  trône.  Quelle  rm- 
pudencc  !  quelle  folie  !  Folie  de  la  part  des  habitués  de  ne  pas 
exiger  une  demi^douzaine  de  gazettes^  impudence  de  la  part  de 
la  limonadière  de  ne  pas  les  avoir,  >  Voyez  comme  notre  voya- 
geur s'emporte,  et  comme  il  traite  de  limonadière  cette  bonne 
M""*  Bougan,  qui  est  bien,  à  mon  avis,  la  plus  honnête  femme 
du  monde  ;  de  Moulins,  ce  ne  seroit  pas  dire  assez.  Pauvre 
femme  !  je  ne  puis  résister  au  désir  de  prendre  sa  défense.  Ta 
te  fourvoies,  ô  voyageur  sentimental!  Toi  aussi  tu  te  laisses  ga- 
gner par  TefTervescence  du  moment,  et  tu  ne  comprends  pas  le 
côté  vraiment  philosophique  du  tableau  qui  est  sous  tes  yeux, 
et  tout  ce  que  témoigne  de  bonhomie  et  de  simplicité  cette 
insouciance  qui  te  paroit  si  extraordinaire.  Bonne  H"*  Bougan 
et  honnête  café  que  le  sien  I  Calme-toi,  calme-toi,  voyageur  I 


BULLETIN   DU  BIBLIOPHILE.  8S5 

Ces  gens  qui  ne  savent  pas  qui  est  roi,  de  Mirabeau  ou  de 
Louis  XVI,  gens  assez  simples  pour  ne  pas  imaginer  la  possi- 
bilité d'une  pareille  question,  ils  vont,  si  tu  le  veux,  te  parler 
d'agriculture  et  de  jardinage...  Mais  tu  ne  ra'écoutes  pas,  ta 
verve  est  plus  forte  que  mes  avertissements,  et  tu  poursuis  : 
«  Qu'est-ce  que  Moulins?  Jamais  il  n'eût  fait  de  révolution; 
c'est  le  peuple  éclairé  de  Paris  qui  a  tout  fait.  »  Même  tu  ter- 
mines ta  boutade  par  souhaiter  dans  le  café  de  Mme  Bougan  un 
camp  de  brigands.  Oh  !  oh  !  pour  le  coup  c'est  trop  fort,  et  je 
frémis  du  tableau  que  ton  souhait  me  fait  imaginer  des  buveurs 
mis  en  fuite,  des  tables  renversées,  et  de  M^^  Bougan,  cette 
U'^  Bougan  que  j'aime,  évanouie  au  milieu  des  brigands. 

A  Moulins,  Young  commet  un  crime  de  lèse-sentimentalité 
d'un  autre  genre  et  plus  grave  encore.  Il  s'en  excuse  sur  l'agri- 
culture, mais  je  crois  que  la  faute  en  est  aussi  à  la  politique. 
€  Je  pris  congé  de  Moulins,  où  les  terres  et  l'agriculture  avoient 
même  fait  sortir  Marie  de  ma  tête,  »  Oublier  Marie  !  est-ce  pos- 
sible? Je  vous  pardonnerois  plutôt,  6  voyageur!  de  n'avoir  pas 
été  voir  le  tombeau  de  M.  de  Montmorency,  que  de  n'avoir 
pas  cherché  à  retrouver  la  place  où  la  pauvre  Marie  fut  rencon- 
trée par  Sterne.  Ce  dernier,  après  cet  aveu,  vous  renie  et  re- 
pousse l'honneur  que  nous  vous  faisons  de  vous  déclarer  de  sa 
famille.  Lui,  Sterne,  même  au  milieu  des  scènes  de  la  révolu- 
,  tion^  même  au  bruit  de  Técroulement  de  la  Bastille,  c'est  à  Ma- 
rie qu'il  eût  pensé,  c'est  pour  elle  qu'il  eût  réservé  son  émotion, 
son  attendrissement.  0  Young,  j'évoquerois  contre  toi  l'ombre 
decettepauvrefille,  et  lachangerois  en  furie  vengeresse,  si  même 
morte  Marie  pouvoit  être  autre  chose  qu'un  pâle  fantôme  qui  ne 
sait  que  pleurer  et  chanter  sa  chanson  touchante. 

Pendant  que  nous  le  prêchons  ainsi,  notre  voyageur  n'en 
poursuit  pas  moins  sa  course.  Le  voici  à  Glermont,  où  il  est 
présenté  à  M.  Chabrol,  homme  fort  adonné  à  l'agriculture,  et 
qui  répond  avec  beaucoup  de  bonne  volonté  aux  questions  qu'il 
lui  adresse.  A  Glermont,  la  populace  est  agitée,  mais  les  bour- 
geois font  le  digne  pendant  des  habitués  du  café  de  M°^  Boa- 

58 


8S0  BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE. 

gan.  Étonnement  d'Young  de  les  voir  à  peine  affectés  par  toaa 
les  grands  événements  qui  se  passent,  lorsqu'à  ces  mêmes  évé- 
nements sont  attentifs  les  épiciers»  les  chandeliersi  les  dra- 
piers d'Angleterre  que  cependant  la  chose  ne  touche  qu^iodi- 
rectement. 

A  Villeneuve  les  bourgeois  sont  moins  calmes  qu'à  Clermont; 
nôtre  voyageur  les  trouve  en  armes  ;  ils  le  prennent  pour  im 
homme  politique,  pour  un  conspirateur.  L'agriculture  et  la 
projets  de  visite  au  Pradel,  ne  leur  paroisseut  qu'un  prétexte  ; 
il  a  grand'peine  à  s'échapper  de  leurs  mains.  Sur  toute  aa  route, 
s'éveillent  à  son  sujet  les  mômes  craintes  qui  donnent  lien  à 
des  scènes  comiques;  de  ces  milices  bourgeoises  Young  se  raille 
et  de  leurs  fusils  rouilles  ;  cela  n'en  rend  pas  moins  sa  marche 
incommode  :  aussi  après  une  visite  aux  Charmettes,  et  un  re- 
gret jeté  de  loin  à  l'Italie  (1),  qu'il  déclare  le  premier  pajfa  da 
monde,  par  la  raison  que  pour  tous  les  hommes  il  est  le  secondi 
notre  voyageur  reprend  le  chemin  de  Paris.  Pour  céder  au  déiir 
d*un  compagnon  de  route,  et  contre  son  goût  et  ses  habitudes» 
il  prend  une  chaise  de  poste.  A  ce  mot  de  chaise  de  poatei 
J'aime  à  croire,  lecteur,  que  vous  demandez  ce  qu'est  devenue 
la  vieille  jument.  Votre  impatience  nous  plaît,  et  nous  approu- 
vons votre  question  et  y  répondrons  tout  à  l'heure.  Retoomonf 
maintenant  à  notre  chaise  de  poste,  à  propos  de  laquelle 
Young  dit  une  Vilaine  parole;  il  se  console  de  cette  manière 
d'aller,  par  l'idée  des  choses  extraordinaires  qui  se  passent 
à  Paris,  et  du  spectacle  qui  l'attend,  du  roi,  do  la  reine  et  da 
dauphin  de  Fronce  prisonniers.  Nous  aimerions  mieux  lui 
voir  porter  dans  cette  voiture,  q\x*emportcni  tous  les  dmiks^ 
quelque  joli  rêve  agricole  et  bucolique,  malgré  ce  que  dit  H"*  de 
Sévigné  du  désaccord  entre  le  mouvement  violent  do  la  voiture 
et  l'état  d'une  àme  qui  voudroit  un  mouvement  plus  doux» 
plus  assorti  à  ses  pensées.  Cette  fois  le  voyageur  avoitdes  pen- 

(1)  Il  y  a  ici  une  erreur  :  Young  alla  en  Italie.  Supprimé  danslA  ralAtlM 
de  ses  excursions  en  France,  ca  voyage  fait  rofajet  d'un  volume  k  parti 


BUIXETin  DU  BIBUOPHIU.  887 

•ées  assorties  au  train  qui  i'emportoit,  et  sa  chaise  pouvoit  lui 
parottre  le  char  de  la  révolution  ;  les  chevaux  étoient  les  pas- 
sions populaires,  mais  gare  au  conducteur,  gare  à  ceux  qui  sont 
dans  la  voiture!  A  Paris,  notre  Anglois  est  témoin  de  l'état  tou- 
jours plus  turbulent  des  esprits;  il  va  aux  jacobins,  dans  ce 
même  local  où  s'étoient  tenues  les  assemblées  de  la  Ligue.  Au- 
tour de  lui  se  révèlent  les  projets  les  plus  hardis  ;  on  parle  de 
la  république,  la  possibilité  de  la  mort  du  roi  est  prévue  (dès 
les  premiers  jours  de  1790),  et  cela  sans  remords;  peut-être 
est-ce  un  souhait  pour  quelques-uns.  Cependant,  Young  jouit 
du  tableau  dont  il  se  nourrissoit  d'avance  dans  sa  chaise  de 
poste.  Il  voit  dans  une  partie  réservée  du  jardin  des  Tuileries 
se  promener,  sous  la  garde  de  deux  grenadiers,  le  roi,  la  reine, 
et  le  petit  dauphin  jouer  avec  une  petite  bêche  et  un  petit  râ- 
teau :  spectacle  attendrissant  dont  notre  voyageur  n'est,  hélas  I 
que  médiocrement  touché.  Même,  il  remarque  Tembonpoint  du 
roi.  Trop  d'écrivains  ont  fait  de  cet  embonpoint  du  roi  une  oc- 
casion de  verser  sur  lui  le  ridicule.  De  grands  poètes  ont  eu  ce  tort 
Peut-être  y  a-t-il  eu  des  gens  au  pied  de  Téchafaud  du  21  jan- 
vier, pour  s'étonner  que  le  Temple  n'eût  pas  plus  amaigri  le  roi 
martyr.  Tout  en  espérant  que  notre  Anglois  n'eût  point  été  jus- 
que-là, nous  n'en  sommes  pas  moins  dépités  de  lui  voir 
réaliser  si  mal  l'idée  d'un  voyageur  sentimental. 

Nous  ne  nous  séparerons  pas  d'Arthur  Young  sur  cette  mau- 
vaise impression.  Il  croit  avoir  en  ce  moment  à  se  plaindre  de 
nous,  nous  sommes  mécontents  de  lui,  mécontents  sont  aussi 
nos  lecteurs  de  lui  et  de  nous.  Il  nous  faut,  en  terminant  cet 
article,  opérer  une  réconciliation  générale.  Il  y  va  de  la  gloire 
d*Young,  il  y  va  de  la  nôtre  qui  avons  promis  à  nos  lecteurs 
un  voyageur  de  l'école  de  Sterne.  Dans  cette  intention  nous 
avons  prudemment  réservé  comme  dessus  de  m;fre /Minier  quel- 
ques traits  de  caractère  qui  feront  valoir  notre  héros.  En  voici 
un  dont  la  naïveté  est  bien  faite  pour  plaire,  et  qui  est  de  son 
premier  voyage,  du  voyage  en  Languedoc.  Il  venoit  de  visiter 
le  pont  du  Gard,  et  Tesprit  encore  rempli  de  la  grandeur  du 
monument,  et  de  ce  vestige  des  travaux  de  l'aocienne  Rome, 


8S8  BULLEnn  du  bibuophub. 

il  cheminoit  vers  Nîmes,  lorsqu'il  rencontra  des  marchands  qui 
revenoient  de  la  foire  de  Beaucaire.  Celte  rencontre  n'étoit 
point  faite  pour  interrompre  le  cours  de  ses  réflexions,  et  le 
distraire  du  pont  du  Gard  et  des  Romains,  sans  cette  circon- 
stance que  ces  marchands  portoienl  chacun  un  petit  tambour  à 
leur  porte -manteau.  Cette  circonstance,  frivole  en  apparence, 
est  ici  toul  le  nœud,  tout  le  charme  de  l'historiette  que  nous  vous 
racontons.  Braves  et  honnêtes  marchands!  ils  avoient  après 
leurs  affaires  pensé  à  leurs  familles,  et  prélevé  quelque  petite 
somme  sur  les  profits  de  la  journée,  pour  rapporter  des  jouets 
à  leurs  enfants.  Dans  l'lUadc\  Achille  (et  que  cet  épique  per- 
sonnage ne  rougisse  pas  de  figurer  dans  notre  humble  récit), 
Achille,  à  la  vue  de  Priam,  se  rappelle  son  vieux  père.  Yoimg 
à  la  vue  de  ces  tambours,  pense  à  sa  petite  fille  :  n  J'avais  ma 
petite  fille  trop  présente  à  V esprit,  pour  ne  pas  aimer  ces  mar* 
chands^  à  cause  de  cette  inarque  d'attention  qu'ils  avoient  pour 
leurs  enfants.  Mais  ici  même,  malgré  la  sincérité,  la  naïveté  de 
l'émotion,  parolt  l'humeur  philosophique  et  légèrement  fron- 
deuse de  notre  Anglois.  Ces  braves  marchands,  avec  lesqneb 
son  cœur  vient  de  sympathiser,  qui  le  croiroit?  voici  qu'il  leur 
cherche  querelle,  et  à  propos  de  ces  mêmes  tambours  qui  ont 
fait  naître  son  mouvement  sympathique.  Pourquoi  des  tam- 
bours? pourquoi  des  emblèmes  de  guerre?  Ne  pouvoient-ils,  ces 
bons  pères  de  famille,  rapporter  à  leurs  marmots  de  plus  in- 
nocents jouets,  de  petits  moutons,  de  petites  charrues,  de  petits 
charriots  attelés  de  bœufs,  etc.?...  0  admirable  Arthur  Yoonff  I 
0  souhait  plus  dadaïque  encore  que  philosophique  !  Idée  char- 
mante bien  digne  d'être  convertie  en  motion  par  les  orateurs 
du  Congrès  de  la  paix,  s'il  y  a  encore  quelque  part  un  Congrès 
de  la  paix  !  C'est  par  l'enfance  qu'il  faut  commencer,  on  nous 
le  répète  tous  les  jours.  Voici  un  nouveau  ver  rongeur  auquel 
n'a  point  pensé  H.  Gaume.  Voici  plus  que  le  paganisme,  void 
la  guerre  dans  l'éducation,  la  guerre  intronisée  au  foyer  de  fa- 
mille, parmi  les  jeux  de  l'enfance  ;  la  guerre,  que  d'honnétet 
marchands  rapportent  de  la  foire  dans  leur  poche  ou  au  pom- 
meau de  leur  selle.  Aux  jours  pacifiques  du  renouvellement  de 


BCLLETIff  DU   BIBUOPHILE.  886 

rannée  ou  des  fêtes  des  parents,  parmi  les  mutuels  sourires  de 
ceux  qui  donnent  et  de  ceux  qui  reçoivent,  quand  tout  dans  le 
ménage  respire  la  joie  et  la  concorde,  voici  venir  sous  forme  de 
jouets  Tappareil  menaçant  du  dieu  des  combats.  Et  nunc  hor- 
rentia  Martis  arma.  Ne  riez  point  de  nos  craintes,  pères  de  fa- 
milles, elles  sont  fondées,  et  la  question  est  plus  sérieuse  que 
vous  ne  le  pensez,  bien  qu'en  apparence  il  ne  s*agLSse  ici  que 
du  sabre  de  bois  de  Cadet-Roussel  et  du  poignard  de  cuir  bouilli 
de  Gargantua.  Supprimons  donc  toute  Fartillerie  des  bimbelo- 
tiers,  ces  canons,  ces  fusils,  ces  soldats  en  miniature  dont  les 
enfants  s*amusent,  et  bientôt  nous  ôterons  aux  hommes,  ces 
grands  enfants,  les  armes  dont  ils  s'entredétruisent.  H  y  avoit, 
du  reste,  dans  le  choix  de  ces  marchands,  un  à-propos  dont  ils 
eussent  les  premiers  gémi  s'ils  Feussent  compris,  et  que  ne  pou- 
voit  deviner  Youug,  malgré  toute  sa  philosophie.  La  France 
n'étoit-elle  pas  à  la  veille  de  promener  dans  le  monde  ses  ar- 
mées victorieuses?  Parmi  ces  enfants  à  qui  leurs  pères  rappor- 
toient  des  tambours,  peut-être  y  avoit-il  un  héros  en  herbe,  un 
futur  lieutenant  de  Tempereur  Napoléon.  Mais  nous-mêmes  en 
ce  moment  avons  un  peu  Fair  de  prendre  le  tambour  et  d'é- 
tourdir de  notre  rantanplan  les  oreilles  de  nos  lecteurs.  Profi- 
tons de  la  leçon  que  notre  auteur  nous  donne  et  retournons  à 
de  plus  doux  tableaux. 

Quel  plus  doux  tableau  que  celui  des  adieux  que  notre  agro- 
nome, en  terminant  son  avant-dernier  voyage,  adresse  à  sa 
vieille  jument,  sur  cette  terre  de  France  qu'il  prévoit  bien  qu'elle 
ne  doit  plus  revoir?  La  pauvre  bête  est  à  bout  de  force  et  de 
courage;  à  grand'peine  il  l'a  ramenée  à  Dieppe;  elle  n'eût  pu 
aller  jusqu'à  Calais  sans  s'exposer  à  mourir  en  route,  peut-être 
à  tomber  à  cette  même  place  où  étoit  mort  l'âne  de  ce  pauvre 
homme  dont  Sterne  a  si  vivement  dépeint  Taflliction.  Bien  affligé 
aussi  eût  été  notre  Anglois,  si  pareil  accident  lui  fût  arrivé, 
même  à  Dieppe,  en  vue  du  paquebot  qui  va  le  conduire  en  An- 
gleterre, lui  et  sa  monture;  il  se  livre  envers  celle-ci  à  un  mou- 
vement de  sensibilité  sandhéenne.  Cette  vieille  jument  partie 
avec  lui  de  Bradfield,  il  faut  qu'avec  lui  elle  y  revienne.  Auroit- 


^kri 


8&0  BULLETllf  DU  BIBUOFHIU. 

11  le  courage  de  l'abandonner,  infirme  et  aveugle  comme  elle  eit, 
sur  une  terre  étrangère,  de  se  débarrasser  d'elle  à  vil  prix! 
Hélas  1  qui  Tachèteroit,  sinon  Técorcheur?  Non,  ce  n'est  point 
ainsi  qu'elle  doit  finir;  croyez  que,  même  en  Angleterre,  il  ne 
la  vendra  pas,  mais  lui  accordera  la  retraite  honorable  que  mé- 
ritent les  anciens  et  fidèles  serviteurs.  «  Cette  jument  m* aparté 
u  sain  et  sauf^  sans  voir  clair^  plus  de  cinq  cents  lieues,  et  élit 
«  n'aura  jamais  d'autre  maître  que  moi.  Si  j'étois  assez  rickf , 
«  ce  seroit  là  son  dernier  travail.  Je  crois  cependwit  qu'eUe  la^ 
f  howrera  encore  un  peu  sur  ma  ferme  avec  plaisir.  »  Aimable 
naïveté  que  celle  de  ces  derniers  mots  :  «  avec  plaisir  !  »  Gela 
est  si  doux  de  labourer  sur  la  ferme  de  Bradfield  I  Young  a  rai- 
son d'associer  sa  jument  aux  sentiments  que  lui-même  éprouve. 
Je  me  fais  fort  pour  la  pauvre  bête  qu'il  a  bien  deviné  son  cœur, 
et  que,  d'une  pensée  conforme  à  la  pensée  de  son  maître,  elle 
voudra  jusqu'au  bout  gagner,  par  quelque  service,  l'avoine  et  le 
son  qu'elle  lui  mangera. 

Ne  sonU*ce  pas  là,  chez  Young,  des  traits  empreints  de  bon' 
homie  et  d'originalité?  Les  rencontrant  dans  le  journal  de  ses 
voyages,  feuilleté  par  nous  au  hasard,  nous  en  fûmes  heureox 
comme  d'une  découverte,  si  bien  que  nous  étions  véritablement 
épris  de  celui  &  qui  nous  la  devions,  et  quesemblableà  La  Fon- 
taine, qui,  après  avoir  lu  Baruch,  on  demandoit  des  nouvelles 
à  tout  venant,  nous  eussions  volontiers  arrêté  les  passants  pour 
leur  dire  :  «  Avez-vous  lu  Young;  non  le  Young  traduit  par  Letour- 
neur,  le  Young  des  nuits  qui  pleure  sur  le  cercueil  de  sa  fille» 
mais  celui  qui  donne  une  poupée  à  la  sienne,  ce  qui  lui  foît 
plus  de  plaisir  que  d'avoir  vu  Versailles?»  Lui-même  nous  le  dit 
dans  son  journal  :  «  Arrivé  à  Bradfield,  et  j'ai  plus  de  plaisir 
à  donner  une  poupée  française  à  ma  petite  fille ^  qu'à  voir  Fer- 
sailles.  »  Quel  alTront  pour  ce  pompeux  tbéùtre  des  magnifi- 
cences de  Louis  XIV!  et  que  le  Versailles  du  grand  roi  est  îd 
cavalièrement  traité  par  la  bonne  humeur  un  peu  insolente  de 
cet  Anglois,  agriculteur  et  père  de  famille! 

Si  le  petit  dauphin,  avec  son  râteau  et  sa  bêche,  nous  a 
brouillés  avec  Young,  sa  petite  fille  et  cette  poupée  françoiie 


BULLETIN  TO  «BUOniU.  '9H 

Doas  réconcilient  et  réconcilient  nos  lecteurs  avec  loi,  et  nous 
allons  nous  quitter  contents  les  uns  des  autres. 

J*ai  dit  que  nous  allions  nous  quitter  :  Young,  en  effets  est  à 
la  fin  de  ses  voyages.  Il  commençoit  probablement  à  être  dé- 
goûté des  choses  qu'il  voyoit  en  France,  à  trouver  que  Ton  fai» 
soit  fausse  route,  et  que  l'on  alloit  trop  loin.  Aussi,  semblable  à 
Candide,  qui,  après  toutes  ses  aventures,  ne  veut  que  bêcher 
son  jardin  ,  fatigué  du  club  des  jacobins,  notre  Anglois  n'aspire 
qu'à  jouir  dans  sa  ferme  du  calme  convenable  k  sa  fortuoQ,  et 
à  sa  façon  de  penser. 

Passons  avec  lui  le  détroit;  nous  pouvons  faire  cet  effort 
pour  celui  qui  est  tant  de  fois  venu  nous  voir  en  France.  Nous 
voici  à  Bradûeld,  dans  ce  domaine  rustique  où  il  veut  finir  tran- 
quillement ses  jours.  Tout  en  s'occupant  de  son  agriculture,  il 
t'informe  à  cette  heure  des  nouvelles  de  France,  Hélas  !  ces 
nouvelles  sont  tristes,  plus  tristes  de  jour  en  jour.  L'abbé  de 
Saint-Germain  lui-môme  exciteroit  aujourd'hui  sa  pitié,  ainsi 
que  ces  grands  seigneurs  qu'il  vouloit  faire  danser.  La  bonne 
U^e  Bougan  a  vu  les  brigands  envahir  son  pacifique  établisse- 
ment, et  le  souhait  du  voyageur  a  été  trop  bien  exaucé.  Déjà  ce 
n'est  plus  aux  Tuileries,  c'est  au  Temple  que  la  famille  royale 
est  prisonnière.  Plus  de  promenades  pour  le  petit  dauphin,  plus 
de  râteau,  plus  de  bêche.  Bientôt,.,,  mais  pourquoi  évoquer  ces 
cruels  souvenirs?  Aussi  bien  ne  sommes-nous  plus  en  France, 
mais  à  Bradfield,  chez  Arthur  Young.  Le  voici  devant  nous  dans 
fOD  salon  ;  sa  petite  fille,  qui  pendant  ses  voyages  est  devenue 
une  fillette,  joue  sur  ses  genoux  et  tient  sur  les  siens  la  poupée 
dont  nous  avons  parlé.  Cettepoupée  n'est  point  ici  un  personnage 
inutile,  et  nous  devons  nous  intéresser  à  elle,  puisqu'elle  est  notre 
compatriote.  Mais  qu'aperçois-je  là-bas  sur  lecoteau? Obi  c'est 
la  vieille  jument  qui  tire  la  charrue,  une  charrue  légère  et  dans 
un  terrain  facile.  Un  mot  de  loin,  un  salut  amical  à  la  pauvre 
béte  ;  puisse-t-elle  longtemps  encore  prendre  sa  part  de  ces  tra- 
vaux des  champs  qui  se  mesurent  aux  forces  de  chacuOi .  et 
jouir  de  la  retraite  que  lui  a  accordée  son  maître  I 

Vicomte  DE  GAILLON. 


8&2  BULLETIN    DU   BIBLIOPHILE. 


DES  EDITIONS  ORIGINALES  DE  SHAKSPEARE, 


De  vifs  débats  se  sont  engagés  depuis  quelque  temps  parmi 
les  bibliophiles  anglois  au  sujet  du  texte  de  Shakspeare.  La 
question  est  fort  peu  connue  en  France  ;  elle  est  digne  d'être 
exposée  en  peu  de  mots. 

L'immortel  auteur  dramatique  anglois  témoigna  une  insou- 
ciance étonnante  au  sujet  de  ses  productions;  il  ne  parott  point 
avoir  jamais  songé  à  les  faire  imprimer  ;  une  partie  de  ses  piè- 
ces parut  en  éditions  isolées  de  son  vivant;  chacune  d'elles 
forme  un  petit  in-4^,  imprimé  subrepticement,  à  ce  qu* affirment 
des  contemporains,  et  rempli  d'erreurs  manifestes.  Shakspeare 
laissa  avec  indifférence  ses  manuscrits  à  des  amis  qui  avoient 
été  ses  compagnons  sur  la  scène  ;  en  1623,  sept  ans  après  son 
décès,  deux  de  ces  anciens  acteurs  mirent  au  jour  la  première 
édition  in-folio  de  ses  œuvres.  Ils  prétendent  dans  leur  préfoce 
avoir  suivi  fidèlement  la  copie  qui  étoit  sous  leurs  yeux  et  qu'ils 
représentent  comme  parfaitement  lisible,  mais  il  est  hors  de  doute 
que  cette  assertion  est  inexacte.  Ils  #nt  souvent  borné  leur  tAche 
à  copier  les  in-^*;  les  erreurs  typographiques  qu'ils  ont  laissé 
passer  sont  innombrables  ;  des  vers  sont  imprimés  comme  étant 
de  la  prose  et  réciproquement;  la  ponctuation  paroit  avoir  été 
indiquée  tout  k  fait  au  hasard  ;  des  mots  sont  omis  ou  trans- 
posés, et  parfois  ils  semblent  formés  de  lettres  réunies  par  l'i- 
gnorance du  compositeur  (1). 


(1)  Malgré  tous  ses  défauts,  le  volume  de  1623  est,  avec  raison, 
mement  recherché  des  Anglois  et  se  paye  très-cher.  Le  Manuel  du  U' 
6ratre  en  indique  diverses  adjudications,  jusqu*à  121  livres  sterling  (Tente 
Saunder  ;  on  a  par  erreur  typographique  imprimé  121  fr.)i  mail  depuia  lUM 


BULLETIN   DU  BIBLIOPHILK.  8AS 

Ce  texte  déplorable  est  cependant  tout  ce  qui  reste  pour  re- 
produire les  pensées  de  Shakspeare,  plus  malheureux  sous  ce 
rapport  que  les  écrivains  classiques  de  l'antiquité,  lesquels  sont 
venus  jusqu'à  nous  sous  la  forme  de  plusieurs  manuscrits  dont 
les  variantes  offrent  à  la  critique  des  ressources  précieuses. 

Les  éditeurs  anglois  se  sont  mis  à  Fœuvre  afin  de  rétablir  et 
d'amender  le  texte  corrompu  qui  nous  a  été  laissé;  les  uns  l'ont 
suivi  avec  assez  de  fidélité,  se  bornant  à  rectifier  des  fautes 
palpables,  indiquant  dans  leurs  notes  ce  qui  leur  sembloit  de- 
voir être  la  leçon  préférable  ;  d'autres  ont  introduit  avec  har- 
diesse leurs  corrections  dans  le  texte,  le  corrigeant  d'après 
des  conjectures  arbitraires.  Johnson,  Steevens,  Malone  et  bien 
d'autres  ont  été  du  nombre  des  Saumaises  qui  se  sont  mis  à 
la  torture  à  cette  occasion. 

M.  J.  Payne-Collier,  auteur  d'une  fort  estimable  histoire  du 
théâtre  anglois,  a  eu  la  bonne  fortune  de  découvrir  un  exem- 
plaire de  l'édition  primitive,  couvert  de  corrections  marginales  ; 
il  a  signalé  cette  œuvre  d'un  anonyme  comme  une  révision  du 
texte  de  Shakspeare  douée  d'une  grande  autorité,  et  il  s'en  est 
servi  pour  donner  en  1853  une  édition  qui  diffère,  en  une  foule 
d'endroits,  des  éditions  précédentes,  mais  de  nombreux  cri- 
tiques ont  contesté  le  mérite  de  cette  révision  ;  ils  ont  prétendu 
que,  la  plupart  du  temps,  le  texte  ainsi  amendé  ne  présentoit 
point  une  supériorité  réelle  et  n'offroit  point  ce  que  Shaks- 
peare avoit  écrit. 

Un  littérateur  très-instruit,  xM.  Weller  Singer,  après  avoir 
combattu  ce  qu'il  appelle  les  interpolations  et  les  corrup- 
tions adoptées  par   M.  Collier,  vient  de  publier  à  Londres 

diiAine  d*années,  ces  prix  sont  bien  dépassés  ;  on  a  payé  ce  ?olume  250  liv. 
iterUng,  en  1854  (vente  Dunn  Gardner),  et  164  liv.  sterUng,  en  1856  (vente 
Lane);  prix  qui  correspondent  à  6,312  et  à  4462  fr. 

Les  éditions  in-4''  sont  aussi  d*une  valeur  exorbitante  ;  le  Manuel  en  si- 
gnale plusieurs  adjudications  depuis  25  jusqu*à  42  et  64  livrei  sterling.  Noos 
lisons  dans  un  journal  anglois  qu*à  la  vente  Chalmers,  en  1840,  le  Songe 
d'une  nuU  iTété  et  le  Marchand  de  Venue  montèrent  chacun  Jusqu'à 
105  livres  sterling. 


8ii  BUUBTm  DU  BIBUOPmU. 

(1856, 10  vol.  in-12)  une  édition  de  Shakspeare  où  U  s'est 
efforcé  d'établir,  d'après  les  travaux  de  ses  devanciers  et  d'a- 
près ses  idées  personnelles,  un  texte  aussi  vraisemblable 
qu'impossible;  un  autre  savant, M.  Alexandre Dyce,  après  avoir 
pris  part  2i  cette  controverse,  annonce  l'intention  de  donner,  de 
son  côté,  un  texte  nouveau  qu'il  établira  d'après  un  système 
ongtemps  médité. 

La  Revue  d'Éditnhourg  contient  dans  son  numéro  210  (avril 
1856),  un  article  qui  ne  sera  sans  doute  point  traduit  en  frao- 
çois,  mais  que  nous  recommandons  aux  personnes  versées  dans 
l'étude  de  la  langue  et  de  la  littérature  angloises;  des  détails  cu- 
rieux sur  Tétat  du  texte  do  Shakspeare,  sur  le  mérite  des  cor- 
rections adoptées  par  M.  Collier  fixeront  leur  attention  ;  mais 
ces  discussions  de  critique  verbale  que,  pour  notre  compte, 
nous  avons  lues  avec  un  vif  intérêt,  ne  pourroient  trouver  place 
ici. 

Ce  qui  seroit  à  désirer,  c'est  qu'un  écrivain  éclairé  et  labo- 
rieux comblAt  un  grand  vide  en  donnant  au  public  françois  une 
bonne  traduction  de  Shakspeare,  revue  d'après  les  travaux  ré- 
cents des  critiques  anglois  et  accompagnée  de  notes  souvent 
très-nécessaires  et  qui  diroient  avec  sobriété  tout  ce  qu'un  lec- 
teur non  britannique  a  besoin  de  savoir  pour  bien  comprendre 
Hamlet  et  le  Maure  de  Venise, 


MnLumii  DU  woÊUùÊmËM.  Ut 


PETITES  RECHERCHES 


tu»  u» 


càncioneros  et  romanceros. 


On  sail  quel  est  le  mérite  littéraire  et  historique  de  ces  piè- 
ces de  vers  connues  sous  le  nom  de  Romances,  qui  forment  une 
des  portions  les  plus  intéressantes  de  la  littérature  espagnole 
du  moyen  âge;  un  écrivain  justement  renommé,  M.  Magnin,  a 
donné  à  cet  égard  dans  la  Revue  des  Deux-Mondes  (!•»  août 
1847),  des  détails  auxquels  nous  renvoyons  volontiers;  on  n'i- 
gnore pas  quelles  sont  la  rareté  et  la  valeur  des  anciens  recueils 
de  ce  genre;  leur  bibliographie,  longtemps  mal  connue,  s'é- 
claircit  depuis  quelques  années,  grâce  aux  efforts  de  plusieurs 
savants  pleins  de  zèle,  parmi  lesquels  il  faut  placer  en  pre- 
mière ligne  M.  Ferdinand  Wolf,  devienne  ;  personne  n'a  rendu 
plus  de  services  à  l'ancienne  littérature  castillane,  et  nous  avons 
déjà  eu  Toccasion  de  les.  signaler  dans  ce  Bulletin  (1).  De 
concert  avec  un  autre  savant,  M.  Conrad  Hofman»  M.  Wolf 
vient  de  mettre  au  Jour  deux  volumes  in-12,  intitulés  Prima- 
vera  y  flor  de  Romances  (le  Printemps  et  la  fleur  des  Ro- 

(1)  Voici  l'indication  de  que!que»-unt  des  trav&ai  (en  allemiad),  de 
M.  Wolf,  relativement  4  an  sujet  dont  il  a  une  connaissance  si  approfon- 
die :  Sur  la  bibliographie  des  Romanceroêt  dMis  le  Bulletin  de  CAcodémit 
impériale  de  Vienne,  t.  X,  p.  684  ;  Sur  la  poésie  des  romances  dans  les 
Annales  de  Vienne»  t.  CXJV;  Sur  un  recueil  de  romances ,  en  feuilUs  po- 
laniu  conservées  à  la  bibliothèque  de  Prague^  Vienne,  18«H);  Sur  Us  Ro- 
manceros espagnols,  notice  ^out^  à  la  traduction  allemando  do  VHisMre 
littérain  de  l'Espagne,  par  Ticltnor,  Leipiig«  1893,  t  II,  p.  939. 


8A6  BULLETIN   DU  BIBLIOPHILE. 

mances),  Berlin,  A.  Asher,  1856  (1);  ce  titre  ne  fait  d'aOleurs 
que  reproduire  celui  que  Pedro  Arias  Ferez  avoit  mis  en  tête 
de  son  recueil  publié  en  1621  ou  1622. 

Les  éditeurs  allemands  se  sont  proposés  d'offrir  pour  la  jire- 
7nièrc  fois  les  textes  authentiques  des  anciens  romances  en 
y  joignant  les  variantes  les  plus  importantes;  ils  ont  été  les 
premiers  qui  aient  eu  à  leur  disposition  les  sources  les  plus 
pures,  les  éditions  les  plus  antiques  du  Cancionero  deromanccM 
(sans  date),  et  de  la  Siha  de  varios  romances  (édition  de  1550 
en  deux  volumes),  ouvrages  devenus  d'une  telle  rareté,  qu*on 
ne  connoît  du  premier  que  deux  exemplaires  (  à  la  bibliothè- 
que de  l'Arsenal  k  Paris,  et  à  celle  de  Wolfenbûttel),  et  du  se- 
cond que  deux  exemplaires  également  (au  Musée  britannique 
et  à  la  bibliothèque  de  Munich);  il  n'existe,  à  ce  qu'il  parott,  en 
Espagne  mème^  aucun  exemplaire  de  ces  volumes  du  plus  grand 
prix. 

Les  deux  volumes  que  nous  signalons  aux  amateurs  débutent 
par  une  introduction  judicieuse  et  savante  ;  elle  traite  de  l'ori- 
gine^ de  la  forme  et  du  caractère  des  romances  et  de  leur  clas- 
sification respective  ;  elle  s'occupe  ensuite  des  différents  genres 
des  romances  selon  le  sujet  qu'ils  traitent;  ces  genres  sont  le 
genre  historique  et  traditionnel,  fabuleux,  chevaleresque,  hé- 
roïque,, moresque,  pastoral  et  picaresque. 

Nous  trouvons  ensuite  ce  qui  se  rattache  le  plus  spéciale- 
ment à  l'objet  que  nous  avons  en  vue,  c'est-à-dire  des  détails 
sur  les  romanceros  ou  collection  de  romances.  Ces  petites  piè- 
ces parurent  d'abord  imprimées  séparément;  elles  forment  des 
in-quarto  de  /»  ou  de  8  pages,  et  il  est  facile  de  deviner  à  quel 
point  elles  sont  devenues  rares  ;  M.  Duran  a  donné  dans  son  Rth 
mancero  général  (Madrid,  18/i9-1851),  t.  I,  p.  18  et  suiv., 
un  Catalogo  de  pliegos  sueltos  impresos  en  el  siglo  xvi*; 
M.  Wolf  a  consulté  avec  grand  profit  et  décrit  minutieusement 


(1)  Primavera  y  flor  do  romances,  ô  collection  de  los  mas  yicJob  y 
populares  romances  castellauo»,  publicada  con  una  introducdon  y  notai  por 
Don  Fernando  José  Wolf  y  Don  Conrado  Hofman,  Berlin,  Ather  y  rfmp. 
1856;  2  vol.  pet.  in-8«.  (Voir  le  catalogue  à  la  fin  de  cette  livraison,)     ' 


BULLETIN  DU  BIBUOPIIILB.  8&7 

iiD  recueil  considérable  el  très-précieux  de  ces  pièces  fugitives, 
qui  existe  à  la  bibliothèque  de  Prague  ;  on  a  payé  cher  dans 
diverses  ventes  des  recueils  de  ce  genre.  (Voir  le  Manuel  du 
libraire^  t.  IV,  p.  118,  lequel  indique  aussi  quelques  romances 
séparés  (1).  ) 

Le  premier  volume  qui  ait  offert  les  romances  réunis  en  re- 
cueil est  le  Cancionero  publié  à  Anvers  par  Martin  Nucio,  sans 
date,  réimprimé  en  1550  (2).  On  pensoit  en  général  que  ce 
recueil  n*éloit  venu  qu*après  le  tome  1«'  de  la  Silva  de  varios 
romances  (Zaragoza,  1550),  et  après  le  Cancionero  de  roman- 
ces^ sans  date;  mais  M.  Wolf  montre  que  ces  deux  collections 
n'ont  fait  que  reproduire  l'édition  d'Anvers  en  faisant  toutefois, 
mais  chacune  de  leur  côté,  et  indépendamment  Tune  de  l'autre, 
des  suppressions  ou  des  additions  notables,  ainsi  que  des  chan- 
gements dans  Tordre  où  sont  disposées  les  pièces. 

Les  éditions  postérieures  du  Cancionero  de  romances  ne  sont 
que  des  réimpressions  presque  littérales  de  celle  de  1550,  avec 
de  légères  variations  et  corrections,  sans  tenir  compte  des 
changements  introduits  dans  la  Silva. 

M.  Wolf  ne  connoit  que  quatre  réimpressions  de  la  Silva; 

(1)  Joignons>y  le  Romance  (TAmadis  y  Oriana,  adjugé  k  81  fr.,  vente 
Nodier  en  18^^,  n"  600.  Le  célèbre  académicien  s^écrioit  :  «  Une  collection 
complète  et  princeps  de  ces  chants  des  Romanceros  vaudroit  la  rançon  d'un 
roi,  et  Je  connois  un  homme  qui  ne  l'échangeroit  pas  contre  la  grandeue.» 

(2)  Ce  dernier  volume  est  de  300  feuillets.  Le  Manuel  n*en  mentionne 
aucune  adjudication;  nous  l'avons  vu  adjuger  à  138  fr.  en  1847,  à  la  vente 
Libri,  n«  1754.  Quand  nous  disons  que  Martin  Nucio  est  le  premier  qoi  ait 
réuni  de  vieux  romances  qui  jusqu'alors  n'étoient  imprimés  que  séparé- 
ment, nous  savons  fort  bien  qu'on  en  trouve,  dès  la  fin  du  xv*  siècle,  dans 
les  Cancioneros  de  Juan  Fernandez  de  Constantina  et  de  Homando  del 
Castillo,  mais  ils  sont  en  très-petit  nombre  et  uniquement  destinés  à  servir 
de  thème  à  des  compositions  de  poètes  plus  modernes.  Nous  ne  voulons  paa 
nous  occuper  ici  des  deux  Cancioneros  que  nous  venons  de  nommer  et  dont 
l'importance,  non  moins  que  TeUréme  rareté,  mériteroit  toutefois  quelques 
détails. 

Nous  dirons  seulement  qu'un  exemplaire  du  premier  est  à  la  bibUothèque 
de  Munich  et  qu'on  exemplaire  du  second,  édition  de  1527,  s'est  réœimiient 
payé  1,300  fr.,  vente  Dcbure  et  1,220  fr.  vente  Bearzi.  U  n'avoit  été  adUafé 
qu'à  2  Cr.  55  c,  en  1760,  ainsi  que  i'obienre  le  ManueL 


8&8  BUtLETIIf  DU  BIBLIOFHILB. 

tûuleR  quatre  ont  paru  à  Barcelonne,  la  première  chei  Pedro 
Borin,  1550  (édition  complélement  ignorée  jusqu'ici  et  dont  if 
fut  récemment  trouvé  un  exemplaire  en  Allemagne);  la  seconde, 
chez  Jayme  Gortey,  1557;  la  troisième,  chez  Jayme  Sendrtt, 
1582;  la  quatrième^  chez  Juan  de  Larumbe,  1617.  L'édition  de 
1557  est  une  reproduction  servilc  de  celle  de  1550,  dont  elle 
reproduit  jusqu'aux  fautes  typographiques,  et  jusqu'aux  erreurs 
de  pagination  ;  l'édition  donnée  par  Borin  reproduit  le  pre- 
mier volume  du  recueil  imprimé  à  Saragosse  la  même  année, 
avec  un  petit  nombre  de  variantes  insignifiantes  dans  le  texte, 
mais  en  plaçant  les  pièces  dans  un  autre  ordre  et  en  faisant 
quelques  suppressions  et  additions. 

L'édition  de  1582  offre  des  pièces  choisies  dans  les  éditions 
antérieures,  en  y  joignant  d'autres  productions  modernes  et 
contemporaines  :  on  lit  sur  le  titre  qu'il  a  été  fait  un  choix  des 
meilleurs  rotnances  des  trois  livres  de  la  SUva,  Jusqu'ici  on 
ne  connolt  que  deux  livres,  en  donnant  ce  nom  aux  deux  tomes 
de  l'édition  de  Saragosse.  Ce  troisième  livre  a-t-il  été  imprimé 
et  s'est-il  perdu?  ou  bien  n'a-t-il  existé  que  comme  manus- 
crit! Des  recherches  nouvelles  mettront  peut-être  les  émdits 
en  mesure  de  résoudre  ce  problème. 

La  première  et  la  seconde  édition  du  Cancionero  et  la  pre- 
mière de  la  Silva  forment  les  sources  les  plus  anciennes 
et  les  plus  pures  des  anciens  rottuinccs  traditionnels  et  po- 
pulaires. MM.  Wolf  et  HoiTmann  ont  pris  pour  base  de  leur 
texte  l'édition  sans  date  du  Cancionero^  en  la  révisant  diaprés 
les  leçons  nouvelles  qu'offre  la  seconde  édition  de  ce  recueil, 
et  que  donnent  parfois  les  impressions  suivantes  et  la  Silvtu 

Ils  ont  fait  aussi  quelques  emprunts  à  des  recueils  venus  phs 
lard  et  de  moindre  autorité,  tels  que  les  Romances  campmuas 
por  L.  de  Sepulvcda,  le  Cancionero  compilado  por  Juan  de 
Linarez,  les  Rosas  de  Timoneda  (que  M.  Wolf  a  réimprimées  en 
partie,  Leipzig,  182(6),  les  Nueve  romances  de  Juan  de  Ribera, 
sans  lieu»  1605,  in-/i«.  (Ce  dernier  volume,  très-rare,  n*e8t  pas 
indiqué  au  Mamêel  du  lihrairey  H.  Wolf  renvoie  à  la  Flarep- 


BCLUTUf  DU  BIBUOFHIU*  840 

m  de  rimas  antiguas  castillanas  de  Bohl  de  Faber,  et  il  ajoute  : 
«  Tous  ces  ratnances  ne  sont  point  des  compositions  dues  à  Ri- 
bera,  mais  il  y  en  a  qui  sont  anciens  et  d'ori^ne  traditionnelle; 
un  fragment  de  celui  qui  commence  ainsi  :  Pareàbase  el  buen 
cûHdeg  se  retrouve  dons  la  seconde  partie  du  Cancionero  yfii#<* 
r«li  Saragosse,  1553. 

Hs  ont  aussi  consulté  le  CoHcionero  de  ramûncet  sacadot  de 
Uu  crônicas  antiguas  de  EspaiUi  con  otros  heckos  par  Sejmlve* 
de^  Y  algunoi  sacados  de  las  cuarenta  cantos  que  campuo 
AUnuo  de  Fuentes.  Médina  del  Gampo,  1570,  in-16.  M.  Wolf| 
débrouillant  des  questions  fort  peu  connues ,  a  montré  que  la 
Goilaction  intitulée  Reeopilacion  de  ratnances  par  Lorenxo  de 
Stpulveda,  Alcala,  1563,  est  une  édition  antérieure  de  ce 
méoie  Cancianero  dont  il  existe  une  réimpression  sous  le  titre 
de  Cancionero,  Alcala  de  Henarex»  1571;  ce  savant  regarde 
comme  fort  vraisembable  Topinion  de  Duran  qu'il  faut  regar-* 
der  comme  des  éditions  de  ce  même  Cancianero  celles  que 
die  Nicolas  Antonio  (dans  saJBi6/io(ecaAii/Mina), sous  le  titre  de 
Sûmances  sacados  de  la  historia  de  Espana  del  rey  don  Alansa^ 
Médina  del  GampOi  1562,  et  Ratnances  sacados  de  la  historia^ 
de  las  cuarenla  cantos  de  Àlonsa  de  Fuentes,  Burgos,  1570. 

M.  Wolf  est  aussi  d'avis  qu'on  doit  considérer  comme  des 
éditions  de  ce  même  Cancianero  celle  que  mentionne  le  Sema- 
nario  pintaresco,  1853,  p.  140,  comme  existante  dans  la  biblio- 
tbèque  de  l'université  de  Santiago  avec  la  date  de  1520  (date 
inexacte  et  qu'il  faudroit  rectifier),  et  celle  qui  est  mentionnée 
avec  la  date  de  1584*  Séville,  dans  une  copie  manuscrite  du 
catalogue  de  la  bibliothèque  de  l'Escurial,  copie  que  possède  la 
bibliothèque  impériale  de  Vienne  (manuscrits,  n*  9478).  Les 
rotnarœes  compris  dans  ce  Cancionera  de  Médina»  et  tirés 
du  Cancionero  de  romances  et  de  la  Silva  sont  réimprimés  exao^ 
tement  selon  les  textes  les  plus  anciens ,  c'est-à-dire  diaprés 
ceux  que  donne  l'édition  d'Anvers,  sans  date,  et  laiSi7va  de 
1550.  Il  renferme  de  plus  deux  ou  trois  anciens  rotnantes  tni* 
ditionnels  qui  lui  sont  particuliers. 


850  BULLETIN  DU   BIBLIOPHILE. 

La  Floresta  de  varias  romances  corregidos,  par  DamilDO 
Lopez  de  Tortajada,  a  été  également  consultée  avec  profit  par 
les  savants  éditeurs.  Observons  que  ce  recueil  où  les  anciens 
romances  sont  un  peu  rajeunis,  est  indiqué  au  Manuel  du  b- 
braire,  t.  H,  p.  296,  comme  ayant  paru  en  1713  et  ayant  été 
réimprimé  en  17^6  et  en  176^.  Il  existe  une  édition  bien  pins 
ancienne,  que  M.  Woir  et  M.  Ticknor  signalent  d'après  Pelli- 
cer  (notes  sur  Don  Quicliotte,  édition  de  1797,  t.  I^  p.  105), 
mais  qu'ils  paroissent  n'avoir  vue  ni  Tun  ni  Tautre.  M.  Wolf 
mentionne  aussi  les  éditions  de  ce  recueil  données  au  xviii* 
siècle,  en  1711,  1713,  1716,  1764. 

N'oublions  pas  de  signaler  la  rectification  d'une  erreur  ré- 
pandue parmi  les  personnes  qui  n'ont  pas  fait  une  étude  ap- 
profondie de  l'ancienne  littérature  espagnole  et  qui  regardent 
comme  les  vrais  trésors  de  la  poésie  populaire  des  romances 
les  neuf  parties  de  la  Flor  de  varios  romances  nuevos^  qui  for- 
mèrent plus  tard,  avec  quatre  autres,  le  Romancero  gêne- 
rai (1)^  et  dont  Miguel  de  Madrigal  publia  une  continuation  soos 
le  titre  de  Segunda  parte  del  romancero  général^  Valladolid, 
1605  (2);  toutes  ces  collections  ne  contiennent  que  des  imita- 
tions composées  dans  les  dernières  années  du  xvi*  siècle  on  an 
commencement  du  xvii'' ,  et  aucun  des  romances  vraiment  po- 
pulaires et  anciens  n'y  a  été  recueilli. 

11  n'entroit  point  dans  le  plan  de  M.  Wolf  de  parler  de  ce  qu'il 
appelle  les  Romancerillos  entièrement  formés  de  compositions 
modernes  ;  il  n'a  pu  cependant  laisser  échapper  l'occasion  de  dé- 

(1)  Il  y  a  trois  (klitions  de  ce  recueil  précieux  ;  voir  le  Manuel^  t.  IV, 
p.  117.  L'exemplaire  de  Tédition  de  1G02,  qui  avoit  passé  successivement 
dansleâ  cabinets  de  Stanley  et  d*Heber,  fut  acheté  parsirTh.GreaviUe,et 
il  a  été,  avec  sa  riche  bibliothèque,  légué  au  Musée  britannique  ;  ce  faibUophile 
possédoit  aussi  les  éditions  de  160&  et  de  itil^.  Do  beaux  exemplaira  de 
l 'édition  de  1606  se  sont  adjugeas  à  liOi  fr.,  vente  Nodier,  en  ISAAi  M 
805  fr.,  vente  Debure,  en  1853. 

(2)  Ce  volume,  dont  M.  Wolf  a  analysé  le  contenu,  fl^re  aussi  dans  la 
Bibliotheca  Grenviliana  avec  cette  note  :  «  M.  Grenville  n'a  Jamais  m  de  cet 
ouvrage  qu'un  autre  exemplaire  auquel  manquoient  quatre  feuillets  qui 
ont  été  fournis  par  un  troisième  exemplaire  incomplet,  existant  à  Madrid.* 


BULLETIN   DD  BIBUOPHILE.  861 

crire  un  recueil  factice,  composé  de  pièces  tout  à  fait  inconnues 
jusqu'à  présent  et  que  possède  la  bibliothèque  Ambroisienne  à 
Milan.  Il  contient  de  petits  cahiers  séparés,  le  premier  intitulé: 
Primer  quaderno  de  la  segunda  parte  de  varias  romances  los  mtu 
modemos^  Valencia,  1593,  8  feuillets;  il  est  accompagné  de  six 
autres  quadernos  numérotés  2  à  7;  le  tout  contient  kO  romances. 

Deux  autres  recueil^  du  même  genre,  reliés  avec  le  précé- 
dent, Tun  de  huit,  Faulre  de  quatre  quadernos,  renferment 
aussi  des  romances  et  des  pièces  de  vers  de  divers  genres. 
Ce  volume  contient  encore  quelques  opuscules  espagnols; 
nous  n'en  citerons  qu'un  seul  qui  a  échappé  aux  patientes  re- 
cherches de  M.  G.  Duplessis,  lequel  se  seroit  empressé  de  le 
signaler  dans  sa  Bibliographie  parémiologique  :  Proverbios, 
refranes  y  avisos  por  via  de  consejos  dadas  por  Villanueva,  ca» 
btdlero  de  Morella,  à  dos  mancebos;  Valencia,  1593, 8  feuillets. 

Le  tome  premier  de  l'édition  qui  vient  de  paroitre  à  Berlin,  - 
est  consacré  aux  romances  historiques  ;  il  en  présente  environ 
cent-vingt  (le  dernier  du  recueil  est  numéroté  108,  mais  il  y  a 
plusieurs  numéros  doubles)  ;  le  second  volume  est  consacré  aux  ro- 
mances chevaleresques  et  nouvellesques  (novelescos)\  ils  portent 
les  n<^  109  k  198;  les  douze  derniers  appartiennent  au  cycle 
carlovingien.  On  remarque  le  romance  de  Virgile  où  se  retrou- 
vent les  traditions  singulières  répandues  au  moyen  âge  sur  le 
chantre^d'Énée,  et  diverses  pièces  relatives  aux  rois  de  France. 
Nous  avons  distingué  le  romance  du  comte  d'Irlos ,  celui  du 
marquis  de  Mantoue,  ceux  de  Gaiferos  et  de  Montesinos.  Cer- 
vantes les  a  cités  en  écrivant  l'histoire  de  Don  Quichotte,  et  il 
a  rendu  ces  noms  immortels. 

L'impression  de  la  Primavera  y  flor  de  romances  est  d'une 
netteté,  d'une  correction  qui  font  vraiment  honneur  aux  presses 
de  Berlin;  le  titre  est  en  partie  imprimé  en  rouge,  petit  détail 
qui  fera  plaisir  aux  bibliophiles,  et  ce  recueil^  aussi  remarqua- 
ble pour  le  contenu  que  pour  la  manière  dont  il  est  édité,  est 
certain  d'avoir^  dans  toute  collection  bien  choisie,  une  place 
des  plus  honorables.  G.  B. 

59 


862  BULLETIN  DU  BIBUOPHILB. 


REVUE  DES  VENTES 


A  M.  l'Éditeur  du  Bulletin  du  Bibliophile. 


Monsieur  Téditeur, 

£n  ma  qualité  de  Bibliothécaire  d'une  ville  de  province,  je  lii 
toujours  avec  beaucoup  d'intérêt  les  revues  de  ventes  que  vou 
insérez  habituellement  dans  le  Bulletin.  Ces  revues  nous  tien- 
nent au  courant  du  prix  des  livres  rares,  et  c'est  une  connoissanœ 
qu'il  nous  est  utile  d'acquérir.  Je  me  suis  a|)erçu,  cependant,  que 
vous  avez  oublié  de  rendre  compte  de  la  vente  qui  a  eu  lieu  à 
Paris,  le  29décembre  1 855,  sous  la  direction  de  M.  Edwin  Trois, 
et  à  l'aide  du  catalogue  rédigé,  dit-on,  par  le  possesseur  de  cette 
bibliothèque,  M.  A.  Veinant.  Voulez-vous  me  permettre,  Mon- 
sieur, d'avoir  le  plaisir  de  combler  cetie  lacune,  et  de  vous 
transmettre,  d'après  des  renseignements  que  je  crois  exacts» 
les  prix  d'adjudication  de  quelques-uns  des  livres  curieux  qui 
ont  passé  dans  cette  vente  ?  Si  vous  trouvez  que  j'empiète  sur 
vos  attributions,  jetez  au  panier  ma  lettre  et  la  note  qui  1* 

compagne. 

Un  de  vos  abonnés. 


Vente  A.  Veinant, 

32  —  Heures  latines  manuscrites 400 

33  —  Heures  manuscrites,  avec  miniatures 800 

3/i  —  Heures  imprimées  par  Simon  Vostre,li!i97..  A55 

42  —  Confessions  de  saint- Augustin,  1702 130 

309  —  Les  simulachrcs  de  la  mort,  de  Holbcin. .  350 


BULLETIN  OU  BlBUOPHiLB.  868 

331  —  Phébus,  des  Déduits  de  lâchasse,  in-fol(l).  595  » 

339  —  Vénerie  de  J.  du  Fouilloux  ,1561 250  » 

Ii50  —  Recueil   d'anciennes  poésies  françoises  ; 

manuscrit  avec  miniatures 275  » 

455  —  Le  Séjour  d'honneur  ;  Ant.  Verard,  1519.  395  » 

459  —  Heures  de  Notre-Dame,  de  P.  Gringoire. .  240  » 

460  —  Les  notables  enseignements,  de  P.  Grin- 

goire 240  » 

466  -^  Œuvres  de  Cl.  Marot,  1538 248  » 

468  —  Les  mêmes  ;  Dolet,  1543 300  » 

471  —  Débat  et  procès  de  nature 405  » 

613  —  Chansons  de  Christofle  de  Bordeaux 315  » 

614  —  Chansons  historiques  de  1590 250  » 


Nous  remercions  notre  abonné  de  son  envoi;  sa  note  est  fort 
exacte.  Nous  n'avions  rien  oublié  ;  mais  l'abondance  des  ma- 
tières nous  avoit  forcé  à  ajourner  la  Revue  des  ventes.  Dans  la 
crainte  d'encourir  de  nouveaux  reproches,  nous  nous  empres- 
sons de  communiquer  à  nos  lecteurs  le  prix  de  certains  articles 
de  la  vente  Hebbelinck  de  Lille,  qui  a  eu  lieu  à  Paris  le 
17  mars  dernier  et  jours  suivants. 

2  —  Biblia  hebraica,  R.  Estienne,  1544-^6*  •       130    n 

13  —  Les  cantiques  de  Salomon 528    b 

Ces  deux  articles  ont  été  achetés  par 
M.  le  baron  de  Rothschild. 

35  —  La  Bible  de  Royaumont 250 

60  —  Heures  à  l'usage  de  Paris,  1525 310    » 

Adjugé  pour  M.  Yémeniz» 

74  ~  Preparatio  ad  missam  (manuscrit  avec  mi- 

niatures)         400    » 

75  —  Preces  piœ  (manuscrit  avec  miniatures) . .      505    » 

(1)  Cet  exemplaire  est  bien  inférieur,  son»  le  rapport  des  marges  et  de 
la  conservation,  à  celui  de  M.  Alfred  Gheoeat,  vendu  en  iS5d,  et  acheté 
par  M.  le  comte  de  Montesaon.    [Sote  de  Véditewr,) 


85&  BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE. 

76  —  Livre  de  prières  en  latin  (manuscrit  et  mi- 

niature)         685   » 

77  —  Prières  pour  tous  les  jours  de  la  semaine 

(manuscrit) 350    » 

78  —  Livre  de  prières  (manuscrit  de  Jarry) 905   » 

81  —  Heures  en  flamand  (manuscrit  avec  miniat.)      260   » 

137  —  Oraison  funèbre  d'Anne  de  Gonzague,  par 

Bossuet  (avec  envoi  de  Taulcur) 151    • 

Acheté  pour  le  duc  d*Aumale. 
954  —  Galullus,  Tibulius,  Propertius;  A/dti5, 1515 

(exempl.  de  Grolier) 2,500    » 

Adjugé  à  M.  Tillard. 

1818  —  Œuvres  de  Balzac,  Elzevier 300    • 

1875  —  Collection  des  meilleurs  ouvrages  de  la 

langue  françoise.  Didot,  1815 3ft5    ■ 

2118  —  Précis  hisloriquede  la  Révolution  françoise, 

par  Rabaut  (avec  les  dessins  originaux 

de  Moreau) 2&0    » 

2181  —  De  Morinis  et  Morinorum  rébus 190    » 

2185  —  Le  siège  de  Metz  en  1552  (exemplaire  sur 

vélin) 1,000    » 

Acheté  pour  le  duc  d*Aumale. 
2214  —  Coutumes  de  la  ville  d'Ypre  (exemplaire 

sur  peau  vélin) 165    « 

2307  —  Histoire  des  illustres  favoris 265    » 

Une  collection  de  lettres  autographes  et  d'autres  manuscrits 
provenant  du  cabinet  de  feu  H.  Belward  Ray,  Esq.,  a  été  ven- 
due îi  Londres  le  23  juillet  dernier.  Voici  quelques  articles  dont 
nous  indiquerons  les  prix  d'adjudication. 

271  —  Lettre  aut.  de  Marie  Leczinska,  reine  de 

France 16  25 

293  —  Lettre  aut.  d'Eléonor  d'Oriéans^  duc  de 

Longueville,  1572 20    • 


BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE.  866 

618  —  AuL  Le  cardinal  de  La  Valette  (3  lettres); 

1634-39 37  50 

688  —  Aut.  Bernard  Arétin  (2  lettres);  1460. ...  62  50 

698—    —    Pierre  Martyr;  1562 60    » 

701  —    —    Théod.  de  Bèze;  1586 52  50 

704—    —    J.  Calvin;  1560 400    » 

707—  —    Mart.  Luther;  1537 236  25 

708—  —    Ph.  Mélanchton  ;  1536 143  76 

785  —    —     Louis  Carrache  ;  1617 65  75 

791—    —    Nie.  Poussin;  1642 87  50 

792  —    —    Paul  Rembrandt 400     » 

793  —    —    P.-P.  Rubens  ;  1627 212  50 

798  —    —    J.  Chapelain,  Tauteur  de  la  Pucelle.  23.75 

799  —    —    Pierre  Corneille,  relative  au  Cid. . .  512  50 

810—    —    Le  Sage;  1715 137  50 

811  —    —    Malherbe;  1612 97  50 

814—    —    J.  Racine;  1695 93  75 

816  —  Le  Tasse  (copie) 26  25 

838  —  Lettre  aut.  de  René  Descartes  ;  1647 100  » 

1008  —  Confession  et  protestation  de  foi  catholique, 
faites  par  l'évêque,  le  clergé  et  les  habi- 
tants de  Verdun,  en  1561,  avec  plusieurs 
centaines  de  signatures  autographes. . .        57  50 

1061  —  Isographie  des  hommes  célèbres 100    n 

Vente  Falkenstein. 
Le  7  avril  dernier,  on  vendoit  aussi  à  Leipzig  une  riche  col- 
lection de  lettres  autographes  ayant  appartenu  à  feu  M.  Gonst.- 
Charles  Falkenstein,  directeur  de  la  Bibliothèque  Royale  de 
Dresde.  Le  catalogue,  rédigé  par  les  soins  de  M.  T.-O.  Wei- 
gel,  se  compose  de  deux  parties,  comprenant  ensemble  9177 
articles.  Le  cadre  trop  resserré  du  Bulletin  ne  nous  permet 
pas  de  rendre  un  compte  détaillé  de  la  vente  d*une  nom- 
breuse collection.  Nous  citerons  seulement  une  lettre  auto- 
graphe de  Torquato  Tasso,  achetée  75  florins,  et  une  lettre 
autographe  signée  d'Albert  Durer,  adjugée  à  lOO  florins 
15  kreutzers.  J.-T. 


869  BULLETIN  DU  BIBUOPflILE. 


ANALECTA-BIBLION. 

I. 

(livres  anciens). 


Ql'Adrlvium  egclesie:  Quatuor  prelatorum  officium 
quibus  omnis  status  tum  secularis  tum  vero  eccle- 
siasticus  subjicitur  (auth.  Joh.  Hugonis  de  Sletstat, 
vîcario  S*'  Stephani  Argentin).  (In  fine)  ;  Exaraium 
est  opus  hoc  saluhre  inclitiss.  helueciorum  urbe 
ArgentinaperJoannem  Grimingef  calcographie  ar^ 
lificem  ipso  de  inucntionis prothomariiris  Stephani 
annosalutis  1504;  petit  in-fol.,  gravures  sur  bois, 
cart.  {Voir  au  catalogue  des  livres.) 

Très-bel  exemplaire  d'un  livre  port  rare.  Jean  Hugonis  de 
Sletstat,  vicaire  de  l'église  de  Saint-Étienne,  à  Strasbourg,  avoii 
achevé  le  Quadnivium  ccclesie,  dès  Tannée  i&98;  mais  les 
précautions  dont  il  entoura  la  publication  de  cet  ouvrage  pa* 
roissent  en  avoir  retardé  Timpression.  En  efîet,  nous  ne  con- 
naissons point  d'éditions  antérieures  à  celle-ci;  et  la  date  de 
l'achèvement  de  l'impression,  fixée  au  jour  de  l'invention 
de  saint  Etienne ,  premier  martyr,  n'est  pas,  à  notre  avis^  nn 
jeu  du  hasard,  mais  un  hommage  rendu  dans  une  première 
édition  au  saint  patron  de  l'église  administrée  par  l'auteur  du 
Quadruvium. 

L'empereur  Maximilien  avoit  décrété  un  impôt  général  de 
capitation,  fixé  à  un  écu  d'or  pour  les  hommes  et  à  un  deroi-écu 
pour  les  femmes,  afin  de  subvenir  aux  frais  de  sa  malhenreuae 
expédition  de  1/|98,  contre  le  duché  de  Bourgogne.  Cette  taxe 


BmXBTIll  DU  BTBUOraiLE.  857 

provoqua  de  nombreuses  séditions  dans  les  diverses  provinces 
de  l'empire.  Jean  Hugonis  voulut  prouver  la  légalité  de  cet 
impôt,  et  pour  atteindre  ce  but,  il  écrivit  ce  livre  :  Du  devoir 
des  quatre  Prélats  auxquels  toutes  les  âmes  sont  soumises.  Ces 
quatre  prélats  sont  le  Pape,  TÉvéque,  le  Curé  et  TEropereur. 
Celui-ci  est  placé  le  dernier,  parce  que,  dit  Fauteur,  la  dignité 
de  FEmpereur  est  inférieure  à  celle  du  prêtre  :  Dignitas  saeer^ 
dotalis  est  tanta,  ut  nulla  alia  ei  valent  equiparari,  Sieut  enim 
luna  recipit  claritatem  a  sole,  non  sol  a  luna,  sic  regalis  poteS" 
tas  recipit  auctoritatem  a  sacerdotali  non  e  contra.  L'autorité 
do  Pape  est  donc  au-dessus  de  tout  «Le Pape,  dit-il,  gouverne 
le  monde  entier,  au  temporel  et  au  spirituel.  Le  pouvoir  tem- 
porel du  pape  a  pour  origine  la  donation  de  TEmpire  faite  par 
Constantin  à  saint  Sylvestre,  n  Après  avoir  discuté  l'authenticité 
et  la  validité  de  cet  acte,  l'auteur  conclut  naturellement  en  fa- 
veur du  Pape.  Dès  que  cette  omnipotence  est  érigée  en  principe, 
les  conséquences  qui  en  résultent  sont  faciles  à  prévoir.  «  Hors 
d«  l'Église,  il  n'y  a  point  d'Empire  ;  FErapereur  doit  donc  re- 
cevoir Finvestilure  du  Pape.  L'Empereur  est  alors  le  maître 
temporel  du  Monde  ;  tous  les  rois  lui  sont  soumis.  Mais  il  est 
le  feudataire  de  F  Église  :  il  ne  peut  toucher  aux  biens  ecclé- 
siastique, ni  les  frapper  d'impôts,  n 

Notre  vicaire  de  Strasbourg,  craignant  que  l'on  ne  découvrit 
dans  son  œuvre  quelques  propositions  mal  sonnantes,  et  vou- 
lant se  délivrer  de  toute  inquiétude  à  cet  égard,  adressa  le  ma- 
nuscrit du  Quadruvium  ecclesie,  au  cardinal  Raymond  Gurck, 
légat  a  latere  en  Allemagne,  et  à  Berchtold  de  Hennenberg, 
archevêque  de  Mayence,  avec  prière  d'y  faire  telles  corrections 
qu'ils  jugeroient  convenables.  De  plus,  il  l'envoya  à  l'empereur 
Maximilien.  Enfin,  le  30  mars  1698,  par  acte  passé  par-devant 
Ulrich  Stromar,  notaire  public,  et  en  présence  de  deux  témoins, 
il  protesta  de  n'avoir  voulu  rien  écrire  contre  la  foi  catholique, 
FÉglise  romaine,  etc.;  en  conséquence,  si  son  livre  contient 
quelques  passages  qui  soient  contraires  k  ses  intentions,  il  les 


858  BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE. 

dt^savoue  el  les  aniiulc.  Cette  protestation  est  imprimée  à  ia  fin 
du  volume.  Elle  est  précédée  d'une  épître  adressée  à  TEmpe- 
reur,  pour  l'exhorter  k  défendre  avec  le  glaive  TÉglise  dé- 
chirée par  ses  ennemis,  et  à  choisir  pour  conseillers  les  ar- 
chevêques, les  évéques,  et  d'autres  personnes  ecclésiastiques, 
dont  les  avis  lui  seront  plus  utiles  que  ceux  de  ses  conseillers 
ordinaires. 

Cet  ouvrage  est  divisé  en  cinq  titres  principaux  :  de  Papa; 
de  Episcopo;  de  Curato  ;  de  Impcratore;  de  Laycis,  Il  ren- 
ferme des  détails  fort  curieux  sur  les  droits  et  les  devoirs  de 
ces  divers  personnages.  On  y  remarque,  en  outre,  une  nomen- 
clature annotée  des  impôts  régaliens  ;  une  longue  dissertadoo 
sur  l'origine  de  l'esclavage  ;  comment  on  peut  perdre  ou  recou- 
vrer la  liberté  ;  quels  sont  les  diflérents  degrés  de  liberté;  quels 
sont  les  devoirs  des  laïques  envers  les  prêtres  et  les  seigneurs  ; 
quelles  sont  les  personnes  exemptes  de  l'impôt  personnel.  An 
milieu  de  cette  liste  où  figurent  comme  exempts  les  grammai- 
riens, les  orateurs,  les  médecins,  les  professeurs,  les  peintres, 
les  sculpteurs,  les  architectes,  etc.,  etc.,  on  lit  la  note  suivante  : 
Les  poètes  sont  exceptés  ;  ih  nont  droit  à  aucune  exemption 
d'impôts,  Platon  avoit  chassé  les  poètes  de  sa  république; 
l'Empereur,  mieux  avisé,  les  conserve,  mais  leur  fait  payer  la 
taille. 

Ce  volume  est  orné  de  15  belles  gravures  sur  bois  à  mi-page. 
La  1",  fol.  5,  répétée  sur  le  litre,  représente  les  quatre  prélats 
soutenant  l'Arche  sainte;  dans  la  2',  fol.  7,  sont  gravées  les  ar- 
moiries de  l'Empire  ;  la  3%  fol.  8,  est  un  tableau  de  la  domi- 
nation universelle  du  Pape  ;  autour  du  souverain  pontife  armé 
du  glaive  et  des  clefs  de  saint  Pierre,  se  tiennent  à  genoux  les 
dignitaires  de  l'Église,  l'Empereur  et  ses  chevaliers;  la  &«, 
fol.  10,  explique  l'origine  de  la  division  des  hommes  en  trois 
classes  :  les  clercs,  les  nobles,  et  les  esclaves  ;  Noé,  assis  sous 
un  dais  et  armé  du  glaive  et  du  sceptre,  révèle  à  ses  trois  fils 
les  destins  de  leur  postérité  :  les  nobles  sortiront  de  Japhet, 
les  clercs  de  Sem,  et  les  esclaves  de  Gham,  l'enfant  maudit; 


BULLETIN  OU  BIBUOPHILE«  869 

la  5*,  fol.  11,  représente  le  Pape,  entouré  de  ses  cardinaux; 
la  6*,  fol.  U,  l'Évéque  et  ses  archidiacres;  la  7%  fol.  21,  le 
Curé  et  ses  chapelains  ;  la  8%  fol.  27,  l'Empereur  et  les  sept 
électeurs  ;  les  quatre  gravures  suivantes,  fol.  37^  38  et  39,  sont 
fort  singulières.  C'est  Taigle  armoriale  au  vol  éployé,  mais  à 
une  seule  tête  monstrueuse,  qui,  dans  la  1^*  figure,  semble  vou- 
loir dévorer  le  soleil  ;  on  lit  sur  une  banderole  :  Inter  aves 
dominor  ut  rex,  sed  soli  rcformor.  Dans  la  2*,  Taigle  perchée 
sur  un  roc,  est  entourée  de  cette  légende  :  Sicut  ego  volucres, 
sic  regni  pasco  fidèles.  Triste  perspective  pour  les  féaux  de 
FEmpire,  d'être  traités  comme  les  oiseaux  le  sont  par  Faigle. 
Au  surplus,  les  féaux  sont  représentés  par  un  amas  de  têtes  de 
bœuf  ceintes  du  joug.  L'auteur  a  fait,  sans  y  penser,  une  vio- 
lente satire  du  pouvoir  absolu  au  xv  siècle.  Dans  la  3*  gra- 
vure, l'aigle  s'apprête  à  vider  une  coupe  pleine  de  vin  :  Audax 
ut  sit  homo,  vinum  regale  propino.  Dans  la  4%  l'aigle  est  en- 
tourée de  celte  singulière  légende  :  Ne  proceres  sint  exiles,  sale 
condeo  plurcs.  Ces  deux  figures  font  allusion  aux  impôts  établis 
sur  le  vin  et  sur  le  sel  ;  mais  la  dernière  légende  a  pour  nous 
un  sens  énigmatique  ;  nous  laissons  aux  amateurs  le  soin  de 
l'expliquer.  La  13'  gravure,  fol.  44,  est  consacrée  aux  attri- 
buts de  l'Empire  :  le  sceptre,  le  globe  et  le  glaive;  la  14*,  fol. 
52,  se  compose  de  deux  parties.  Le  compartiment  supérieur 
est  la  reproduction  de  la  figure  8  ;  le  compartiment  inférieur 
représente  les  clercs  et  les  laïcs  de  tout  rang  et  de  toute  con- 
dition, se  pressant  autour  de  la  chaire,  où  on  lisoit  la  loi;  enfin 
la  15*,  fol.  53,  nous  offre  la  scène  de  l'enivrement  de  Noé  et  de 

l'irrévérence  de  Cham. 

'  Ap.  B. 

Quadruuium  ecclesie  :  quatuor  prelatorum  officiura 
quibus  onnnis  anima  subiicitur  (auth.  Joh.  Hugonis  de 
SIetstat,  vicario  santiStephani  Argentin.) — (In  fine)  :  Se 
présent  liure  a  este  acheue  de  imprimer  le  premier 
iour  d*aomt  l'an  mil.  V.  C.  et  neuf  pour  Guillaume 


860  BOLUBTIN  m  BIBUOraiLB. 

ExiMace,  marchant  de  Hures,  demourant  a  Paris  en 
la  rue  de  la  luine  a  renseigne  des  deux  Sagiteresouau 
pâlies  au  troisième  piller  du  cote  de  la  chapelle  ou  on 
chante  la  messe  de  messieurs  les  présidents;  1  vol. 
in-4,  gr.  sur  bois. 

Trks-rare.  —  Celle  édition  doit  êlre  la  seconde;  et  nous  ne 
pensons  pas  que  le  Quadruvium  ecclesie  ail  été  imprimé  posté- 
rieurement en  Allemagne,  et  surtout  eu  France.  Les  doctrines 
de  J.  Hugonis  sur  la  toute-puissance  du  Pape,  et  sur  le  pouvoir 
excessif  de  T  Empereur,  ne  pouvaienl  être  favorablement  ai> 
cueillies  en  Allemagne,  où  la  réforme  religieuse  éloit  près  d*é- 
dater,  et  en  France,  où  les  Rois  étoienl  peu  disposés  à  recon« 
noitre  la  suzeraineté  de  l'Empereur.  Guill.  Ëustace  n'a  pas  fait 
preuve  de  bon  goût  en  faisant  réimprimer  à  Paris  un  ouvrage 
aussi  incompatible  avec  les  droits  du  Roi  et  avec  les  traditions 
de  rÉglise  gallicane.  G'étoit,  sans  doute,  une  spéculation  dn 
libraire  qui  comptoil  sur  la  singularité  du  titre  et  sur  les  figures 
pour  attirer  les  acheteurs.  Ge])endant,  il  eut  soin  de  ne  repro- 
duire que  cinq  gravures  de  Tédition  de  (iri'minger,  et  il  rejeta 
toutes  celles  qui  représentoient  T  Empereur,  ou  qui  faisoient 
allusion  h.  T  Empire.  Les  fig.  conservées  par  G.  Eustace  sont 
les  l'*,  5%  ()%  ?•  et  15*^  de  l'édition  de  Strasbourg,  c'est-à-dire 
les  quatre  prélats  soutenant  T  Arche  sainte;  le  Pape  et  ses  car- 
dinaux; rÉvéque  et  ses  archidiacres;  le  curé  et  ses  chapelains; 
la  scène  de  Ténivrement  de  Noé.  Toutefois ,  pour  augmenter  le 
nombre  des  figures,  on  répéta  trois  fois  la  l'^  et  la  5*,  et  l'on 
ajouta  sur  le  verso  du  titre  une  gravure  nouvelle  qui  repré- 
sente Fauteur  écrivant  son  livre.         (Voy.  Cart.  précédent.) 

Ap.  & 


BuiXEnn  DU  BiBuoraïu.  861 

ANALECTA-BIBLION. 

n. 

(PUBUCATIONS  nouvelles) 


Discours  de  Torigine  des  Russiens,  par  le  Cardinal 
Baronius  traduict  en  françois  par  Marc  Lescarbot, 
nouvelle  édition  revue  et  corrigée  par  le  prince  Au- 
gustin Galitzin,  1856,  in-16  de  xiv  et  60  pages  (1). 

L*an  1^53,  Gonstantinople  tomboit  entre  les  mains  de  Maho- 
met II,  et  Tempire  d'Orient  cessoil  d'exister.  Plusieurs  nations 
chrétiennes  appartenant  à  TÉglise  orientale  continuèrent  à 
reconnottre  la  suprématie  spirituelle  du  patriarche  de  Gon- 
stantinople; mais  celles  qui  n'étoient  pas  sous  le  joug  ottoman 
ne  tardèrent  pas  k  éprouver  une  vive  répugnance  k  se  trouver 
dans  la  dépendance  d'un  siège  que  la  simonie  avoit  envahi  et 
qui  étoit  tombé  au  dernier  degré  de  l'avilissement. 

Nulle  part  cette  répugnance  n'étoit  plus  vive  qu'en  Russie. 
Mais  il  faut  se  souvenir  que  l'Église  russe  étoit  alors  partagée  : 
les  évéques  dont  les  diocèses  étoient  placés  dans  les  États  du 
tzar  de  Moscovie  relevoient  du  siège  métropolitain  de  Moscou  ; 
tandis  que  les  évéques  dont  les  diocèses  étoient  situés  dans  la 
Russie  occidentale  et  méridionale,  et  qui  avoient  pour  souve- 
rain le  grand  duc  de  Lithuanie,  roi  de  Pologne,  relçvoient, 
dans  l'ordre  spirituel,  du  siège  métropolitain  de  Kief.  La  partie 
moscovite  de  l'Église  russe  constitua  son  indépendance  vis-à-vis 
de  Gonstantinople  en  élevant  le  siège  de  Moscou  à  la  dignité 

(1)  En  rente  h  la  librairie  J.  Techener;  imprimé  à  petit  nombre  et 
avec  le  plus  grand  soin  sur  papier  de  Hollande  avec  fleurons  :  Prix  4  fr. 


862  BULLETIN  DU   BIBLIOPHILE. 

patriarcale.  Le  nouveau  patriarche  entendoit  bien  soumettre  h 
sa  houlette  le  métropolitain  de  Kief,  et  les  évéques  ses  suffira- 
gants.  Mais  SCS  prétentions  rencontrèrent  une  vive  résistance  : 
ni  les  évéques,  ni  le  peuple  et  encore  moins  le  gouvernement 
polonois  ne  vouloicnt  les  admettre.  D'ailleurs  il  eût  été  difficile 
de  montrer  en  vertu  de  quel  droit  l'antique  métropole  de  Kief, 
la  mère  des  Églises  russes,  devoit  reconnoître  l'autorité  de  sa 
jeune  sœur  de  Moscou. 

Dans  un  pareil  état  de  choses,  il  est  probable  que  les  évoques 
de  la  province  ecclésiastique  de  Kief  n'auroient  pas  demandé 
mieux  que  de  continuer  à  relever  du  patriarche  de  Gonslanti- 
nople,  à  condition  que  cette  subordination  n'entraînât  pas  k  sa 
suite  de  graves  abus.  Mais  un  événement  imprévu  vint  changer 
le  cours  de  leurs  idées.  Pour  donner  une  apparence  de  légalité 
à  la  transformation  qu'on  venoit  de  faire  subir  au  siège  de 
Moscou,  Boris  Godounof,  qui  déjà  étoit  tout-puissant  en  Russie, 
sous  le  règne  du  tzar  Théodore,  avoit  fait  venir  à  Moscou  les 
patriarches  d'Anlioche  et  de  Constantinople,  pour  y  tenir  un 
simulacre  de  concile.  Jérémie,  patriarche  déposé  de  Constanti- 
nople, en  quittant  Moscou  pour  s'en  retourner  dans  son  pays» 
s'arrêta  quelque  temps  à  Kief;  il  s'y  livra,  pour  ramasser  de 
l'argent,  à  des  abus  qui  révoltèrent  les  évéques  de  la  Russie 
occidentale.  Fis  résolurent  alors  de  suivre  en  partie  l'exemple 
qui  leur  avoit  été  donné  par  les  évéques  moscovites  ;  ils  voulurent 
établir  leur  indépendance  vis-k-vis  du  clergé  simoniaque  de 
Byzance.  Mais,  au  lieu  de  constituer  un  nouveau  siège  patriarcal 
ils  préférèrent  se  soumettre  à  Taiitorité  de  l'évéque  de  l'ancienDe 
Rome,  successeur  de  saint  Pierre  et  vicaire  de  Jésus-ChrisU 

L'érection  du  patriarchat  de  Moscou  est  de  l'an  1588,  et  la 
première  délibération  des  évéques  de  la  province  de  Kief  est  de 
l'an  1.59.^1;  par  conséquent,  ces  deux  événements  sont  à  peu 
près  contemporains. 

Les  évéques  des  provinces  occidentales  s' étant  assemblés  en 
concile  députèrent  à  Rome  quelques-uns  d'entre  eux  pour 
arrêter  les  bases  de  l'union  qu'ils  vouloienl  rétablir. 


BULLETIN    DU  filBUOPHlLE.  SOS 

Le  célèbre  Baronius,  qui  écrivoit  en  ce  moment  les  annales 
de  l'Église,  inlerrompil  son  travail  pour  conserver  à  la  posté- 
rité les  détails  d'un  événement  qui  réjouit  alors  profondément 
toute  l'Église  catholique.  C'est  à  la  fin  de  1595  que  les  évêques 
russes  députés  à  Rome  par  leurs  collègues  faisoient  profession 
de  la  foi  catholique  entre  les  mains  du  pape  Clément  VIII  ;  et  le 
récit  de  Baronius,  traduit  en  françois  par  Marc  Lescarbol  (1), 
étoit  publié  à  Paris  en  1599.  C'est  cette  traduction,  devenue 
excessivement  rare,  que  nous  réimprimons  aujourd'hui.  La  pre- 
mière édition  est  contemporaine  de  l'événement;  la  seconde, 
qui  paroil  deux  cent  cinquante-sept  ans  plus  tard,  arrive  dans 
des  circonstances  non  moins  mémorables.  L'Église  grecque  unie 
dont  Baronius  nous  a  raconté  la  naissance  a  succombé  il  y  a  dix- 
sept  ans  en  Russie.  Une  autre  branche  de  cette  Église,  qui  con- 
tinue à  subsister  en  Autriche,  est,  en  ce  moment,  l'objet  de  la 
paternelle  sollicitude  du  pape  Pie  IX,  qui  occupe  aujourd'hui 
la  chaire  de  saint  Pierre. 

Espérons  que  l'esprit  de  mansuétude  et  d'équité  qui  anime 
l'empereur  Alexandre  II  le  poussera  à  ne  pas  s'opposer  à  ce  que 
l'Église  grecque  unie  ressuscite  dans  ses  États.  Des  prêtres,  des 
religieux  en  grand  nombre,  vrais  confesseurs  de  la  foi,  sont 
dispersés  sur  toute  la  surface  de  l'empire  de  Russie.  Les  peuples 
habitués  k  se  laisser  guider  par  eux  dans  les  voies  du  salut  ré- 
clament leur  retour  au  milieu  d'eux,  ils  reviendront,  il  leur  sera 
permis  d'avoir  de  nouveau  des  évéques  de  leur  rite  à  leur  tête. 
Et,  qui  sait?  peut-être  ces  années  d'épreuves  ont-elles  été  des 
années  de  préparation.  Peut-être  le  temps  approche  où  l'Église 

(1)  Marc  Lescarbotf  né  à  Vervins,  en  Picardie,  étoit  avocat  aa  parlement 
de  Paris;  mais,  mécootent  d*avoir  perdu  une  cause  qu'il  défendoit  et  qa*U 
croyoit  juste,  il  abandonna  le  barreau  et  se  livra  aux  voyages.  Il  suivit  le 
Mcur  de  Pontrincourt  que  Henri  IV  avoit  nommé  administrateur  à  la  Loui- 
siane. 11  accompagna  ensuite  Pierre  de  Castillc,  ambassadeur  de  Louis  XIII, 
en  Suisse.  11  est  mort  vers  16^0,  âgé  de  60  ans.  Marc  Lescarbot  est  auteur 
de  plusieurs  ouvragi^s,  dont  uae  Hittoire  de  la  Nouvelle  France^  pubUée  en 
1609  et  un  Tableau  (envers)  de  la  Suisse,  qui  donne  une  idée  asaei  avan- 
tageuse de  son  talent  descriptif. 


86A  BULLETIN  DV  BIBLIOPHILE. 

russe  tout  entière,  abjurant  de  vains  préjugés,  suivra  l'exemple 
qui  lui  fut  autrefois  donné  par  l'antique  Église  de  Kief«  et,  toot 
en  conservant  ses  rites,  sa  discipline,  son  clergé,  elle  ne  fan 
plus  avec  TÉglise  universelle  qu'un  cœur  et  qu'une  ftme,  qu'un 
seul  troupeau,  sous  la  conduite  du  seul  pasteur  étemel  Jésus- 
Christ  et  du  vicaire  qu'il  a  établi  pour  tenir  sa  place  sur  la  terre, 
lorsqu'il  dit  à  Pierre  :  c  Tu  es  Pierre,  et  sur  cette  pierre  je 
bâtirai  mon  Église,  et  les  portes  de  l'Enfer  ne  prévaudront  pas 
contre  elle;  je  te  donnerai  les  clefs  du  royaume  des  cieox  ;  tout 
ce  que  tu  lieras  sur  la  terre  sera  lié  dans  le  ciel,  et  tout  ce  que 
tu  délieras  sur  la  terre  sera  délié  dans  le  ciel  ;  j'ai  prié  pour 
toi  afin  que  ta  foi  ne  défaille  point  ;  confirme  tes  frères  ;  sois  le 
pasteur  de  mes  brebis  et  de  mes  agneaux,  le  pasteur  de  mOD 
troupeau.  > 

Le  prince  Augustin  Galitzin,  bibliophile  éclairé,  adernièrement 
publié  à  trente  exemplaires  une  légende,  écrite  par  lui,  d*iin 
arrière-grand-oncle  de  la  princesse  sa  femme,  née  La  Roche- 
Aymon^  et  intitulée  :  Légende  du  bienheureux  Raoul  de  La 
Roche-Aymon  de  l'ordre  de  Citeaux,  archevêque  de  Lyon,  en 
1235;  brochure  de  12  pages. 


RÉDACTEURS  DU  BULLETIN  DU  BIBUOPHILE 

COURONNÉS  PAR  l'iNSTITUT. 


Le  Bulletin  du  Bibliophile  compte  parmi  ses  collabora- 
teurs des  académiciens,  des  bibliothécaires  et  des  bibliophiles 
distingués.  Plusieurs  d'entre  eux  ont  été,  à  diverses  époques, 
couronnés  par  l'Institut.  Le  Bulletin  ne  peut  rester  indifférent 
aux  honneurs  littéraires  décernés  à  ses  collaborateurs;  car  il 
en  rejaillit  toujours  un  peu  d'éclat  sur  l'œuvre  dont  ils  assurent 
la  prospérité  par  leurs  communications  bienveillantes.  Ainsi , 
nous  pounions  citer  M.  Ratuerv,  bibliothécaire  au  Louvre  i 


BULLETIN   DD   BlBUOPfllLE.  866 

couronné,  en  iSkk,  par  TAcadémie  des  Sciences  morales  et 
politiques,  puis  en  1852,  par  FAcadémiefrançoise;  M.  Apollim 
Briquet,  F  un  de  nos  plus  zélés  rédacteurs,  qui  en  1847  a 
obtenu  Tune  des  trois  médailles  accordées  annuellement  par 
TAcadémie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  aux  meilleurs  ou- 
vrages sur  les  antiquités  nationales,  etc.,  etc.  Mais  il  n'est  pas 
besoin  de  remonter  à  une  époque  si  éloignée.  Le  8  août  der- 
nier, TAcadémie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  a  proclamé 
ses  lauréats  pour  l'année  1856.  Nous  extrairons  de  cette  liste 
les  noms  suivants,  qui  se  rattachent  à  la  publication  dix  Bulletin 
du  Bibliophile, 

Dans  le  concours  pour  les  antiquités  nationales^  M.  Louis 
Paris  a  remporté  la  troisième  médaille  pour  son  Histoire  et 
description  de  V intérieur  de  V église  de  Notre-Dame  de  Reims, 

Un  rappel  de  médaille  a  été  décerné  à  M.  VioUet-Leduc^ 
pour  le  tome  II  de  son  Dictionnaire  raisonné  de  l'Architecture 
françoise,  du  A/»*  au  xFr  siècle,  in-S».  Cet  excellent  ouvrage^ 
dont  nous  avons  sous  les  yeux  la  75^  livraison ,  est  édité  par 
Bance.  C'est  un  livre  fort  important  pour  Fart  et  pour  Thistoire 
du  moyen  âge.  Lisez  l'article  Château,  et  vous  y  trouverez  le 
récit  détaillé  de  la  prise  du  Château-Gaillard  par  Philippe- 
Auguste,  la  description  du  château  de  Couci^  au  xiiF  siècle  ^  et 
celle  du  Louvre  sous  Philippe- Auguste ,  extraite  du  Roman  de 
la  Rose,  C'est  également  un  livre  de  luxe ,  par  la  beauté  des 
caractères  d'impression  et  des  gravures  sur  bois  intercalées 
dans  le  texte.  Mais  le  jugement  de  l'Académie  rend  nos  éloges 
superflus. 

Une  mention  hors  ligne  a  été  accordée  à  MM.  E.  de  Rozière 
et  E.  Chatel,  pour  leur  ouvrage  intitulé  :  Table  générale  et 
méthodique  des  Mémoires  contenus  dans  les  recueils  de  l'Acadé- 
mie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  et  de  l'Académie  des 
Sciences  morales  et  politiques;  1  VOl.  in-i*.  Cette  table  offre  le 
catalogue  méthodique  de  88  volumes  publiés  de  1717  à  1850. 
A  l'aide  de  ce  travail ,  on  pourra  désormais  faire  d'utiles  re- 
cherches dans  la  collection  des  Mémoires  de  ces  deux  Acadé- 


866  BULLETIN   DU   BTBUOPHULE. 

mies.  C'est  un  service  que  sauront  apprécier  les  hommes  qu 
se  livrent  à  Tétude  ;  quant  aux  Académies^  Tune  d'elles  vient 
déjà  de  prouver  sa  reconnaissance  à  MM.  de  Rozière  et  ChàteL 
Sous  le  litre  modeste  ù' Avertissement ^  M.  de  Rozière  a  écrit 
d'un  style  éléfçanl  Thistoire  complète  de  TAcadémie  des  In- 
scriptions et  Belles-Lettres,  et  celle  de  rAcadémic  des  Sciences 
morales  et  politiques,  depuis  leur  fondation  jusqu'à  nos  jours. 
Les  observations  judicieuses  sur  le  système  bibliographique 
dit  des  Libraires  de  Paris,  qui  terminent  cet  avertissement, 
méritent  également  de  fixer  l'attention. 

Des  mentions  très-honorables  ont  été  décernées  : 

\^  A  M.  u'Ansois  de  Jibainville,  pour  son  Essai  sur  les 
sceavd'  des  comirs  et  des  comtesses  de  Champagne  ;  br.  in-ft; 

2'»  A  M.  DoiKT  d'Ahco,  pour  ses  Recherches  historiques  et 
critiques  sur  les  anciens  comtes  de  Beaumont -sur-Oise,  du  XI* 
au  xiir  siècle;  1  vol.  in-ii ; 

3"  A  M.  Peigné-Delacoiu,  pour  ses  Recherches  sur  la  poti" 
tion  de  Noviodunum  Suessionum  et  de  divers  autres  Heur  du 
Soissonnois  ;  br.  in-8. 

Knfni,  des  mentions  honorables  ont  été  accordées  : 

1°  A  M.  Mh;naui),  pour  son  Histoire  de  l'idiome  baurgui-' 
ynon  et  de  sa  littérature  propre,  etc.;  1  vol.  in-8; 

2'  \  M.  Caunandet,  pour  la  publication  de  la  Vie  et  passion 
de  Monseigneur  sainct  Didier,  martir  et  evesque  de  Lengres; 
1  vol.  in-8.  \ous  avons  rendu  compte  de  cette  curieuse  publi- 
cation dans  le  Bulletin,  1855,  page  384. 

3"  A  MM.  AcHMET  n'HÉnicoiRT  et  A.  (iodin  ,  pour  leur  ou- 
vrage intitulé  :  Les  rues  d'Arras ,  dictionnaire  historique , 
précède  d'un  résumé  de  l* histoire  d'Arras  ;  2  vol.  in-8. 

Lo  premier  prix  (iobert  a  été  décerné  à  M.  Hairéau,  pour 
sa  continuation  du  Gai  lia  CJiristiana ,  et  le  second  prix  à 
M.  FLO<n  KT,  pour  ses  Études  sur  la  rie  de  Bossuet. 


BDUETIN  DC  BIBUOPHIU.  867 


REVUE 


DE 


PUBLICATIONS  NOUVELLES, 


—  Notice  historique  sur  la  foire  de  la  Saint-^ean,  à  Amiens^ 
par  M.  Tabbé  Jules  Gorblet,  1856,  io-8  de  28  pag.  —  H.  l*abbé 
Corblet  a  consacré  la  première  partie  de  cette  notice  à  établir 
que  Ton  doit  à  T Église  l'institution  des  foires.  Il  fait  dériver  le 
root  foire  de  feriiiy  fête  religieuse,  et  il  pense  que  ces  réunions 
commerciales  ont  eu  pour  origine  Taflluence  des  pèlerins  qui , 
à  certaines  époques  de  Tannée,  visitoient  les  reliques  des  saints 
les  plus  renommés  de  chaque  province.  Cette  origine  peut  être 
vraie  pour  quelques  localités,  mais  elle  ne  sauroit  être  admise 
comme  règle  générale.  Et  d* abord ,  nous  sommes  d'avis  que  le 
mot  foire  ne  dérive  ni  de  forum,  place  publique,  ni  de  feria, 
fête  religieuse,  mais  de  foris,  en  dehors,  à  Textérieur.  Les  mots 
forains,  marchands  forains,  traites  foraines  et  foires,  sont  de  la 
même  famille  et  signifient  des  étrangers,  des  impôts  sur  les  mar- 
chandises importées  par  des  étrangers ,  des  réunions  de  mar- 
chands étrangers.  Quant  à  Vorigine  des  foires,  nous  pourrions  en 
citer  un  grand  nombre  dont  l'institution  a  été  provoquée ,  au 
moyen  âge,  par  les  seigneurs  et  par  les  communes;  car  c'étoit 
beau  proût  pour  les  seigneurs  et  pour  les  villes.  Les  mar- 
chands sédentaires  ne  s'en  plaignoient  point  :  ils  s'approvision- 
Doient  aisément  aux  foires  de  marchandises  difficiles  à  trans- 
porter, et  les  revcndoient  plus  tard  avec  bénéfice,  à  leurs  con- 
citoyens ;  puis,  pour  ne  rien  perdre,  ils  louoient  leurs  boutiques 
aux  forains.  Les  habitants  des  campagnes  et  des  villes  environ- 
nantes venoient  s'ébaudir  à  la  foire,  et  dépensoient  en  peu  de 

60 


868  BUUBTIN  DU  BIBLIOPHILE. 

jours  des  sommes  considérables  qui  enrichissoient  les  citadiOB. 
La  tête  de  saint  Jean  étoit  exposée  à  Amiens,  le  24  juin  et  les 
deux  jours  suivants  ;  les  pèlerins  aflluoient  de  toutes  les  pro- 
vinces de  la  France,  et  même  des  pays  étrangers.  Telle  est 
Torigine  de  la  foire  de  la  Saint- Jean,  à  Amiens.  Dans  la  seconde 
partie  de  sa  notice ,  M.  Tabbé  Gorblet  retrace  la  physionomie 
commerciale  de  cette  foire ,  depuis  le  xiii«  siècle  jusqu'à  nos 
jours.  Au  nombre  des  foires  remarquables  que  cite  M.  Fabbè 
Gorblet,  nous  n*avons  point  vu  figurer  l'ancienne  et  belle  foire 
de  la  Saint-Jean,  qui  se  lient  à  Mort,  pendant  quinze  jours,  et 
qui  doit  peut-être  son  origine  à  une  autre  tète  de  saint  Jean- 
Baptiste  que  Ton  conservoit  dans  Fabbaye  de  Saint -Jein 
d'Angély. 

—  Bibliothèque  de  V Amateur  rémois  se  vend  à  Reims,  ckn 
Brissart^Binet  ;  petit  in-12,  tiré  à  100  exemplaires.  —  La  pre- 
mière livraison,  VArt  de  plumer  la  poule  sans  crier,  est  épuisée. 
Nous  en  avons  parlé  dans  le  Bulletin ,  ainsi  que  de  la  seconde 
livraison  :  la  Messe  des  Sans 'Culottes,  avec  un  Précis  histO" 
rique,  par  M.  L.  Paris.  La  troisième  livraison  est  inlitalée: 
Description  de  la  fontaine  minérale  de  Chenay,  par  Nicolas* 
Abraham,  sieur  de  la  Framboisière ,  doyen  de  la  Faculté  dt 
médecine  en  l'université  de  Reims,  1606.  Le  sieur  de  la  Fram- 
boisière devint  médecin  de  Louis  XIIl ,  et  ses  œuvres  ont  été 
imprimées  en  un  volume  in-fol.  «  La  fontaine  de  Chenay,  fré- 
qucntée  par  la  cour  et  la  ville  sous  Henri  IV  et  Louis  XIII , 
chantée  par  les  poêles  contemporains,  a  été  délaissée  depuis 
cette  époque  pour  des  eaux  thermales  plus  éloignées ,  quoi- 
qu'elle n'ait  rien  perdu  de  ses  vertus  médicinales;  elle  n'a 
d'autre  tort  que  celui  d'être  trop  près  de  la  ville  de  Reims,  a 
La  quatrième  livraison,  publiée  en  1856,  a  pour  titre  :  CAmi- 
son  nouvelle ,  contenant  le  récit  véritable  et  remarquable  de  es 
qui  est  arrivé  dans  la  ville  de  Reims,  à  l'encontre  de  ffenss* 
nistres  ;  elle  est  accompagnée  d'une  préface  de  M.  L.  Paria, 
Cette  facétie  janséniste,  composée  vei-s  1723,  se  rattache 


BCIXBTIN  OV  BIBUOPBIU*  809 

grandes  querelles  de  la  bulle  Unigenitus,  La  chaason,  sur  Tair 
des  Pendus,  est  précédée  d'une  introduction  en  prose,  intitulée  : 
Avis  des  chanteurs  ambulants  de  la  troupe  de  Champagne ,  au 
lecteur.  Cet  avis,  écrit  en  langage  rustique  du  pays  champe- 
nois, est  plein  d'esprit  et  de  fine  raillerie.  M.  Brissart-Binet  fait 
preuve  de  bon  goût  dans  le  choix  des  opuscules  qu'il  réimprime 
avec  autant  de  soin  que  d'élégance  :  ce  sont  des  raretés  biblio* 
graphiques  et  des  curiosités  littéraires. 

—  Revue  des  Provinces  de  l'Ouest.  —  Mai  1856.  —  Cette 
revue  mensuelle,  publiée  à  Nantes,  renferme  des  documents 
précieux  pour  l'histoire  du  Poitou,  delà  Bretagne  et  de  l'Anjou. 
Voici  la  table  des  matières  pour  la  livraison  du  mois  de  mai  : 

P.  SIS.  —  Le  Cheralier  de  Nouainville.  —  Épisode  de  niciun  da 
&TIU*  siècle. 

P.  529.  —  Dt^cou verte  dans  le  Finistère  d'un  atelier  de  figurines  gallo- 
romaines. 

P.  537.  —  Une  Fôte  à  Nantes  au  xvi«  siècle.— Jean  Booehet,  du  Poitisnk 

P.  559.  —  Le  Cartulaire  des  sires  de  Rays.  —  Table  analytique  des 
Chartes  qu'il  contient,  par  M.  P.  Marchegay.  [Suite.) 

P.  570.  *-  Chronique  du  mois. 

P.  575.  —  Bulletin  bibliographique  mensuel. 


—  Bulletin  du  Bibliophile  belge ,  publié  sous  la  direction  de 
M.  Aug.  Scheler,  bibliothécaire  du  roi;  février  1856.  —  Le 
Bulletin  du  bibliophile  belge  intéresse  la  France  autant  que  la 
Belgique.  On  le  prouveroit  aisément  par  l'analyse  de  la  livrai- 
son que  nous  avons  sous  les  yeux  ;  mais  l'espace  nous  manque 
pour  cette  analyse,  et  nous  indiquerons  seulement  les  articles 
les  plus  importants  : 

Essai  d'une  liste  chronologique  des  ouvnges  et  diiseitatiooa  coneernaat 
rHistoire  de  l'Imprimerie  en  HoUande  et  en  Belgique,  par  M.  F.-L.  Hoff- 
maon; 

Nuga^  diniciles,  par  M.  R.  Chalon.  C'est  une  suite  de  notices  sur  des 
tivre*  singuliers  contenant  des  anagrammes,  des  chronogrammes,  dm  poé* 
rilitt^  difAciles  en  tous  genres.  —  Louis  XVl,  imprimeur. 


870  BULLETIN   DU   BIBUOPHILE. 

Notices  biographiques  sur  Jean  de  Malines,  pofite  françois  da  xnr*  liècle, 
et  sur  Gab.  Meurier,  auteur  belge  du  xvi*  siècle  ; 

Notice  biographique  et  bibliographique  sur  les  auteurs  daUmtea,  andeni 
et  modernes. 

Lettre  autographe  de  Henri  IV  ,  etc.,  etc. 

Cette  livraisoD  contient,  en  outre,  la  préface  et  les  deux 
premières  feuilles  des  Annales  de  rimprimerie  plantiaienne, 
par  MM.  Aug.  de  Backer  et  Ch.  Ruelens. 


—  Notice  sur  Gilles  de  Rais,  par  Armand  Guéraud.  Nantes^ 
broch.  in-8  de  Ih  pag.  —  Cette  dissertation  sur  on  per- 
sonnage dont  le  nom  rappelle  tant  de  crimes,  est  très-curieuse. 
L'énoncé  des  divers  chapitres  du  livre  suffira  pour  exciter  la 
curiosité  de  nos  lecteurs  :  Naissance  et  Vie  militaire  de  Gilles  de 
Bais;  son  luxe  et  ses  prodigalités;  ses  recherches  alchimiques, 
ses  évocations  et  ses  crimes  ;  son  procès  et  son  exécution  ;  Gûles 
de  Rais  a-M'/  fourni  le  type  de  Barbe-Bleue  ?  Aroit^il  sa  raison? 
Indications  bibliographiques, 

— Le  parlement  de  Metz,  Discours  prononcé  pour  la  rentrée  de 
la  Cour  impériale  de  Metz,  le  3  nox>embre  1855,  par  M.  L.  Le- 
clerc,  premier  avocat-général.  Metz;  broch.  in-8  de  40  p.  — 
Ce  discours  est  une  page  éloquente  de  l'histoire  de  Heti»  à 
l'époque  de  l'entrée  du  roi  Henri  II  dans  cette  ville  impériale, 
le  18  avril  1552.  C'est,  de  plus,  un  résumé  complet  de  THis- 
toire  du  Parlement  messin,  depuis  sa  création  en  1633. 

— Notice  historique  sur  la  crypte  de  l'Église  cathédrale  de 
Chartres,  par  M.  Doublet  de  Bois-Thibaut.  —  Cette  notice  con- 
tient l'histoire  et  la  description  de  la  partie  la  plus  ancienne  et 
la  moins  connue  de  la  célèbre  cathédrale  de  Chartres.  Après 
avoir  rappelé  les  divers  incendies  qui  détruisirent  cette  égliseï 
depuis  1020  jusqu'en  1286,  M.  de  Bois-Thibaut  établit  que  li 
crypte  a  été  construite  sous  l'épiscopat  de  Fulbert»  de  1020  k 
1028;  puis  il  décrit  avec  soin  cette  église  souterraine,  l'iinedes 


BULLETIN   OU  BIBUOPHILE.  871 

plus  vastes  qui  existent ,  ainsi  que  ses  chapelles ,  ses  vitraux, 
ses  fonts  baptismaux,  ses  caveaux,  ses  cachots^  son  hôpital , 

son  puits,  etc Cette  curieuse  dissertation  est  extraite  d*une 

Monographie  de  la  cathédrale  de  Chartres, 

— Rapport  sur  laBibliothèq,  royale  de  Bruxelles^  par  M.  Al  vin, 
conservateur. — Ce  rapport  fort  remarquable  fournit  des  rensei- 
gnements étendus  sur  l'organisation,  Tadministration  et  le  ser- 
vice public  de  la  Bibliothèque  royale  de  Bruxelles.  11  nous  sem- 
ble qu'il  seroit  utile  de  réunir  en  un  seul  corps  tous  les  rap- 
ports d'une  époque  récente  publiés  par  les  conservateurs  des 
grandes  bibliothèques  de  l'Europe.  On  pourroit  ainsi  comparer 
les  divers  systèmes  d'organisation  et  d'administration  adoptés 
dans  ces  établissements  :  de  cet  examen  surgiroient  sans  doute 
des  idées  d'amélioration  que  la  lecture  d'un  rapport  isolé  ne 
sauroit  utilement  inspirer.  Nous  indiquerons  cependant  les 
détails  intéressants  que  donne  M.  Alvin  sur  l'installation  inté- 
rieure de  la  bibliothèque  qu'il  administre  avec  une  sollicitude 
si  éclairée  ;  la  statistique  des  livres  communiqués  au  public , 
depuis  le  1«'  octobre  1850  jusqu'au  1«'  octobre  1853;  les 
projets  d'un  agrandissement  du  local,  et  de  la  confection  d'un 
catalogue  général. 

—  Biographie  du  cointe  de  Guibert ,  maréchal-de-camp , 
membre  de  l'Académie  françoise,  par  E.  Forestié  neveu  ;  in-8* 
de  72  pag.— Cette  notice,  fort  intéressante,  a  été  couronnée  en 
1855  par  la  Société  des  Sciences  et  Belles-Lettres  de  Tarn-et- 
Garonne.  L'auteur  ne  s'est  pas  borné  à  raconter  la  vie  du  comte 
de  Guibert  ;  il  a,  de  plus,  analysé  avec  talent  les  ouvrages  de 
cet  éminent  écrivain,  qui  disoit  en  1790  :  «  J'ai  été  le  précur- 
seur de  beaucoup  d'opinions  qui  fondent  aujourd'hui  la  liberté, 
et  j'ai  propagé  la  vérité  dans  un  temps  où  il  y  avoit  du  courage 
et  du  danger  à  la  dire.  »  Né  à  Montauban,  le  11  novembre 
17(|3,  le  comte  de  Guibert  mourut  le  6  mai  1790,  à  l'âge  de 
quarante-six  ans.  On  trouve  à  la  fin  de  cette  notice  la  liste 


872  BTTLtCTni  DU  BIBLlOPBILE. 

complète  des  œuvres  de  Guibert;  elles  se  composent  de  ptak 
sieurs  volumes  sur  Tart  et  l'administration  militaires ,  que  l'on 
consulte  encore  avec  fruit,  de  voyages,  d'éloges,  de  tragédies, 
d'opéras,  etc. 

M.  Forestié  cite,  dans  son  introduction,  un  passage  du  DiC" 
tionnaire  historique  des  Françaises  ilhistres^  par  M"*  Briquet  (1). 
Ge  livre  est  devenu  très-rare,  et  le  passage  signalé  est  encore 
d'une  telle  actualité  que  nous  croyons  pouvoir  le  reproduire  : 
((  Les  dictionnaires  historiques  et  bibliographiques,  dit  avec 
raison  M""*  Briquet,  oiïrent  en  général  peu  d'eiiactitnde  dans  les 
dates  pour  les  époques  de  la  naissance  ou  de  la  mort  des  au- 
teurs; il  est  rare  de  les  trouver  d'accord  pour  les  années  des 
éditions,  pour  le  format,  le  titre  même  des  ouvragée.  On  ne 
tient  pas  compte  du  temps  qu'il  faut,  des  recherches  néces- 
saires pour  rectifier  une  date  ;  et  s'il  n'étoit  pas  indigne  d'an 
'  citoyen  et  contraire  à  la  probité  de  se  jouer  de  la  crédulHé 
d'autrui,  l'ingratitude  des  lecteurs  dispenseroit  d'être  si  scra- 
puleux  et  de  prendre  tant  de  soins.  )> 

La  notice  sur  le  comte  de  Guibert  est  un  fragment  de  la  Bh- 
graphie  de  Tam-et-Garonne  ^  études  hist,  et  bibliogr,  gur  lis 
personnes  remarquables  du  département ,  publiées  par  E^  Fé- 
restic  neveu,  avec  le  concours  de  plusieurs  écrivains^  Le  1*  vo- 
lume est  sous  presse. 

—  Éloge  du  docteur  Charles  Viguerie,  lu  à  la  séance  pMi' 
que  de  l'Académie  impériale  de  Toulouse,  le  18  mai  1856,  par 
M.  Desbarreaux-Bemard  ;  in-8  de  2k  pages.  ^  Cette  oraison 
funèbre  d'un  savant  médecin  de  Toulouse  renferme  aussi  des 
détails  curieux  et  inédits  sur  la  vie  du  père  de  Charles  Vîgoe- 
rie,  chirurgien  distingué,  qui  par  sa  fermeté  réussit  à  donner 
une  impulsion  nouvelle  aux  études  anatomiques.  M.  Desbar- 
reaux-Bernard fait  connottre,  h  cette  occasion,  les  préjugés  qai 
rendirent  presque  nulle,  juscfu'en  1776,  la  pratique  de  l'anato- 

(1)  M-*  Bri(|uot  eftt  la  mèra  du  rédacteur  de  cot  article.  {Note  de  FééUmÊt.) 


mJLLBTllf   DU  BIBUOPHILB.  87S 

mie  dins  les  écoles  de  Toulouse.  Ces  renseignements  ne  sont 
point  dépourvus  d^intérét  pour  l'histoire  des  mœurs  du  midi 
de  la  France. 

•^  Les  Estienne  (  par  M.  Ambr.-Firmln  Didot).  Extrait  de 
la  nouvelle  Biographie  générale  jmbliée  par  MM»  Firmin 
Didot  frères;  1856.  —  Nous  n'apprendrons  rien  de  nouveau 
à  nos  lecteurs,  en  leur  disant  que  cette  série  de  notices  biogra* 
phiques  intéresse  au  plus  haut  point  Thistoire  de  Timprimerie 
et  des  imprimeurs  françois,  et  même  en  ajoutant  que  le  nom 
de  Tauteur  accroît  encore  l'intérêt  qui  s'attache  à  ce  travail. 
Aucun  écrivain  ne  pouvoil  mieux,  en  effet,  retracer  la  vie  des 
Estienne,  aucun  ne  pouvoit  mieux  analyser  les  nombreux  ou- 
vrages composés  ou  édités  par  ces  savants  imprimeurs,  que 
H.  Ambroise-Firmin  Didot,  qui  tient,  de  nos  jours,  le  premier 
rang  parmi  les  typographes  françois ,  par  la  science  et  par  les 
belles  et  correctes  éditions  qu'il  publie.  Les  articles  consacrés 
à  Robert  Estienne  et  à  son  fils  Henri  sont  très-remarquables  ; 
les  documents  inédits  qu'ils  renferment  jettent  un  nouveau  jour 
sur  la  biographie  de  ces  deux  illustres  personnages.  C'est  avec 
une  douloureuse  émotion  qu'on  lit  dans  ces  notices  le  récit  peu 
connu  des  démêlés  de  la  Sorbonne  avec  Robert,  qui  privèrent 
la  France  de  ce  célèbre  imprimeur,  et  le  forcèrent  à  s'expa- 
trier. On  trouve,  en  outre,  dans  cette  biographie,  des  détails 
curieux  sur  plusieurs  savants,  imprimeurs  et  grands  seigneurs, 
parents,  amis,  protecteurs,  ou  même  persécuteurs  des  Estienne. 

—  lutter  from  king  John  of  France  to  his  son  Charles 
(London,  1856/  — Cette  lettre  inédite  du  roi  Jean  est  datée  de 
Windsor,  le  26  novembre,  sans  indication  d'année.  Il  est  pro- 
bable qu'elle  fut  écrite  peu  de  temps  après  l'arrivée  à  Londres 
du  roi  Jean,  prisonnier  d'Edouard,  dit  le  Prince  noir;  car  elle 
est  adressée  à  Charles  dauphin,  et  non  à  Charles  régent.  Elle 
a  pour  objet  de  récompenser  Pierre  de  Labatut  de  tous  les 
sacrifices  d'argent  et  de  terres  qu'il  avoit  faits  pour  subvenir 


87i  BULLEHN   DU   BIBLIOPHILE. 

aux  besoins  du  roi.  lia  signature  de  Jean  est  reproduite  en  foc 
simile,  et  la  lettre  a  été  collationnée  avec  soin  par  les  membres 
du  State  paper  office  de  Londres.  Le  possesseur  de  cette  pièce, 
M.  0*Gallaghan ,  Ta  publiée  en  Angleterre,  et  il  a  écrit  en  an- 
glois  le  titre  et  les  notes.  Le  passage  suivant  (p.  5)  :  n  Et  ja- 
chiez  quil  a  empruntez  pour  nous  a  Londres  la  somme  de  mU 
et  xliiij  moutons,  >  est  accompagné  d'une  note  qui  se  rattache 
à  la  numismatique  françoise.  «  C'est  en  1371,  selon  Gotgrave, 
qu'on  frappa  des  moutons  pour  la  première  fois.  L'erreur  est 
évidente,  puisque  celui  qui  écrivit  cette  lettre  mourut  en  136&. 
Ducange  et  Froissard  disent  que  la  monnaie  d'or,  connue  sons 
le  nom  de  mouton,  fut  autorisée  par  les  états-généraux  immé- 
diatement après  la  bataille  de  Poitiers.  Ceci  concorderoit  assez 
avec  la  date  de  la  lettre,  quoiqu'il  paroisse  extraordinaire  que 
le  roi  Jean  ait  fait  mention  d'une  monnaie  de  si  fraîche 
date  (1).  » 

—  Quelques  mots  sur  un  exemplaire  de  la  première  édition 
des  Œuvres  de  Vauvenargucs ,  avec  notes  manuscrites,  par 
M.  Mouan,  s.-bibliothéc.  d'Aix;  1856,  in-8.— La  bibliothèque 
de  la  ville  d'Aix  possède  un  exemplaire  de  la  première  édition 
des  Œuvres  de  Vauvenargues,  chargé  de  nombreuses  annota- 
tions manuscrites.  Cet  exemplaire  avoit  appartenu  au  président 
de  Saint-Vincens,  qui  écrivit  sur  la  garde  du  volume  que  toutes 
ces  notes  étoient  de  la  main  de  Vauvenargues ,  et  avoient  serai 
pour  l'édition  de  Util.  M.  Mouan  ne  partage  point  cette  opi- 
'  nion.  Il  prouve  que  si  quelques-unes  de  ces  notes  doivent  être 
attribuées  à  Vauvenargues,  il  en  est  d'autres,  en  grand  nombre, 
qui  ont  été  écrites  par  un  ami  du  célèbre  moraliste,  et  proba- 
blement par  Voltaire.  Les  détails  curieux  que  M.  Mouan  donne 
à  ce  sujet,  et  les  piquantes  annotations  qu'il  reproduit,  bussent 
peu  de  doutes  sur  l'exactitude  de  cette  attribution. 


(1)  Les  moutons  d'or  ont  été  frappés,  pour  la  première  fois,  sons  le  règne 
de  saint  Louis. 


■ 


BULLETIN    DU   BIBLIOPHILE.  876 

—  Histoire  littéraire  de  la  France,  tome  XXllI,  —  Les 
Bénédictins  de  la  congrégation  de  Saint-Maur  commencèrent 
ce  grand  ouvrage;  mais  arrivés  au  xn*  siècle,  ils  suspendirent 
leur  travail.  En  1807,  des  membres  de  l'Institut  reprirent  Fœu- 
vre  des  Bénédictins,  et  ils  Tout  continuée  jusqu'à  ce  jour  avec 
persévérance.  Le  23'  volume,  récemment  publié,  complète 
rhistoire  littéraire  du  xiii*  siècle,  et  contient  l'analyse  des  poé* 
sies  françoises  de  cette  époque.  Gomme  il  eût  été  difficile  de 
classer  exactement  toutes  ces  pièces  par  ordre  chronologique, 
les  savants  éditeurs  les  ont  rangées  par  ordre  de  matières.  Le 
premier  article  est  consacré  au  roman  de  la  Rose.  Cette  disser- 
tation, écrite  par  M.  P.  Paris,  est  l'une  des  plus  importantes  que 
renferme  ce  volume.  On  trouve  ensuite  les  Lais^  avec  une  in- 
troductionpar  M.  P.  Paris  ;  lesFaWiaiu?,  précédés  d'une  intro- 
duction et  de  recherches  sur  les  auteurs,  par  M.  V.  Leclerc; 
les  Débats  et  Disputes,  par  M.  E.  Littré;  les  Poésies  morales^ 
par  M.  V.  Le  Clerc  ;  les  Dits,  par  M.  P.  Paris  ;  V Image  du  monde ^ 
par  M.  V.  Le  Clerc;  les  Poésies  historiques,  par  M.  V.  Le 
Clerc  ;  et  les  Chansonniers  (p.  512  à  831),  par  M.  P.  Paris.  A 
la  fin  du  volume,  on  trouve  une  table  générale  des  écrivains 
du  xiii«  siècle,  dont  il  est  parlé  dans  les  huit  derniers  tomes  de 
l'Histoire  littéraire. 

Ap.  B. 


876  BtLLETIIf  DU  BIBUOPHtUt. 


NOUVELLES 


ET 


VARIÉTÉS  BIBLIOGRAPHIQUES. 


—  Le  conseil  municipal  du  Havre  vient  de  voter,  sur  lerap^ 
port  de  M.  Morlent,  bibliothécaire  de  la  ville,  racquisitiOD  des 
manuscrits  de  Bernardin  de  Saint-Pierre,  que  possédoii  encore 
M.  Laverdet.  Ces  nombreuses  pièces  formeront  au  moins  doue 
ou  quinze  parties  in-folio.  Cette  décision  fait  honneur  au  con- 
seil municipal  du  Havre,  ainsi  qu'à  M.  Morlent,  qui  l'a  provo- 
quée. Au  surplus,  ce  zélé  bibliothécaire  ne  cesse  de  réunir, 
avec  une  persévérance  digne  d'éloges,  tous  les  documents  rota- 
tifs à  Bernardin  de  Saint-Pierre,  et  spécialement  les  lettres 
autographes  de  Tillustre  auteur  des  Harmonies  de  la  nature  et 
de  Paul  et  Virginie, 

—  Sous  presse  :  Journal  inédit  d'Arnaud  d'Andilly^  publié 
et  annoté  par  Achille  Halphen,  juge  suppléant  au  tribunal  civil 
de  Versailles,  membre  de  la  Société  des  Sciences  morales,  des 
Lettres  et  des  Arts  de  Seine-ct-Oise. 

—  On  a  vendu  dernièrement  à  Londres  une  collection  de 
pièces  autographes,  parmi  lesquelles  on  remarquoit  douze  pages 
in-folio  écrites  par  Torquato  Tasso;  une  charte  originale  de 
Guillaume  le  Conquérant,  avec  le  sceau  j)arfaitement  conservé; 
des  notes  autographes  de  J.  Milton ,  écrites  sur  les  marges  d*un 


Bn.LfiTiii  mj  BiBUoraiLB.  877 

maoascrit  des  Pastorales  de  Browne;  des  instructions  auto- 
graphes de  Fénelon,  adressées  à  l*abbé  de  Ghanterac  à  Rome, 
pour  servir  à  sa  défense  contre  les  accusations  de  Bossuet; 
quelques  lettres  intéressantes  du  général  Wolfe  ;  une  lettre 
autographe  du  poHe  Cou  per  ;  une  lettre  ofTicielle  sur  Taccident 
dont  Olivier  Cromwell  faillit  être  victime,  en  conduisant  lui- 
même  sa  voiture,  etc.... 

—  L'Histoire  des  Usages  funèbres  et  des  Sépultures  des 
peuples  anciens,  par  M.  E.  Feydeau,  est  en  cours  de  publica- 
tion. Cet  ouvrage  est  le  résultat  de  dix  années  d'études,  de 
recherches  et  d'explorations  scientifiques.  Les  planches  et  les 
plans  sont  exécutés  sous  la  direction  de  M.  Alfred  Feydeau, 
architecte  de  la  Ville  de  Paris,  et  ce  livre ,  recommandé  par  le 
conseil  supérieur  de  T Instruction  publique,  parott  sous  les 
auspices  du  ministère.  Après  ce  court  exposé,  nous  n'in- 
•ifterons  pas  auprès  des  artistes  et  des  érudits  sur  Timpor- 
tiDce  et  la  nouveauté  du  sujet  que  Tauteur  a  choisi.  L'ouvrage 
formera  deux  beaux  volumes  gr.  in-^o  jésus ,  divisés  en  doute 
livres  dont  nous  donnons  ici  les  titres  : 


«"  i'R£LlMLNAlR£â. 

î"  ÉGYPTIENS. 

a»  ASSYRIENS,  PERSES,  Etc. 

4«  UÉBREUX. 

5"  NABATIIÉENS. 

••  CYRKNÉEÎf  S. 

7-  PHÉNICIENS,  CARTHAGINOIS. 


••  TROYKNS.  LYmSNS,  PHRYOIBMS, 
LYCIENS,  ETC. 

9»  GRSCS. 
10"  ÉTRUSQUES. 
Il»  ROMAINS. 
!«•  BARBARES. 


Les  planches  et  le  texte  paroîtroot  dans  l'ordre  exact  des 
divisions  de  l'ouvrage ,  en  sorte  que  les  premières  livraiioas 
contiendront  les  préliminaires  et  l'histoire  des  usages  funèbres 
et  des  sépultures  chez  les  Égyptiens,  et  que  les  livraisons  sui- 
vantes contiendront  successivement  les  autres  divisions  dans 
l'ordre  indiqué  ci-dessus. 

Quant  à  l'exécution  typographique  de  l'ouvrage,  elle  aéra 
aussi  parfaite  que  possible.  Le  dessin  et  la  gravttre  des  plu- 


878  BULLETIN   DU  BIBLIOPHILE. 

ches  gravées  et  les  dessius  sur  bois  seront  signés  par  les  plus 
habiles  artistes.  En  un  mot,  rien  ne  sera  négligé  pour  que 
Texécution  de  ce  livre  soit  au  moins  égale  à  celle  des  plus  beau 
ouvrages  d*art  publiés  de  nos  jours. 


—  >1.  Charles  Giraud,  membre  de  T Académie  des  Sciences 
morales  et  politiques ,  inspecteur  général  de  renseignement 
supérieur,  et  possesseur,  il  y  a  plusieurs  années,  d'une  très- 
belle  bibliothèque,  qui  a  été  vendue  le  26  mars  1855,  s'occupe 
de  la  publication  du  Polyptujuc  d'Alphonse,  comte  de  Poitien 
et  de  Toulouse  y  contenant  le  dénombrement  des  fiefs,  des 
vassaux,  des  droits  et  revenus  qui  appartenoient  au  comte 
Alphonse  dans  le  comtat  Venaissin,  dans  la  première  moitié  do 
xiir  siècle. 

—  Ln  ouvrage  qui  intéresse  les  bibliophiles  encore  plus  que 
les  chasseurs  vient  de  paroitre  à  la  librairie  de  L.  Hachette; 
nous  nous  empressons  d'en  faire  part  à  nos  lecteurs.  Il  est  iotî» 
tulé  :  la  Chasse  à  courre  en  France ^  par  J.  La  Vallée,  1  vol. 
in-12  de  ^39  pages  illustré  de  ^0  vignettes  par  H.  Grenier.  Ce 
volume  est  précédé  d'une  Introduction  qui,  à  elle  seule,  for- 
meroit  un  petit  livre  fort  agréable  à  lire,  et  dont  nous  extrai- 
rions plusieurs  pages,  si  notre  cadre  nous  le  permettoit.  Cet 
avant-propos  porte  pour  épigraphe  deux  vers  extraits  du  ro- 
man du  Renard. 

«  L'histoire  de  la  vénerie,  dit  Fauteur,  seroit  en  réalité  une 

m 

histoire  universelle.  Il  est  peu  d'événements  de  quelque  impor^ 
tance,  qui,  de  près  ou  de  loin,  ne  se  trouvent  liés  à  une  aven- 
lure  de  chasse.  »  Afin  d'établir  la  vérité  de  cette  proposition , 
M.  La  Vallée  rappelle  tous  les  chasseurs  émincnts  depuis  Neift- 
brod  et  Menés,  1*'  roi  d'Ég)'pte,  qui  fut  emporté  par  un  hippo- 
potame, jusqu'au  roi  Charles  X,  qui  chassoit  pendant  que  ses 
ordonnances  soulevoient  une  révolution.  L'auteur  termine 
son  introduction  par  une  analyse  des  ouvrages  cynégétiques 


0 
i 


BULLETIN   DU   BIBLIOPHILE.  879 

dans  lesquels  il  est  parlé  de  la  vénerie  en  France;  il  cite  suc- 
cessivement Arrien,  écrivain  du  ii*  siècle,  la  Chace  dou  serf^ 
le  Roi  Modus  et  la  reine  Ratio^  Gaston  Phœbus,  le  Trésor  de 
Vénerie  de  Hardouin,  publié  de  nouveau  par  les  soins  de  M.  Jér. 
Pichon,  Jacq.  Du  Fouilloux,  etc.,  etc.  Sous  la  plume  spiri- 
tuelle de  M.  La  Vallée,  la  Chasse  à  courre  est  devenue  un 
livre  charmant  que  tous  s'empresseront  de  lire  ;  car  au  milieu 
des  préceptes  de  vénerie  et  des  descriptions  pittoresques  de 
diverses  chasses,  sont  enchâssés  de  nombreux  faits  historiques 
et  de  curieuses  anecdotes. 

—  C'est  depuis  quelques  années  seulement  que  nous  trou- 
vons dans  la  circulation,  des  livres  reliés  aux  armes  du  prince 
Eugène  de  Savoie.  En  Allemagne,  en  Angleterre,  à  Paris,  dans 
divers  catalogues,  et  surtout  dans  celui  de  la  riche  collection 
de  M.  Giraud  ûgurent  des  exemplaires  parfaitement  reliés  en 
veau  fauve,  en  maroquin  rouge  et  maroquin  citron.  Cependant 
le  prince  Eugène,  en  mourant,  avoit  légué  tous  ses  livres  à 
l'empereur  Charles  VI,  et,  à  ce  titre,  ils  ont  fait  partie  jusqu'à 
nos  jours  de  la  bibliothèque  impériale  de  Vienne.  Il  paroit  qu'à 
la  suite  d'un- récolement  de  cette  bibliothèque,  on  a  vendu 
comme  doubles,  sans  doute  par  inadvertance,  des  livres  qui, 
outre  leur  valeur  intrinsèque,  avoient  le  mérite  inappréciable 
d'avoir  appartenu  à  l'un  des  plus  illustres  généraux  de  l'em- 
pire. 

—  M.  le  baron  Taylor  continue  sa  magnifique  publication  des 
Voyages  pittoresques  dans  l'ancienne  France,  Commencée  en 
1820,  cette  collection  est  l'une  des  premières  et  des  plus  im- 
portantes productions  de  la  lithographie  en  France.  Le  voyage 
dans  le  Dauphiné,  resté  inachevé  par  suite  de  la  révolution  de 
18^8,  est  aujourd'hui  entièrement  terminé.  M.  le  baron  Taylor 
doit  publier  prochainement  les  dernières  livraisons  du  Voyage 
en  Champagne,  qui  formera  deux  volumes  aussi  splendides  que 
les  volumes  précédents. 


880  BULLETIN  DU  BIBUOPHIU. 

Voici  quels  sont  les  Voyages  qui  ont  déjà  paru  : 

Normandie 39  livraisons 2  vol. 

Franche-Comté ...  28      —  1   — 

Auvergne 65      —  2    — 

Languedoc 146      —  k   — 

Picardie 136      —  3    — 

Bretagne 91      —  2    — 

Douphiné 47      —  1    — 

Champagne 105  dont  87  sont  publiées  2  — 

—  L'Université  de  Prague  a  fait  l'acquisition  de  la  riche  bi- 
bliothèque du  professeur  Hcrmann,  le  fameux  philologue  de 
Goettingue.  Elle  se  compose  de  11,000  volumes. 

—  M.  Paulin  Paris,  membre  de  l'Institut,  professeur  au  col- 
lège de  France,  conservateur  au  département  des  manuscrits 
de  la  bibliothèque  Impériale,  vient  de  partir  pour  Saint-Péters- 
bourg. Il  est  chargé  par  le  ministre  de  l'Instruction  publique 
d'examiner  les  manuscrits  françois  ou  intéressant  la  France  qu 
se  trouvent  dans  les  bibliothèques  de  Saint-Pétersbonrg,  de 
Moscou,  et  de  plusieurs  villes  de  l'Allemagne. 

—  La  publication  du  Catalogue  général  de  la  biblioihèfue 
Impériale,  par  ordre  de  l'empereur,  se  poursuit  avec  activité. 
Le  touie  1"  (Histoire  de  France),  dont  nous  avons  rendu 
compte  Tannée  dernière,  a  été  promptenient  suivi  des  tomes  2 
et  3,  qui  renferment  la  nomenclature  des  ouvrages  historiques 
relatifs  à  la  minorité  et  au  règne  de  Louis  XIV,  aux  règnes  de 
Louis  XV  et  Louis  XVI,  jusqu'aux  premières  années  de  la  Bé- 
volutiou  françoise.  Cette  série  se  compose  au  moins  de  19,500 
articles  pour  une  période  de  cent  quarante  années. 


Eu  1656,  M"**  de  La  Fayette  avoit  quitté  ses  amis  pour  re- 
joindre son  mari  dans  une  terre  de  l'Auvergne  :  U"*  de  Sévi- 


BUUBTIN   DU   BIBUOPBIU.  861 

gDé  était  désolée  de  ce  déparU  Pour  adoucir  ses  chagrins,  Mé- 
nage lui  envoya  une  canzonetta, 

La  réponse  de  M'"''  de  Sévigné  est  certainement  la  lettre  la 
plus  affectueuse  que  Ménage  ait  jamais  reçue  d'une  dame. 
Getie  lettre,  jusqu'alors  inédite,  a  été  insérée  dans  Tbistoire  de 
M"»*  de  Sablé  par  M.  Cousin,  p.  296. 

M™«*  de  Sévigné  raffola  de  cette  canzonetta.  Après  avoir 
essayé  vainement  toutes  les  clés,  elle  entreprendra,  dit-elle, 
d'y  trouver  un  air,  tant  elle  a  d'envie  de  la  chanter.  Avis  aux 
musiciennes  si  nombreuses  aujourd'hui. 

A. -T.  Barbier. 

Voici  la  canzonetta  : 

Hor,  ch'  il  canto  non  godo 

Deir  augiel  mio  terreno, 

Hor,  ch'altro  suon  non  odo, 

Che  dei  mesti  sospir,  ch'  esala  il  seno, 

Deb  !  perché  mi  si  nega,  o  sorte  ria, 

Di  spirar  frà  i  sospir  l'anima  mia  ? 

Hor,  che  più  non  mirate 

Il  sol  diquei  bei  rai, 

Luci  mie  sconsolate, 

Ah  !  non  v'aprite  à  questo  ciel  giammait 

E  se  pur  di  veder  vaghe  voi  siete, 

Mirate  il  mio  tormento,  e  poi  piangete. 

Hora,  che  a  voi  si  cela 

il  ciel  di  quel  bel  viso, 

Hor,  che  a  voi  non  si  svela 

Qnel  bel  sol,  che  col  sole  ha  il  bel  diviso, 

Poi  che  le  gioie  vostre  (ahil)  son  Cnite 

Ostemperatevi  in  pianti,  o  non  v'aprite. 


882  BULLETIN   DU   BIBUOPHILE* 

Hor  si,  ch*  a  me  fia  vile 

La  cetra,  il  pletro,  il  canto, 

Hor  languira  lo  stile, 

E  m'uscirà  da  grocchi  un  mardi  pianto, 

E  traque'  iluUi  aroari  altri  fràpoco 

Vedrà  sommerso  il  core,  o  spenio  il  foco. 

6.  Ménage. 


Nous  n'avons  pas  encore  parlé  d'un  livre  publié  en  Angle- 
terre avec  un  goût  et  un  soin  qui  rappellent  les  belles  pro- 
ductions de  la  typographie  parisienne  au  commencement  du 
XVI'  siècle;  c'est  un  volume  intitulé  :  The  book  of  comnum 
prayers^  orné  de  gravures  sur  bois  d'après  les  dessins  d'Albert 
Durer,  de  Hans  Ilolbein,  et  d'autres  artistes  distingués;  com- 
posé à  l'imitation  du  Livre  d'Heures  de  la  reine  Elisabeth  ; 
imprimé  par  W.  Pickering  en  1853,  et  publié  pour  la  première 
fois  par  W.  AUan,  en  1855.  Ce  livre  est  d'une  magnifique  exé- 
cution; il  rappelle  les  Heures  de  Simon  Vostre  et  de  Jehan 
Dupré,  par  les  vignettes  et  les  entourages,  qui  sont  disposés 
dans  le  m^me  ordre  ;  mais  il  les  surpasse  par  la  finesse  des  gra- 
vures, la  richesse  des  ornements  et  des  caractères.  Une  belle 
gravure  imprimée  sur  le  verso  du  titre  représente  la  reine 
Élisabelii  agenouillée  dans  son  oratoire.  Les  vignettes  qui  en- 
cadrent le  texte  forment  plusieurs  séries  :  \^  La  Vie  et  la  Pas- 
sion de  Jésus-Christ,  avec  les  faits  correspondants  du  Vieux- 
Testament;  2^  les  Vertus  foulant  au  pied  les  vices;  3*  les  Cinq 
Sens  ;  li^  les  Vertus  théologales  ;  5»  les  Éléments;  5o  une  Danse 
des  morts  complète.  11  serait  difficile  de  rendre  un  compte  plus 
détaillé  des  nombreuses  figures,  des  arabesques  et  des  orne- 
ments de  tout  genre  qui  font  de  ce  livre  d'heures  à  l'usage  de 
l'Église  anglicane  Tune  des  belles  œuvres  typographiques  de 
notre  époque. 


BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE 

ET 

CATALOGUE    DE   LIVRES    RARES    ET   CURIEUX    DE  LlTTÉRATUBfi, 

d'histoire,    ETC.,    QUJ    SE   TROUVENT   EN    VENTE 

A    LA    LIBRAIRIE    DE   J.    TECHENER, 

JUILLET  et  \OUT  —  1866. 


&29.  Alberti  Magni  liber  de  laudibus  Mariae.  —  Et-- 
plicit  tractatus  de  laudibus  gloriosissime  genitricis  Marie 
semper  virginis  famosissimi  $acre  pagine  interpi^etis  dni 
Alberti  magni  de  Laugingen  radispanen,  episcopi.  Pet. 
in-foL,  goth.,  d.-rel 85 — » 

Ce  volume  a  été  imprimé  à  BAle,  vers  rannée  1472,  par  Michel  Wenaler 
et  Frédéric  Biel. 

A30.  Ample  discours  et  advis  de  Testât  et  assiette  des 
armées  chrestiennes  et  turquesques  :  et  des  rencontres 
et  escarmouches  qui  se  sont  faictes  depuis  le  moys 
d'aoust  1572  jusques  au  18  octobre.  Paiis^  Nie.  Chei- 
neau,  1572.  —  Cronique  des  plus  notables  guerres 
advenues  entre  les  Turcs  et  Princes  chrestiens  jusques 
à  présent.  Ensemble  une  pronostication  sur  la  maison 
des  Ottomans.  Paris,  J.  Ruelle,  1573  ;  en  1  vol.  pet. 
in-S 24—» 

Pièces  aARBS  publiées  après  la  bataille  de  Lépante.  Au  mois  d*août  1573, 
les  flottes  chrétiennes  opéroient  contre  les  Turcs,  sur  les  côtes  de  la  Morée; 
mais  les  Turcs  n'osèrent  accepter  le  combat  que  les  alliés  leur  offrirent  à 
plusieurs  reprises.  Tout  se  passa  en  escarmouches  et  en  descentes  pour 
faire  de  Teau.  Au  18  octobre,  les  chrétiens  assiégeoient  en  même  temps 
Navarin  et  Modon.  Los  noms  de  tous  les  chefs  de  Tannée  alliée  sont  rap- 
portés dans  cette  relation,  et  nous  y  avons  remarqué  le  marquis  de  Mayne, 
frère  du  duc  de  Guise,  devenu  célèbre  pendant  les  troubles  de  U  Ligne, 
tous  le  nom  de  duc  de  Mayenne. 

M 


88&  BULLETIN  DU  BIBUOPHILE. 

Le  second  opuscule  se  compose  (l*une  Notice  chronologique  nar  le$  phu 
notables  guerres  advenues  entre  les  Turcs  et  les  princes  chrétiens ,  depuis 
la  prise  de  Constantinoplc,  en  1^53,  jusqu'à  la  bataille  de  Lépante,  en 
1S71.  On  y  trouve  aussi  l'indication  de  plusieurs  événements  des  guenes 
d'Italie,  sous  Charles  VIII,  Louis  XII  et  François  I".  L'auteur  de  la  PrtH 
nostication  sur  la  Maison  des  Ottomans  engage  les  sonverains  chrétiens  à 
s'unir  pour  une  nouvelle  croisade,  attendu  que  toutes  les  prédictions  sont 
d'accord  pour  fixer  la  ruine  de  l'empire  des  Turcs,  à  l'année  1573. 

A31.  Aretino.  Bagionamento  del  Zoppino  fatto  fratre,  e 
Lodovico  puttaiiiere  dove  contiensi  la  vita  e  genealo^ 
di  lutte  le  cortegiane  di  Ronia.  (Yenetia)  Fr.  Marcolmo^ 
1539;  pet.  in-8  de  20  ff.  mar.  rouge  fil.  tr.  dor.  (Aw- 
zonnet'Trautz.) 60 — » 

Eiemplaire  de  la  collection  italienne  de  M.  Libri  ;  on  Ut  dans  le  cat^ 
logue  de  sa  vente,  1847,  la  note  suivante  :  «  Cette  édition  originale  d'un 
des  ouvrages  les  plus  licenticux  de  l'Arétin  est  restée,  à  ceqae  noas  erojronsi 
toujours  inconnue.  Elle  n'est  pas  citée  dans  le  Manuel ,  et  nous  panons 
que  c'est  là  un  des  livres  les  plus  rares  de  cette  classe  (sur  ranioor,  les 
femmes,  etc.).  OlTrir  aux  amateui-s  une  édition  originale  et  inconnue  d*un 
ouvrage  sorti  de  la  plume  d'un  auteur  si  célèbre,  et  qui  a  tanteiereé  les 
bibliographes,  c'est  leur  |)rocurer  une  jouissance  inespérée.  Ce  livret  pié- 
cieux  se  compose  de  10  feuillets  cliitri-és,  plus  un  feuillet  blanc  :  le  feuillet  11 
est  coté  par  erreur  10.  On  sait  (|ue  cet  ouvrage  a  paru  plus  tard  dans  le 
recueil  des  Ragionamenti  de  l'Arétin,  imprimés  avec  la  date  de  1584.  Ce 
petit  bijou  a  été  très-hubilement  restauré.  » 

AS2.  Ariosto.  Orlando  Furioso.  Birmingham^  Basker- 
ville,  1773,  4  volumes  grand  in-8,  mar.  rouge,  fil.  tr. 
dor 436—» 

Très-bel  exeuplaiak  d'une  édition  enrichie  de  gravures  de  Barlolaui, 
Cochin  et  autres.  Bonnes  épreuves. 

A33.  Am)iM.  Fables  héroïques  comprenant  les  véritables 
maximes  de  la  politique  chrestienne  et  de  la  morale,  par 
Audin,  prieur  de  Termes  et  de  la  Fage.  Parié ^  1648  ; 
2  vol.  in-S,  lig.  vél '28-^ 

Rare.  Les  Fables  héroïques  du  sieur  Audin,  prieur  de  Termes,  n*ont  été 
composées  que  dans  un  but  moral.  On  s'aperçoit  aisément  qne  ce  scMit  des 
hommes  qui  parlent  et  agissent  sous  le  masque  de  choses  animées  ou  intr 
niniées.  Les  actions  et  les  paroles  des  animaux  et  des  arbres  mis  en  scène 
par  l'auteur,  choquent  souvent  toute  vraisemblance,  et  dépassent  beau* 
coup  trop  la  liberté  qu'on  est  convenu  d'accorder  aux  fabulistes.  Ainsi,  oiie 


BULLETIlf  DU  BIBL10PH1LB«  886 

dgogne  qui  logeoii  dans  un  nid  avec  ui  parents  et  uê  enfantin  sauve  des 
flammes  son  p^re  et  sa  mère,  et  laisse  périr  mb  petits,  parce  que ,  dit- 
elle,  elle  peut  avoir  d'autres  enfanta,  mais  ne  sauroit  avoir  on  autre  père 
ni  une  autre  mère.  Raisonnement  bien  subtil  pour  une  cigogne.  Autre 
eiemple  :  Le^  arbres  veulent  élire  un  roi  :  comme  ils  furent  tous  assemblés 

et  qu'un  ttutcun  eut  allégué  ses  belles  qualités Néantmoins  quand  tous 

ensemble  eurent  jeté  rœil  sur  foranger,  ils  le  jugèrent  digne  de  la  cou- 
ronne. N*estr-ce  pas  une  singuliîsre  invention  que  cette  assemblée  générale 
de  tous  les  arbres,  qui  Jettent  tous  ensemble  rœil  sur  l'oranger  et  lui  dé- 
cernent lu  couronne^  Les  Discours  moraux  ^  dont  chaque  fable  est  suivie, 
offrent  un  certain  intérêt  historique  ;  car  ils  se  composent  presque  entière- 
ment de  faits  tirés  de  Thistoire  ancienne,  et  surtout  de  Thistoire  moderne. 
Nei»  ferons  remarquer  le  discours  critique  sur  }es  modes  du  temps:  on 
y  trouve  des  détails  curieux  sur  la  toilette  des  deux  sexes  au  xvii«  siècle. 
Mais  les  60  gravures  que  renferment  ces  volumes,  doivent  les  faire  recher- 
cher avec  empressement;  elles  ont,  en  effet,  un  véritable  et  incontestable 
mérite  artistique.  Les  animaux  et  les  arbres*sont  dessinés  fort  exactement, 
et  groupés  avec  goût.  Le  graveur  ne  nous  est  connu  que  par  les  initiales 
de  son  nom  inscrites  sur  le  frontispice,  F.  C,  et  nous  pensons  pouvoir  les 
attribuer  à  François  Chauvcau,  artiste  parisien  très-connu,  mort  en  1676. 
Le  !•*  volume  des  Fables  héiolques  est  dédié  an  chancelier  Séguier;  le 
S*  volume  à  Mgr.  de  Lyonne,  secrétaire  d*État«  Chaque  volume  contient  un 
frontispice  gravé,  30  fables  et  30  tigures. 

&3A.  Billet.  Gramatica  francesa,  dividida  en  très  partes, 
su  autor  D.  Pedro  Pablo  Billet,  parisiense.  Madrid^ 
1688  ;  in-8,  d.-rel.  v.  f 28—» 

Grammaire  françoise  à  l'usage  des  Espagnols,  tout  à  fait  oubliée  ai^our- 
d*hui.  On  y  trouve,  sous  le  titre  de  :  Parallèle  de  l'éloquence  françoise  et 
espagnole,  puis  espagnole  et  françoise,  un  choix  de  locutions  particalières 
à  ces  deux  langues ,  parmi  lesquelles  figurent  un  asseï  grand  nomt>re  de 
Proverbe*. 

Le  Traité  sur  la  po*Siio  françoise,  qui  termine  le  volume,  renferme  quel- 
ques observations  curieuses,  et  j'y  ai  remarqué,  parmi  les  exemples dlés, 
le  eoonet  suivant,  que  je  donne  ici,  parce  qu'il  est  peu  connu  et  qu'on  ne 
s'aviseroit  guère  d'aller  le  chercher  dans  une  vieille  grammaire  eapa^ole: 

Vieux  mots  qui  gémisses  dans  un  exil  fAcbeux, 
Et  que  notre  caprice  a  bannis  du  langage , 
No  désespérés  pas  de  rentrer  dans  Tusage 
Et  d'y  tenir  bienUH  un  rang  noble  et  pompeux  : 

N'envies  point  le  sort  de  ces  mots  orgueilleux 
De  qui  la  nouveauté  fait  souvent  l'avantage; 
Vous  les  verres  détruits  par  notre  humeur  volage  t 
Us  triomphent  de  voua,  tous  triompheres  d'eux. 


886  BULLETIN   DU  BIfiUOPHILE. 

Je  ne  vous  flate  point  d'une  espérance  vaine; 

J'ai  de  votre  retour  une  preuve  certaine , 

Et  say  que  vous  allez  rentrer  dans  tous  vos  droits. 

La  langue  des  Capets  va  devenir  nouvelle , 
On  a  quitté  François  pour  reprendre  Françuois; 
Vieux  mots  ne  doutez  point  que  Je  ne  vous  rappelle. 

(Geatet-Dl'plessis,  Bibliogr.  parémtologtçM.) 

435.  BoGGAGGio.  Dîalogo  d'amore  di  Giov.  Boccaccio; 
tradotto  di  latino  in  volgare  da  Angelo  Ambrosini. 
VenetiiSf  apiid  /.  Bariletum^  157A;  pet.  in-12y  mar. 
rouge  tr.  dor.  (Duru.) 28—» 

Volume  RARE.  C'est  un  dialogue  entre  Alcibiade  et  Philaterius.  Dam  la 


dédicace,  Ambrosini  annonce  qu'il  a  traduit  ce  livre  du  latin,  sur  un 
nuscrit  très-ancien.   Cet  opuscule   peu  connu  contient  quelques  peCitfli 
nouvelles. 

A36.  Galmet.  Dictionnaire  de  la  Bible,  par  Dom  August 
Galmet.  Paris^  1730;  4  vol.  gr.  in-foL,  v. . .     170—» 

Superbe  exbmplairk  eu  grand  papier;  la  meilleure  édition  de  ce  Uvn 
orné  d'un  grand  nombre  de  figures. 

437.  Garacgioli  {Roberti)  de  Litio  quadragesimale.  Oh 
loniœ,  Ulricus  Zel  de  Hanau,  1473;  in-fol.,  goth.  à 
2  col.,  d.-rel 76—» 

Édition  précieuse,  rare  et  fort  recherchée;  elle  est  imprimée  arec  ki 
très-grands  et  beaux  caractères  du  Zell ,  et  elle  est  remarquable  eu  ce 
qu'elle  porte  le  nom  d'UIric  Zell,  imprimeur,  qui  ne  s'est  nommé  que  dan 
trois  ou  quatre  de  ses  nombreuses  impressions. 

Ces  sermons  protestent  souvent  contre  le  luxe  des  papes  et  dea  eanK- 
naux. 

438.  GopiE  des  lettres  du  roy  de  Navarre  et  de  Messeign. 
le  cardinal  de  Bourbon  et  prince  de  Gondé»  envoyées  i 
nostre  tressainct  père  le  pape  :  ensemble  les  responses 
de  S.  S.  latines,  et  traduictes  en  françois  (par  J.  Tou- 
chard).  Paris,  P.  UUuiUier,  1673;  pet.  in-8.     24— ■ 

Très-rare.  D'après  l'historien  De  Thou,  J.  Touchant,  Ton  dea  écrivain 
de  la  factiou  connue  sous  le  nom  de  Tiers4^arti,  étoit  plein  d'ambitioo  et 
d'idées  chimériques.  Proresseur  au  collège  de  Navarre,  il  avoit  été  cfaoîii 
par  le  cardinal  de  Bourbon,  pour  instruire  ses  neveux  :  amai  n'écrifoitFU 


BULLETIN  DU  BIBLIOPHILE.  887 

que  d'après  l'impulsion  du  cardinal.  Après  la  mort  de  Henri  01,  il  com- 
posa, de  concert  avec  Du  Perron,  son  ami,  un  pamphlet  anonyme  en  forme 
de  requête  au  roi  Henri  IV,  pour  le  supplier  d'abjurer  l'hérésie  et  de  se 
faire  catholique,  afln  de  padfler  les  troubles  de  la  France.  Ce  libelle, 
inspiré  par  le  cardinal  de  Bourbon,  fut  imprimé  à  Angers. 

Touchard  avoit  publié,  en  1573,  sous  la  même  influence,  les  lettres 
écrites  au  pape  Grégoire  XIII,  par  le  roi  de  Navarre  (Henri  IV)  et  le 
prince  de  Condé,  lors  de  leur  abjuration  forcée  après  la  Saint-Barthélémy, 
ainsi  que  la  lettre  du  cardinal  de  Bourbon  sur  le  même  sujet,  et  les  ré- 
ponses du  pape.  Cette  publication  avoit  un  double  but:  décréditer  les 
princes  dans  le  parti  des  calvinistes,  et  rendre  difficile  une  rétractation  qui 
auroitété  un  désaveu  de  leurs  protestations  volontaires  de  fidélité  au  Saint- 
Siège  et  à  la  religion  catholique.  En  effet,  on  lit  dans  la  lettre  du  cardinal 
de  Bourbon  :  «  Par  mes  dernières  lettres  j'advertissois  V.  8.  que  le  roy  de 
Navarre,  sa  sour,  le